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du clergé de France et la censure de ses supérieurs vinrent l'arrêter dans ses manipulations. A part la censure qu'on peut contester, l'accusation formule des griefs incontestables; mais l'auteur du réquisitoire, qu'a-t-il fait lui-même ? Comme on le verra plus tard, il a dédoublé un discours et supprimé une péroraison dans un sermon qui en avoit trois; mais l'édition de Versailles suit Déforis pas à pas, servilement, dans tout le reste; Déforis, dans les substitutions de termes, dans les changemens d'expressions et dans l'achèvement des phrases; Déforis, dans les notes marginales jointes au texte, dans les exordes doublés d'un autre exorde et dans les sermons flanqués d'un autre sermon; enfin Déforis partout et toujours.

L'édition de Lebel a servi de type, pour ainsi dire de matrice à celles qu'on a données dans la suite; de manière que toutes les éditions sont la reproduction de la première, et présentent les mêmes inexactitudes et les mêmes altérations. Il faut pourtant remarquer deux différences. Le premier éditeur avoit signalé, quoique d'une manière défectueuse, quelques variantes et séparé par deux crochets, comme il dit, les additions qu'il intercale dans le texte de l'auteur; les éditeurs venus plus tard ont tous supprimé les variantes, et quelques-uns les deux crochets. Grace à cette double suppression qu'on a présentée comme un amendement considérable, nous sommes privés d'une foule de leçons précieuses, et la prose de Déforis marche de pair avec le texte de Bossuet.

I.

Tout le monde sait depuis longtemps combien la presse a défiguré, dans les œuvres posthumes et particulièrement dans les sermons, le texte du grand écrivain. Joseph de Maistre disoit dans le commencement de ce siècle : «Jamais auteur célèbre ne fut, à l'égard de ses œuvres posthumes, plus malheureux que Bossuet. Le premier de ses éditeurs fut son misérable neveu, et celui-ci eut pour successeur des moines fanatiques qui attirèrent sur leur édition la juste animadversion du clergé de France 1. » Un écrivain qui a, malheureusement pour nous, trouvé une mort prématurée dans une étude trop soutenue des sermons de Bossuet, l'abbé Vaillant s'exprime ainsi : « Altérer un texte, c'est le corriger par des additions ou des suppressions téméraires, c'est reproduire sur un manuscrit ce que l'auteur a effacé et effacer ce qu'il a produit; c'est confondre et ajuster ensemble des morceaux distincts et appartenant à des œuvres différentes. Déforis et ses successeurs se sont permis d'altérer en ces diverses manières les textes de Bossuet 2. »>

De l'Eglise Gallicane, tom. II, pag. 9. L'auteur ajoute dans une note: «On peut lire une anecdote fort curieuse sur l'abbé Lequeux, l'un de ces éditeurs, dans le Dictionnaire historique de Feller, art. Lequéut. Etudes sur les Sermons de Bossuet, pag. 3.

Après avoir prouvé ces quatre chefs d'accusation, l'auteur continue : « On ne s'étonnera plus de ces infidélités, de ces altérations et suppositions, quand il sera démontré que Déforis a rangé parmi les œuvres de Bossuet un sermon qui appartient à Fénelon. Une telle méprise peut paroître étrange : comment l'éditeur s'est-il trompé au point de confondre le style de deux génies si divers 1?» Le savant critique que nous avons entendu sur le Panégyrique de saint André, fait voir comment les premiers éditeurs, et par reproduction les suivans, «ont arrangé les sermons; «il dit que Déforis et son collaborateur se sont proposé de les corriger, de les compléter, de les finir, mais que «leurs compositions artificielles sont trop défectueuses; » puis il ajoute : « On trahit Bossuet en nous donnant de tels discours comme s'ils étoient son ouvrage. Nous reconnoissons bien son génie à ces traits sublimes; voilà certainement des pages comme lui seul en sait écrire, mais ce n'est pas là des discours comme il les compose. Les proportions sont mal observées, le style offre des disparates.... Ce sont peut-être ces défauts qui, sautant aux yeux de la Harpe et l'aveuglant sur tout le reste, lui ont fait décider magistralement que Bossuet étoit médiocre dans les sermons.... D'autres critiques, au contraire, professent pour ces mêmes sermons une admiration sans réserve. Eblouis de tant d'éloquence et fascinés aussi par le grand nom de Bossuet, ils ne peuvent, ils n'osent y voir quelque chose à reprendre. Leur admiration seroit, je crois, moins absolue, leur jugement un peu plus libre, s'ils savoient que l'ouvrage où tout leur est sacré, n'est pas tout de la même main... On risque, en croyant invoquer le plus imposant témoignage, de citer simplement dom Déforis 2. >>

