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paix, parce qu'à chaque moment il faut s'accorder, et à chaque moment il faut rompre ? O inconcevable union et aliénation non moins étonnante! Puis-je me détacher de ce corps ? Puis-je aussi m'y attacher avec tant de force et contracter avec ce mortel une amitié immortelle ? « Malheureux homme que je suis! hélas ! qui me délivrera de ce corps de mort 1? »

:

C'est le commun sujet du gémissement de tous les véritables enfans de Dieu. Tous déplorent leur servitude, tous ressentent avec douleur que « ce fardeau du corps opprime l'esprit, » corpus quod corrumpitur aggravat animam 2, lui ôte sa liberté véritable. C'est pourquoi le grand saint Ambroise nous enseigne (a) gravement que notre esprit n'étant dans le corps qu'en passant, nous ne devons pas lui permettre de s'attacher à cette nature dissemblable; mais que nous devons tous les jours rompre nos liens, afin que l'esprit se renfermant en lui-même conserve sa noblesse et sa pureté. Deux liens, ceux de la nature et ceux de l'affection. Pour le premier, c'est à Dieu à rompre; pour l'autre, c'est à nous à prévenir Quotidie morior 3. Par la première union l'ame est en prison et en servitude, le corps la domine et s'en rend le maître. Secouons ce joug, tirons-nous de cette indigne dépendance: il se fera une autre union par laquelle l'ame dominera. Sit quotidianus usus in nobis affectusque moriendi, ut per illam, quam diximus, segregationem à corporeis cupiditatibus, anima nostra se discat extrahere, et quasi in sublimi locata, quò terrena adire libidines et eam sibi glutinare non possint, suscipiat mortis imaginem, ne pœnam mortis incurrat *. C'est pourquoi dans la fonction qui est donnée à notre ame d'animer et de mouvoir les organes corporels, le même saint Ambroise avertit de ne se plonger pas tout à fait dedans et de ne se mêler pas avec eux : Non credamus nos huic corpori, nec misceamus cum illo animam nostram 5; mais plutôt que nous les touchions d'une main légère comme un instrument de musique Summis, ut ita dicam, digitis sicut nervorum sonos ita pulsat carnis passiones ‘.

1 Rom., VII, 24.

Sap., IX, 15. 3 I Cor., XV, 31.-S. Ambros., De Fide resurrect., lib. II, n. 40.- 5 De Bon. mort., cap. IX, n. 40.-6 Ibid., cap. vII, n. 27. (a) Var. Nous avertit.

Ce soin extrême du corps est indigne du chrétien. (a) Vous voudriez vous rendre immortels; la moindre douleur, la moindre foiblesse vous accable et vous décourage, vous abandonnez tous les exercices de piété. Vous craignez d'échauffer ce sang, cette tête déjà trop émue, ce tempérament si foible et si délicat. Que ne vous servez-vous plutôt de cette occasion favorable pour rompre ces liens trop doux et trop décevans, pendant que la nature vous aide, qu'elle tire les liens, si elle ne les brise pas tout à fait encore? Apprenez à regarder ce corps dont la foiblesse vous appesantit, non plus comme une demeure agréable mais comme une prison importune, non plus comme votre organe mais comme votre empèchement et votre fardeau (b.) La foiblesse et la douleur qui agitent tout le corps forcent l'ame à s'en détacher, et la renfermant dans ses propres biens, lui font corriger une secrète délicatesse et un certain repos dans les sens, qui gagne les hommes trop facilement dans une grande santé.

