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avec la même facilité les vers de Virgile et d'Horace; mais pour le dire tout de suite, il ne se servoit de ces connoissances profanes qu'avec la plus grande réserve. Comme Racine et Fénelon, comme tous nos bons écrivains, il fait entrer dans ses tableaux, sous des formes qui rivalisent avec la forme antique, les plus beaux traits des auteurs païens, mais il ne les cite pas textuellement dans ses chefs-d'œuvre oratoires; et quand leurs paroles s'étoient glissées sous sa plume dans sa jeunesse, il les efface dans la maturité de son talent.

II.

Telles sont les études qui préparèrent Bossuet à la prédication; telles sont les sources d'où sortirent ses sermons. En effet, la théologie lui fournit les sujets, l'Ecriture les autorités, et les Pères de l'Eglise les développemens. Les attributs de Dieu, le mystère de l'incarnation, les abaissemens du Dieu enfant, les miracles de Jésus-Christ, la pureté de sa vie, les supplices de sa passion, la fondation de l'Eglise, la dévotion à la sainte Vierge, la prédication des Apôtres, la constance des martyrs, les vertus des saints, les obligations de la justice, la nécessité de l'aumône, les austérités de la pénitence, la brièveté du temps, l'approche de la mort, les rigueurs du jugement, le bonheur du ciel et les tourmens de l'enfer tels sont les vérités de dogme et les sujets de morale qu'il prêche en présence des plus célèbres poètes de la France, devant les écrivains les plus fameux d'un grand siècle littéraire, à la Cour la plus polie du monde. On voit que le prince des orateurs chrétiens s'est contenté de prêcher l'Evangile, d'expliquer le catéchisme; il s'est contenté d'accomplir la prescription du concile de Trente, « en enseignant les choses qu'il est nécessaire de savoir pour le salut, et en faisant connoître les vices qu'on doit fuir et les vertus qu'il faut pratiquer pour éviter les peines de l'enfer et obtenir le bonheur éternel '. » Il traitoit les mystères avec un amour de prédilection; et nulle part il n'est plus profond, plus grand, plus sublime, plus lui-même que dans l'exposition de nos dogmes les plus simples et tout ensemble les plus élevés. Il voyoit avec peine que les grands orateurs de la chaire négligeoient les premières vérités de la religion : « Rougit-on, disoit-il dans sa vieillesse, de prêcher Jésus-Christ et sa parole? Hé! comment veut-on qu'il soit aimé, si on ne le fait pas connoître : Quomodo credent ei, quem non audierunt 2? »>

Le sujet choisi, Bossuet recueilloit les textes de l'Ecriture et les développemens des Pères, les écrivant parfois sur les premières feuilles de son manuscrit. On dit qu'il ne demandoit qu'une bible et qu'un saint Augustin pour composer un sermon, mais il se servoit aussi des autres 1 Sess. V, cap. 11 De reform. - 2 Rom., x, 14.

docteurs de l'Eglise saint Grégoire de Nazianze lui fournissoit des conceptions profondes, Tertullien des descriptions de mœurs, saint Grégoire pape des avis au roi, et Origène des exhortations touchantes et persuasives. En même temps qu'il consultoit ses auteurs favoris, les notes tracées sur les marges lui rappeloient ses études et ses réflexions précédentes; il repassoit tout cela dans son esprit et se l'approprioit par une profonde méditation devant Dieu; puis nourri de ce suc, après avoir en quelque sorte transformé ce fond en sa propre substance, il prenoit la plume pour développer, exposer, produire de sa plénitude. Car il ne se contente pas de donner comme un calque des saints Pères; il leur prête ce que notre vanité voudroit quelquefois joindre à leur génie, le plus beau langage que bouche humaine ait jamais parlé; il met leurs conceptions dans une vive lumière, en condensant toutes les idées sous un seul point de vue ; il donne à leurs spéculations abstraites la couleur et la vie, en les revêtant des images de la poésie; créateur avec des matériaux d'emprunt, il taille dans des blocs souvent abrupts des entablemens, des colonnes et des statues. Il est un auteur dont il reproduit souvent les puissantes déductions dans leurs formes primitives; plusieurs de ces grandes pages sont des traductions littérales de saint Thomas, et nous goûtons avec délices dans ses ouvrages la langue scholastique qui, dans les immortelles productions du Docteur angélique, blesse notre ignorance.

