Oldalképek
PDF
ePub

d'adieu derrière lui à tout ce qu'il a tant aimé. Aux sollicitations qu'on lui fait, il n'a qu'une réponse « Rome, désormais, n'a plus rien à me dire, et je n'ai rien à dire à Rome. Chacun a sa voie qu'il n'a point choisie, sa voie providentielle où il faut qu'il marche. Une irrésistible puissance nous conduit où nous devons aller. » Aux âmes pieuses qui jettent vers le pèlerin en route un cri de tendre désespoir, il dit : « Ne vous pressez point de juger. Dieu ne laissera pas le monde dans cette grave et terrible incertitude. Voilà tout, et déjà il est bien loin, mêlé au plus avant des luttes démocratiques; un an après le grand divorce, nous le retrouvons à Paris parmi les défenseurs des accusés d'avril. Tout le passé est mort, bien mort.

[ocr errors]

C'est maintenant le grand pamphlétaire de la Révolution, le Tribun du peuple, mais un tribun de plus en plus solitaire, misanthrope humanitaire, incurablement triste.

Qu'il y ait eu bien des angoisses dans cette âme au moment de la rupture et dans la suite, on ne peut guère en douter, mais avec quel soin il nous en a dérobé la trace! Dans quel abîme de silence il les a enfouies! Pouvons-nous aller plus loin que ne va la Correspondance, et tenter de surprendre le secret de cette âme, qu'elle a voulu emporter jusque dans la mort en redoublant à

[graphic]

la dernière heure de dignité sombre et de fierté farouche? L'excès même de ce stoïcisme, cette insensibilité impénétrable sur le lit funèbre, cette obstination dans l'attitude choisie, une attitude presque dure comme celle d'un lutteur qui se roidit en tombant, tout cela prouve bien la force, mais une force qui s'applique et s'emploie tout entière. Certes ce n'est pas l'attitude d'une âme médiocre. Mais qui oserait dire que c'est l'attitude d'une volonté sûre d'avoir bien choisi? La sérénité est bien loin d'une pareille mort. Dans ce silence violent il me semble que j'entends le cri comprimé des grandes douleurs. Je me dis: « Qu'il a souffert!» Et aussitôt le souvenir de la lettre prophétique du 25 juin 1816 me revient à l'esprit avec le flot d'amertumes qui s'en échappe : « Quoi qu'il arrive, je ne puis qu'être désormais extraordinairement malheureux.... Il y a des destins inėvitables! »

CINQUIÈME ÉTUDE.

LES MISÈRES D'UN DIEU

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

HENRI HEINE D'APRÈS SA CORRESPONDANCE.

I

C'est aux environs de l'année 1820 que Henri Heine se reconnut dieu par la grâce de Hegel, en nombreuse compagnie, du reste. Il y eut vers cette époque, en Allemagne, une promotion en masse de candidats à la divinité.

Or, lequel vaut-il mieux, rester simplement homme ou devenir dieu, si l'avénement à la divinité ne vous exempte d'aucune de ces misères que le pauvre dieu terrestre traîne à travers ses rêves olympiens? C'est ce que je me demandais en lisant la Correspondance d'Henri Heine, et je laisserai à mes lecteurs le soin de répondre pour moi.

Je me rappelle encore, comme si c'était d'hier, la sensation que j'éprouvai, il y a longtemps déjà, quand je fis connaissance avec cet extraordinaire esprit, le plus Français de ses compatriotes, que notre fatuité nationale a traduit ainsi : le plus spirituel des Allemands.

ce

Ce fut une impression d'étonnement, un éblouissement mêlé d'une sorte d'inquiétude vague, comme devant une énigme. C'est dans ses lettres publiques sur la France, sur l'Allemagne, sur Lutèce, que m'apparurent d'abord cette verve étincelante, cette finesse aiguë, cette ironie qui, par instants, rappelle Voltaire pour l'aisance, la légèreté du tour, la grâce piquante et ailée (celle d'une guêpe attique ou parisienne), en y ajoutant un air d'humour et de fantaisie, et même je ne sais quel accent de tristesse où semble se fondre la raillerie du sceptique. Un Voltaire humoriste, parfois attendri et triste jusqu'au lyrisme, me fut alors révélé. Cette double et contraire impression ne fit que s'accroître quand je fus entré dans une plus complète intimité avec le poëte, par la lecture du Livre des chants et des Reisebilder, où éclatent en pleine lumière ses caprices et ses violences, ses railleries les plus désespérées, ses intuitions les plus hautes, toutes les passions de sa vie et ses inspirations mêlées et confondues. Je commençai à comprendre le problème de cette étrange figure,

« ElőzőTovább »