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sidérés, avec cette différence qu'ils ont de la force. La nature donne des bornes; aux enfans la foiblesse, aux hommes la raison. La foiblesse empêche ceux-là d'avoir tout l'effet de leurs désirs ardens; ceux-ci ont la force, mais la raison sert de frein à la volonté. A mesure qu'on est raisonnable, on apprend de plus en plus à se modérer, parce qu'on ne veut que ce qu'il convient de vouloir pour être heureux : Posse quod velis..., velle quod oportet1: « Pouvoir ce qu'on veut..., vouloir ce qu'il faut ; » l'un dépend du hasard, l'autre est un effet de la raison. Pouvoir ce qu'on veut peut convenir aux plus méchans; vouloir ce qu'il faut c'est le privilége inséparable des gens de bien. L'un dépend des conjonctures tirées du dehors; l'autre fait la bonne constitution du dedans. Or jamais, comme nous disions tout à l'heure, il ne peut y avoir de bonheur que lorsque les choses sont établies dans leur naturelle constitution et dans leur perfection véritable, et il est impossible qu'elles y soient mises par l'erreur et par l'ignorance. C'est pourquoi, dit l'admirable saint Augustin, « le premier degré de misère, c'est d'aimer les choses mauvaises, et le comble de malheur, c'est de les avoir : » Amando enim res noxias miseri, habendo sunt miseriores 2. Ce pauvre malade tourmenté d'une fièvre ardente, il avale du vin à longs traits; il pense prendre du rafraîchissement, et il boit la peste et la mort. Ne vous semble-t-il pas d'autant plus à plaindre, qu'il y ressent plus de délices?

Quoi! je verrai durant ces trois jours des hommes tout de terre et de boue, mener à la vue de tout le monde une vie plus brutale que les bêtes brutes; et vous voulez que je dise qu'ils sont véritablement heureux, parce qu'ils me font parade de leur bonne chère, parce qu'ils se vantent de leurs bons morceaux, parce qu'ils font retentir tout le voisinage et de leurs cris confus et de leur joie dissolue? Eh! cependant quelle indignité que si près des jours de retraite, la dissolution paroisse si triomphante! L'Eglise notre bonne mère voit que nous donnons toute l'année à des divertissemens mondains : elle fait ce qu'elle peut pour dérober six semaines à nos déréglemens; elle nous veut donner 1 S. August., De Trinit., lib. XIII, n. 17. — 2 In Psal. xxvi, n. 7.

quelque goût de la pénitence; elle nous en présente un essai pendant le Carême, estimant que l'utilité que nous recevrons d'une médecine si salutaire nous en fera digérer l'amertume et continuer l'usage. Mais, ô vie humaine incapable de bons conseils! ô charité maternelle indignement traitée par de perfides enfans! nous prenons de ses salutaires préceptes une occasion de nouveaux désordres. Pour honorer l'intempérance, nous lui faisons publiquement précéder le jeùne; et comme si nous avions entrepris de joindre Jésus-Christ avec Bélial, nous mettons les bacchanales à la tête du saint Carême. O jours vraiment infàmes, et qui méritoient d'être ôtés du rôle des autres jours! jours qui ne seront jamais assez expiés par une pénitence de toute la vie, bien moins par quarante jours de jeune mal observés! Mes frères, ne diroit-on pas que la licence et la volupté ont entrepris de nous fermer les chemins de la pénitence, et qu'ils en occupent l'entrée pour faire de la débauche un chemin à la piété ? C'est pourquoi je ne m'étonne pas si nous n'en avons que la montre et quelques froides grimaces. Car c'est une chose certaine : la chute de la pénitence au libertinage est bien aisée; mais de remonter du libertinage à la pénitence; mais sitôt après s'être rassasié des fausses douceurs de l'un, goûter l'amertume de l'autre, c'est ce que la corruption de notre nature ne sauroit souffrir.

Vous donc, ames chrétiennes, vous à qui notre Sauveur Jésus a donné quelque amour pour sa sainte doctrine, demeurez toujours dans sa crainte; qu'il n'y ait aucun jour qui puisse diminuer quelque chose de votre modestie ni de votre retenue. Etudiez vos voies avec le prophète : tournez avec lui vos pas aux témoignages de Dieu; sans doute vous y trouverez et la certitude, et la règle, et l'immobile repos qui se commencera sur la terre pour être consommé dans le ciel. Amen.

SECOND EXORDE

POUR

LE SERMON PRÉCÉDENT.

Cogitavi vias meas, et converti pedes meos in testimonia tua. J'ai étudié mes voies, et enfin j'ai tourné mes pas du côté de vos témoignages. Psal. cxvi, 19.

