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curieux qu'utile à étudier; mais je ne crains pas de dire, en attendant son jugement, que la dernière rédaction l'emporte beaucoup sur la première. Dans le texte revu, tout se tient, tout s'enchaîne, tout forme faisceau; pas une proposition qui n'exprime une idée fondamentale, pas une expression qui ne serve à resserrer la trame du discours; on croit lire une déduction de saint Thomas. Au contraire, dans le texte primitif, plusieurs phrases semblent entraver le développement des pensées, plusieurs séparer ce qui devroit être uni : c'est Bossuet luimême qui a porté ce jugement. Déforis, qui mesure souvent le mérite des compositions littéraires sur la longueur, a sacrifié à l'ébauche l'œuvre achevée, perfectionnée. En effet il reproduit le premier sermon d'un bout à l'autre, sans en passer une ligne; mais il morcèle le second en plusieurs lambeaux, qui vont occuper différentes places trois se mettent dans le texte du premier discours; deux se rattachent à ce texte comme notes; un se range à la suite sous le titre de Fragment; puis le reste, quelque chose comme la moitié d'un sermon, gagne le panier. Le premier passage intercalé forme, dans l'édition de Versailles, l'alinéa qui commence ainsi : « Quel est ce nouveau prodige 1? » le deuxième remplit plus loin l'alinéa dont voici les premiers mots : « Le grand pape saint Hormisdas ; » enfin le troisième fournit les quatre alinéas dont le premier débute par cette phrase : « Il n'y a rien de plus vain que les moyens que l'homme recherche pour se faire grand3. » Quel effet produit ce mélange de textes différens, cet amalgame d'exordes, de points, de péroraisons diverses? On n'a pas besoin de citations pour le comprendre. Le premier sermon, déjà bien long dans sa forme primitive, encore allongé par des additions maladroites, se traine péniblement, lourdement, sous le poids des surcharges, au milieu des redondances oiseuses, inutiles, à travers des redites fatigantes, accablantes; le second sermon, celui-là même que Bossuet a refait avec tant de soin, ce chef-d'œuvre qui se distingue entre des chefs-d'œuvre, est anéanti.

Nous trouvons dans les manuscrits cinq sermons pour la fète de la Circoncision. Cependant les éditions n'en donnent que quatre. C'est que l'affineur de Bossuet a refondu, pour n'en faire qu'un, les deux derniers. Dans son creuset, l'exorde du cinquième sermon s'est évanoui sans doute en scories; le premier point s'est transformé en une pièce détachée; le troisième point a fait alliage, dans un lingot informe, avec le même point du quatrième sermon; enfin les deux péroraisons se sont soudées bout à bout. L'exorde qui n'a pu soutenir l'épreuve de Déforis, Bossuet l'avoit refait sur le premier avec le plus grand soin. Le point doublé, portant presque partout les deux crochets de Déforis, s'en va heurtant du pied à travers les cailloux. Enfin les deux pérorai'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 300.- Ibid., pag. 313. - 3 Ibid., pag. 320.

sons juxtaposées commencent l'une et l'autre à deux pages d'intervalle, par ces mots : « Donc, mes frères, hâtons-nous d'entrer dans ce » repos éternel » : Festinemus ergo ingredi in illam requiem '; et chacune répète plusieurs fois, doublant le nombre par la duplication du texte : Festinemus..., festinemus ergo..., festinemus ingredi...

A ces deux péroraisons, Déforis en a joint une troisième, qui a pour but d'approprier le discours au temps du carnaval, puis une quatrième dans l'allocution que le prédicateur adressa au duc d'Epernon, dans la chapelle des anciens ducs, à Dijon. Le directeur de l'édition de Versailles a détaché ces deux morceaux pour les imprimer séparément après le sermon; mais voici comment il commence la péroraison :

Pour nous préparer à entrer dans cette joie abondante, accoutumons-nous à la recevoir quand elle descend du ciel dans nos cœurs; corrigeons les joies de la terre. Mais, ô Dieu! à quelle joie abandonnons-nous notre cœur?.... [ Se] masquer, [se] déguiser, danser, courir, aller deçà et delà...: voilà la grande occupation de ceux qui se disent chrétiens 2.

Sans parler de la joie abondante, de la joie de la terre, de la joie de notre cœur, ni des autres joies qu'on accumule les unes sur les autres en transportant dans le texte une note marginale, venons tout de suite à ces admirables [se] et [se]. Les quatre crochets devroient mettre en relief la scrupuleuse exactitude de l'éditeur; mais ils montrent autre chose. Comme on le voit partout, on disoit au temps de Bossuet masquer et déguiser dans le sens neutre, pour aller en masque et pour se produire sous un déguisement. Que signifie done la correction?

Ce n'est pas tout; Déforis, non plus que les autres éditeurs, n'a pas su donner à l'allocution de Bossuet la place qui lui est destinée. On va le voir tout de suite.

