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homini amicum sine homine amico 1. La douceur de la conversation et la nécessité du commerce nous font désirer d'être ensemble, et nous n'y pouvons demeurer en paix ; nous nous cherchons, nous nous déchirons; et dans une telle contrariété de nos désirs, nous sommes contraints de reconnoître avec le grand saint Augustin qu'il n'est rien de plus sociable ni de plus discordant que l'homme (a) : le premier par la condition de notre nature, le second par le déréglement de nos convoitises: Nihil est quàm hoc genus tam discordiosum vitio, tam sociale natura. Le Fils de Dieu voulant s'opposer à cette humeur discordante et ramener les hommes à cette unité que la nature leur demande, vient aujourd'hui lier les esprits par les nœuds d'une charité indissoluble; et il ordonne que l'alliance par laquelle il nous unit en lui-même soit si sainte, si ferme, si inviolable, qu'elle ne puisse être ébranlée par aucune injure. « Aimez, dit-il, vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. » Une vérité si importante mérite bien, Messieurs, d'être méditée; invoquons l'Esprit de paix par l'intercession de Marie, qui a porté en ses entrailles celui qui a terminé toutes les querelles et tué toutes les inimitiés en sa personne '. Ave.

La charité fraternelle est une dette par laquelle (b) nous nous sommes redevables les uns aux autres; et non-seulement c'est une dette, mais je ne crains point de vous assurer que c'est la seule dette des chrétiens, selon ce que dit l'apôtre saint Paul : Nemini quidquam debeatis, nisi ut invicem diligatis⋆ : « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer mutuellement. » Comme l'évangile que je dois traiter m'oblige à vous parler de cette dette, pour ne point perdre le temps inutilement dans une matière si importante, je remarquerai d'abord trois conditions admirables de cette dette sacrée, que je trouve distinctement dans les paroles de mon texte et qui feront le partage de ce discours. Premièrement, 1 S. August., Epist. ad Prob., n. 4. — 2 S. August., De Civit. Dei, lib. XII, cap. XXVII, n. 1. - 3 Ephs., II, 14, 15, 16. Rom., XIII, 8.

(a) Var. Que nous sommes, de tous les animaux, et les plus sociables et les plus farouches.

(b) Dont.

Messieurs, cette dette a cela de propre, que quelque soin que nous prenions de la bien payer, nous ne pouvons jamais en être quittes. Et cette obligation va si loin, que celui-là même à qui nous devons ne peut pas nous en décharger, tant elle est privilégiée et indispensable. Secondement, Messieurs, ce n'est pas assez de payer fidèlement cette dette aux autres; mais il y a encore obligation d'en exiger autant d'eux (a). Vous devez la charité, et on vous la doit ; et telle est la nature de cette dette, que vous devez non-seulement la recevoir quand on vous la paie, mais encore l'exiger quand on la refuse, et c'est la seconde condition de cette dette mystérieuse. Enfin la troisième et la dernière, c'est qu'il ne suffit

pas

de l'exiger simplement; si l'on ne veut pas la donner de bonne grace, il faut en quelque sorte l'extorquer par force, et pour cela demander main forte à la puissance supérieure. Retenez s'il vous plaît, Messieurs, les trois obligations de cette dette de charité, et remarquez-les clairement dans les paroles de mon texte.

