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effacés renferment la plupart de grandes beautés; mais l'écrivain les a pour ainsi dire marqués du signe de la réprobation; il entendoit les écarter de son œuvre, ils ne doivent pas y figurer. Déforis réforme souvent ce jugement de Bossuet; souvent il rétablit, en les reportant dans le texte des sermons, les textes écartés par l'auteur.

Dans un endroit du quatrième sermon pour la fête de tous les Saints, Bossuet expliquoit comment la vision de Dieu fait la félicité des habitans de la céleste patrie; mais il s'aperçoit qu'il a déjà parlé de cet ineffable mystère, et passe un trait de plume sur ce qu'il vient d'écrire. Qu'a fait Déforis? Il a rejeté une partie du passage effacé et conservé l'autre. On peut voir, dans toutes les éditions, la double explication de « la claire vue de Dieu1.» On sait déjà que le diligent éditeur a introduit dans le même sermon deux longues citations que l'auteur avoit consignées à la marge.

Dans l'exorde du second sermon pour la Quinquagésime, Bossuet nous montre l'activité pour ainsi dire fébrile qui agite les hommes dans les villes et dans les campagnes, sur terre et sur mer; il décrit longuement « les emplois, les exercices, les occupations qui partagent en tant de soins les enfans d'Adam durant ce laborieux pèlerinage. » Au commencement du deuxième point, revenant sur ce sujet : « Nos occupations et nos exercices, nos conversations et nos divertissemens, dit-il, nous attachent aux choses externes. J'en ai déjà dit, continuet-il, quelque chose au commencement de ce discours, et je le répète à présent. » A la fin cette répétition lui déplait; il l'efface depuis ces mots : « Vous allez voir par un raisonnement invincible, » jusqu'à ceux-ci : «La règle de la raison c'est Dieu mème 2. » Le retranchement, sans produire aucune lacune, dégage le discours et donne une marche plus rapide aux idées. Déforis n'a pas respecté ici, non plus que dans mille endroits, la volonté de l'auteur; il reproduit d'un bout à l'autre le passage effacé. Mais ces sortes de rapports nous mènent un peu loin, sans épargner au lecteur la peine de consulter les pièces originales; cherchons des exemples qui parlent d'eux-mêmes.

Quelquefois Bossuet reprend, sous bénéfice de changement, le passage effacé pour le mettre un peu plus loin. Dans une dissertation philosophique, après avoir posé cette thèse : « L'honneur que l'on nous rend par erreur est encore une sorte de bien,» il en développe la démonstration par un long raisonnement. Avant même d'avoir fini la preuve, il s'aperçoit qu'il ne procède pas avec toute la rigueur désirable; aussitôt il passe un trait de plume sur ce qu'il vient d'écrire, et distingue trois sortes d'erreurs dans la matière qui l'occupe; puis il rétablit, à la place que lui assigne l'ordre des idées, le raisonnement qu'il effaçoit tout à l'heure. De là deux passages presque littéralement Edition de Versailles, vol. XI, pag. 92, 93 et 94. — 2 Ibid., vol. XII, pag. 75, 76 et 78.

identiques, l'un effacé et l'autre maintenu par l'auteur; mais tous deux reproduits par Déforis et par Lefèvre, et par la société des quatre éditeurs, etc. Voyez plutôt :

Passage effacé, reproduit.

On pourroit même douter si l'honneur qu'on nous rend par erreur est un avantage pour nous, puisqu'en ce cas l'estime que l'on fait de nous ne nous attribue rien de véritable; mais néanmoins le contraire semble être assuré par ce que nous venons de dire. Car encore, par exemple, que ce que l'on nous attribue ne soit pas vrai, il est vrai toutefois qu'on nous l'attribue; et cela, sans doute, c'est un avantage. Si c'est un mal de n'être pas digne d'honneur, c'est encore un autre mal que cela soit connu: c'est donc une espèce de bien qu'on me fait de me croire plus que je ne suis; et quoique je doive plutôt désirer d'être ce que l'on croit, on ne laisse pas de m'obliger en m'attribuant plus que je ne possède 1.

Passage non effacé, aussi reproduit.

Premièrement on pourroit douter si l'honneur que l'on nous rend ainsi par erreur et pour des bonnes qualités que nous n'avons pas, est un avantage pour nous, puisqu'en ce cas l'estime que l'on fait de nous ne nous attribue rien de véritable. Néanmoins le contraire semble être assuré par les choses que nous avons dites; car encore que ce que l'on nous attribue ne soit pas vrai, il est vrai toutefois qu'on nous l'attribue, et cela sans doute c'est un avantage. Si c'est un mal pour moi que de n'être pas digne d'honneur, c'est encore un autre mal que cela soit connu. C'est donc une espèce de bien que cela soit caché par la bonne opinion que l'on en a; et quoique je doive plutôt désirer d'être ce que l'on croit, on ne laisse pas de m'obliger en me croyant plus que je ne suis 2.

