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le soleil ne se couche pas sur votre colère. » Ah! mes frères, que ce terme est court! mais c'est que cette obligation est bien pressante. Il ne veut pas que la colère demeure longtemps dans votre cœur, de peur que s'aigrissant insensiblement comme une liqueur dans un vaisseau, elle ne se tourne en haine implacable. La colère a un mouvement soudain et précipité. La charité ordinairement n'en est pas beaucoup altérée; mais en croupissant elle s'aigrit, parce qu'elle passe dans le cœur et change sa disposition. C'est ce que craint le divin Apôtre. Ah! quelque grande que soit votre colère, « que le soleil, dit-il, ne se couche pas qu'elle ne soit entièrement apaisée. » La nuit est le temps du repos, elle est destinée pour le sommeil. Saint Paul ne peut pas comprendre qu'un chrétien, enfant de paix et de charité, puisse faire un sommeil tranquille ni goûter quelque repos, ayant le cœur ulcéré contre son frère. Il appréhende les ténèbres de la nuit. Durant le jour, dit saint Chrysostome1, l'esprit diverti ailleurs ne s'occupe pas si fortement de la pensée de cette injure; mais la nuit, l'obscurité, le secret et la solitude le laissant tout seul, rappellent toutes les images fàcheuses: - Il l'a dite, cette injure, il l'a dite d'un ton aigre et méprisant. Les ondes de la colère s'élèvent plus fort, et l'inflammation se met dans la plaie. Ainsi tandis que le soleil luit, calmez ces mouvemens impétueux, et ne goùtez point le sommeil que vous n'ayez donné la paix à votre ame. Voilà une dette bien établie; mais montrons encore qu'il ne suffit pas de la payer une fois, et qu'elle ne peut être acquittée que par une affection constante.

Saint Augustin, Messieurs, vous l'expliquera par des paroles qui ne sont pas moins belles que solides. « Nous devons toujours la charité, et c'est, dit-il, la seule chose de laquelle, encore que nous la rendions, nous ne laissons pas d'être redevables: » Semper debeo charitatem, quæ sola, etiam reddita, semper detinet debitorem. « Car on la rend, poursuit-il, lorsqu'on aime son prochain; et en la rendant on la doit toujours, parce qu'on ne doit jamais cesser de l'aimer : » Redditur enim cùm impenditur; debetur autem etiamsi reddita fuerit, quia nullum est tempus quando impendenda jam non sit 2. Reconnoissez donc, chrétiens, 1 Homil. XVI in Matth. 2 S. August., Epist. CXCII, n. 1.

qu'un fidèle n'est jamais quitte du devoir de la charité; toujours prêt à le recevoir, et toujours prêt à le rendre ; si on le prévient, il doit suivre; si on l'attend, il doit prévenir et dire avec le même saint Augustin dans cette abondance d'un cœur chrétien : « Je reçois de vous avec joie, et je vous rends volontiers la charité mutuelle » Mutuam tibi charitatem libens reddo, gaudensque recipio. Mais je ne me contente pas de ce foible commencement, « je demande encore celle que je reçois ; et je dois encore celle que je rends » Quam recipio adhuc repeto, quam reddo adhuc debeo. Ainsi que je n'entende plus ces froides paroles : Je lui devois la charité; eh bien, je l'ai rendue, je suis quitte; je l'ai salué en telle rencontre, et il a détourné la tête. J'ai fait telles avances qu'il a méprisées; il n'y a plus de retour. O vous qui parlez de la sorte, que vous êtes peu chrétien ! vous ne l'êtes point du tout. Que vous ignorez la force, que vous savez peu la nature de la charite toujours féconde! C'est une source vive qui ne s'épuise pas, mais qui s'étend par son cours; c'est une flamme toujours agissante qui ne se perd pas, mais qui se multiplie par son action, parce qu'elle vient de Dieu au dedans de nous: Deus charitas est. Ah! qu'il est aisé de juger que tout ce que vous vous vantez d'avoir fait n'étoit qu'une froide grimace! Si c'étoit la charité, elle ne s'arrêteroit pas; la charité ne sait pas se donner de bornes, parce qu'elle vient d'un esprit qui n'en a pas : Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis 3. Cent fois rejetée, cent fois elle revient à la charge. Elle s'échauffe par la résistance que l'on lui fait; plus elle voit un cœur ulcéré, plus elle tâche de le gagner par son affection. Comme elle sait l'importance de cette dette mutuelle des chrétiens, elle la rend volontiers et elle plaint celui qui la refuse, elle l'exige de lui pour son bien; et ce qu'on ne lui donne pas de bonne grace, elle s'efforce de le mériter par ses bienfaits: Benefacite his qui oderunt vos. C'est ma seconde partie.