Texte imprimé.

Texte à imprimer.

Festinemus ergo; hâtons-nous, efforçons-nous. Il faut combattre, il faut faire effort. Ce sont ici les jours malheureux, les jours de l'ancien Adam, où il faut gagner par nos sueurs et par notre travail le pain de vie éternelle, où les vertus sont sans relâche aux mains avec les vices. Viendra le temps de poser les armes et de recevoir les couronnes, de se refaire du combat et de jouir de la victoire, de se dégager du travail et de goûter le repos: Admodo

Si vous pleuriez de bonne foi vos péchés, si vous pouviez vous deprendre de ces plaisirs dégoûtans, de ces ennuyeuses délices dont vous devriez déjà être rassassiés, dont les sages espèrent toujours revenir; (mais Dieu n'en donne pas toujours le temps ou la grâce), par la vérité de celui dont j'annonce la parole, de ce mépris des plaisirs et des joies mondaines naitra un autre plaisir, plaisir sublime qui naît non du trouble de l'ame, [mais de la 'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 559 et 562. — Ibid., pag. 564.

Texte imprimé.

paix d'une bonne conscience]. Une goutte rassasiera votre cœur; mais cette goutte croîtra toujours, et enfin elle vous fera posséder l'océan tout entier et l'abîme infini de félicités, que je vous souhaite, au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit.

Monseigneur, quoique votre altesse sérénissime aille être rejetée plus que jamais dans ce glorieux exercice, dans ces illustres fatigues, dans ce noble tumulte de la guerre; je ne crains pas de me tromper ni de parler à contretemps, en lui proposant pour objet ce grand et éternel repos 1.....

Texte à imprimer.

jam dicit spiritus ut requiescant à laboribus suis.

Monseigneur, quoique votre Altesse sérénissime aille être rejetée plus que jamais dans ce glorieux exercice..... (Comme dans la première colonne.)

On a remarqué avec quel art, par quel habile acheminement l'auteur arrive, dans le second texte, aux paroles qu'il adresse au duc d'Epernon. Dans le premier texte, au contraire, l'allocution vient inopinément, lorsque l'orateur a quitté la parole, après la fin du discours. On voit d'ailleurs que les expressions: Ce glorieux exercice, ces illustres fatigues, ce noble tumulte de la guerre et cet éternel repos ne se rapportent à rien. Il n'y a pas jusqu'à la sainte formule : « Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, » qui ne révèle une main maladroite; Bossuet auroit dit : «Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

Mais si Déforis travaille dans les discours entiers, pourquoi n'exerceroit-il pas dans les parties de discours? L'exorde d'un sermon déjà cité, le second pour le dimanche de la Quinquagésime, remplit neuf pages. Bossuet le trouvant trop long, l'a beaucoup abrégé dans une nouvelle rédaction. Mais qu'a fait son éditeur littéraire? Il a intercalé dans le premier exorde plusieurs passages du second, puis il a rejeté les autres. Voici quelques-unes des redites qu'amène coup sur coup, dans deux pages, cette mixtion de textes différents :

Je découvre tous les emplois, tous les exercices, toutes les occupations différentes qui partagent en tant de soins les enfans d'Adam. - Je contemple les divers emplois dans lesquels les hommes s'occupent.- Les uns se plaisent dans les emplois violens. - Quelques-uns recherchent avec ardeur les emplois publics.— Chacun est en action et en exercice. Que de spectacles, que de durs exercices! L'un aime les exercices durs et violens. Ensuite: Les inclinations sout plus dissemblables que les visages. Pourrois-je vous rapporter une telle variété de coutumes et d'inclinations? Vous raconterai-je les diverses inclinations des hommes? - Quand aurois-je fini ce discours, si j'entreprenois de vous raconter toutes ces mœurs différentes et ces humeurs incompatibles? Je vois 'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 567.

-

cette multitude infinie de peuples et de nations avec leurs mœurs différentes et leurs humeurs incompatibles. - Je ne sais où arrêter ma vue, tant j'y vois de diversité. C'est là qu'il se présente à mes yeux une variété plus étonnante. Je ne puis considérer sans étonnement tant d'arts et tant de métiers avec leurs ouvrages divers. Cette diversité confond mon esprit. d'ouvrages divers ont-ils divisé les esprits 1! etc.

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En combien

A tout cela il faudroit ajouter, si l'on vouloit compléter le tableau, la guerre, le cabinet, le gouvernement, la judicature et les lettres, et le trafic et l'agriculture; puis le tumulte des armes, la chasse qui est une image de la guerre, l'étude des bonnes lettres et la navigation, le barreau et les boutiques, les occupations de la vie rustique et cette quantité innombrable de machines, etc. Quand l'on considère « ce mélange de choses, cette étrange confusion, » comme parle notre exorde, on ne sait ce qui doit étonner le plus, ou la présomption de l'homme qui n'a pas craint d'arranger ainsi les plus belles compositions de l'éloquence chrétienne, ou la crédulité du public qui a pris de semblables fouillis pour l'œuvre de l'aigle de Meaux.