Mais que recherchoit Bossuet dans la composition? Les phrases harmonieuses, les périodes mesurées, les fleurs artificielles du langage? On a dit précédemment qu'il composoit ses discours avec le plus grand soin; mais on peut ajouter sans contradiction qu'il ne songeoit guère au style. Il avoit déjà produit presque tous ses chefs-d'œuvre oratoires, lorsqu'il écrivit dans un opuscule qui remonte à 1670 : « J'ai lu peu de livres françois. » Lesquels avoit-il lus? La Vie de Barthélemy des Martyrs; les versions de Perrot d'Ablancourt; les OEuvres diverses de Balzac, « qui apprend à donner plusieurs formes à une idée simple ; » les Lettres à un provincial, « dont quelques-unes ont beaucoup de force; » quelques pièces de messieurs de Port-Royal, qui ont « peu de variété dans le style; » un peu Corneille et Racine, dont le premier a « la véhémence, » et le second « plus de justesse et de régularité. » Bossuet continue : « Ce que j'ai appris du style, je le tiens des livres latins et un peu des grecs, de Platon, d'Isocrate et de Démosthène, dont j'ai lu aussi quelque chose; » puis il conseille de feuilleter, parmi les ouvrages de Cicéron, De Oratore, Pro Murana, Pro Marcello, quelques Catilinaires; puis quelques Philippiques, Tite-Live, Salluste et Térence. Il croit les modèles plus utiles que les préceptes, et veut qu'on les étudie « sans se détourner des autres lectures sérieuses. » Tout cela ne 1 Opuscule publié par M. Floquet.

révèle pas dans l'auteur une grande sollicitude du style. Pendant qu'il fut précepteur du Dauphin, il étudia dans les ouvrages classiques la grammaire et la rhétorique ; mais, encore une fois, presque tous ses chefs-d'œuvre d'éloquence étoient déjà composés. On a vu que les discours de la deuxième époque se distinguent par la spontanéité, la véhémence, le sublime, et que ceux de la troisième ont pour traits caractéristiques l'ordre, la régularité et la symétrie ; la principale cause de cette différence ne seroit-elle pas dans l'étude dont on vient de parler? Bossuet ne se soucioit guère plus de l'éloquence que du style; et c'est lui-même qui nous l'apprend, car les portraits qu'il a tracés de plusieurs prédicateurs lui conviennent mieux qu'à tout autre. «Plein de la doctrine céleste, nourri et rassasié du meilleur suc du christianisme, il faisoit régner dans ses sermons la vérité et la sagesse; l'éloquence suivoit comme la servante, non recherchée avec soin, mais attirée par les choses mêmes. Ainsi son discours se répandoit à la manière d'un torrent; et s'il trouvoit en son chemin les fleurs de l'élocution, il les entraînoit plutôt après lui qu'il ne les cueilloit avec choix pour se parer d'un tel ornement 1. » - « Il n'enfloit donc pas son discours par de superbes pensées ou par le faste d'une éloquence mondaine, mais il le remplissoit d'une doctrine céleste, de vérités divines, qui donnoient aux ames une nourriture solide et alloient jusqu'à la racine de nos maladies. Tantôt il attiroit les peuples par la douceur, tantôt il les reprenoit sans les épargner..., leur prêchant les oracles divins, non point avec les lâches condescendances des scribes et des pharisiens, mais avec empire et autorité, avec une liberté et une assurance digne des vérités éternelles » qu'il annonçoit. Il savoit que po ur« abattre les cœurs aux pieds de Jésus-Christ, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs défenses..., il faut renverser les remparts des mauvaises habitudes, il faut détruire les conseils profonds d'une malice invétérée, il faut abattre toutes les hauteurs qu'un orgueil indompté et opiniâtre élève contre la science de Dieu. » Eh bien, s'écrie-t-il, « que ferez-vous ici, foibles discoureurs? Détruirez-vous ces remparts en jetant des fleurs? Dissiperez-vous ces conseils cachés en chatouillant les oreilles? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tombent au bruit de vos périodes mesurées? Et pour captiver les esprits, est-ce assez de les charmer un moment par la surprise d'un plaisir qui passe? Non, non, ne nous trompons pas pour renverser tant de remparts et vaincre tant de résistances, et nos mouvemens affectés, et nos paroles arrangées, et nos figures artificielles sont des machines trop foibles. Il faut prendre des armes plus puissantes, plus efficaces 3. » Ces armes, il les demandoit à son divin Maitre dans la

Oraison funèbre du P. Bourgoing. 2 Ier Sermon pour le IIe dimanche de l'Avent. 3 Oraison funèbre du P. Bourgoing.

chaire : « O Dieu, disoit-il, donnez efficace à votre parole. Vous voyez en quel lieu je prêche, et vous savez, ô Dieu, ce qu'il y faut dire. Donnez-moi des paroles sages; donnez-moi des paroles efficaces, puissantes; donnez-moi la prudence; donnez-moi la force; donnez-moi la circonspection; donnez-moi la simplicité. » Ensuite il prie le Seigneur de faire que « l'homme ne paroisse pas dans la chaire » qu'il occupe, « afin que Dieu y parle tout seul par la pureté de son Evangile 1. » Ce n'est donc point « par l'art de bien dire, par l'arrangement des paroles, » qu'il abat les ames aux pieds de Jésus-Christ. « Tout se fait par une secrète vertu qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendemens; vertu qui venant du ciel, sait se conserver tout entière dans la bassesse modeste et familière de l'expression et dans la simplicité d'un style qui paroit vulgaire, comme on voit un fleuve rapide qui retient coulant dans la plaine cette force violente et impétueuse qu'il a acquise aux montagnes d'où ses eaux sont précipitées 2. » — « Je ne m'étonne donc pas s'il prêchoit si saintement le mystère de Jésus-Christ. O Dieu vivant et éternel, quel zèle! quelle onction! quelle douceur! quelle force! quelle simplicité et quelle éloquence! La parole de l'Evangile sortoit de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d'esprit et de feu.... Lumière ardente, qui ne brilloit que pour échauffer, qui cherchoit le cœur par l'esprit, et ensuite captivoit l'esprit par le cœur 3. »