Je vous ai dit avant toutes choses que nous ne pouvons jamais en être quittes, quand même ceux à qui nous devons voudroient bien nous la remettre (b). Voyez-le dans notre évangile. Ah! vos ennemis vous en quittent; ils n'ont que faire, disent-ils, de votre amitié et néanmoins, dit le Fils de Dieu, je veux que vous les aimiez: Diligite inimicos vestros: « Aimez vos ennemis. » Secondement, j'ai dit que non content de payer toujours cette dette, vous la deviez encore exiger des autres, et qu'il y a obligation de le faire. Ah! vos ennemis vous la refusent, exigez-la par vos bienfaits, vos services, vos bons offices; pressez-les en les obligeant (c): Benefacite his qui oderunt vos : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent. » Enfin j'ai dit en troisième lieu, Messieurs, que s'ils persistent toujours dans cet injuste refus, il faut pour ainsi dire les y contraindre par les formes, c'est-à-dire avoir recours à la puissance supérieure. Ah! vos ennemis opiniâtres sont insensibles à vos bienfaits, ils résistent à toutes ces douces contraintes que vous tâchez d'exercer sur eux pour les obliger à vous aimer: allez à la puissance suprême, donnez votre requête à celui qui seul est ca(a) Var. De l'exiger d'eux. (2) Nous en décharger. bien.

(c) En leur faisant du

pable de fléchir les cœurs, qu'il vous fasse faire justice: Orate pro persequentibus vos « Priez pour ceux qui vous persécutent. » Voilà les trois obligations de la charité fraternelle, que je me propose de vous expliquer avec le secours de la grace.

PREMIER POINT.

Dans l'obligation de payer cette dette mystérieuse de la charité fraternelle, je trouve deux erreurs très-considérables, qu'il est nécessaire que nous combattions par la doctrine de l'Evangile. La première est celle des Juifs qui vouloient bien avouer qu'ils devoient de l'amour à leurs prochains, mais qui ne pouvoient demeurer d'accord qu'ils dussent rien à leurs ennemis, au contraire qui se croyoient bien autorisés à leur rendre le mal pour le mal et la haine pour la haine : Dictum est : Diliges proximum tuum, et odio habebis inimicum tuum 1 : « Il a été dit : Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi. » La seconde est celle de quelques chrétiens, qui ayant appris de l'Evangile l'obligation indispensable d'avoir de l'amour pour leurs ennemis, croient s'être acquittés de ce devoir quand ils leur ont donné une fois ou deux quelques marques de charité, et se lassent après de continuer ce devoir si saint et si généreux et nécessaire de la fraternité chrétienne. Contre ces deux erreurs différentes j'entreprends de prouver en premier lieu, Messieurs, que nous devons de l'amour à nos ennemis, encore qu'ils en manquent pour nous; secondement, que ce n'est pas assez de leur en donner une fois, mais que nous sommes obligés, dans toutes les occasions qui se rencontrent, de leur réitérer des marques d'une dilection persévérante.

Pour ce qui regarde l'obligation de la charité fraternelle, je dis, ou plutôt c'est Jésus-Christ, Messieurs, c'est l'Evangile qui le dit, qu'aucun des chrétiens n'en est excepté, non pas même nos ennemis, parce qu'ils sont tous nos prochains. Et pour établir solidement cette vérité évangélique, proposons en peu de paroles les raisons que l'on y pourroit opposer. Voici donc ce que pensent les hommes charnels qui se flattent dans leurs passions et dans leurs haines injustes. Nous confessons, disent-ils, que nous de1 Matth., V, 43.