Telle est la méthode de Déforis. Toutes les fois que Bossuet a soumis un de ses discours à une nouvelle rédaction, son ajusteur s'arroge le droit de faire acte de son métier. Et partout le même procédé : conserver l'ébauche intacte, parce qu'elle est plus longue; morceler l'œuvre parfaite, parce qu'elle offre moins de matière à remanier; puis mettre dans la contexture du premier sermon des découpures du dernier; puis publier sous le titre de Fragmens quelques passages, et jeter le reste au panier. On a dit souvent que Bossuet n'a que des discours abrégés, tronqués, mutilés. Sans doute il a quelquefois écrit deux exordes ou deux péroraisons pour le même discours, et je bénis cette surabondance de zèle et de génie ; sans doute il n'a pas toujours fait de ses compositions oratoires un tableau fini, et tout le monde admire dans ses esquisses la variété de ses peintures. Mais qu'on démêle les sermons mêlés dans l'impression, et qu'on recueille dans les manuscrits les matériaux rejetés par l'inintelligence, on formera quelquefois des discours complets, parfaitement ordonnés, là où les éditions ne donnent que des fragmens. C'est ainsi qu'on a reconstruit trois sermons dans le premier volume de Lebel.

Mais il est temps de résumer toutes nos observations sur la manière dont on a imprimé les sermons de Bossuet.

IX.

Après tout ce qui précède, j'ai le droit, ce me semble, de poser cette conclusion toutes les éditions altèrent et défigurent la parole de Edition de Versailles, vol. XII, pag. 54-56.

TOM. VIII.

e

Bossuet par des procédés que désavoue la critique la moins sévère. Déforis, qui est à vrai dire le père de toutes, change souvent les termes et les tournures employés par l'immortel écrivain; il ajoute à ses phrases de lourds complémens, qui ralentissent la marche du discours et détruisent de grandes beautés littéraires; il surcharge ses magnifiques commentaires de traductions triviales, qui font ordinairement double emploi ; il choisit mal les variantes, les accumule quelquefois les unes sur les autres et ne tient pas suffisamment compte de celles qu'il ne peut rattacher au corps des périodes; il fait entrer dans les raisonnemens les plus serrés des notes marginales qui brisent la connexité logique des idées, ou créent parfois des sens singulièrement étranges; il rétablit les passages effacés sans remarquer les contradictions les plus choquantes; il remet en œuvre les matériaux déjà employés par l'architecte et lui attribue des œuvres qu'il n'a pas produites; enfin il amalgame des textes différens pour faire un exorde de deux exordes, un sermon de deux sermons. Au moyen de ces remaniemens, de ces mélanges et de ces suppositions; par ces intercalations maladroites, ces complémens déplorables et ces traductions terre à terre, il arrange souvent les plus beaux passages de telle façon, que le premier écrivain venu s'empresseroit de les désavouer. Et qu'on ne l'oublie pas, les remarques faites jusqu'ici, les critiques soumises au lecteur portent sur un seul volume, ou plutôt sur un petit nombre de sermons de ce volume, le premier de Lebel; et la matière n'est pas épuisée, tant s'en faut. Je le demande donc, le comte de Maistre a-t-il eu tort de dire : << Jamais auteur célèbre ne fut, à l'égard de ses œuvres posthumes, plus malheureux que Bossuet. » Aucun autre écrivain n'auroit survécu à pareille épreuve. Voulez-vous apprécier dignement Bossuet, voyez d'une part l'admiration des siècles, et de l'autre certaines pages imprimées de ses sermons. Quelle devoit être la force de son éloquence et la puissance de son génie, pour triompher des redites et des doublures et des non-sens et de la prose qu'on lui a prêtés!

Le lecteur connoit maintenant, je l'espère, le but qu'on s'est proposé dans la nouvelle édition des sermons de Bossuet. Rétablir d'après les documens originaux les expressions, les phrases et les tournures de l'auteur; réintégrer les ellipses, les réticences, les suspensions oratoires, et autant que possible la ponctuation des manuscrits; supprimer sans grace ni merci toutes les additions de Déforis, en déchargeant le texte du lourd bagage de ses commentaires qui entravent la marche du discours, de ses traductions qui font double emploi, de ses élucubrations qu'il devoit publier ailleurs que dans des chefs-d'œuvre; écarter avec la même justice et la même rigueur les passages effacés qu'il remet en œuvre de son autorité privée, et les témoignages des Pères qu'il porte de la marge au milieu des pages; détacher du corps des discours les

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