Que si l'attache à la santé mème et à la vie est si vicieuse et si contraire à la dignité du christianisme, que dirai-je de la curiosité, de la vanité, de cette vivacité qu'on affecte tant sur le teint et sur le visage? Foible et misérable créature, et vainement appelée à une beauté et à une gloire éternelle, vous ne sauriez sans regret voir tomber cette fleur d'un jour, ni passer cette couleur vive, ni cet air de jeunesse s'évanouir. Hélas! vous en avez honte comme si c'étoit un défaut. Vous voulez cacher vos années, et non-seulement les cacher, mais résister à leur cours qui emporte tout, vous soutenir contre leur effort et tromper leurs mains si subtiles qui ne cessent de vous enlever par mille artifices toujours quelque chose. Est-ce là cette gloire du corps de Jésus (c)? Hé! laissez-vous dépouiller de ce fragile ornement qui ne fait que nourrir votre vanité, vous exposer à la tentation, vous environner de scandales. Quittez l'amour de ce corps trop chéri et trop soigné. Car si vous

(a) Note marg. On se pique de délicatesse comme on se pique d'esprit ou de grandeur. Une tendre éducation..... une personne si chère.....(b) Je suis captif de ce corps, et captif trop assujetti; je m'affranchirai en souffrant, afin de ressusciter tout à fait libre. L'ame sera démêlée de ce corps de mort qu'elle laisse au-dessous d'elle, et retirée dans sa propre enceinte. (c) Une autre santé, une autre beauté, une autre vie.

persistez à le tant chérir, oh! que la mort vous sera cruelle ! oh! que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites : Siccine separat amara mors1? « Est-ce ainsi que la mort amère sépare de tout? » Quel coup! quel effort! quelle violence!

Au contraire un homme de bien n'a rien à perdre en ce jour. La mortification lui rend la mort familière. Le détachement du plaisir le désaccoutume du corps. Il a depuis fort longtemps, ou dénoué, ou rompu les liens les plus délicats qui nous y attachent. Il ne s'afflige donc pas de quitter son corps; il sait qu'il ne le perd pas. Il a appris de l'Apôtre que nous avons à faire un double voyage. (a) Car tant que nous sommes dans le corps, nous voyageons loin de Dieu; et quand nous sommes avec Dieu, nous voyageons loin du corps. L'un et l'autre n'est qu'un voyage, et non une entière séparation, parce que nous passons dans le corps pour aller à Dieu, et que nous allons à Dieu dans l'espérance de retourner à nos corps. Ainsi lorsque nous vivons dans cette chair, nous ne devons pas nous y attacher comme si nous y devions demeurer toujours; et lorsqu'il en faut sortir, nous ne devons pas nous affliger comme si nous n'y devions jamais retourner. Par là étant délivrés des soins inquiets de la vie et des appréhensions de la mort, lorsque notre dernière heure approche, nous nous endormons en paix et en espérance. Car que crains-tu, ame chrétienne, dans les approches de la mort? Crains-tu de perdre ton corps? Mais que ta foi ne chancèle pas; pourvu que tu le soumettes à l'Esprit de Dieu, cet Esprit tout-puissant te le rendra meilleur (b). Peut-être qu'en voyant tomber ta maison, tu appréhendes d'être sans retraite; mais écoute le divin Apôtre : « Nous savons, dit-il aux Corinthiens, nous ne sommes pas induits à le croire par des conjectures douteuses; mais nous le savons très-assurément et avec une entière certitude, que si cette maison de terre et de boue dans laquelle nous habitons est détruite, nous avons une autre maison qui n'est pas batie de main d'homme, laquelle nous est préparée 1 I Reg., XV, 32.

(a) Note marg. Scientes quoniam dùm sumus in corpore, peregrinamur à Domino... Bonam voluntatem habemus magis peregrinari à corpore, et præsentes esse ad Dominum (II Cor., v, 6-8). · (b) Var.: Saura bien te le conserver pour l'éternité, ou lui rendra la vie.

au ciel. » O conduite miséricordieuse de celui qui pourvoit à tous nos besoins! << Il a dessein, dit excellemment saint Jean Chrysostome, de réparer la maison qu'il nous a donnée : pendant qu'il la détruit et qu'il la renverse pour la rebâtir toute neuve, il est nécessaire que nous délogions. » Car que ferions-nous dans ce tumulte et dans cette poudre? Et lui-même nous offre son palais, il nous y donne un appartement pour nous faire attendre en repos l'entière réparation de notre ancien édifice. Ne craignons donc rien, mes frères; songeons seulement à bien vivre, car tout est en sûreté pour le chrétien (a)...

