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renaissante de son supplice. La cause principale de ce mal étant une attention exagérée à tout ce qui concerne le corps, l'égoïste est, plus que tout autre, sensible à ses atteintes. Il ne vit, il ne pense, il ne souffre que pour son misérable moi, exposé à mille invincibles ennemis. Détourné des beaux et des grands spectacles que le monde et la nature offrent à tout cœur largement ouvert, indifférent aux joies et aux souffrances de ses semblables, il guette avec une persévérance pleine de tourments la moindre sensation cachée dans les replis les plus délicats de son être; sa vie n'est qu'une longue agonie. Les autres hommes lui sont un objet d'envie; tout ce qui est humain lui reste étranger ou même lui devient odieux. C'est avec le désespoir d'Oreste qu'il se cramponne, sans s'en rendre compte, à cette misérable glèbe qu'il appelle son moi et s'affaisse avec elle dans la tombe qu'il s'est creusée.... Il fait pitié de voir ces cerveaux étroits, occupés avec un soin minutieux et incessant de leur existence physique, la miner euxmêmes lentement par une lâche inquiétude. Le médecin, qu'ils ne se lassent pas de consulter, n'a pour eux que du mépris. Ces gens-là meurent du désir de vivre. Combien y en a-t-il parmi eux qui parcourent avidement les livres et les dictionnaires de médecine, recherchant partout, d'un œil inquiet, les symptômes indiqués, consultant dou

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loureusement tous ceux qu'ils peuvent reconnaître en eux-mêmes, transcrivant toutes les formules qu'ils peuvent trouver ! C'est à l'un d'eux que Marc Herz disait si plaisamment un jour : « Mon ami, c'est une faute d'impression qui vous tuera. » Déjà il y a vingt-deux siècles, avec quel mépris Platon parlait de ces lâches malades! Il paraît que la belle société d'Athènes, comme celle de Paris, avait ses hypocondries, ses maux de nerfs, ses vapeurs: « N'est-il pas honteux, dit Socrate, d'être obligé de recourir à l'art de guérir pour des maux que l'on s'est attirés non par des blessures ou des maladies inévitables, mais par l'oisiveté et par la débauche, et pour lesquels les Asclépiades sont forcés d'inventer des noms1?» Et avec ce bon sens incisif et familier qui cherche ses exemples partout autour de lui : « Qu'un charpentier tombe malade, il consulte le médecin qui le purge, le saigne ou le cautérise. Si on voulait le soumettre à un régime délicat et minutieux, il répondrait qu'il n'a pas le temps de se soigner et de négliger son travail; il dirait adieu au médecin et retournerait à sa besogne avec la chance de guérir, de vivre et de travailler. Ses forces sont-elles trop épuisées pour qu'il se relève? il prend congé de la vie, et la mort le débarrasse de ses souf

1. République, liv. III.

frances. Ainsi fait le charpentier. Vous qui vivez dans une condition supérieure, aurez-vous moins d'énergie, ayant plus d'intelligence? Par Jupiter! rien n'est plus contraire à la dignité de la vie que cette continuelle attention donnée au corps. Elle empêche de s'occuper sérieusement des affaires de la maison; elle ôte au soldat son énergie; elle entrave le citoyen dans l'accomplissement de ses deyoirs publics; elle ôte à l'homme toute aptitude pour les arts et pour les sciences; elle empêche de comprendre et de méditer, occupée qu'elle est à rêver toujours des souffrances imaginaires. C'est un obstacle au courage et à la vertu. Esculape guérissait les blessures des héros, mais on ne voit pas qu'il ait essayé de prolonger, par les merveilles de son art, la vie malheureuse des hommes condamnés à un état continuel de maladie et de souffrance; il ne voulait pas leur donner le moyen de perpétuer leur race misérable. Quant à l'homme faible de tempérament et ruiné par les excès, il pensait que l'existence d'un être semblable était inutile à lui-même et aux autres : l'art n'avait pas à s'occuper de lui, fût-il plus riche que Midas..

L'hypocondrie ne consiste pas seulement à se croire atteint d'un mal chimérique, mais encore à étudier avec un soin minutieux les maux que l'on éprouve réellement. Qui de nous est exempt de souffrir? Hippocrate n'a-t-il pas pu dire que l'homme

entier n'est qu'une maladie? Nous souffrons tous de la vie. Plus ou moins, nous sommes tous des malades que les souffrances particulières acheminent insensiblement vers la mort. Mais qu'importe? Comme le dit M. de Feuchtersleben avec un viril bon sens, tant que nous sommes assez bien portants pour faire notre journée, avons-nous besoin de tant nous occuper de notre corps? La douleur est un rien présomptueux, qui n'a d'importance que parce que nous voulons bien lui en attribuer. Nous devrions rougir de lui faire tant d'honneur, de la flatter, de la caresser, de l'élever ainsi sur un piédestal. Elle ne paraît grande que parce que nous nous abaissons devant elle. Peut-on s'imaginer un Thémistocle, un Régulus, regardant sa langue dans la glace et se tâtant le pouls? « Il y a des maladies, disait Lichtenberg de Goettingue, qu'on n'aperçoit qu'au microscope. Ce microscope, c'est l'hypocondrie. Si les hommes voulaient se donner la peine d'étudier les maladies avec un verre grossissant, ils auraient la satisfaction d'être tous les jours malades. »

Cette maladie, fruit de l'égoïsme et de la lâcheté, inspire une telle colère au brave docteur de Vienne qu'il propose sérieusement de la traiter comme un crime, tout au moins comme un délit. Il voudrait faire inscrire l'hypocondrie dans le code pénal. Tout bien considéré, s'écrie-t-il, les hypo

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condriaques n'étant pas réellement malades, n'excitent et ne méritent aucune pitié; il faudrait donc, à mon sens, les déclarer malhonnêtes, ce qu'ils sont véritablement, et comme tels, les exclure de la société. Une mesure de ce genre, appliquée dans leur propre intérêt, les guérirait plus promptement que toutes les dissertations philosophiques. Je dis plus, il serait bon de les faire souffrir; si la société a jamais le droit de tourmenter un de ses membres, c'est bien dans ce cas. » C'est aller un peu vite et un peu loin. Il y a pourtant une grande vérité dans cette plaisante exagération, c'est que le meilleur remède à l'hypocondrie, ce sont les souffrances réelles. « Pour faire comprendre à un hypocondriaque ce que c'est qu'une maladie, rendezle véritablement malade; alors il recouvrera la santé. »

En résumé, et sans poursuivre à l'excès l'analyse de ces états morbides et d'autres états analogues, nous voyons quelles sont les vraies causes de la plupart de ces souffrances et de ces maladies qui assaillent notre vie, déjà si précaire, et corrompent par une constante amertume la secrète douceur de vivre. Sans doute notre organisme lui-même recèle, dès le jour de notre naissance, le germe de notre mort. Mais par combien d'inquiétudes nous nourrissons, nous développons ce germe funeste! Par combien de lâches soucis et de misérables ter

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