Si nos actions sont mal composées, s'il nous arrive presque tous les jours ou de nous tromper dans nos jugemens, ou de nous égarer dans notre conduite, l'expérience nous fait connoître que la cause de ce malheur, c'est que nous ne délibérons pas assez posément de ce que nous avons à faire, c'est que nous nous laissons emporter aux objets qui se présentent. Une ardeur inconsidérée nous jette bien avant dans l'action, avant que nous en ayons assez remarqué et les suites et les circonstances; si bien qu'un conseil peu rassis produisant des résolutions trop précipitées, il arrive (a) ordinairement que nous errons deçà et delà, plutôt que de marcher dans la droite voie. Ce grand et victorieux monarque dont j'ai aujourd'hui emprunté mon texte, s'est bien éloigné de ces deux défauts, et il est aisé de le remarquer par les paroles que j'ai rapportées : « Il a, dit-il, étudié ses voies; » il a délivré son esprit de toutes préoccupations étrangères, il a médité sérieusement où il devoit porter ses inclinations: Cogitavi vias meas. Voilà une délibération bien posée; après quoi je ne m'étonne pas s'il a pris le meilleur parti et s'il nous dit que le résultat de cette importante consultation a été de « tourner ses pas du côté de la loi de Dieu: » Et converti pedes meos in testimonia tua. Si tous les hommes délibéroient aussi soigneusement que David sur cette matière si nécessaire, je me persuade, mes sœurs, qu'ils prendroient fort facilement une résolution semblable; et étant convaincu de ce sentiment, j'ai cru que cet entretien particulier que vous avez désiré de moi contenteroit vos pieux désirs, si je (a) Var. Il se voit.

recherchois les raisons sur lesquelles David a pu appuyer cette résolution si bien digérée.

Dans cette consultation importante où il s'agit de déterminer du point capital de la vie et de se résoudre pour jamais sur les devoirs essentiels de l'homme chrétien, je me représente que venu tout nouvellement d'une terre inconnue et déserte, ignorant des choses humaines, je découvre d'une même vue tous les emplois, tous les exercices, toutes les occupations différentes qui partagent en tant de soins les enfans d'Adam dans ce laborieux pèlerinage. O Dieu éternel, quel tracas! quel mélange de choses! quelle étrange confusion! et qui pourroit ne s'étonner pas d'une diversité si prodigieuse! La guerre, le cabinet, le gouvernement, la judicature et les lettres, le trafic et l'agriculture, en combien d'ouvrages divers ont-ils divisé les esprits? Mais si je descends au détail, si je regarde de près les secrets ressorts qui font mouvoir les inclinations, c'est là qu'il se présente à mes yeux une variété (a) bien plus étonnante. Celui-là est possédé de folles amours, celui-ci de haines cruelles et d'inimitiés implacables, et cet autre de jalousies furieuses. L'un amasse, et l'autre dépense. Quelques-uns sont ambitieux et recherchent avec ardeur les emplois publics, et les autres plus retenus se plaisent dans le repos de la vie privée; l'un aime les exercices durs et violens, l'autre les secrètes intrigues; et quand aurois-je fini ce discours, si j'entreprenois de vous raconter toutes ces mœurs différentes et ces humeurs incompatibles? Chacun veut être fou à sa fantaisie; les inclinations sont plus dissemblables que les visages; et la mer n'a pas plus de vagues, quand elle est agitée par les vents, qu'il ne naît de pensées différentes de cet abîme sans fond et de ce secret impénétrable du cœur de l'homme.

Dans cette infinie multiplicité de désirs et d'occupations, je reste interdit et confus, je me regarde, je me considère : que ferai-je? où me tournerai-je? Cogitavi vias meas. Certes, dis-je incontinent en moi-même, les autres animaux semblent ou se conduire ou être conduits d'une manière plus réglée et plus uniforme. D'où vient dans les choses humaines une telle inégalité, (a) Var. Diversité, multiplicité.

ou plutôt une telle bizarrerie? Est-ce là ce divin animal dont on dit de si grandes choses? Cette ame d'une vigueur immortelle n'est-elle pas capable de quelque opération plus sublime et qui ressente mieux le lieu d'où elle est sortie? Toutes les occupations que je vois me semblent ou serviles, ou vaines, ou folles, ou criminelles « Tout y est vanité et affliction d'esprit, » disoit le plus sage des hommes. Ne paroîtra-t-il rien à ma vue qui soit digne d'une créature faite à l'image de Dieu? Cogitavi vias meas : je cherche, je médite, j'étudie mes voies; et pendant que je suis dans le doute, Dieu me montre sa loi et ses témoignages, il m'invite à prendre parti dans le nombre de ses serviteurs. En effet leur conduite me paroît plus égale, et leur contenance plus sage, et leurs mœurs bien mieux ordonnées; mais le nombre en est si petit, qu'à peine paroissent-ils dans le monde. Davantage (a), pour l'ordinaire je ne les vois pas dans les grandes places; souvent même ceux qui les oppriment vont dans le monde la tête levée au milieu des applaudissemens de toutes les conditions et de tous les âges, et c'est ce qui me jette dans de nouvelles perplexités. Suivrai-je le grand ou le petit nombre? les sages ou les heureux ? ceux qui ont la faveur publique ou ceux qui sont satisfaits du témoignage de leur conscience? Cogitavi vias meas. Mais enfin après plusieurs doutes, voici ce qui décide en dernier ressort et tranche la difficulté jusqu'au fond je suis né dans une profonde ignorance, j'ai été comme exposé en ce monde sans savoir ce qu'il y faut faire; et nonobstant cette incertitude, je suis engagé nécessairement à un long et pénible voyage; c'est le voyage de cette vie, dont presque toutes les routes me sont inconnues. Aveugle que je suis, que ferai-je, si quelque bonne fortune ne me fait trouver un guide fidèle qui régisse mes pas errans et conduise mon ame mal assurée? C'est la première chose qui m'est nécessaire (b).

1 Eccle., I, 14.

(a) Pour De plus. (b) Mais je n'ai pas seulement..... (La fin comme au sermon précédent, pag. 467 et suiv.)

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