Quel que soit le poids de ces autorités, on ne manquera pas de nous dire « Pourquoi des témoignages? apportez des faits. » Il faut donc signaler quelques-unes des altérations qui faussent le texte de Bossuet. Pour ne pas m'engager sur un trop large terrain, je vais me restreindre au premier volume, et je passerai sous silence les interpolations qui, graves en elles-mêmes, le sont comparativement moins que d'autres. Ainsi toutes les éditions disent : « C'est que,» pour, lorsque 3. « Point, » pour, quasi pas *. « Là donc, dans le royaume des cieux..., il n'y aura point d'erreur, parce qu'on y verra Dieu; il n'y aura point de douleur, parce qu'on y jouira de Dieu; il n'y aura point de crainte ni d'inquiétude, parce qu'on s'y reposera à jamais en Dieu; » pour, là il n'y aura point de douleur...; là il n'y aura point de crainte .... «Ce peut être dans mes paroles: nullement; » pour, est-ce peut-être dans mes paroles? Nullement . « Je la vois; » pour, je la vois donc la

Etudes sur les Sermons de Bossuet, pag. 22.- 2 M. Valery-Radot, dans le journal des Débats, reproduit par l'Univers.— 3 Edition de Versailles, vol. XI ou vol. I des Sermons, pag. 6. Je choisis cette édition, parce qu'elle est plus connue que les autres. — Ibid., pag. 18. — 5 Ibid., pag. 65. — © Ibid., pag. 67.

vérité 1. «Que vois-je dans ce monde de ces vies mêlées ! » pour, que je vois dans le monde de ces vies mêlées ! «Que vous demande-t-on dans la pénitence? que vous vous retiriez de tous vos péchés; » pour, que vous demande-t-on dans la pénitence, sinon que vous vous retiriez 3.... « Coupe pleine d'un breuvage fumeux comme d'un vin nouveau; » pour, comme un vin nouveau *. «Taches; » pour, ordures 3. << Char de triomphe; » pour, chariot de triomphe ". « Saint Jean Chrysostome nous représente deux villes, dont l'une ne soit composée que de riches, l'autre n'ait que des pauvres dans son enceinte; » pour, dont l'une n'est composée..., l'autre n'a que 7. « Quoique la liaison qui l'y tenoit attaché soit rompue; » pour, quoique la liaison soit rompue, qui l'y tenoit attaché 3. « Le premier devoir de l'homme est de connoitre; » pour..., c'est de connoître 9.- Toutes ces altérations sont des corrections volontaires : Déforis a voulu faire disparoître les formes du vieux langage, remplacer les termes simples par des expressions nobles, et ramener à la construction directe les inversions dont il ne voyoit pas la beauté. On pourroit remplir vingt pages de semblables interpolations.

