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Abraham, selon que le remarque l'Apôtre (chap. IV aux Galates), Ismaël l'enfant de la chair et de la servante, persécutoit Isaac le fils de la promesse et de sa maîtresse. Ne voyez-vous pas que dans le ventre de Rébecca, femme du patriarche Isaac, ces deux gémeaux qu'elle porte, Esau et Jacob, l'un figure des réprouvés, l'autre l'image des enfans de Dieu, «encore enfermés dans les mêmes entrailles commencent à se faire la guerre : » Collidebantur in utero ejus parvuli'. Que signifie ce mystère, mes sœurs? « Tu portes, ô Rébecca, dans ton ventre, dit la parole divine, deux grandes et nombreuses nations: » Duæ gentes sunt in utero tuo 2. Quelles sont ces nations, chères sœurs? C'est d'une part la nation des justes, et de l'autre celle des impies, représentées dans ces deux enfans. Esau, je l'avoue, supplantera Jacob pour un peu de temps; il sortira le premier; il emportera le droit d'aînesse. Il faut que dans le cours de ce siècle les bons et les saints, le monde prédestiné serve et gémisse pour l'ordinaire sous l'oppression et la tyrannie des méchans et des réprouvés. Mais enfin tôt ou tard la face des choses sera changée. Après qu'Esaü aura joui quelque temps de son droit d'aînesse, c'est-à-dire après que les méchans auront en apparence triomphé quelque temps dans ce monde par leur imaginaire félicité, Jacob emportera la bénédiction paternelle; il demeurera le seul et véritable supplantateur, comme son nom le lui promettoit. La prophétie divine s'accomplira, qui dit que « l'aîné servira au cadet : » Major serviet minori3; c'est-à-dire que les bons, qui paroissoient ici-bas être dans l'oppression et dans la disgrace, dans cette grande révolution qui arrivera à la fin des siècles, commenceront à prendre la première place; et les méchans étonnés d'une si grande vicissitude, gémiront à jamais dans une captivité insupportable. C'est ce qui nous est montré en figure en la Genèse. Mais en attendant, mes très-chères sœurs, il est nécessaire que les bons souffrent. Car de même que notre grand Dieu a jeté notre ame, qui est d'une si divine origine, dans une chair agitée de tant de convoitises brutales, afin que la vigueur de l'esprit s'évertuât tous les jours par la résistance du corps: ainsi a-t-il mêlé les bons parmi les impies, afin que ceux-là supportant la 1 Genes., XXV, 22. — Ibid., 23.

3 lbid.

persécution de ceux-ci, s'animassent d'autant plus à la vertu qu'ils y trouveroient plus d'obstacles.

Et c'est à vrai dire, mes sœurs, le grand miracle de la grace divine. Mener une vie innocente loin de la corruption commune, c'est l'effet d'une vertu ordinaire; mais laisser les justes dans la compagnie des méchans et fortifier par là leur vertu, leur faire respirer le même air et les préserver de la contagion, les faire vivre parmi l'iniquité et leur faire observer la justice, c'est où paroît le triomphe de la toute-puissance divine. C'est ainsi, mes sœurs, qu'elle se plaît de faire paroître la lumière plus éclatante et plus pure parmi l'épaisseur des nuages. Ce grand Dieu tout-puissant qui a préservé les enfans dans la fournaise et Daniel parmi les lions; qui a gardé la famille de Noé sur un bois fragile contre la fureur inévitable des eaux universellement débordées, celle de Lot de l'embrasement et des monstrueuses voluptés de Sodome; qui a fait luire à ses enfans une merveilleuse lumière parmi les ténèbres d'Egypte ; qui a fait naître des eaux vives parmi les déserts arides de la Libye: ce Dieu a pris plaisir, pour faire voir son pouvoir, de conserver ses serviteurs innocens dans la corruption générale; que dis-je, il les a préservés ? Leur vertu en a paru davantage.

