Oldalképek
PDF
ePub

d'avoir opéré en elle tant de merveilles, cependant que (a) son Dieu même la loue! Là, Seigneur, toujours on chantera vos louanges; on n'y parlera, ne s'entretiendra que de vos merveilles; jamais on ne se lassera d'y parler de la magnificence de votre royaume : Magnificentiam gloriæ sanctitatis tuæ loquentur, et mirabilia tua narrabunt1. Mais vous ne vous lasserez non plus de leur dire qu'ils ont bien fait, vous leur parlerez de leurs travaux avec une tendresse de père, et ainsi de part et d'autre l'éternité se passera en des congratulations perpétuelles. Oh! que la terre leur paroîtra petite! Comme ils se riront des folles joies de ce monde!

En est-ce assez, Messieurs, ou s'il faut encore quelque chose pour nous exciter? Que restoit-il à faire au Père éternel pour nous attirer à lui? Il nous appelle au royaume de son Fils unique, nous qui ne sommes que des serviteurs, et des serviteurs inutiles. Il ne veut rien avoir de secret ni de réservé pour nous. L'objet qui le rend heureux, il nous l'abandonne. Il nous fait les compagnons de sa gloire, cendre et pourriture que nous sommes; et il ne nous demande pour cela que notre amour et quelques petits services qui lui sont déjà dus par une infinité d'obligations que nous lui avons, et qui ne seroient que trop bien payés des moindres de ses faveurs. Cependant, qui le pourroit croire, si une malheureuse expérience ne nous l'apprenoit? l'homme insensé ne veut point de ces grandeurs; il embrasse avec autant d'ardeur des plaisirs mortels que s'il n'étoit pas né pour une gloire éternelle; et comme s'il vouloit être heureux malgré son créateur, il prend pour trouver la félicité une route toute contraire à celle qu'il lui prescrit et n'a point de contentement qu'en s'opposant à ses volontés. Encore si cette vie avoit quelques charmes qui fussent capables de le contenter, sa folie seroit en quelque façon pardonnable. Mais Dieu, comme un bon père qui connoît le foible de ses enfans et qui sait l'impression que font sur nous les choses présentes, a voulu exprès qu'elle fût traversée de mille tourmens, pour nous faire porter plus haut nos affections. Que s'il y a mêlé quelques petites douceurs, ç'a été pour en tempérer l'amertume, qui nous auroit 1 Psal. CXLIV, 5.

(a) Pour: pendant que.

semblé insupportable sans cet artifice. Jugez par là ce que c'est que cette vie. Il faut de l'adresse et de l'artifice pour nous en cacher les misères; et toutefois, ô aveuglement de l'esprit humain! c'est elle qui nous séduit, elle qui n'est que trouble et qu'agitation, qui ne tient à rien, qui fait autant de pas à sa fin qu'elle ajoute de momens à sa durée, et qui nous manquera tout à coup comme un faux ami, lorsqu'elle semblera nous promettre plus de repos. A quoi est-ce que nous pensons?

Où est cette générosité du christianisme, qui faisoit estimer aux premiers fidèles moins que de la fange toute la pompe du monde, existimavi sicut stercora1; qui leur faisoit dire avec tant de résolution Cupio dissolvi et esse cum Christo'; qui dans un état toujours incertain, dans une vie continuellement traversée, mais dans les tourmens les plus cruels et dans la mort même, les tenoit immobiles par une ferme espérance, spe viventes? Mais, hélas ! que je m'abuse de chercher parmi nous la perfection du christianisme! Ce seroit beaucoup si nous avions quelque pensée qui fùt digne de notre vocation et qui sentît un peu le nouvel homme. Au moins, Messieurs, considérons un peu attentivement quelle honte ce nous sera d'avoir été appelés à la même félicité que ces grands hommes qui ont planté l'Eglise par leur sang, et de l'avoir lâchement perdue dans une profonde paix, au lieu qu'ils l'ont gagnée parmi les combats et malgré la rage des tyrans, et des bourreaux, et de l'enfer. Heureux celui qui entend ces vérités et qui sait goùter la suavité du Seigneur! « Heureux celui qui marche innocemment dans ses voies, qui passe les jours et les nuits à contempler la beauté de ses saintes lois! Il fleurira comme un arbre planté sur le courant des eaux. Le temps viendra qu'il sera chargé de ses fruits; il ne s'en perdra pas une seule feuille; le Seigneur ira recueillant toutes ses bonnes œuvres et fera prospérer toutes ses actions. Ah! qu'il n'en sera pas ainsi des impies! Il les dissipera dans l'impétuosité de sa colère, comme la poudre est emportée par un tourbillon3. » Cependant les justes se réjouiront avec lui; «il les remplira de l'abondance de sa maison, il les enivrera du torrent

[ocr errors]

1 Philip., III, 8. - 2 Ibid., 1, 23.-3 Rom., XII, 12. - Psal. 1, 1.- 3 Ibid., vers. 2, 3, etc.

de ses délices'. » Ah! Seigneur, qu'il fait beau dans vos tabernacles! Je ne suis plus à moi quand je pense à votre palais; mes sens sont ravis et mon ame transportée, quand je considère que je jouirai de vous dans la terre des vivans. Je le dis encore une fois et ne me lasserai jamais de le dire: «Il est plus doux de passer un jour dans votre maison, que d'être toute sa vie dans les voluptés du monde2. » Seigneur, animez nos cœurs de cette noble espérance.

