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Faudra-t-il encore dire quel effet devoient produire ces discours inspirés par tant de science et tant de génie, puis corrigés avec tant de sollicitude et tant de goût? Cependant on répète chaque jour que Bossuet ne fut point goûté dans son époque; chose incroyable! Son premier historien propose aux littérateurs, comme « un problème curieux à résoudre, » l'indifférence qu'eurent pour lui ses contemporains. Pour peu qu'on ait consulté les monumens de l'histoire, on sait que le grand orateur conquit sans retour les suffrages et les applaudissemens de notre grand siècle littéraire. Non content de l'avoir honoré dans la personne de son père par une marque singulière de haute estime, Louis XIV répétoit publiquement ses discours avec les plus vifs · éloges. Les reines le suivoient dans toutes les églises de la capitale, et Mme de la Fayette, organe de toute la Cour, vante «< cette éloquence et cet esprit de religion qui paroit, dit-elle, dans tous ses sermons 1. » Les évèques qui l'avoient entendu tous dans les assemblées générales du clergé, et le plus grand nombre au Louvre, à Chaillot, à Saint-Denis, admirent son éloquence inspirée par le génie et par l'esprit de Dieu. Dans une de ces assemblées générales, l'abbé de Fromentières leur rappelle « le bruit qu'a fait l'Evangile dans la bouche du doyen de l'église de Metz 2; » et l'évèque de Montauban les prend à témoin du bien qu'opère son saint ministère 3. De même l'évêque de Glandèves, l'évêque de Luçon, l'évêque d'Avranches, etc. Personne n'a pu lui donner de plus justes éloges que les prédicateurs; écoutons quelquesunes de leurs paroles. Mascaron; « Dans sa bouche la vérité est aussi belle que puissante *. » Massillon : « D'un génie vaste et heureux, d'une candeur qui caractérise toujours les grandes ames et les esprits du premier ordre, l'ornement de l'épiscopat et dont le clergé de France se fera honneur dans tous les siècles, un évèque au milieu de la Cour, l'homme de tous les talens et de toutes les sciences, le docteur de toutes les églises, la terreur de toutes les sectes, le Père du xvIIe siècle, et à qui il n'a manqué que d'être né dans les premiers temps pour avoir été la lumière des conciles, l'ame des Pères assemblés, dicté des canons et présidé à Nicée et à Ephèse 3. » Le Père de la Rue : « Le fruit de ses sermons en égala et surpassa la beauté ®. La source en fut dans un cœur, dans un esprit enrichis de ce qu'il y a de plus magnifique et pour ainsi dire de plus divin dans les Prophètes et les Pères de l'Eglise... Il excella dans toutes les parties de l'orateur; il fut sublime dans l'éloge, touchant dans la morale, solide et précis dans l'instruction, juste et noble partout dans l'expression 7. » L'abbé de Clérembault : « Un de Histoire de Madame (la reine d'Angleterre). 2 Sermon prononcé en 1670, devant l'assemblee generale du clergé de France. - Oraison funèbre de Madame, prononcée la même année et devant le mème auditoire que le précedeut. - Oraison funèbre de Madame, 1670. - Oraison funèbre de M. le Dauphin. Eloge funèbre de Bossuet. - Les Sermons,

Préface.

