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qu'on a dit de son écriture. Pendant la première époque de son ministère, à Metz, dans ses coups d'essai, sa plume couroit négligemment, précipitamment d'un bord à l'autre du papier, du haut jusqu'au bas, ne laissant aucun espace vide, ordinairement sans marquer ni les points du discours ni les alinéas des transitions. La page une fois crayonnée de cette façon, plus de correction possible; aussi l'auteur n'en faisoit-il aucune. Dans la grande époque de son apostolat, au contraire, il écrivoit avec le plus grand soin, se réservant à la marge la moitié du manuscrit. Aujourd'hui que le calme de l'expérience lui inspire plus de défiance et qu'il doit porter la parole devant la science et la grandeur, sa plume avance avec retenue et circonspection; elle revient souvent en arrière et ne reprend sa marche que pour se hâter lentement, comme le veut Boileau. Dans la troisième époque, lorsqu'il a étudié les préceptes, cette plume, qui burine toujours des œuvres immortelles, semble plus timide encore. Voyez, pour ainsi dire, les traces de ses pas à peine quelques lignes consécutives marquées d'une seule allure et sans retouche; ici un mot souligné d'abord, puis effacé bientôt après; là une phrase pleine devenue elliptique à l'aide d'une éloquente suppression; plus loin l'ordre d'une période interverti par une habile transposition; ailleurs encore un magnifique passage retranché sans grace ni merci; partout enfin de nombreuses variantes. Je voudrois montrer comment le grand écrivain, soit dans la composition, soit dans des lectures subséquentes, se corrigeoit luimême, modifiant, ajoutant, plus souvent effaçant, jusqu'à ce que la marge et l'écriture du manuscrit fussent couvertes de ratures et d'additions, de changemens et de variantes. Si l'on pouvoit faire voir par la parole, comme par un fac-simile, certaines de ces pages, ce spécimen seroit la meilleure leçon de style; car le lecteur pénétreroit en quelque sorte dans le cabinet du plus sublime génie, pour assister à l'élaboration de sa pensée.

Un habile critique a fait il y a quelques années, dans le Journal des Débats, le travail que j'indique sur quelques passages de Bossuet; on lira ses judicieuses remarques avec autant de profit que d'intérêt. Le savant auteur examine le commencement du Panégyrique de saint André, qui fut prononcé, comme on l'a vu, dans le Carême de 1668, en présence de Turenne nouvellement converti. Avant toutes choses, il cite les premières phrases de ce discours; les voici : «Jésus va commencer ses conquêtes; il a déjà prêché son Evangile, déjà les troupes se pressent pour écouter sa parole. Personne ne s'est encore attaché à lui; et parmi tant d'écoutans, il n'a pas gagné encore un seul disciple. Aussi ne reçoit-il pas indifféremment tous ceux qui se présentent pour le suivre. Il y en a qu'il rebute, il y en a qu'il éprouve, il y en a qu'il diffère. Il a ses temps destinés, il a ses personnes choisies. Il jette ses

filets; il tend ses rets sur cette mer du siècle, mer immense, mer profonde, mer orageuse et éternellement agitée. Il veut prendre des hommes dans le monde; mais quoique cette eau soit trouble, il n'y pèche pas à l'aveugle; il sait ceux qui sont à lui; et il regarde, il considère, il choisit.» Ecoutons maintenant le critique: «Après ces mots : « Aussi ne reçoit-il pas indifféremment tous ceux qui se présentent pour le suivre,» Bossuet avoit mis d'abord : « Il en renvoie, il en choisit. » Il a effacé cela et mis à la place: «Il y en a qu'il rebute, il y en a qu'il éprouve, il y en a qu'il diffère. » Je croirois manquer de respect aux lecteurs si je m'arrêtois à faire ressortir la supériorité de la seconde leçon sur la première. Le dernier trait, probablement, est à l'adresse de Turenne. A la suite de la phrase: «Il a ses personnes choisies,» Bossuet avoit écrit immédiatement : « Mais puisqu'il a le choix des personnes, peut-être commencera-t-il, » etc. Tout ce qui se trouve dans l'intervalle a été ajouté en marge : heureuse addition, qui donne plus d'ampleur et de solennité au début du Panégyrique. Ces lignes, rattachées par un renvoi au texte, gardent la trace de la peine qu'elles ont coûtée à l'auteur. J'ai compté jusqu'à trente-deux mots raturés. Il les a raturés, non en se relisant, mais dans le travail même de la composition. Ainsi Bossuet venoit d'écrire : « II tend ses rets sur cette vaste mer du siècle; » il s'aperçoit qu'il peut, en développant son idée, terminer magnifiquement une phrase qui tournoit court et finissoit sur un mot sec; il barre l'épithète, et « cette mer du siècle » semble apparoître à nos regards, «mer immense, mer profonde, mer orageuse et éternellement agitée. » De même après les mots : « Il sait ceux qui sont à lui, » Bossuet avoit commencé par écrire : « Et si tous sont appelés, il y en a..... » Evidemment il alloit ajouter : « Peu d'élus ; » il s'interrompt brusquement, renonce à une phrase que l'Evangile a consacrée, mais qui a pris avec le temps la banalité d'un proverbe, et écrit à la suite de ces mots effacés: «Il regarde, il considère, il choisit. » Dans le texte imprimé on lit : « Et il regarde. » Il faut supprimer et, quoique l'auteur ait oublié de le rayer; utile dans la première leçon, cette conjonction est superflue dans la seconde 1. » Voilà quelques-unes des observations faites par M. Valery-Radot. On ne cesse pas sans peine de citer un pareil écrivain, surtout quand on doit prendre la plume après lui; mais il faut montrer que Bossuet n'a jamais cessé de se corriger luimême avec le plus grand soin; que si son éloquence étoit un don du ciel, elle fut aussi le fruit du travail et de persévérans efforts.