Et vous, ames bienheureuses, pardonnez-nous si nous entendons si mal votre grandeur, et ayez agréables ces idées grossières que nous nous formons de votre félicité durant l'exil et la captivité de cette vie. Vous avez passé par les misères où nous sommes; nous attendons la félicité que vous possédez; vous êtes dans le port; nous louons Dieu de vous avoir choisis, de vous avoir soutenus parmi tant de périls, de vous avoir comblés d'une si grande gloire. Secourez-nous de vos prières, afin que nous allions joindre nos voix avec les vôtres, pour chanter éternellement les louanges du Père qui vous a élus, du Fils qui vous a rachetés, du SaintEsprit qui vous a sanctifiés. Ainsi soit-il à jamais.

1 Fsul. XXXV, 9.-2 Psal. LXXXIII, 1, 2, 10 et 11.

SECOND SERMON

POUR

LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS (a).

Ut sit Deus omnia in omnibus. I Cor., xv, 28.

SIRE,

Ce que l'œil n'a pas aperçu, ce que l'oreille n'a pas ouï, ce qui jamais n'est entré (b) dans le cœur de l'homme, c'est ce qui doit faire aujourd'hui le sujet de notre entretien. Cette solennité est instituée pour nous faire considérer les biens infinis que Dieu a préparés à ses serviteurs pour les rendre éternellement heureux, et un seul mot de l'Apôtre nous doit expliquer toutes ces merveilles. «Dieu, dit-il, sera tout en tous.» Que peut-on entendre de plus court? Que peut-on imaginer de plus vaste ou de plus immense ? Dieu est un, et en même temps il est tout; et étant tout à lui-même, parce que sa propre grandeur lui suffit, il est tout encore à tous les élus, parce qu'il remplit par sa plénitude leur capacité tout entière et tous leurs désirs (c). S'il leur faut un triomphe (d) pour honorer leur victoire, Dieu est tout; s'ils ont besoin de repos pour se délasser de leurs longs travaux, Dieu est tout; s'ils demandent la consolation après avoir saintement gémi parmi les amertumes de la pénitence, Dieu est tout. Dieu est la lumière qui les éclaire; Dieu (a) Ce sermon parle de la chapelle royale, et renferme une allocution touchante à Louis XIV; il a donc été prêché en sa présence.

Or, comme on le voit dans la Gazette de France, Bossuet n'a prêché devant la cour, le jour de la Toussaint, qu'en 1669; d'une autre part, il n'y a qu'un sermon pour la fête de tous les Saints qui ait été prêché devant cet illustre auditoire celui donc qui nous occupe date de 1669, année qui appartient à la plus grande époque du plus grand des orateurs. L'écriture du manuscrit, si belle, si ferme, si nettement dessinée, atteste elle-même cette époque.

Louis XIV passa l'été et l'hiver de 1669 à Saint-Germain en Laye, dans le Château neuf; c'est là que Bossuet fit entendre sa voix dans la station d'Avent, la dernière qu'il prêcha devant le roi.

Il avoit été nommé évêque de Condom le mois précédent. Toute la cour, avide de l'entendre et de le féliciter en quelque sorte par sa présence, se rendoit assidûment à ses sermons; et Louis XIV y conduisoit par le bras Turenne, qui avoit abjuré le protestantisme.

(b) Var. Monté. (c) Parce qu'il remplit pleinement toute leur capacité et tous leurs désirs. (d) Une couronne.

est la gloire qui les environne; Dieu est le plaisir qui les transporte; Dieu est la vie qui les anime; Dieu est l'éternité qui les établit dans un glorieux repos.

O largeur! ô profondeur! ô longueur sans bornes et inaccessible hauteur pourrai-je vous renfermer (a) dans un seul discours? Allons ensemble, mes frères; entrons en cet abîme de gloire et de majesté. Jetons-nous avec confiance sur cet océan (b); mais ayons notre guide et notre étoile, je veux dire la sainte Vierge, que nous allons saluer par les paroles de l'ange. Ave.

SIRE, on peut mettre en question si l'homme pour être heureux n'a besoin de posséder qu'une seule chose, ou si sa félicité est un composé de plusieurs parties et le concours de plusieurs biens ramassés ensemble. Et premièrement il paroît qu'un cœur qui se partage à divers objets, confesse en se partageant que l'attrait qui le gagne est foible, et que celui qui est ainsi divisé cherche plutôt sa félicité qu'il ne l'a trouvée (c). Que s'il paroît d'un côté qu'un seul objet nous doit contenter, parce que nous n'avons qu'un cœur, il semble aussi d'autre part que plusieurs biens nous sont nécessaires, parce que nous avons plusieurs désirs. En effet nous désirons la santé, la vie, le plaisir, le repos, la gloire, l'abondance, la liberté, la science, la vertu ; et que ne désirons-nous pas ? Comment donc peut-on espérer de satisfaire par un seul objet une si grande multiplicité de désirs et d'inclinations que nous nourrissons en nous-mêmes?

L'Apôtre a concilié ces contrariétés apparentes dans le texte que j'ai choisi, puisqu'il nous y fait trouver dans un même objet, premièrement la simplicité, parce qu'il est un, et tout ensemble la variété, parce qu'il est infini. « Dieu, dit-il, sera tout en tous. » Il est un, et il est tout. Il est tout, non-seulement en lui-même par l'immensité de son essence (d), mais encore il est tout en tous par l'incompréhensible fécondité avec laquelle il se communique à ses créatures: Erit Deus omnia in omnibus.

(a) Var.: Comprendre.-(6) Mais implorons l'assistance du Saint-Esprit; et ayons notre guide et notre étoile..... (c) Il paroit qu'un cœur qui court à divers objets, cherche plutôt la félicité qu'il ne l'a trouvée. (d) De sa nature.

TOM. VIII.

3

« ElőzőTovább »