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NOUVELLES ÉTUDES MORALES.

tion comme une suite et comme un motif nouveau de l'amour. Qu'on ne se mette donc pas en peine de ce que c'est que le pur amour; le propre de cet amour, c'est de se cacher soi-même à soi-même ; quand on le sent, ordinairement on ne l'a pas; quand on l'a, on ne sait pas ce que c'est; car alors on se tait, on ne sait qu'en dire, et on ne peut en parler, si ce n'est dans certains élans que Dieu envoie lorsqu'on y pense le moins. Tous ces sacrifices impossibles, exigés par les mystiques, ne sont que de pieuses extravagances. C'est une espèce de folie de souhaiter d'aller en enfer, à condition d'y trouver l'amour de Dieu. Il vaut bien mieux chercher ce saint amour où Dieu l'a mis.

Telle est la saine doctrine que Bossuet oppose inflexiblement aux nouveautés cruelles du pur amour. Il rend à l'âme le droit de se sentir vivre; il la réintègre dans sa juste propriété. Du reste, l'inhumanité de Fénelon est toute dans sa doctrine. Personne de plus humain que lui et de plus doux dans les formes et dans la pratique de la direction. Il y apporte une patience angélique, je dirai plus, une sorte de condescendance familière et presque d'affectueuse égalité. Suivez-le dans sa longue correspondance avec Mme de Montberon, la plus chère des âmes qui lui sont confiées. Il la gouverne suivant la rigoureuse théorie du pur amour. Mais à part la doctrine, il prend plutôt dans ses lettres

LA DIRECTION DES AMES AU XVII SIÈCLE. 197 le ton d'un ami que d'un maître spirituel. Il ne se fait pas faute de marquer les détails les plus précis sur son intérieur, et de confesser ces défauts dont on ne doit l'aveu que dans l'échange le plus intime de l'amitié. Il a l'air de ne pas craindre que ces confidences abaissent son caractère et diminuent son autorité. Déjà, dans une sorte d'examen de conscience retrouvé parmi les lettres de Fénelon, il s'accusait avec une franchise singulière. Mais rien n'égale la précision de ses aveux dans la correspondance avec la pénitente bien-aimée. C'est peu d'être irrégulier, négligent, manquant d'attention et de délicatesse. Il y a une page entière où il me semble entendre comme le cri navrant d'un désespoir qu'une admirable piété seule comprime. C'est dans une lettre du 20 novembre 1701 que se trouve cette confession douloureuse : « Je n'ai rien à vous dire aujourd'hui de moi; je ne sais qu'en dire ni qu'en penser. Il me semble que j'aime Dieu jusqu'à la folie, quand je ne cherche point cet amour; si je le cherche, je ne le trouve plus. (Remarquons en passant comme cela donne pleinement raison à Bossuet.) Ce qui me paraît vrai en le pensant d'une première vue, devient un mensonge dans ma bouche, quand je le veux dire. Je ne vois rien qui soulage mon cœur, et si vous me demandiez ce qu'il souffre, je ne vous saurais l'expliquer. Je ne désire rien; il n'y a rien que j'espère ni que j'envisage

avec complaisance. Mon état ne me pèse point, et je suis tourmenté de mille bagatelles. D'un autre côté, les moindres bagatelles m'amusent, mais le cœur demeure sec et languissant. Dans le moment que j'écris ceci, il me paraît que je mens. Tout se brouille. Dans ces changements perpétuels, je ne sais quoi ne change point, ce me semble. Il y a dans cette page quelque chose de désolé. Quelle profonde analyse d'un cœur accablé et d'une raison qui doute d'elle-même : Dans le moment que j'écris ceci, il me paraît que je mens ! Quel est donc le vent d'orage qui a passé par là? Si une angélique piété ne défend pas l'âme de ces désolations intérieures, faut-il s'étonner que tant d'âmes s'abat¿tent, à qui tout point d'appui a manqué dans la vie, la raison et la foi?

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Il y a bien de la condescendance dans le seul acte d'écrire cette lettre à une femme, à une pénitente. Parfois on serait tenté d'oublier qu'il s'agit d'une correspondance spirituelle, tant les analogies et les réminiscences profanes se présentent naturellement à l'esprit. Si ce n'était manquer de respect à une sainte mémoire comme celle de Fénelon, on serait tenté de sourire en assistant à ces scènes - perpétuelles de jalousie. C'est le Dépit amoureux joué dans les plus hautes sphères de la pure spiritualité. Nous n'avons pas besoin de dire que tous ces dépits viennent d'un seul côté; mais Fénelon

a peut-être le tort, tout en réprimandant sévèrement madame de Montberon, de souffrir trop longtemps ses écarts. Il fallait la guérir de ses imaginations en l'abandonnant à d'autres mains, qui, plus sévères ou moins aimées, l'auraient plus aisément maintenue sous le joug. Mme de Montberon mêle trop sensiblement à ce commerce spirituel des défauts et des passions de femme; elle a une sensibilité maladive d'amour-propre, un esprit ombrageux et toujours porté au soupçon, une pente à la jalousie qui l'emporte au delà de toutes les bornes. Fénelon n'est occupé qu'à la rassurer, à calmer les ombrages de cette affection toujours irritée; il essaye de la ramener doucement à lui. Il proteste dans les termes les plus affectueux de son dévouement pour elle : « Dieu voit, dit-il, que je ne saurais aimer en lui une sœur plus cordialement, et que je donnerais ma vie pour vous; ilvoit combien vos peines m'affligent et à quel point je souhaite de les guérir. » Vains efforts! à chaque instant, ce sont de nouveaux éclats, de nouveaux tourments. Tantôt cette pauvre âme en peine se désole d'être pendant quelques semaines éloignée de son directeur: Que craignez-vous donc, ô âme de peu de foi? Vous serez seule, il est vrai, cinq ou six semaines; mais est-ce être seule que d'être avec Dieu? La seule correspondance de volonté détruit toutes les distances; il n'y a point d'entre

deux entre des volontés dont Dieu est le centre commun. D'autres fois elle reproche à son directeur de ne prendre soin d'elle qu'avec un certain ennui; c'est là le plus grand grief sur lequel elle revient sans cesse. L'ennui ne suppose-t-il pas l'absence de toute affection sensible? On voit quelle peine ces injustes défiances causent à Fénelon : « Dieu m'a donné bien des croix, madame, mais je n'en ai porté aucune avec plus de douleur que celle de ce soir. J'espère que Dieu fera tout seul ce qu'il n'a point fait par ma parole. » Il entremêle à l'expression de son chagrin de fortes vérités, sur lesquelles on voudrait qu'il insistât davantage. Il rappelle à sa pénitente que la direction n'est point un commerce où il doive entrer rien d'humain, quelque innocent et régulier qu'il soit, mais que c'est une conduite de pure foi, toute de grâce, de fidélité et de mort à soi-même. Malgré tout, la tentation est la plus forte. Mme de Montberon persiste à croire que Fénelon ne remplit son devoir auprès d'elle qu'avec froideur et sans goût. C'est une pensée qui lui est insupportable. Elle veut changer de directeur. Alors commence une lutte étrange, Mme de Montberon s'obstinant à recourir ailleurs, pour ne pas imposer à Fénelon un soin qu'elle croit lui être à charge, Fénelon s'obstinant à combattre cette résolution de la colère « Je ne vous demande que peu de

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