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ces hommes rares et supérieurs, qui sont quelquefois montrés au monde pour lui faire seulement sentir jusqu'où peut être porté le mérite sublime, sans laisser presque l'espérance de leur pouvoir trouver des successeurs 1. » L'Académie, « ce conseil réglé et perpétuel dont le crédit est établi sur l'approbation publique, » ne lui décerne pas moins d'éloges. Lorsqu'il y va prendre possession de sa place, en 1671, le directeur, Charpentier, le félicite « d'avoir remporté les applaudissemens de toute la France par ses célèbres prédications, et d'avoir paru dans la chaire avec tant d'éclat. » Les membres de l'illustre compagnie élèvent, dans d'autres circonstances, le grand prédicateur qui « s'est montré dans la chaire de l'Evangile comme un Chrysostome 3; »> ils vantent << son zèle à faire valoir contre les vices des talens reçus du ciel pour l'éloquence..., et ses succès si grands, qu'en peu de temps il avoit obscurci ses égaux ; » ils le montrent « tantôt majestueux et tranquille comme un grand fleuve, conduisant d'une manière douce et presque insensible à la connoissance de la vérité; tantôt rapide, impétueux comme un torrent, forçant les esprits et entraînant les cœurs *. » Mais voici un témoignage qui pourroit tenir lieu de tous les autres. Parlant d'avance le langage de la postérité, la Bruyère nomme Bossuet Père de l'Eglise, Bossuet « qui a fait parler longtemps une envieuse critique, et qui l'a fait taire; qui accable par le nombre et par l'éminence de ses talens, orateur, historien, théologien, philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence. » Si vous voulez savoir ce que les savans disoient en dehors de l'Académie, écoutez : « Dans M. de Meaux, l'éloquence n'est pas un fruit de l'étude; tout est naturel en lui, tout y est au-dessus de l'art; ou plutôt de la sublimité même de son génie et de ses lumières, nait, sans effort et sans recherche, un art supérieur à celui dont nous connoissons les foibles règles. De là ces tours nobles, ces grands traits, ces expressions vives et hardies, cette force en un mot à laquelle rien ne résiste. A cette mâle et vigoureuse éloquence, il joignoit dans ses sermons l'avantage que lui donnoit une science profonde, c'est d'ètre plein, solide, instructif : il vouloit que la religion fût connue, et ne gagnoit le cœur qu'après avoir éclairé l'esprit. » Dans les traités d'éloquence ou de littérature, les auteurs, par exemple le Père Bouhours, le Père Rapin, l'abbé du Jarry, Faydit, Charpentier, le proposent comme le plus fameux des prédicateurs, comme le modèle le plus brillant, qui donne aux modernes la supériorité sur les anciens. Et que n'ont pas dit les poëtes? Ils admirent dans sa personne cette douceur qui inspire la confiance tout ensemble et cette majesté qui commande le respect;

Eloge de Bossuet.- Bossuet, Discours de réception à l'Académie. 3 L'abbé de Polignac, Discours de réception à l'Académie française. L'abbé Clérembault, Réponse au Discours précédent. - Discours de réception à l'Académie. Journal des Savans, 1704, pag. 362.

TOM VIII.

ils célèbrent dans sa parole l'ordre et la spontanéité, la logique et la poésie, la modération et la véhémence, la simplicité et le sublime; ils se disent heureux de « retrouver dans ses chefs-d'œuvre l'éloquence de Paul et le savoir d'Augustin; » ils le proclament le modèle du zèle évangélique, le maître de la doctrine et le roi des prédicateurs : ainsi Belleville, Maury, Bacoüe, Pellisson, Santeuil, La Monnoie. Est-ce tout? Non, les rédacteurs de la Gazette de France et ceux de la Muse historique le suivent dans toutes les chaires de la capitale et racontent dans leurs colonnes autant de triomphes qu'il prononce de discours. Telle fut la renommée de Bossuet : la publicité, la poésie, la littérature, la science, et l'académie, et la tribune chrétienne, et l'épiscopat, et la cour et la royauté s'empressent à l'envi d'exalter la sublimité de son éloquence apostolique. Qu'il me soit donc permis de proposer à mon tour un problème aux littérateurs : Comment le premier historien de Bossuet a-t-il pu dire que « ses contemporains parlent à peine de lui comme orateur, et jamais comme prédicateur 1? » En attendant la solution des hommes compétens, je remarquerai seulement que le cardinal de Bausset n'a consulté dans son travail que les Mémoires de l'abbé Ledieu; or ce dernier biographe du grand homme ne fut admis dans son cabinet comme secrétaire qu'en 1684, et connoissoit peu la grande époque de ses œuvres oratoires. D'ailleurs les sermons ont paru pour la première fois dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette époque, où la prolixité a succédé à la concision, l'exactitude symétrique à la spontanéité, le ris moqueur à l'inspiration, pouvoit-elle apprécier sainement des œuvres inspirées par la foi et par le génie, qui font revivre les Augustin, les Chrysostome, les Thomas d'Aquin? Aussi la Harpe dit-il que « Bossuet est médiocre dans ses sermons 2. » L'abbé Maury, dans une brochure sortie des presses d'Avignon en 1772, pense que ces chefs-d'œuvre ont besoin d'ètre « créés une seconde fois; cependant il veut bien croire « qu'en débrouillant ce chaos, il seroit aisé d'en composer des discours admirables. » Le cardinal de Bausset regrette, lui, qu'on n'ait pas fait « un discernement judicieux de ces mêmes ouvrages; » on ne doit pas s'étonner de leur médiocrité, car « Bossuet ne les avoit pas destinés à l'impression..., et il les prononça il y a plus de cent cinquante ans 3! » On comprend que le siècle de l'éloquence et du goût n'ait eu que de l'indifférence pour de semblables discours!

