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21.

Plaidoyer bur-
lesque
au tribunal

de Sarlat.

<< ainsi jusques au château, d'une marche lente et « mesurée, afin de me prêter pour un peu plus de << temps à la curiosité publique. Cependant mille << voix confuses font retentir des acclamations d'al

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légresse; et l'on entend partout ces paroles : Il « sera les délices de ce peuple. Me voilà à la « porte déjà arrivé, et les consuls commencent leur

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harangue, par la bouche de l'orateur royal. A ce <«< nom, vous ne manquez pas de vous représenter « ce que l'éloquence a de plus vif et de plus pom<< peux. Qui pourroit dire quelles furent les grâces << de son discours? Il me compara au soleil ; bientôt

après je fus la lune ; tous les autres astres les plus <<< radieux eurent ensuite l'honneur de me ressem«bler; de là, nous vinmes aux éléments et aux « météores; et nous finîmes heureusement par le «< commencement du monde. Alors le soleil étoit déjà couché; et pour achever la comparaison de « lui à moi, j'allai dans ma chambre pour me pré« parer à en faire de même. >>

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C'est du même ton de gaieté que Fénelon rend compte à la marquise de Laval d'un plaidoyer qu'il entendit à l'audience publique du tribunal de Sarlat, peu de jours après sa brillante réception à Carenac (1). « On n'a pas tous les jours un grand

(1) Lettre à la marquise de Laval, du 16 juin 1681. (Corresp. de Fénelon. Ibid. p. 11.) Issigeac, d'où est datée

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loisir, et un sujet heureux pour écrire en style « sublime. Ne vous étonnez donc pas, madame, si << vous n'avez pas vu, chaque semaine, une relation « nouvelle de mes aventures; tous les jours de la << vie ne sont pas des jours de pompe et de triomphe. « Mon entrée dans Carenac n'a été suivie d'aucun « événement mémorable; mon règne y a été si

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paisible, qu'il ne fournit aucune variété pour embellir l'histoire. J'ai quitté ce lieu-là, pour venir « trouver ici M. de Sarlat, et j'ai passé à Sarlat en «venant je m'y suis même arrêté un jour, pour << entendre plaider une cause fameuse, par les Ci« cérons de la ville. Leurs plaidoyers ne manquè<< rent pas de commencer par le commencement « du monde, et de venir ensuite, tout droit par « le déluge, jusqu'au fait. Il étoit question de don« ner du pain, par provision, à des enfants qui n'en « avoient pas. L'orateur, qui s'étoit chargé de parler aux juges de leur appétit, mêla judicieu<< sement dans son plaidoyer beaucoup de pointes « fort gentilles, avec les plus sérieuses lois du Code, et les métamorphoses d'Ovide avec des pas<< sages terribles de l'Écriture sainte. Ce mélange, << si conforme aux règles de l'art, fut applaudi les auditeurs de bon goût. Chacun croyoit

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cette lettre, est une petite ville du Périgord, où étoit la maison de campagne des évèques de Sarlat, que l'oncle de Fénelon avoit réparée et embellie avec soin. (ÉDIT.)

22.

Ode à l'abbé

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« que les enfants feroient bonne chère, et qu'une si << rare éloquence alloit fonder à jamais leur cuisine; « mais, ô caprice de la fortune! quoique l'avo«< cat eût obtenu tant de louanges, les enfants ne << purent obtenir du pain. On appointa la cause; c'est-à-dire, en bonne chicane, qu'il fut ordonné << à ces malheureux de plaider à jeun ; et les juges « se levèrent gravement du tribunal pour aller « dîner. Je m'y en allai aussi, et je partis ensuite « pour apporter à monseigneur vos lettres. Je suis « arrivé ici presque incognito, pour épargner les «< frais d'une entrée. Sur les sept heures du matin, « je surpris la ville; ainsi, il n'y a ni harangue, « ni cérémonie, dont je puisse vous régaler. Que « ne puis-je, pour réjouir mademoiselle de Laval, « vous faire part des fleurs de rhétorique qu'un prédicateur de village répandit naguère sur nous, «ses auditeurs infortunés; mais il est juste de res«pecter la chaire plus que le barreau. »

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Ce fut pendant le court séjour que Fénelon fit à de Langeron. Carenac, qu'il composa l'ode qui commence par ces

vers:

Montagnes, de qui l'audace
Va porter jusques aux cieux

Un front d'éternelle glace (1).

On doit bien croire que Fénelon n'avoit jamais

(1) OEuvres de Fénelon, t. XXI, p. 289, etc.

eu l'idée de faire imprimer cette ode; elle ne fut en effet imprimée qu'après sa mort, à la suite de la première édition du Télémaque publiée par sa famille. Elle étoit adressée à l'abbé de Langeron, qu'une heureuse conformité de caractère et de goûts avoit uni à Fénelon dès sa première jeunesse ; qui fut ensuite associé à tous les travaux et à tous les événements de sa vie ; qui vécut et mourut fidèle à l'amitié, dans l'adversité comme dans la prospérité.

Nous aurions peut-être négligé de parler de cette pièce de vers, si on n'y remarquoit combien Fénelon, encore rempli de la lecture d'Homère, avoit été frappé de bonne heure du caractère que ce grand poëte donne à Ulysse :

Des Grecs je vois le plus sage,
Jouet d'un indigne sort,
Tranquille dans son naufrage,
Et circonspect dans le port;
Vainqueur des vents en furie,
Pour sa sauvage patrie,
Bravant les flots nuit et jour.
O! combien de mon bocage
Le calme, le frais, l'ombrage
Méritent mieux mon amour!

On croit voir ici une espèce de tableau prophétique de la destinée qui étoit réservée dans la suite à Fénelon lui-même, et dont le pressentiment semble se retrouver encore dans ces vers de la même ode :

Loin, loin, trompeuse fortune,

23.

Goût de Fénelon

pour la poésie;

Et toi, faveur importune;

Le monde entier ne m'est rien.

Ce fut sans doute l'impression qui lui étoit restée, dès sa jeunesse, du caractère d'Ulysse, tel qu'Homère l'a dépeint dans l'Odyssée, qui porta dans la suite Fénelon à adapter si heureusement ce même sujet à l'instruction du duc de Bourgogne, en lui proposant pour modèle Télémaque, fils d'Ulysse. On sait d'ailleurs que Fénelon préféroit l'Odyssée à l'Iliade; il y retrouvoit une peinture plus fidèle et plus attachante des vicissitudes de la vie humaine, et des leçons plus sensibles, pour apprendre aux hommes à supporter avec courage l'injustice et le malheur.

Au reste, l'Ode à l'abbé de Langeron n'est pas Ode sur la prise le seul monument qui nous reste, du goût de Fénelon de Philisbourg. pour la poésie. On trouve, dans le recueil de ses OEuvres, quelques autres pièces de vers sur divers sujets de piété et sur quelques autres sujets dont il sera question dans la suite de cette Histoire (1). Le recueil de ces pièces ne suffit pas sans doute pour donner à Fénelon une place distinguée parmi les poëtes; et il étoit assurément très-éloigné d'aspirer à ce genre de célébrité, en composant à la hâte, et par manière de délassement, ces pièces fugitives, qu'il ne croyoit nullement destinées à voir le jour.

(1) Voyez ci-dessus, n° 13; et plus bas, no 36.

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