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Mais ce que l'apôtre saint Paul nous a proposé dans une idée générale, le docte saint Augustin nous l'explique en particulier, lorsqu'interprétant ce passage de l'Epitre aux Corinthiens, il fait ce beau commentaire : « Dieu, dit-il, sera toutes choses à tous les esprits bienheureux, parce qu'il sera leur commun spectacle, il sera leur commune joie, il sera leur commune paix : » Commune spectaculum erit omnibus Deus, commune gaudium erit omnibus Deus, communis pax erit omnibus Deus '.

Et certes pour être heureux, selon les maximes de ce même Saint, il faut n'être point trompé, ne rien souffrir, ne rien craindre. Car comme la vérité est si précieuse, quelque bien que l'homme possède d'ailleurs, il n'est pas assez riche s'il est trompé, et manque d'un grand trésor. Encore qu'il connoisse la vérité, sans doute il n'est point content pour cela s'il souffre; et quoiqu'il ne souffre pas, il n'est point tranquille s'il craint. Là donc, dans le royaume des cieux, dans la céleste Jérusalem, il n'y aura point d'erreur, parce qu'on y verra Dieu; là il n'y aura point de douleur, parce qu'on y jouira de Dieu; là il n'y aura point de crainte ni d'inquiétude, parce qu'on s'y reposera à jamais en Dieu. Si bien (a) que nous y serons éternellement bienheureux, parce que (b) nous aurons dans cette vue le véritable et le plus noble exercice de nos esprits; nous goûterons dans cette jouissance le parfait contentement de nos cœurs; nous posséderons (c) dans cette paix l'immuable affermissement de notre repos. Voilà trois sublimes vérités que saint Augustin nous propose et que je tâcherai de rendre sensibles, si vous me donnez vos attentions, afin que vous soyez convaincus, que comme il n'y a rien de plus libéral que Dieu qui nous offre de si grands dons, il n'y a rien aussi de plus ingrat ni de plus aveugle que l'homme, qui ne sait pas profiter d'une telle munificence.

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PREMIER POINT.

Si l'apôtre saint Paul a dit que les fidèles sont un spectacle au monde, aux anges et aux hommes", nous pouvons encore ajouter qu'ils sont un spectacle à Dieu même. Nous apprenons de Moïse que ce grand et sage architecte, diligent (a) contemplateur de son propre ouvrage, à mesure qu'il bâtissoit ce bel édifice du monde, en admiroit (b) toutes les parties: Vidit Deus lucem quòd esset bona; qu'en ayant composé le tout, parce qu'en effet la beauté de l'architecture paroît dans le tout et dans l'assemblage plus encore que dans les parties détachées, il avoit encore enchéri et l'avoit trouvé parfaitement beau; et enfin qu'il s'étoit contenté luimême, en considérant dans ses créatures les traits de sa sagesse et l'effusion de sa bonté. Mais comme le juste et l'homme de bien est le chef-d'œuvre de son art et le miracle de sa grace (c), il est aussi le spectacle le plus agréable à ses yeux : Oculi Domini super justos: « Les yeux de Dieu, dit le saint Psalmiste, sont attachés sur les justes,» non-seulement parce qu'il veille sur eux pour les protéger, mais encore parce qu'il se plaît à les regarder du plus haut des cieux comme le plus cher objet de ses complaisances. « N'avez-vous point vu, dit-il, mon serviteur Job, comme il est droit et juste et craignant Dieu, comme il évite le mal avec soin et n'a point son semblable sur la terre ? »

Que le soldat est heureux qui combat ainsi sous les yeux de son capitaine et de son roi, à qui sa valeur invincible prépare (d) un si beau spectacle! Que si les justes sont le spectacle de Dieu, il veut aussi à son tour être leur spectacle; comme il se plaît à les voir, il veut aussi qu'ils le voient; il les ravit par la claire vue de son éternelle (e) beauté, et leur montre à découvert sa vérité même, dans une lumière si pure qu'elle dissipe toutes les ténèbres et tous les nuages.

Mais qu'est-ce, direz-vous, que la vérité? Quelle image nous

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en donnez-vous? Sous quelle forme paroît-elle aux hommes? Mortels grossiers et charnels, nous entendons tout corporellement : nous voulons toujours des images et des formes matérielles. Ne pourrai-je aujourd'hui éveiller ces yeux spirituels et intérieurs que vous avez tout au fond de votre ame (a), les détourner un moment de ces images vagues et changeantes que les sens impriment, et les accoutumer à porter la vue de la vérité toute pure? Tentons, essayons, voyons. Je vous demande pour cela, Messieurs, que vous soyez seulement attentifs à ce que vous faites et que vous pensiez à l'action qui nous rassemble dans ce lieu sacré. Je vous prêche la vérité, et vous l'écoutez; et celle que je vous propose en particulier, c'est que celui-là est heureux qui n'est point sujet à l'erreur et qui ne se trompe jamais. Cette vérité est sûre et incontestable, elle n'a pas besoin de démonstration, et vous en voyez l'évidence. Mais, Messieurs, où la voyez-vous? Est-ce peutètre dans mes paroles? Nullement, ne le croyez pas. Car où la vois-je moi-même? Sans doute dans une lumière intérieure qui me la découvre, et c'est là aussi que vous la voyez. (b) Car comme si je vous montre du doigt quelque tableau ou quelque ornement de cette chapelle royale, j'adresse votre vue, mais je ne vous donne pas la clarté, ni je ne puis vous inspirer le sentiment. Je fais à peu près le mème dans cette chaire. Je vous parle, je vous avertis, j'excite votre attention; mais il y a une voix secrète de la vérité qui me parle intérieurement, et la même vous parle aussi; sans quoi toutes mes paroles ne feroient que battre l'air vainement et étourdir les oreilles. Selon la sage dispensation du ministère ecclésiastique, les uns sont prédicateurs et les autres sont auditeurs; selon l'ordre de cette occulte (c) inspiration de la vérité, tous sont auditeurs, tous sont disciples: si bien qu'à ne regarder que l'extérieur, je parle, et vous écoutez; mais au dedans, dans le fond du cœur, et vous et moi écoutons la vérité qui nous parle et qui nous enseigne. Je la vois donc la vérité, et vous la voyez; et tous ensemble nous voyons la même, puisque la vérité est une; et la

a Var.: Guvrir ces yeux spirituels et intérieurs, qui sont cachés bien avant au fond de votre ame. - (b) Note marg. : Je vous prie, suivez-moi, Messieurs, et soyez un peu attentifs à l'état présent où vous êtes, - (c) Var. : Secrète.