Voici encore une idée fausse on a dit que Bossuet n'a montré dans le ministère de la parole aucune commisération pour les malheureux. Inventée par les protestans de France et propagée par le calviniste génevois Sismondi, cette accusation se trouve aussi, qu'on me pardonne

Histoire de Bossuet, tom. II, pag. 9. Cours de littérature, tom. VII, pag. 113. Histoire de Bossuet, tom. II, pag. 1.

ce rapprochement de noms propres, dans Joseph de Maistre, à qui cependant la lecture des sermons faisoit répandre, comme il nous l'apprend lui-même, « des larmes d'admiration. » Qu'auroit dit Louis XIV, qui demandoit par des lettres écrites de sa main des blés aux rois ses alliés, pour soulager les misères que lui dénonçoit du haut de la chaire le disciple de Vincent de Paul? qu'auroient dit les gentilshommes qui donnoient leur or, et les dames de la Cour qui livroient le prix de leurs parures à ses pressantes sollicitations? qu'auroient dit les dix mille nécessiteux qu'il sauva de la mort d'un seul coup en sauvant l'hôpital général d'une ruine imminente? qu'auroient dit les nouveaux convertis qu'il nourrissoit à Metz dans son établissement de la Propagation de la Foi, si l'on avoit proféré cette parole en leur présence: «Les souffrances ne lui arrachèrent jamais un seul cri1?» L'avocat des pauvres a dans ses discours des plaintes pour toutes les douleurs, des sollicitations pour toutes les infortunes; il égale toujours, pour parler son langage, les gémissemens aux souffrances, les lamentations aux cala*mités; aucun apôtre de la charité chrétienne, aucun Père de l'Eglise n'a plaidé plus chaleureusement la cause des indigens devant les riches et du pauvre peuple devant les rois. Si l'on en veut cent preuves pour une, qu'on ouvre les sermons ; je ne dois pas m'écarter de mon but historique par d'inutiles citations.

Il nous reste à rechercher comment on a imprimé les œuvres du plus grand de nos prédicateurs.

§ III.

C'est un homme honoré du nom de Bossuet, l'évêque de Meaux, qui reçut en héritage les manuscrits de l'immortel écrivain. Il n'eut pas la pensée, ou plutôt il recula devant la peine d'imprimer les sermons; seulement il fit, contre le vœu de l'auteur et malgré l'ordre de Louis XIV, paroitre clandestinement en Hollande, de la manière qu'on sait, la Défense de la déclaration du clergé de France. Il y a bien plus : « ce petit neveu d'un grand oncle,» ainsi que l'appelle Joseph de Maistre, a perdu plusieurs des sermons : « Nous sommes bien fondé à l'assurer, dit le premier éditeur de ces œuvres, puisque nous avons trouvé plusieurs originaux entre les mains de personnes qui les tenoient de ceux mêmes à qui M. de Troyes les avoit confiés. Nous ne croyons pas avoir été assez heureux pour rassembler tous ceux qui ont été ainsi dispersés 3. »