Je prends au hasard un sermon que Bossuet a composé après de nombreux chefs-d'œuvre et dans toute la maturité du talent, le quatrième pour le jour de Pâques, qui fut prononcé à Versailles, devant le roi, en 1681. Je viens tout de suite au premier point. D'abord l'au'Journal des Débats, reproduit par l'Univers du 8 mars 1856.

teur transcrit à la marge du manuscrit plusieurs passages de saint Paul; puis il commence ainsi dans le premier jet de sa pensée : « Quelle est donc cette loi nouvelle de Jésus-Christ ressuscité, qui oblige tous les chrétiens à un perpétuel renouvellement de leurs mœurs? Saint Paul que je choisis pour mon conducteur dans cette importante matière, l'explique en abrégé par ces paroles : Si consurrexistis cum Christo, quæ sursùm sunt quærite, ubi Christus est in dexterà Dei sedens; c'est que nous devons agir comme des hommes ressuscités : Exhibete vos tanquam ex mortuis viventes. » Si le lecteur a trouvé la phrase longue, Bossuet a porté le même jugement; il se hâte d'effacer « qui oblige tous les chrétiens....; » et «saint Paul que je choisis....;» il écrit dans une seconde rédaction: «Quelle est donc cette loi nouvelle que saint Paul nous prêche : « Montrez-vous maintenant comme des hommes ressuscités des morts; » et encore: «Il a porté tous nos péchés, afin que morts au péché nous vivions à la justice; » et enfin : « Si consurrexistis cum Christo,» etc. On voit que si l'écrivain retranche d'une part, il ajoute de l'autre en apportant de nouveaux passages de l'Ecriture; mais les idées s'éclaircissent, la trame de la pensée se forme; Bossuet dit dans une troisième et dernière rédaction: «Ce fut une doctrine bien nouvelle au monde, lorsque saint Paul écrivit ces mots : «Vivez comme des morts ressuscités; » mais il explique plus clairement ce que c'est que de vivre en ressuscités et à quelle nouveauté de vie nous oblige une si nouvelle manière de s'exprimer, lorsqu'il dit en un autre endroit : Si consurrexistis cum Christo, etc. Voilà donc trois rédactions différentes du même passage, et chacune de ces rédactions a coûté à l'auteur des retouches réitérées, de nombreuses corrections, que l'espace ne nous permet pas de signaler.

Bossuet avoit commencé le deuxième point de cette manière : «Jésus-Christ par les travaux de sa vie tendoit à un repos éternel. «Il est assis, dit saint Paul, à la droite de son Père: » être assis, marque d'empire et d'autorité, mais en même temps marque de repos et de consistance éternelle. » Arrivé à ce dernier mot, l'auteur s'arrête court; un obstacle lui barre le passage, ou la réflexion l'avertit qu'il fait fausse route; il efface et met dans la rédaction définitive : « Nous avons vu que le Fils de Dieu, en ressuscitant, avoit dessein de nous attirer à cette «< cité permanente, » comme l'appelle saint Paul, où il va prendre sa place et où nous devons jouir avec lui d'une paix inaltérable.» Cette phrase va droit au but, mais elle n'est pas sortie dans le premier trait telle que la voilà de la plume de l'écrivain. Bossuet avoit écrit d'abord : « Le Fils de Dieu, en ressuscitant, a dessein; » pour rattacher le deuxième point au premier, il ajoute au commencement : « Nous avons vu que le Fils de Dieu,» etc. Au milieu, la première rédaction portoit : « A dessein de nous introduire dans le repos où il est et de nous ouvrir

l'entrée de cette cité permanente. » Le lecteur ne trouvera probablement ni clarté dans l'idée, ni noblesse dans les termes, ni harmonie dans la construction; aussi l'auteur a-t-il mis par un heureux amendement : «Avoit dessein de nous attirer à cette «cité permanente, » comme l'appelle saint Paul. » La fin révèle encore un travail de correction. Il y avoit seulement dans le premier jet de la pensée : « Où nous devons jouir avec lui d'une paix inaltérable; » l'écrivain complète tout ensemble et l'idée et l'expression en disant : « Où il va prendre sa place et où nous devons jouir avec lui d'une paix inaltérable. »

