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bien et au mal, peu sensible à la gloire, aux sciences et aux arts, n'annonçoit à la France qu'un règne obscur et des destinées incertaines ; et cependant ce prince étoit le fils de Louis XIV, et l'élève de Bossuet et de Montausier.

Mais au moins Bossuet et Montausier n'avoient point eu à combattre des défauts effrayants, un caractère indomptable, un orgueil révoltant, des penchants irascibles, et toutes ces passions violentes que beaucoup d'esprit naturel, et une extrême aptitude à acquérir tous les talents et toutes les connoissances, pouvoient rendre encore plus fatales au repos et au bonheur des hommes.

Car tel est le portrait que tous les historiens

75.

Caractère

du duc

nous ont laissé, du caractère que le duc de Bour- de Bourgogne. gogne avoit apporté en naissant; tel étoit le prince que Fénelon étoit chargé d'élever. Sans doute un enfant de sept ans ne pouvoit pas encore s'être montré sous des formes aussi redoutables; mais il falloit bien qu'il eût laissé entrevoir, dès son premier âge et pendant les premières années de son éducation, tout ce que l'on avoit à craindre de lui; puisque ceux qui ont vanté avec la plus juste admiration ce qu'il étoit devenu, rappeloient encore avec une espèce d'effroi ce qu'il avoit été.

<«< M. le duc de Bourgogne, dit le duc de Saint« Simon (1), naquit terrible; et sa première jeu

(1) Mémoires, ch. 322, t. XVIII, p. 210, etc. En citant ce

« nesse fit trembler. Dur et colère jusqu'aux derniers <«< emportements, et jusque contre les choses inani«mées; impétueux avec fureur, incapable de souffrir « la moindre résistance, même des heures et des élé<«<ments, sans entrer en des fougues à faire craindre « que tout ne se rompît dans son corps; c'est ce dont « j'ai été souvent témoin; opiniâtre à l'excès, pas

sionné pour tous les plaisirs, la bonne chère, la «< chasse avec fureur, la musique avec une sorte de «< ravissement, et le jeu encore, où il ne pouvoit « supporter d'être vaincu, et où le danger avec lui << étoit extrême; enfin, livré à toutes les passions, <«<et transporté de tous les plaisirs; souvent farouche, naturellement porté à la cruauté, barbare en railleries, saisissant les ridicules avec une justesse qui assommoit. De la hauteur des cieux, il ne regardoit les hommes que comme des atomes, avec qui il n'avoit aucune ressemblance, quels qu'ils fussent. A peine MM. ses frères lui paroissoient in<< termédiaires entre lui et le genre humain, quoiqu'on « eut toujours affecté de les élever tous trois en« semble dans une égalité parfaite. L'esprit, la pé<«< nétration brilloient en lui de toutes parts. Jusque <«< dans ses fureurs, ses réponses étonnoient; ses rai<< sonnements tendoient toujours au juste et au pro

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passage, le cardinal de Bausset l'a quelquefois abrégé, et modifié d'après quelques autres, qui se trouvent dans le ch. 246; t. XV, p. 79, etc. (ÉDIT.)

« fond, même dans ses emportements. Il se jouoit des «< connoissances les plus abstraites. L'étendue et la « vivacité de son esprit étoient prodigieuses, et l'empêchoient de s'appliquer à une seule chose à la « fois, jusqu'à l'en rendre incapable.

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Tel étoit le prince qui fut confié à Fénelon ; tout étoit à craindre d'un pareil caractère : tout étoit à espérer d'une âme qui annonçoit tant d'énergie. Écoutons encore le duc de Saint-Simon (1): « Tant

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d'esprit et une telle sorte d'esprit, joint à une telle

vivacité, à une telle sensibilité, à de telles passions, « et toutes si ardentes, n'étoient pas d'une éducation « facile. Le duc de Beauvilliers, qui en sentoit égale« ment les difficultés et les conséquences, s'y surpassa « lui-même, par son application, sa patience, la variété « des remèdes.... Fénelon, Fleury, quelques gentils« hommes de la manche, Moreau, premier valet de chambre, fort au-dessus de son état,.., quelques « rares valets de l'intérieur, le duc de Chevreuse, « seul du dehors, tous mis en œuvre, et tous en << même esprit, travaillèrent chacun sous la direction « du gouverneur, dont l'art déployé dans un récit <«< feroit un juste ouvrage également curieux et in<< structif. Le prodige est, qu'en très-peu de temps la « dévotion et la grâce en firent un autre homme, « et changèrent tant et de si redoutables défauts en

(1) Mémoires, t. XVIII, p. 212; t. XV, p. 80.

76.

Son éducation

morale.

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« vertus parfaitement contraires. De cet abîme sor« tit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, modeste, humble et austère pour soi. « Tout appliqué à ses obligations, et les compre<«< nant immenses, il ne pensa plus qu'à allier les de« voirs de fils et de sujet, avec ceux auxquels il se « voyoit destiné, »

que

Mais que de soins, d'attention, de patience; que d'art, d'habileté; quel esprit d'observation; de délicatesse et de variété dans le choix des moyens ne fallut-il pas, pour opérer une révolution aussi extraordinaire dans le caractère d'un enfant, d'un prince, d'un héritier du trône? Je dirai plus : si ses instituteurs n'avoient pas été les plus vertueux des hommes; si leur élève, dont la pénétration étoit si redoutable, avoit surpris en eux la plus légère apparence de foiblesse ou d'inconséquence, tout leur art, tous leurs soins, toute leur application étoient perdus. Ils durent bien moins le succès inespéré de cette éducation à leur génie et à leurs talents, qu'à leurs vertus et à leurs qualités.

Fénelon reconnut bientôt que la partie de l'éducation qui excite ordinairement le plus le zèle des instituteurs et l'amour-propre des parents, la partic de l'instruction, seroit celle qui lui donneroit le moins de peine. Il pressentit qu'avec l'esprit et les dispositions singulières que son élève avoit reçus de la nature, il feroit des progrès rapides dans tous

les genres de connoissances qui distinguent les esprits supérieurs, et qui n'appartiennent pas toujours aux enfants des rois. Mais le plus difficile étoit de dompter d'abord cette âme si violemment constituée, d'en conserver toutes les qualités nobles et généreuses, d'en séparer toutes les passions trop fortes, et de former de cette nouvelle création morale, un prince tel que le génie de Fénelon l'avoit conçu pour le bonheur de l'humanité. En un mot, il voulut réaliser le beau idéal de la vertu sur le trône, comme les artistes de l'antiquité cherchoient à imprimer à leurs ouvrages ce beau idéal, qui donnoit aux formes humaines une expression surnaturelle et céleste.

L'enfant confié aux soins de Fénelon étoit appelé à régner; et Fénelon voyoit, dans cet enfant, la France entière, qui attendoit son bonheur ou son malheur du succès de ses soins. Ainsi il n'eut qu'une seule méthode, celle de n'en avoir aucune; ou plutôt, il ne se prescrivit qu'une seule règle, celle d'observer à chaque moment le caractère du jeune prince, de suivre avec une attention calme et patiente, toutes les variations et tous les écarts de ce tempérament fougueux, et de faire toujours ressortir la leçon de la faute même.

Une pareille éducation devoit être en action bien plus qu'en instruction: l'élève ne pouvoit jamais prévoir la leçon qui l'attendoit, parce qu'il ne pouvoit

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