SECOND EXORDE

POUR

LE SERMON SUR LA RESURRECTION DERNIÈRE (b).

Venit hora in quâ omnes qui sunt in monumentis audient vocem Filii Dei, et procedent qui bona fecerunt in resurrectionem vitæ.

Viendra l'heure en laquelle tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui ont bien fait ressusciteront pour la vie. Joan., v, 28, 29.

Quand l'ordre des siècles sera révolu, tous les mystères de Dieu consommés, toutes ses promesses accomplies, toutes les nations de la terre évangélisées; quand le nombre de nos frères sera rempli, c'est-à-dire la société des élus complète, le corps mystique du Fils de Dieu composé de tous ses membres, et les célestes légions où la défection des anges rebelles a fait vaquer tant de places entièrement rétablies: alors il sera temps, chrétiens, de détruire tout à fait la mort et de la reléguer pour toujours aux enfers d'où elle est sortie. Maintenant tout semble être sourd à la voix de Dieu, puisque les hommes même y sont insensibles, auxquels toutefois il a donné et des oreilles pour écouter sa parole, et un cœur pour s'y soumettre; et alors toute la nature sera animée pour l'en

1 II Cor., V, I.

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2 Homil. in Dict. Apost., De Dormientibus, etc.

(a) Note marg. Tu n'oses pas, chrétien, tu te défies de tes œuvres; songe done à cette assurance.....

(b) Ce morceau a pour but de rattacher le discours au temps du Carême.

tendre. Une voix sortira du trône par la bouche du Fils de Dieu, qui ordonnera aux morts de revivre : les corps gisans, les os desséchés, la cendre et la poussière froide et insensible en seront émues dans le fond (a) de leurs tombeaux, tous les élémens commenceront à se remuer, et la mer et la terre et les abîmes se prépareront à rendre leurs morts; et au lieu qu'il nous paroissoit qu'ils les avoient engloutis comme leur proie, nous verrons alors par expérience qu'ils ne les avoient reçus en effet que comme un dépôt pour les remettre fidèlement au premier ordre (b) : tellement que Dieu qui aime les siens, et les aime jusqu'à la fin, ayant soigneusement ramassé de toutes les parties du monde leurs restes toujours précieux devant lui et toujours aussi gardés sous sa main puissante en quelque coin de l'univers que la loi des changemens les ait pu jeter, et ayant par ce moyen rétabli leurs corps dans une parfaite intégrité, il les unira à leurs saintes ames, et ils deviendront animés; il bénira cette union, et ils seront immortels; et il la rendra tellement intime que les corps participeront aux honneurs de l'ame, et il les fera glorieux. Et voilà les trois présens magnifiques que Dieu nous donnera en ce jour pour gage de son amour éternel, la vie, l'immortalité et la gloire.

Si j'annonçois à des infidèles cet Evangile de vie et de résurrection éternelle, je m'efforcerois, chrétiens, de détruire les raisonnemens qu'oppose ici la sagesse humaine à la puissance de Dieu et à la gloire de notre nature si puissamment réparée (c). Mais puisque je parle à des chrétiens à qui cette doctrine céleste n'est pas moins familière ni moins naturelle que le lait qu'ils ont sucé dès leur enfance, je n'ai pas dessein de m'étendre à vous prouver par un long discours la réalité de ces trois présens, mais seulement de vous préparer à les recevoir en ce dernier jour de la justice de Dieu et de sa main libérale.

J'ai déjà dit, chrétiens, que c'est l'ame qu'il faut préparer comme la partie principale pour recevoir en nos corps ces dons précieux. J'ai dit et j'ai promis de vous faire voir que ces saintes prépara(a) Var. Commenceront à s'émouvoir dans le creux de leurs tombeaux. (b) à rendre leurs morts, lesquels, à ce qu'on croyoit, étoient leur proie et n'avoient reçu en effet que comme un dépôt pour le rendre fidèlement. (c) A l'honneur de notre nature si miséricordieusement réparée.

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