Et certes s'il n'y avoit point eu de méchans, combien de vertus seroient étouffées! Que deviendroit le zèle de convertir les ames, dont les saints ont été transportés? Où seroient tant d'exhortations véhémentes? où cette béatitude de ceux qui souffrent pour la justice? où le triomphe du martyre? Qui auroit mis la main sur la personne de Notre-Seigneur, s'il n'y avoit eu que des justes? Mais quel seroit le désordre des choses humaines, si parmi cette prodigieuse multitude de méchans il n'y avoit du moins quelques justes qui, par leurs avertissemens et par leurs exemples, réprimassent la licence effrénée et retinssent du moins les choses dans quelque modération? C'est pourquoi le Sauveur Jésus parlant au petit nombre de gens de bien qu'il avoit par sa grace assemblés près de sa personne, les appelle le sel de la terre: Vos estis sal terræ'; voulant dire à mon avis que s'il n'eut répandu quelques personnes vertueuses deçà et delà dans le monde comme une espèce de sel 1 Matth., V, 13.

salutaire, les hommes auroient été entièrement corrompus, au lieu qu'il y reste peut-être quelque petite trace de vertu.

Cela étant de la sorte que nous autres chrétiens nous sommes envoyés pour être la lumière du monde, vivons en enfans de lumière et « ne communiquons point aux œuvres des ténèbres 1» qui nous environnent. Méprisons cette vie, mes très-chères sœurs, où nous sommes en captivité. Regardez le siècle de toutes parts vous y verrez régner l'impiété, le désordre, le luxe, les molles délices, l'avarice, l'ambition, et enfin toutes sortes de crimes. Quel plaisir pour nous en cette vie où les meilleurs ne sont pas mieux traités que les plus méchans? Au contraire nous verrons ordinairement les méchans dans le haut crédit et les sages dans la bassesse. Quelle estime pouvons-nous faire de cette sorte de biens que notre Père céleste, qui sait si parfaitement le prix des choses, donne en partage à ses ennemis ? Considérez, mes très-chères sœurs, que dans une grande maison ce que l'on réserve aux enfans est toujours le plus précieux, et que ce que les serviteurs peuvent avoir de commun avec eux est toujours le moins important. Nous sommes les enfans de Dieu, et les méchans n'ont pas seulement l'honneur de pouvoir être nommés ses esclaves: ce sont ses ennemis et les victimes de sa fureur. Et néanmoins les plaisirs et les grands avantages après lesquels les mortels abusés ne cessent de soupirer, sont presque pour l'ordinaire en la possession des méchans. Souhaitez-vous des richesses? vous n'en aurez jamais plus que Crésus; les délices? vous n'en aurez jamais plus que Sardanapale; le pouvoir? vous n'en aurez jamais plus que Néron, Caligula, ces monstres du genre humain, et néanmoins les maîtres du monde. Où est-ce que l'éloquence, la sagesse mondaine, le crédit des beaux-arts a été plus grand que dans l'empire romain? C'étoient des idolâtres. «Demandez-vous à Dieu, dit saint Augustin, de l'argent? le voleur en a; une femme, une nombreuse famille, la santé du corps, les dignités du siècle? considérez que beaucoup de méchans possèdent ces biens. Est-ce pour cela seulement que vous servez Dieu (a)? Vos pieds chancelleront