même se découvre encore par toute la terre à tous ceux qui ont les yeux ouverts à ses lumières.

On ne peut donc déterminer où elle est, quoiqu'elle ne manque nulle part. Elle se présente à tous les esprits, mais elle est en même temps au-dessus de tous. Que les hommes tombent dans l'erreur, la vérité subsiste toujours; qu'ils profitent ou qu'ils oublient, que leurs connoissances croissent ou décroissent, la vérité n'augmente ni ne diminue. Toujours une, toujours égale, toujours immuable, elle juge de tout et ne dépend du jugement de personne. «Chaste et fidèle, propre à chacun, quoiqu'elle soit commune à tous, » et omnibus communis est et singulis casta est, dit saint Augustin', on est heureux quand on la possède; on ne nuit qu'à soi-même quand on la rejette. Elle fait donc également la béatitude et le supplice de tous les hommes, parce que « ceux qui se tournent vers elle sont rendus heureux par ses lumières, et que ceux qui refusent de la regarder sont punis par leur propre aveuglement (a) » Cùm integra et incorrupta, et conversos lætificet lumine et aversos puniat cæcitate2.

Voilà ce que c'est que la vérité; et, mes frères, cette vérité, si nous l'entendons, c'est Dieu même. O vérité! ô lumière ! ô vie! quand vous verrai-je? quand vous connoîtrai-je? Connoissonsnous la vérité parmi les ténèbres qui nous environnent? Hélas! durant ces jours de ténèbres, nous en voyons luire de temps en temps quelque rayon imparfait. Aussi notre raison incertaine ne sait à quoi s'attacher, ni à quoi se prendre parmi ces ombres (b). Si elle se contente de suivre ses sens, elle n'aperçoit que l'écorce; si elle s'engage plus avant, sa propre subtilité la confond. Les plus doctes à chaque pas ne sont-ils pas contraints de demeurer court? Ou ils évitent les difficultés, ou ils dissimulent et font bonne mine, ou ils hasardent ce qui leur vient (c) sans le bien entendre, ou ils se trompent visiblement et succombent sous le faix.

Même dans les affaires du monde, à peine la vérité est-elle

1 De Lib. arbit., lib. II, n. 37. .-2 Ibid., n. 34.

(a) Var. Par leurs ténèbres. - (6) Ne sait à quoi s'adresser dans une nuit si profonde. (c) Ce qu'ils disent.

connue. Les particuliers ne la savent pas, quoique toutefois ils se mêlent de juger de tout, parce qu'ils n'ont pas l'étendue et les relations nécessaires. Les grands, qui sont élevés plus haut, découvrent sans doute de plus loin les choses (a); mais aussi sont-ils exposés à des déguisemens plus artificieux. «Que vous êtes heureux, disoit un ancien à son ami tombé en disgrace; oui, que vous êtes heureux encore une fois, de n'avoir plus rien (b) en votre fortune qui oblige à vous mentir et à vous tromper!» Felicem te, qui nihil habes propter quod tibi mentiatur1! Que ferai-je ? Où me tournerai-je, assiégé de toutes parts par l'opinion ou par l'erreur? Je me défie des autres, et je n'ose croire moi-même mes propres lumières. A peine crois-je voir ce que je vois et tenir ce que je tiens, tant j'ai trouvé souvent ma raison fautive.

Ah! j'ai trouvé un remède pour me garantir de l'erreur. Je suspendrai mon esprit ; et retenant en arrêt sa mobilité indiscrète et précipitée, je douterai du moins, s'il ne m'est pas permis de connoître au vrai les choses. Mais, ô Dieu! quelle foiblesse et quelle misère ! De crainte de tomber, je n'ose sortir de ma place ni me remuer. Triste et misérable refuge contre l'erreur, d'être contraint de se plonger dans l'incertitude et de désespérer de la vérité! O félicité de la vie future! Car écoutez ce que promet Isaïe à ces bienheureux citoyens de la Jérusalem céleste: Non occidet ultrà sol tuus, et luna tua non minuetur 2 : « Votre soleil n'aura jamais de couchant, et votre lune ne décroîtra pas; » c'est-à-dire nonseulement que la vérité vous luira toujours, mais encore que votre esprit sera toujours uniformément et également éclairé. O quelle félicité de n'ètre jamais déçu, jamais surpris, jamais détourné, jamais ébloui par les apparences, jamais prévenu ni préoccupé !

Je ne m'étonne pas, chrétiens, si saint Grégoire de Nazianze les appelle dieux, puisque ce titre leur est bien mieux dù qu'aux

2 Isa., LX, 20. — 3 Orat. XL.

1 Senec., Epist. XLVI ad Lucil. (a) Var.: Ceux qui sont dans les grandes places, étant élevés plus haut, découvrent sans doute de plus loin les choses. (b) C'est pourquoi cet ancien disoit à son ami tombé en disgrace: « Que vous êtes heureux maintenant de n'avoir plus rien! »

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