De l'Eglise Gallicane, tom. II, pag. 12. - Lire le Sermon pour le dimanche de la Septuagésime; le Ile Sermon pour le jeudi de la Ile semaine de Carême; le Sermon pour le mardi de la IIIe semaine de Carême; le IVe Sermon pour le IVe dimanche de Carême; le IIIe et le IVe Sermon pour le dimanche des Rameaux; le IIIe Sermon pour le vendredi saint, etc., etc. Préface des Sermons, édit. in-40 de 1772.

Les précieux manuscrits passèrent par acte testamentaire au neveu de l'évêque de Troyes, au président Chassot. Pendant plus d'un demisiècle, personne n'eut l'idée de rechercher les sermons; on croyoit qu'ils n'avoient pas été confiés à l'écriture. L'abbé Ledieu voyoit souvent le grand évêque monter en chaire après avoir jeté quelques lignes rapides ou même sans avoir rien tracé sur le papier; il crut que l'illustre prédicateur avoit toujours suivi cette méthode, et dit dans ses Mémoires que Bossuet n'écrivoit pas ses sermons.

Le président Chassot remit les manuscrits aux Bénédictins des BlancsManteaux, dans le faubourg Saint-Antoine, à Paris. Ces manuscrits couverts de ratures par l'auteur, puis bouleversés par des mains plus heureuses de les étaler qu'habiles à les conserver, un des religieux donataires les a déchiffrés, mis en ordre et livrés à l'impression. Les uns lui donnent pour collaborateur dom Coniac, les autres l'abbé Lequeux. Si je ne me trompe, la collaboration du premier n'est pas certaine, et le travail du dernier ne porta pas sur les sermons. Dom Déforis doit. seul être considéré comme le premier éditeur des sermons. Ils parurent en 1772. Malheureusement le XVIIIe siècle n'admettoit pas, sur la reproduction littéraire, les principes qu'Auguste fit respecter dans la publication de l'Enéide; changer un mot dans les vers de Virgile ou dans les œuvres de Bossuet, ce n'étoit pas une témérité coupable; on corrigeoit comme des fautes de grammaire ou de style, dans la réimpression des auteurs les plus estimés, les ellipses énergiques, les réticences éloquentes, les élans du génie. Déforis a suivi l'erreur littéraire de son époque ; il a mis les sermons, non-seulement en ordre, comme on l'a dit, mais encore en œuvre; il a voulu compléter « ces discours inachevés,» finir « ces ébauches informes, débrouiller ce chaos, >> ainsi que l'en félicitoit l'abbé Maury. Quelque regrettable que soit sa méprise, il ne faut pas oublier qu'il a accompli, parmi les fatigues et les sueurs, un travail immense, effrayant; il ne faut pas oublier qu'il a sauvé d'une perte imminente les chefs-d'œuvre de l'éloquence sacrée, rendant ainsi le plus grand service à la littérature, à la piété, à la religion; il ne faut pas oublier, surtout, qu'il est tombé martyr de la foi sous la hache de 93.

Tous les éditeurs jusqu'à ce jour ont reproduit son travail sans modification, mot pour mot, lettre pour lettre. Un de ces éditeurs relève longuement les inexactitudes et les écarts de Déforis : il raconte comment il enterre en quelque sorte Bossuet sous un monceau de rectifications, de notes et de critiques; et comment il change les termes, finit les phrases et complète les pensées de l'auteur; et comment il allonge les exordes, accumule les péroraisons et fond deux discours en un seul; et comment il ferma l'oreille à tous les avertissemens et s'en alla toujours annotant, transposant et remaniant jusqu'à ce que le blâme

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