Il est une autre sorte d'altérations dont on ne parlera pas non plus. Bossuet, qui avoit si profondément étudié l'Ecriture sainte, ne la citoit pas toujours dans les sermons d'après la Vulgate; et souvent il changeoit dans les termes ou dans les phrases les textes des saints Pères, soit pour obtenir plus de concision, soit pour faire ressortir les pensées dans un plus grand jour. Déforis corrige sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, l'immortel écrivain; il dit lui-même : « A l'égard des textes dont M. Bossuet a changé les paroles, nous leur avons substitué celles que l'auteur a employées... Nous nous étions d'abord proposé de laisser toujours dans le corps les textes des auteurs de la manière dont M. Bossuet les avoit rapportés, et de renvoyer en note la véritable leçon : mais nous nous sommes aperçu que nous chargerions nos volumes d'une multitude de notes peu instructives; c'est ce qui nous a déterminé à renoncer à notre premier dessein et à nous en tenir au parti que nous avons suivi 10. » Qu'il suffise d'avoir signalé une fois pour toutes ce genre d'altération, on n'y reviendra pas.

Celles qu'il faut relever spécialement se réduisent aux chefs suivans : complémens inutiles, traductions apocryphes, variantes doublées, notes marginales intercalées dans les sermons, textes cités arbitrairement, reproductions de passages effacés, enfin mélanges d'exordes, de points, de péroraisons, de discours entiers. On a demandé des faits : on prendra 'Edition de Versailles, vol. XI ou vol. I des Sermons, pag. 68. Ibid., pag. 103. Ibid., pag. 113. - Ibid., pag. 151. Ibid., pag. 272. 6 Ibid., pag. 302. Chercher à plusieurs reprises;car la pagination est faussée dans le volume XI de Lebel; par exemple, elle passe immédiatement de 297 à 364, puis elle revient brusquement de 433 à 296. — Ibid., vol. XII, pag. 3. — Ibid, pag. 365. - Passim. - 10 Préface des Sermons.

donc la peine de les examiner. Il s'agit de confrontation de textes; il faudra donc en avoir deux présens à l'esprit. Qu'on ne se le dissimule pas, cela demande un peu d'attention.

II.

« Le plus éloquent des Français, » comme Voltaire veut bien appeler Bossuet dans un moment de calme, est aussi sobre d'expressions que prodigue de pensées; le grand secret de son art merveilleux, si je ne me trompe, c'est de dire beaucoup de choses en peu de mots; les ellipses, les reticences, les suspensions oratoires se succèdent rapidement dans tous ses écrits, mais surtout dans ses sermons; la concision transparente de lumière et la simplicité sublime, voilà son génie. Déforis n'aimoit pas, non plus que ses contemporains, le langage elliptique; il réprouvoit les traits qui impriment la pensée dans l'esprit plutôt qu'ils ne la peignent aux yeux; il lui falloit un terme pour chaque mode d'idée, un signe pour chaque nuance de sentiment; dans sa sollicitude pour le lecteur, il ne vouloit lui laisser le soin de rien deviner, de rien penser lui-même. D'une autre part il introduit souvent dans les sermons des notes marginales qui n'avoient pas reçu de l'auteur leur pleine expression. De là les phrases explétives et les commentaires dont il charge le texte de Bossuet.

Dans le quatrième sermon pour la fête de tous les Saints, Bossuet dit que nous devons nous dégager tantôt d'une chose, tantôt d'une autre, «tant qu'enfin nous demeurions seuls, nus et dépouillés, nonseulement de nos biens, mais de nous-mêmes; » puis il s'écrie: « C'est Jésus-Christ, c'est l'Evangile! Qui de nous est tous les jours plus à l'étroit? » Toutes les éditions portent : « C'est Jésus-Christ, c'est l'Evangile [qui nous le disent.] Qui de nous refusera [de le croire?] Tous les jours plus à l'étroit 1.» On voit que Déforis n'a pas compris l'auteur. D'ailleurs Bossuet n'auroit pas écrit : « C'est Jésus-Christ, c'est l'Evangile qui nous le disent; » mais « c'est Jésus-Christ, c'est l'Evangile qui nous le dit, » ou plutôt « qui le dit. » Quant à la dernière phrase, le reboutement de l'éditeur, bien loin de la redresser, l'a rendue boiteuse.

