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bien des sectateurs de Brahma, et le premier manifeste de leur doctrine qu'ils donnèrent au conquérant et à son armée, ce fut un suicide. Mandanis, le chef de ces philosophes, avait refusé de suivre Alexandre. Calanus seul avait consenti, mais on dirait que ce fut pour mourir avec plus d'ostentation, en présence de l'armée étrangère, à laquelle il donna l'étrange spectacle de sa mort, au milieu d'une pompe magnifique préparée par les soins du roi. Alexandre se retira avant la fin de cette cérémonie cruelle, qui devait répugner à une âme élevée, comme elle devait choquer les habitudes de la civilisation grecque. Plutarque prétend que César, eut, à son tour, son gymnosophiste qui se brûla comme celui d'Alexandre. Ce fut par ces holocaustes sinistres que la philosophie indienne se révéla à la Grèce et à Rome. On voit que ce fanatisme extravagant date de loin dans les mœurs de l'Inde, et l'on sait que les Brahmanes se tuent aujourd'hui avec la même facilité que du temps d'Alexandre, sous l'inspiration insensée des mêmes doctrines. Ce n'est pas par individus, comme chez nous, qu'il faut compter les suicides sur cette terre mystique, c'est par centaines d'individus, c'est par milliers. Ce sont moins des suicides individuels que des hécatombes humaines, exigées chaque année par la superstition homicide, qui fait à la fois la terreur

et la volupté de ces peuples. Est-il besoin de rappeler ces fêtes monstrueuses où l'on voit l'idole de Djaggernat se promener sur les corps écrasés de ses adorateurs, et ces dévotions tristement bizarres par lesquelles des sectes entières de pénitents se condamnent à d'horribles et lents supplices? Par une sorte d'émulation atroce, c'est à qui inventera les souffrances les plus raffinées. Le tout n'est pas de quitter la vie, il faut encore immoler ingénieusement le corps; il faut le sacrifier dans des tortures nouvelles, et l'imagination se met ainsi au service de ce goût fanatique de la mort. On sait que le Bouddhisme, en pénétrant au Japon, a introduit sur cette terre les mêmes mœurs et les mêmes folies qui règnent depuis un temps immémorial sur le sol sacré de l'Inde. Les récits de Charlevoix nous montrent avec quelle exaltation ces malheureux sectateurs d'un culte impitoyable s'entassent dans des barques qu'ils poussent au large, et se laissent submerger en chantant des hymnes, ou bien encore comment, se faisant ensevelir vivants dans des cavernes, ils s'y laissent mourir en bénissant leur destinée. On le sait, le fanatisme développe des forces surhumaines, et ce n'est qu'une foi implacable qui peut donner cette trempe à ces courages violents et froids.

Là est le secret de tant d'énergie dépensée à

souffrir et à mourir. Sans entrer dans l'analyse des doctrines qui séparent l'Orient indien en deux mondes irréconciliables, le monde qui suit le culte de Brahma et celui dont le Bouddhisme s'est emparé, disons que ce qui fait également le fond de ces religions, qui comptent par centaines de millions leurs sectateurs, c'est le sentiment vague de l'Infini, abîme sans fond dans lequel vient s'absorber toute forme périssable, toute âme individuelle, après les étapes successives d'une laborieuse métempsycose. Tous ces vastes systèmes ont ce trait commun de proposer à l'homme, comme le plus grand objet auquel il puisse aspirer, une félicité finale, parfaite, l'émancipation et la délivrance. Il importe assez peu de savoir de quelle sorte sera cette félicité idéale. Sera-ce la réunion finale avec l'Ame suprême comme le promettent les Brahmanes? Sera-ce, au contraire, comme le veulent les Bouddhistes, le repos du Nirvâna, l'apathie parfaite, l'existence dépouillée de tout attribut corporel, et considérée comme la suprême béatitude, une cessation de tout mouvement, une négation de tout mode d'être et de sentir, un repos absolu qui ressemble au sommeil du néant? Nous laisserons ces graves questions à débattre aux indianistes. Qu'il nous suffise de savoir, pour le sujet que nous traitons, que la doctrine de la délivrance, c'est-à-dire de la mort finale de l'individu, absorbé

dans le grand Tout, est le fond de toute la théogonie et de la morale indoue, qui, des bords du Gange, s'est répandue sur les innombrables populations de l'Asie. On comprendra mieux, alors, comment le suicide est le dénoûment de cette lutte du principe individuel, illusion de l'être, contre le principe universel qui rappelle dans son ample sein toutes ces existences dispersées et ces âmes errantes. On aura le secret de tous ces suicides accomplis avec le calme le plus parfait, sous le coup de l'exaltation intérieure, quand on saura que la mort n'est pas pour l'Indou ce qu'elle est pour nous, l'angoisse de l'inconnu ou l'incertitude du jugement suprême. Pour lui, las de la vie et impatient de l'être ou du néant divin, la mort n'est rien que le sacrifice agréable d'une personnalité chétive et souffrante, c'est un évanouissement mystique et un voluptueux ravissement dans l'Infini.

Des rives du vieil Indus, transportons-nous à l'autre extrémité du monde connu des anciens, chez nos ancêtres les Gaulois, disciples des Druides. Le trait essentiel qui a frappé tous les historiens de l'antiquité, c'est une bravoure incomparable, un calme inouï devant le danger, une insouciance parfaite de la mort. « Heureux ces peuples, a dit Lucain dans des vers souvent cités, heureux dans leur erreur ces peuples que regarde le Nord! La

plus grande des craintes, la terreur de la mort, ne

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les tourmente pas. De là ces cœurs si hardis à courir sur le fer, ces âmes capables de la mort, cette idée qu'il ne faut pas épargner une vie qui va revenir.» La mort n'était pour eux qu'un accident. Pénétrés de l'espoir d'une émigration dans les régions splendides du firmament, déjà peuplées de leurs ancêtres et de leurs amis, ils s'élançaient d'un cœur vaillant vers cette vie nouvelle qui n'était guère que la continuation de la vie présente. On faisait librement des emprunts dont l'échéance était dans l'autre monde. Le dogme druidique de l'immortalité n'était plus, comme dans l'Inde, la croyance à un repos éternel dans le néant ou bien à une apothéose dans l'Ame universelle. Non, c'était le même monde prolongé, c'était la personnalité humaine continuée sur quelque globe céleste. On comprend qu'avec de telles espérances, mourir était un jeu. Aussi voit-on, à travers les documents imparfaits qui nous restent de l'antique civilisation de nos aïeux, apparaître l'habitude de la mort volontaire comme une tradition profondément nationale. On mourait pour accompagner un ami aux rives lointaines. D'autres fois, on mourait pour le sauver d'une maladie, et ces remplaçants volontaires de la grande armée de la mort partaient, sans regret, pour la patrie mystérieuse.

En Grèce et à Rome, la doctrine du suicide eut

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