Ces deux passages ne sont séparés, dans toutes les éditions, que par un petit nombre de lignes; et dans celle de Versailles ils se présentent face à face, vis-à-vis l'un de l'autre, à peu près comme on vient de les voir dans la citation. Cependant personne, pas un éditeur, pas un prote, pas un correcteur d'épreuves n'a signalé le double emploi !

:

Mais Déforis ne se contente pas de recueillir les rebuts mis au panier il transcrit, si l'on passe l'expression, des passages que Bossuet n'a pas écrits. Un feuillet manque dans le quatrième sermon pour la fête de la Circoncision; mais ne vous en affligez pas : l'éditeur littéraire a comblé la lacune par un morceau de sa façon; il traduit et commente saint Ambroise, il exhorte et pérore tout à son aise; sa prose s'étale avec complaisance dans deux longues pages 3. Il s'écrie : « Tu t'endors déjà, pécheur, miraculeusement délivré par une charité toute gratuite ; » puis il lui parle, à ce pécheur, de « ces douleurs si vives et si profondes qu'il s'est vu obligé de ressentir..., du joug du nouveau maître qui l'avoit affranchi... » Le reste à l'avenant.

Un auteur qu'on ne suspectera point de partialité, M. Valery-Radot, va parler à notre place du Panegyrique de saint André : « Dès la 'Edition de Versailles, vol. XII, p. 386. — Ibid., 387, 388. — 3 Ibid., v. XI, p. 549, 550.

quatrième page, dit-il, les interpolations des éditeurs commencent, et elles vont croissant en nombre et en étendue jusqu'à la fin. Ils y ont inséré, non-seulement des phrases, mais des paragraphes entiers et très-longs, et plusieurs de suite. Le manuscrit original n'offre que les deux tiers au plus du sermon qu'ils ont imprimé. Et avec tout cela ce sermon demeure imparfait : ils y ont appliqué une péroraison, et ils l'ont laissé sans exorde. »>

Le premier de ces éditeurs a inventé le moyen de donner ses compositions littéraires même en dehors des sermons. On trouve souvent avant ces chefs-d'œuvre, dans les manuscrits, des analyses ou des tables qui en font embrasser d'un seul coup d'œil le plan, l'ordre et le contenu. Déforis a rejeté ces précieuses indications pour les remplacer par des sommaires vagues, confus, qui ne portent aucune idée nette à l'esprit. Voici ce qu'il dit avant le sermon pour le vendredi après les Cendres :

Opposition de l'homme à la concorde. Dette de la charité fraternelle, ses obligations, ses caractères : jusqu'où doit s'étendre l'amour des ennemis : comment on doit combattre leur haine : vengeance qui nous est permise contre eux 1.

On voit que ce sommaire peut s'adapter à n'importe quel sermon sur la charité fraternelle. Ecoutons Bossuet1:

Diligite inimicos vestros, etc., Matth., v, 44.

Exorde. La charité, une dette. Quelle nature de dette? Premier point. - C'est à Dieu qu'on doit l'amour pour ses frères, non pas aux hommes. Par conséquent la dette est indispensable. La colère se change en haine; elle s'aigrit comme une liqueur. La charité ne s'épuise jamais. Elle se fortifie dans les rebuts : O generatio incredula et perversa....., afferte hùc illum ad me (Matth., XVII, 16).

Second point. Lorsque l'ennemi est à nos pieds, alors c'est le temps de lui bien faire; exemple, David. Noli vinci à malo, ut sit bonus contra malum, non ut sint duo mali (S. August., serm 2, in Psal. XXXIV).

Signalons encore, avant de finir, un prêt fait à Bossuet. On ne retrouve point, dans un sermon que Déforis lui attribue, cette parole mâle et vigoureuse, simple et sublime qui distingue le Démosthène chrétien ce ne sont plus ces accens qui ébranlent l'ame, ces éclairs qui frappent d'étonnement et d'admiration; mais ce style doux et facile, un peu prolixe, un peu mou, cette demi-teinte rêveuse, ce sentimentalisme qui révèle l'auteur du Télémaque et des Maximes des Saints. Le sermon sur les Avantages et les Devoirs de la vie religieuse 2 n'est pas de Bossuet, mais de Fénelon. Cependant l'éditeur de Versailles l'a donné 'Edition de Versailles, vol. XII, pag. 121. — Ibid., vol. XIV. pag. 419.

dans les œuvres de l'évêque de Meaux, et cela ne l'a pas empêché de le donner aussi dans les œuvres de l'évêque de Cambrai.

Il ne nous reste plus qu'à signaler les mélanges de textes différens.

VIII.