Après quelques phrases remaniées, bouleversées, raturées, Bossuet nous montre l'Eglise au milieu des flots et des tempêtes, attaquée avec violence au dehors et déchirée par une guerre cruelle au dedans. Tout à coup il s'aperçoit qu'il la peint (l'Eglise) dans ses luttes et dans ses triomphes avant de l'avoir représentée dans sa naissance et son berceau : il efface d'un trait de plume ce qu'il vient d'écrire; puis il raconte la fondation de la société des fidèles, il fait voir comment elle s'est élevée sur ses bases divines; puis il revient à la guerre qu'elle a soutenue et aux victoires qu'elle a remportées contre les puissances du monde et des enfers. Mais la place que devoit occuper dans le discours ce drame émouvant, Bossuet l'a prise en grande partie dans la préparation de la scène; sa première peinture est longue, il l'abrége ou plutôt il la refait tout entière. Il est aussi curieux qu'utile de comparer ses deux descriptions. Voici la première, c'est Jésus-Christ qui parle : « 0 homme, viens voir l'éclat de ma puissance. Si j'établis mon Eglise au milieu des flots et des tempêtes: si je laisse élever contre elle toutes les puissances du monde pour l'accabler dans sa naissance: si, attaquée par le dehors avec une si furieuse violence, elle se trouve encore déchirée au dedans : si l'enfer déchaîné inspire aux esprits superbes mille dangereuses hérésies: si par mille subtilités ils embrouillent des mystères déjà si impénétrables: si, pour comble de malheur, la discipline se relâche, que le dedans de l'Eglise se remplisse de confusion, que l'ivraie semble prévaloir et que la paille couvre le bon grain: si le vulgaire est trop ignorant, et les savans trop subtils et trop curieux: si la mollesse et la lâcheté règnent dans le peuple, l'orgueil et la dureté parmi les grands, l'ambition et la vanité même parmi les pasteurs : si une fausse piété vient discréditer la piété véritable : si pendant que les uns sont trop relâchés, les autres trop dédaigneux se font valoir par l'affectation d'une sévérité mal réglée : si le ciel semble se mêler avec la terre, la chair avec l'esprit, les saintes maximes avec les maximes corrompues; et qu'au milieu de tant de désordres et malgré les passions, l'Eglise demeure immuable, sans tache : si la foi y est toujours pure, la règle des mœurs toujours droite: s'il y a toujours une vérité qui censure les coutumes dépravées; et si cette vérité, presque abandonnée

des particuliers, subsiste par elle-même et trouve une défense invincible dans l'autorité de l'Eglise, que direz-vous, chrétiens pourrez-vous n'apercevoir pas dans la miraculeuse durée de l'Eglise et dans ce règne de la vérité, l'ouvrage immortel de Jésus-Christ ressuscité et tout ensemble un gage de l'éternité qui vous est promise aux siècles futurs? » Bossuet seul étoit assez riche de son fond pour faire le sacrifice de semblables passages. Voyons maintenant sa seconde description : « Si l'Eglise a cessé un seul moment, si elle a un seul moment ressenti la mort d'où Jésus-Christ l'a tirée, doutez des promesses de la vie future. Mais voyez au contraire que cette Eglise, née dans les opprobres et parmi les contradictions, chargée de la haine publique, persécutée avec une fureur inouïe, premièrement en Jésus-Christ, qui étoit son chef, et · ensuite dans tous ses membres; environnée d'ennemis, pleine de faux frères, et un néant, comme dit saint Paul, dans ses commencemens; attaquée encore plus vivement par le dehors et plus dangereusement divisée au dedans par les hérésies dans son progrès, dans la suite presque abandonnée par le déplorable relâchement de sa discipline; avec sa doctrine rebutante, dure à pratiquer, dure à entendre, impénétrable à l'esprit, contraire aux sens, ennemie du monde dont elle combat toutes les maximes, demeure ferme et inébranlable. » Probablement le lecteur retrouvera dans le premier passage l'orateur de 1669, et le précepteur du Dauphin dans le second. Je voulois encore faire quelques observations sur le commencement du troisième point; mais il ne faut pas mettre la patience à de trop fortes épreuves, même quand on parle de Bossuet. Qu'il nous suffise de dire que tout le sermon porte, dans le manuscrit, les traces d'incessantes corrections; les mots effacés occuperoient dix fois plus d'espace que les mots

conservés.

Bossuet cherchoit dans la correction de ses ouvrages, non certes les ornemens artificiels du langage, mais la clarté et la précision. Comme le roi des théologiens, le prince des prédicateurs retranche de sa force et de sa plénitude; il ramène les métaphores au sens littéral, le véhément au ton modéré, le grand et le sublime au simple et au naturel. Ce terme ne représentoit pas l'idée dans sa juste nuance, il y substitue le mot propre; cette phrase trop longue affoiblissoit la force et l'éclat de la pensée par la dispersion de ses élémens, il la condense pour faire converger tous les muscles et tous les rayons vers le même centre; cette déduction laissoit échapper la conclusion par une solution de continuité, il soude un anneau dans la chaîne, et tout se tient comme un vivant faisceau: Et tous ces remaniemens, toutes ces reprises sont marqués au coin de la logique la plus sûre et du goût le plus délicat; et tout cela montre dans Bossuet un critique non moins habile que l'écrivain.

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