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SECOND POINT.

Jésus-Christ aux Juifs: 0 generatio incredula et perversa, quousque ero vobiscum? usquequo patiar vos ? Afferte huc illum ad me 1. Il ne pouvoit plus souffrir les Juifs; il ne pouvoit s'empêcher de leur bien faire, de leur donner des marques de son affection. Race infidèle et maudite, amenez ici votre fils. O Dieu, que ces paroles semblent mal suivies! Là paroît une juste indignation, et ici une tendresse incomparable. Là l'ingratitude des Juifs, qui contraint la patience même à se plaindre; ici la charité, qui ne peut être vaincue ni arrêtée par aucune injure. C'est ainsi qu'agit la charité. Il ne suffit pas, chrétiens, de payer fidèlement à nos frères, je dis même à nos frères qui nous haïssent, la charité que nous leur devons; il faut encore l'exiger d'eux. (a) « Aimez vos ennemis, dit le Fils de Dieu » Diligite; mais tâchez de les contraindre à vous aimer, et forcez-les-y par vos bienfaits : Benefacite. C'est ce qui a fait dire à saint Augustin, que j'ai suivi dans tout ce discours, qu'il y a cette différence entre les dettes ordinaires et celle de la charité fraternelle, que « lorsqu'on vous doit de l'argent, c'est faire grace que de le quitter, c'est témoigner de l'affection; au contraire, dit-il, pour la charité : jamais vous ne la donnez sincèrement, si vous n'êtes aussi soigneux de l'exiger que vous avez été fidèle à la rendre : » Pecuniam cui dederimus, tunc ei benevolentiores erimus, si recipere non quæramus : non autem potest esse verus charitatis impensor, nisi fuerit benignus exactor. Et il en rend cette raison admirable, digne certainement de son grand génie, mais digne de Jésus-Christ et prise du fond même de son Evangile; c'est que l'argent que vous donnez « profite à celui qui le reçoit et périt pour celui qui le donne : » Accedit 1 Matth., XVII, 16.

2 S. August., Epist. cxc, n. 2.

(a) Note marg.: Ceux qui se contentent d'aimer leurs ennemis, ne se veulent pas mettre en peine de gagner leur amitié. La nature de cette dette est telle, qu'il y a obligation à la demander et qu'on perd la charité si on ne l'exige. Trésor divin de la communication des fidèles! société fraternelle qu'il faut exiger! Combien il est beau et utile de recevoir la charité de ses frères! C'est JésusChrist qui aime et qui est aimé. On s'échauffe mutuellement, et on lie plus étroi tement les membres entre eux par cette sincère correspondance. Or la perfection est dans l'unité.

cui datur, recedit à quo datur; au lieu que la charité enrichit celui qui la rend plutôt que celui qui la reçoit. Ainsi c'est faire du bien à nos frères, que d'exiger d'eux cette dette dont le paiement les sanctifie. Si vous les aimez, faites qu'ils vous aiment; vous ne pouvez pas les aimer que vous ne désiriez qu'ils soient bons, et ils ne le seront pas s'ils n'arrachent de leurs cœurs le mal de l'inimitié. Vous voyez donc manifestement que l'amour charitable que yous leur devez, vous doit faire désirer les occasions qui peuvent les forcer à vous en rendre; et cela ne se pouvant faire qu'en les servant dans leur besoin, reconnoissez que la loi de la charité vous oblige justement de leur bien faire Benefacite his qui oderunt vos.