1 Ephes., V, 11.

(a) Var.: «Voulez-vous, dit saint Augustin, que Dieu vous donne de l'argent

ils et croirez-vous servir Dieu en vain, lorsque vous voyez dans ceux qui ne le servent pas tous ces biens qui vous manquent? Ainsi il donne toutes ces choses aux méchans mêmes, et il se réserve lui seul pour les bons: » Pecuniam vis à Deo ? habet et latro. Uxorem, fœcunditatem filiorum, salutem corporis, dignitatem sæculi? attende quàm multi mali habent. Hoc est totum propter quod eum colis? Nutabunt pedes tui, putabis te sine causa colere, quando in eis vides ista qui eum non colunt ? Ergo ista dat omnia etiam malis, se solum servat bonis 1. Partant que l'ami de Jésus, s'il prétend à quelque chose de plus que les ennemis de Jésus, vive avec la grace de Dieu dans l'attente d'une plus grande félicité. O sainte paix de Sion! ô égalité des anges! ô divine Jérusalem, où il n'y a point de séditieux, point de fourbes, point de malfaiteurs; où il n'y a que des gens de bien, des amis et des frères O heureuse égalité des anges! ô sainte compagnie, où Dieu régnera en paix, où nul ne blasphemera son saint nom, nul ne contreviendra à ses ordonnances! O sainte Sion, où toutes choses sont stables! Eh Dieu ! qui nous a jetés dans ce flux et reflux de choses humaines? qui nous précipite dans cet abîme et cette mer agitée de tant de tempêtes? Quand retournerai-je à vous, ô Sion? quand verrai-je vos belles murailles, et vos fontaines d'eaux vives qui sont la félicité éternelle, et votre temple qui est Dieu même, et votre lumière qui est l'Agneau? « Alors, ô mon Dieu, vous nous vivifierez, vous nous renouvellerez, vous nous donnerez la vie de l'homme intérieur, et nous invoquerons votre nom, c'est-à-dire nous vous aimerons. Après nous avoir pardonné avec bonté tous nos péchés, vous vous donnerez vousmême pour être la récompense parfaite de ceux que vous aurez justifiés. Seigneur Dieu des vertus, convertissez-nous, montrez votre face, et nous serons sauvés : Vivificabis nos, innovabis nos, vitam interioris hominis dabis nobis, et nomen tuum invocabimus, id est, te diligemus. Tu nobis dulcis eris remissor peccatorum nostrorum, tu eris totum præmium justificatorum. Domine 1 S. August., In Psal. LXXIX, n. 14.

les voleurs en ont; désirez-vous une femme, une nombreuse famille, la santé du corps, les dignités du siècle? considérez que beaucoup de méchans possèdent tous ces avantages. Est-ce l'unique objet pour lequel vous servez Dieu? »

Deus virtutum, converte nos, ostende faciem tuam, et salvi eri

mus 1. »

Cette séparation, mes très-chères sœurs, a divers degrés. Premièrement les élus sont déjà séparés dans la prédestination éternelle, même dans la contagion du siècle, même dans cette masse de corruption où le monde semble les envelopper dans une commune confusion. Dieu les a déjà discernés, « Dieu sait ceux qui sont à lui: » Cognovit Dominus qui sunt ejus ; il les connoît par nom et par surnom: Proprias oves vocat nominatim3. Il en a un rôle dans son cabinet, ils sont écrits dans son livre. O joie! ô bonheur incroyable! Aimables brebis de Jésus, quelque part où vous erriez dans les chemins détournés de ce siècle, l'œil de votre pasteur est sur vous: il vous sépare des autres, non point de corps, mais de cœur; il vous sépare par de saints désirs et par une bienheureuse espérance. Les affections, mes sœurs, ce sont comme les pas de l'ame; c'est par elles qu'elle se remue. Ainsi les enfans de lumière, mêlés ici-bas parmi les enfans de ténèbres, en sortent par de saintes et de célestes affections. Ils sont en ce monde, mais leur amour en est détaché. Dieu, qui les a mêlés avec ses ennemis, ne cesse de les en séparer peu à peu par une opération toutepuissante. Il purifie leurs intentions, il les démêle insensiblement des embarras de la terre. Comme ils sont dans un corps mortel, et que néanmoins ils vivent en quelque sorte détachés du corps, et que Dieu rompt peu à peu leurs liens, ainsi que dit l'apôtre saint Paul, que « vivant dans la chair, nous ne vivons pas selon la chair:» de même, bien qu'ils soient parmi les méchans, leur façon de vivre les discerne d'eux.

Viendra, viendra enfin cette dernière séparation. O jour terrible pour les méchans! ô jour mille et mille fois heureux pour les bons! Où iront les méchans séparés des enfans de Dieu ? C'est ce mélange, mes sœurs, qui empêche que Dieu ne les foudroie: il leur pardonne pour l'amour des siens; leur présence modère sa juste fureur. C'est pourquoi, dans notre évangile, il défend « d'arracher l'ivraie, de peur d'endommager le bon grain: » Ne fortè

1 S. August., In Psal. LXXIX, ubi suprà. - 2 II Timoth., 11, 19. 3.11 Cor., X,

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3.

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