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FLAVIE.

Cependant on ne voit que lettres pastorales,
Que dissertations mystiques et morales;
Chaque prélat s'émeut pour illustrer son nom,
Depuis Meaux et Paris jusques à Sisteron.

CLARICE.

L'un suit son intérêt, l'autre sa fantaisie,

L'un son ambition, l'autre sa jalousie;

Chacun se fait de fête, et chacun sait pourquoi;
Mais le pape est arbitre et juge de la foi.

FLAVIE.

Je laisse donc à Rome à régler vos affaires,
Et je ne prétends pas entrer dans vos mystères;
Jouissez du repos que vous vous proposez,
Jour et nuit devant Dieu soyez les bras croisés.
Plongez-vous dans le sein de la divine essence;
Pour moi, dans une simple et pieuse ignorance,
Je veux, sans m'avilir, sans me trop élever,
Pratiquer la vertu, madame, et me sauver.

DIALOGUE QUATRIÈME

SUR

LE QUIÉTISME.

CLARICE, quiétiste; FLAVIE, nouvelle convertie.

CLARICE.

An! ne méprisez pas ce langage sublime

Par qui dévotement le pur amour s'exprime.

Ces termes si touchans, si tendres et si doux,
Qui furent inventés aux noces de l'Epoux,
Servent de fondement aux grâces extatiques,
Et sont comme la clef des vérités mystiques.

FLAVIE.

Non, je n'approuve point ce langage amoureux,
Ces unions, ces airs passifs et langoureux,¡
Ces cœurs qu'anéantit l'amour qui les enflamme,
Tous ces embrassemens, tous ces baisers de l'âme,
Ces durables ardeurs, ces tranquilles plaisirs,
Cet amour jouissant qui n'a plus de désirs,
Ces tendres entretiens, ces douceurs conjugales,
Cet heureux appareil de fêtes nuptiales,
Cette stabilité d'aimer et d'être aimé,
Ce mariage enfin complet et consommé.
Ce style composé d'expressions mondaines,
Et de comparaisons des passions humaines,
Madame, convient-il à votre piété ?

CLARICE.

Il n'a rien qui ne soit propre à la charité.
Comme l'amour humain, l'amour divin s'explique ;
N'avez-vous jamais lu dans le sacré cantique
Ces tendres sentimens et ces tendres discours,
D'où l'Église a tiré, dans ses chastes amours,
Des saintes unions les images parfaites?

Ce

FLAVIE.

De cet écrit divin, profanes interprètes,
Gardons-nous d'usurper, par une folle erreur,
que s'est réservé l'épouse du Seigneur.
Pour moi, qui prétends suivre une règle plus sûre,
Je n'ose de ce livre essayer la lecture,

Sachant que les décrets des conciles prudens
Ne la permettoient pas jadis aux jeunes gens,

Ce que l'Église

CLARICE.

Vous condamnez, madame, et vous osez le dire,
approuve et que le ciel inspire.
Vous ne concevez pas dans ces expressions
Le sens spirituel de nos affections.

Lorsque le ciel s'élève et va jusqu'à Dieu même,
Il faut moins regarder l'amour que ce qu'on aime,
Le mot le plus commun devient mystérieux,
Le profane devient chaste et religieux,
La fin les ennoblit, l'objet les purifie;

Ces paroles enfin sont paroles de vie.
Tout ce qui tend à Dieu doit être respecté,
C'est ce culte d'amour qui fait la piété ;
Cette union intime et sainte, où se consomme
Dans la grandeur de Dieu la pureté de l'homme;
Ces baisers où l'esprit, dans un état parfait,
S'exhale tout entier dans celui qui l'a fait;
Ces inclinations et ces correspondances

Où l'âme embrasse Dieu de toutes ses puissances;
Cette couche mystique où l'épouse et l'époux
Font, parmi les plaisirs les plus purs, les plus doux,
Dans les sacrés liens où l'amour les engage,

La consommation du chaste mariage;

Où l'âme dans le sein de la Divinité

Consacre son amour, sa foi, sa liberté.

Ce langage divin peut-il vous satisfaire ?

FLAVIE.

Vous avez beau, madame, y mettre du mystère,
Je lis avec ennui, j'écoute avec dédain

Ce langage amoureux trop semblable au mondain.
Le serpent est caché sous ces herbes fleuries.

La nature est trop vive en ces allégories,
Et ces expressions d'un amour mutuel

Ne portent pas toujours au sens spirituel;

La pudeur, ce me semble, en est un peu blessée,
La parole souvent entraîne la pensée,

Et le cœur inquiet, qu'on règle comme on peut,
Ne tourne pas toujours du côté que l'on veut.
Ces termes hérissés d'épineuses idées,
Sur lesquels toutefois vos vertus sont fondées,
Sacrés, si vous voulez, mais pleins de passion
Ne portent pas le monde à la dévotion..

CLARICE.

Nous parlons comme font les personnes pieuses.

FLAVIE.

Et quelquefois aussi comme les précieuses.

CLARICE.

Ce qu'on pense, madame, élève ce qu'on dit.

FLAVIE.

Et ces fades douceurs amollissent l'esprit.
L'amour divin s'exprime en paroles discrètes,
Et ne se traite pas comme des amourettes;
Faut-il, pour expliquer la sainte charité,
Emprunter le jargon de la cupidité?

On doit honorer Dieu d'un culte raisonnable,
Se faire un art d'aimer qui lui soit convenable,
Purifier du feu d'une divine ardeur,

Quand on parle de lui, ses lèvres et son cœur ;
Et, pour représenter ses faveurs invisibles,

S'élever au-dessus des images sensibles.
A quoi bon cet heureux et tendre attachement
De l'épouse à l'époux, de l'amante à l'amant,
Ces caresses surtout, ce lit, ce mariage?
Est-ce là le vrai tour du céleste langage?
A force d'expliquer l'amour à votre gré,
De mêler le profane avecque le sacré,

Et de parler de l'un comme on parle de l'autre,
On ne sait presque plus quel amour est le vôtre :
Ce style inusité ne peut s'autoriser,

Et, croyez-moi, madame, on peut en abuser.
Par l'époux quelquefois une jeune mystique
Entend un autre époux que celui du cantique,
N'exclut pas comme vous tout objet corporel;
Et, suivant en secret son penchant naturel
Qui fait naître en son cœur une indiscrète flamme,
Ne s'en tient pas toujours aux tendresses de l'âme.

CLARICE.

Laissez là ces abus que vous vous figurez,
Et ne condamnez pas ce que vous ignorez.
Dieu parle ainsi lui-même à l'épouse fidèle,
Il la regarde, il l'aime, il s'unit avec elle;
Il la déclare aimable et sans tache à ses yeux,
La comble de ses dons les plus délicieux,
Et dit en l'embrassant, dans sa divine essence,
C'est en vous que j'ai mis toute ma complaisance.

FLAVIE.

Je ne sais si j'ai tort, madame, mais je crains
D'attribuer à Dieu des sentimens humains.

CLARICE.

Pour sauver des mortels la race criminelle

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