vons de l'amour à nos prochains qui en usent bien avec nous; mais moi, que je doive mon affection à cet homme qui la rejette, à cet homme qui a rompu le premier tous les liens qui nous unissoient, c'est ce qu'il m'est impossible d'entendre; ni que la charit é lui soit due, puisqu'il en méprise toutes les lois. Vous ne pouvez pas le comprendre? Et moi je vous dis qu'il le faut croire, et que la charité lui est due par une obligation (a) si étroite qu'il n'y a aucun homme vivant qui puisse jamais vous en dispenser, parce que cette dette est fondée sur un titre qui ne dépend pas de la puissance des hommes. Quel est ce titre? Le voici, Messieurs, écrit de la main de l'Apôtre en la divine Epitre aux Romains : Multi unum corpus sumus in Christo, singuli autem alter alterius membra1: « Quoique nous soyons plusieurs, nous sommes tous un même corps en Jésus-Christ, et nous sommes en particulier les membres les uns des autres.» De ce titre si bien écrit, je tire, Messieurs, cette conséquence. La liaison qui est entre nous vient de Jésus et de son Esprit; ce principe de notre union est divin et surnaturel : donc toute la nature jointe ensemble ne doit pas être capable de la dissoudre. Si votre ennemi la rompt le premier, il entreprend contre Jésus-Christ; vous ne devez pas suivre ce mauvais exemple. Quoiqu'il rejette votre affection, vous ne laissez pas de la lui devoir, parce que cette dette n'est pas pour lui seul et dépend d'un plus haut principe. Mais il m'a fait déclarer qu'il m'en tenoit quitte. Mais il n est pas en son pouvoir d'y renoncer, parce que vous lui devez cette affection cordiale, sincère et inébranlable, comme membre de Jésus-Christ. Or il ne peut pas renoncer à ce qui lui convient comme membre, parce que cette qualité regarde l'honneur de Jésus-Christ même. Il est dans l'usage des choses humaines que je ne puis renoncer à un droit au préjudice d'un tiers. Jésus, comme chef, est intéressé à cette sincère charité que nous devons à ses membres. Il ne nous est pas permis d'y renoncer, parce que l'injure en retomberoit sur tout le corps, elle retourneroit même contre le chef. (b) Si

1 Rom., XII, 5.

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(a) Var. Par cette obligation.- (b) Note marg.: C'est donc au chef à nous en exempter, et il ne nous en exempte qu'en les retranchant du corps et les envoyant aux ténèbres extérieures.

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la dette de la charité étoit simplement des hommes à l'égard des hommes, quand nos frères manqueroient à leur devoir, nous serions quittes envers eux. Mais cette dette regarde Dieu parce qu'ils sont ses images, et Jésus-Christ parce qu'ils sont ses membres. Il n'y a que Satan et les damnés qu'il nous soit permis de haïr, parce qu'ils ne sont plus du corps de l'Eglise dont Jésus les a retranchés éternellement. Exercez votre haine tant qu'il vous plaira contre ces ennemis irréconciliables. Mais si nous sommes à Jésus-Christ, nous sommes toujours obligés d'aimer tout ce qui est ou peut être à lui.

Chrétiens, ne disputons pas une vérité si constante, prononcée si souvent par le Fils de Dieu, écrite si clairement dans son Evangile. Que si vous voulez savoir combien cette dette est nécessaire (a), jugez-en par ces paroles de notre Sauveur : Si offers munus tuum..., vade priùs reconciliari fratri tuo1. Il semble qu'il n'y a point de devoir plus saint que celui de rendre à Dieu ses hommages. Toutefois j'apprends de Jésus-Christ même qu'il y a une obligation plus pressante: Va-t'en te réconcilier avec ton frère: Vade priùs. O devoir de la charité! « Dieu méprise son propre honneur, dit saint Chrysostome, pour établir l'amour envers le prochain : » Honorem suum despicit, dùm in proximo charitatem requirit; il ordonne que « son culte soit interrompu, afin que la charité soit rétablie; et il nous fait entendre par là que l'offrande qui lui plaît le plus, c'est un cœur paisible et sans fiel et une ame saintement réconciliée : » Interrumpatur, inquit, cultus meus, ut vestra charitas integretur: sacrificium mihi est fratrum reconciliatio. Reconnoissons donc, chrétiens, que l'obligation de la charité est bien établie, puisque Dieu même ne veut être payé du culte que nous lui devons qu'après que nous nous serons acquittés de l'amour qu'il nous ordonne d'avoir pour nos frères. Nous aurions trop mauvaise grace de contester une dette si bien avérée, et il vaut mieux que nous recherchions le terme qui nous est donné pour payer.

3

Saint Paul Sol non occidat super iracundiam vestram 3 : « Que 1 Matth., V, 24, 25. - 2 S. Chrysost., homil. XVI in Matth. 3 Ephes., IV, 26. (a) Var. Combien cette obligation est pressante.

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