Pour mettre en pratique ce commandement et tirer quelque utilité de cette doctrine, s'il arrive jamais que Dieu permette que yos ennemis aient besoin de votre secours, n'écoutez pas, mes frères, les sentimens de vengeance; mais croyez que cette occasion vous est donnée pour vaincre leur dureté, leur obstination. - Enfin il a fallu passer par mes mains : voici le temps de lui rendre ce qu'il m'a prêté. - Non, ne parlez pas de la sorte: songez que s'il tombe entre vos mains, c'est par la permission divine; et Dieu ne l'ayant permis que pour vous donner le moyen de le gagner, vous offensez sa bonté si vous laissez passer cette occasion et si vous vous prévalez de cette rencontre pour exercer votre vengeance. Je ne puis lire sans être touché la générosité de David au premier livre des Rois. Saül le cherchoit pour le faire mourir : il avoit mis pour cela toute son armée en campagne : « Allez partout, disoit-il, soyez plus vigilans que jamais, » curiosiùs agite; « remarquez tous ses pas, pénétrez toutes ses retraites, » considerate locum ubi sit pes ejus...., videte omnia latibula ejus : « fût-il dans les entrailles de la terre, je l'y trouverai,» dit Saul, cet ennemi de ma couronne! quod si etiam in terram se abstruserit, perscrutabor eum in cunctis millibus Juda 1. Que la fureur des hommes est impuissante contre ceux que Dieu protége! David fugitif et abandonné est délivré des mains de Saül, et Saül avec toute sa puissance tombe deux fois coup sur coup entre les mains de ce fugitif. Il le 1 | Reg., XXIII, 22, 23.

rencontre seul dans une caverne; il entre une autre fois dans sa tente pendant que tous ses gardes dormoient; le voilà maître de la vie de son ennemi, ses gens l'excitent à s'en défaire : « Voici, voici le jour, disent-ils, que le Seigneur vous a promis, disant : Je livrerai ton ennemi dans tes mains : » Ecce dies de quâ locutus est Dominus ad te: Ego tradam tibi inimicum tuum : servezvous de cette occasion. « Dieu me garde de le faire, » dit David : Propitius sit mihi Dominus, ne faciam hanc rem1. Le Seigneur, dites-vous, me l'a livré, et c'est pour cela même que je veux le conserver soigneusement. « Le meurtre d'un homme n'est pas un don de Dieu » Hominis interemptio Domini donum non est; il ne met pas nos ennemis dans nos mains afin qu'on les massacre, mais plutôt afin qu'on les sauve. C'est pourquoi « je veux répondre aux bienfaits de Dieu par des sentimens de douceur : » Beneficio Dei med lenitate respondebo; « et au lieu d'une victime humaine, j'offrirai à sa bonté qui me protége un sacrifice de miséricorde, » qui sera une hostie plus agréable: Pro humana victimâ clementiam offeram. « Je ne veux pas que la bonté de mon Dieu coûte du sang à mon ennemi : » Gratiam sunguine non cruentabo. C'est saint Basile de Séleucie 2 qui paraphrase ainsi les paroles de David. Non-seulement il ne veut pas le tuer, mais il retient la main de ses gens. Si vous ne voulez pas le tuer vousmême, laissez-nous faire, lui disoient-ils; c'est moi-même, dit Abisaï, qui vous en veux délivrer et vous mettre la couronne sur la tête par la mort de cet ennemi : « je m'en vais le percer de ma lance 3. » Non, non, dit David, je vous le défends; vive le Seigneur Dieu! il est le maître de sa vie, il en disposera à sa volonté; mais je ne souffrirai pas qu'on mette la main sur lui. Non content de retenir ses soldats, il reproche à ceux de Saül le peu de soin qu'ils ont eu de le garder. Est-ce ainsi, leur dit-il, que vous gardez le roi votre maître? « Vive Dieu! vous êtes tous des enfans de mort, qui dormez auprès de sa personne, et qui avez si peu de soin de l'Oint du Seigneur : » Vivit Dominus, quoniam filii mortis estis vos, qui non custodistis dominum vestrum, Christum Domini *.

1 I Reg., XXIV, 5, 7.- 2 Orat. XVI in David.— 3 I Reg., XXVI, 8, 9. — Ibid., 15, 16.

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