Le troisième sermon pour le premier dimanche de l'Avent renferme cette phrase: « Pour joindre ces trois passages, trois caractères : dans le premier... » Déforis rejette l'ellipse; il dit, et tous ses copistes répètent: « Pour joindre ces trois passages, [réunissons] trois caractères 3. » C'est ici un modèle de genre et qui montre la force de l'éditeur. C'est pourquoi je l'ai donné.

'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 103. C'est cette édition qui met la ponctuation tantòt avant, tantôt après le crochet. Elle suit partout cette méthode, je voulois dire ce défaut de méthode. — Ibid., pàg. 206.

Dans le même sermon, à la conclusion du premier point, l'auteur s'est contenté d'écrire à la marge du manuscrit : « Un mot de la bonté de Dieu. » Là-dessus, tous les éditeurs après le premier : « Rentrez donc, pécheurs, en vous-mêmes, et regardez dans vos crimes ce que vous méritez que Dieu fasse de vous par sa vengeance. [Rien n'a pu vous toucher; tous les efforts] de la bonté de Dieu ont été vains. [Elle prenoit plaisir à vous faire du bien, et vous, vous n'en avez trouvé qu'à l'outrager]. Peut-elle souffrir [une si noire ingratitude]?1... » lci Déforis remarque, dans une note, qu'il met entre deux crochets ce qui n'est pas de Bossuet ; et pour prouver son exactitude, il imprime quatre lignes plus haut de cette manière : «[Ils sont] incorrigibles; » ailleurs il met : « L'homme [est] pécheur ; » ailleurs : « [La] femme; » ailleurs encore «[l] homme. » Malgré cette fidélité exemplaire, en dépit de ces scrupules délicats, c'est lui qui a fabriqué le passage qu'on lisoit tout à l'heure ; il n'y a de Bossuet, comme on le sait, que les deux substantifs : « La bonté de Dieu. >>

Un peu plus loin, Bossuet, parlant de Satan et de ses anges, jette à la marge du manuscrit, comme une pierre d'attente qu'il doit employer plus tard, la note que voici : « Faste insolent, au lieu de leur grandeur naturelle; des finesses malicieuses, au lieu d'une sagesse céleste; la haine, la dissension et l'envie, au lieu de la charité et de la société fraternelle.» Déforis a porté cette note dans le corps du discours, en la façonnant de cette manière : « [ Qui affectent un] faste insolent, au lieu de leur grandeur naturelle; [qui emploient] des finesses malicieuses, au lieu d'une sagesse céleste; [qui ne respirent que] la haine, la dissention et l'envie, au lieu de la charité et de la société fraternelle 2. » Rien de tout cela ne devoit figurer dans le texte principal; et qu'est-ce que affecter sa grandeur naturelle, et ne respirer que... la société fraternelle? Bossuet dit encore dans le même sermon : « Nous ne rougirions pas de porter des fers, nous que Jésus-Christ a faits rois : Fecisti nos... reges et sacerdotes. » Portant ailleurs le texte latin, Déforis et ses imitateurs disent : « Nous étions nés pour être rois : » Fecisti nos Deo nostro reges et sacerdotes; [et nous préférons d'être assujettis au tyran le plus impitoyable] . Ce passage est suivi de commentaires non moins curieux, mais il faut se borner.

Dans le Fragment d'un sermon pour le troisième dimanche de l'Avent, Bossuet, prêchant à Metz, demande des secours pour les nouveaux convertis. Après avoir peint leur détresse et leur position dangereuse, il s'écrie tout à coup : « Le désespoir!... Nous rendrons compte de ces ames.» Le premier éditeur et les suivans disent : « Le désespoir [de ces infortunés est la suite de tant de désordres] *. » On voit que Ibid., pag. 221 et 222. Je copie fidèlement: Ibid., pag. 226. — Ibid., pag. 396,

'Edition de Versailles, vol. XI, pag. 213. c'est l'édition de Versailles qui écrit dissention. —

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