On ne sauroit trop redire comment Bossuet donnoit à ses œuvres cette perfection qui leur assure l'admiration des siècles; par quel art persévérant il les revêtoit pour ainsi dire de force, de grace et de beauté dans des corrections continuelles, ajoutant quelquefois, retranchant presque toujours, donnant mille formes diverses à sa pensée. Il faisoit plus encore. Lorsque le temps eut mûri son talent et la composition fortifié son génie, non-seulement il retouchoit d'une main plus habile et plus ferme les passages isolés de ses discours, mais il soumettoit à une nouvelle élaboration des exordes, des points, des péroraisons, des sermons entiers 1. Cherchant partout la concision qu'il regardoit comme la plus précieuse qualité de l'orateur et de l'écrivain, résumant souvent en quelques mots de longues considérations, il rapprochoit les maximes des faits, les preuves des propositions, les conséquences des principes. Par ce travail de condensation, sa parole, semblable à l'eau comprimée dans l'airain de la pompe, jaillit avec une nouvelle force; la phrase a plus de plénitude et de richesse, le style plus de grace et de couleur, le raisonnement plus de vigueur et de trait, enfin le mouvement plus de véhémence et de rapidité.

Bossuet a écrit deux fois le second sermon pour la fête de tous les Saints, de manière que les manuscrits renferment deux sermons entiers, qui ont chacun leur exorde et chacun deux points. Cependant toutes les éditions ne donnent qu'un seul sermon, qui a trois points : d'où cela vient-il? De ce que Déforis a fondu les deux discours en un seul. D'abord il a mêlé les deux exordes; puis il a fait le premier point avec le premier sermon, et le deuxième et le troisième point avec le dernier. Dans cet arrangement, le premier point renferme, à lui seul, huit pages de plus que les deux derniers réunis ; et de part et d'autre même sujet, même plan, mêmes textes, mêmes idées fondamentales et souvent mêmes phrases et mêmes expressions. Voici quelques-uns des textes qui se trouvent dans le premier et dans les deux derniers points : Qui vicerit dabo ei, ut seleat in throno meo. Ego in eis, et tu in me, ut sint consummati in unum, ut sciat mundus quia dilexisti me in ipsis.

Parlant de trois chefs-d'œuvre qui avoient obtenu l'admiration de la Cour, Bossuet dit dans le manuscrit, à la fin du sermon sur la Charité fraternelle : « Il faut bien méditer trois sermons qui regardent la société du genre humain, dans la IIIe semaine du Carême du Louvre. Le fond m'en paroit très-solide, mais il en faut changer la forme.» - C'est le premier daus notre édition; car celui que Deforis et tous les editeurs donnent au commencement du volume, n'est qu'une ebauche.

Volo, Pater, ut ubi sum ego, et illi sint mecum, etc. 1. Le lecteur pourra voir dans toutes les éditions les passages semblables; je n'en citerai qu'un seul.

Premier point.

Quel doit être cet ouvrage... après l'exécution duquel il ( Dieu) se veut reposer toute l'éternité? Il y aura assez de quoi contenter cette nature infinie. Lui qui a trouvé que la création du monde n'étoit pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire : Voilà ce que j'ai fait; voyez, n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins? pouvois-je me proposer une fin plus excellente ??

Second point.

Est-ce peu de chose... d'être l'accomplissement des ouvrages de Dieu..., et qu'il se repose après toute l'éternité ? Il y aura de quoi contenter cette nature infinie. Lui qui a jugé que la production de cet univers n'étoit pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire: Voilà ce que j'ai fait, voyez; n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins? pouvois-je me proposer une fin plus excellente 3?

Après avoir prèché le premier sermon pour le jour de Noël, sur la nativité de Notre-Seigneur, Bossuet l'a pareillement soumis à une nouvelle rédaction, si bien que nous avons deux sermons complets. Le dernier dans l'ordre chronologique n'est que le premier perfectionné, pour ainsi dire concentré; il suffit, pour s'en convaincre, d'en confronter quelques phrases. Après avoir dit que le Verbe de Dieu a voulu descendre par trois degrés « de la souveraine grandeur à la dernière bassesse,» l'auteur continue:

Premier sermon, imprimé. Premièrement il s'est fait homme, et il s'est revêtu de notre nature; secondement il s'est fait passible, et il a pris nos infirmités; troisièmement il s'est fait pauvre, et il s'est chargé de tous les outrages de la fortune la plus méprisable. Et ne croyez pas, chrétiens, qu'il nous faille rechercher bien loin ces trois abaissemens du Dieu-homme; je vous les rapporte dans la même suite et dans la même simplicité qu'ils sont proposés dans mon évangile .

Second sermon, à imprimer.

Premièrement il s'est fait homme, secondement il s'est fait passible, troisièment il s'est fait pauvre et s'est chargé de tous les opprobres de la fortune la plus méprisable. Le texte de mon évangile renferme en trois mots ce triple abaissement du Dieu-Homme.

Le lecteur pourra poursuivre, dans notre édition, ce parallèle aussi

'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 35 et 53.2 Ibid., pag. 25. —3 Ibid., pag. 50. Voir pag. 20 et 46,-22 et 48, 21 et 50,- 39 et 57. Ibid., pag. 297. L'edition de Versailles donne deux fois ce chiffre dans la pagination; il faut donc chercher avec soin

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