En un mot, Bossuet « dépouilla son éloquence de tout ce qui ne pouvoit que plaire sans édifier; et Dieu permit qu'il plùt sans vouloir plaire, que le fruit de ses sermons en égalât et surpassât la beauté *. » Il a justifié la définition de Pascal : « La vraie éloquence se moque de l'éloquence. » Si l'on joint à cela toute la puissance et tous les charmes de l'action oratoire; si l'on se représente le prédicateur tel que le montrent les monumens de l'histoire, le port imposant quoique d'une taille, médiocre; la figure sereine et majestueuse, inspirant en même temps le respect et la confiance; le front large et élevé, portant les traits du génie; la voix claire et forte, insinuante tour à tour et véhémente; le geste calme mais expressif, simple et naturel mais noble et impérieux on comprendra quels effets devoit produire cette éloquence inspirée par les oracles et l'esprit de Dieu.

On a vu précédemment que Bossuet se trouve, dans la succession du temps, entre Lingendes et Bourdaloue; maintenant on doit voir, si je ne me trompe, qu'il occupe encore cette place dans l'histoire de l'éloquence sacrée. Lingendes accumuloit dans ses œuvres oratoires les oracles de l'Evangile et les maximes du paganisme, faisant parler

IIIe Sermon pour le Ier dimanche de Carême. -Ile Sermon pour le Ie dimanche de l'Avent. - 3 Oraison funèbre du P. Bourgoing. Le P. de la Rue, Panégyrique de Bossuet - Pensées de Pascal, publiées par Prosper Faugere, tom. I. pag. 154.• L'abbé Ledieu et plusieurs auteurs contemporains.

de concert saint Basile et Platon, saint Bernard et Virgile. Formé à l'école du pieux Cornet et de Vincent de Paul, Bossuet bannit les auteurs profanes de la chaire pour y faire monter les docteurs et les saints qui ont propagé le grain semé par le divin Maître; il recueille en quelque sorte ses sermons dans le champ des traditions chrétiennes et nous présente le pain préparé par les Athanase, les Augustin et les Chrysostome. Boudaloue, habile dialecticien mais peu contemplatif, prend ses plans, ses preuves, tout son fond dans la théologie positive de la renaissance, et remplit ses cadres à l'aide de raisonnemens et de déductions logiques; il fait intervenir les Pères, non comme maîtres pour enseigner, mais comme témoins pour déposer en faveur de sa propre parole; la tradition reste à la surface et ne pénètre pas ses discours. Les contemporains et les successeurs de Bourdaloue se sont engagés plus avant dans cette voie; moralistes plutôt que prédicateurs, ils se sont de plus en plus éloignés de l'élément traditionnel pour se rapprocher du genre académique, fort bon à la Sorbonne, moins à sa place dans le temple de Dieu. On est allé jusqu'à rompre avec le passé; on a inventé les matériaux, le fond et les sujets; chacun a voulu donner son système, chacun sa démonstration évangélique : mais le résultat? Les créations nouvelles se sont écroulées comme de vieilles masures, et les théories gisent avec les grands sermons philosophiques sous le même tas de ruines. Mais je me hâte de revenir à mon esquisse historique, pour rectifier quelques idées qui ne me semblent pas dans le

vrai.

III.

On a dit souvent que Bossuet écrivoit ses discours à longs traits, rapidement, sans efforts de composition, suivant comme par entrainement l'inspiration du génie. Composition prompte, illumination soudaine? Il faut s'entendre. Lorsqu'un événement imprévu se produisoit au milieu de ses discours, ou que les circonstances l'obligeoient de monter en chaire sans préparation, il avoit comme à son ordre des improvisations brillantes; ses études théologiques lui fournissoient instantanément des plans larges et profonds; son érudition biblique, des textes et des autorités; ses connoissances des Pères, de magnifiques développemens, en même temps qu'il trouvoit dans le feu de son imagination des images éclatantes et dans l'ardeur de son ame des accens pathétiques. Malgré ces immenses ressources et cette étonnante facilité, il ne montoit jamais en chaire, à moins d'une impérieuse nécessité, sans avoir fait un crayon, c'est-à-dire sans avoir écrit l'exorde, posé la division et marqué dans une esquisse succincte les idées fondamentales du sujet qu'il se proposoit de traiter. Et dans les cas ordinaires, hors de toute contrainte, comment composoit-il? Il faut se rappeler ce

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