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que du bonheur de l'Église et de l'État ; aujourd'hui que j'ai eu le loisir de réfléchir avec plus « d'attention sur votre joie, elle m'en a donné une « très-sensible. Monsieur votre père (1), un ami de «< si grand mérite et si cordial, m'est revenu dans l'esprit. Je me suis représenté comme il seroit à a cette occasion, et à un si grand éclat d'un mérite qui se cachoit avec tant de soin. Enfin, Madame, « nous ne perdrons pas M. l'abbé de Fénelon ; vous « pourrez en jouir; et moi, quoique provincial, je m'échapperai quelquefois pour l'aller embrasser. Recevez, je vous en conjure, les témoignages de «< ma joie, et les assurances du respect avec lequel je suis, Madame, votre très-humble et très-obéisa sant serviteur,

« J. Bénigne, évêque de Meaux. »

Madame de Maintenon a dit plus d'une fois, dans ses Entretiens particuliers, imprimés longtemps après sa mort, « qu'elle avoit contribué à « faire nommer l'abbé de Fénelon précepteur de « M. le duc de Bourgogne (1). » Il est en effet assez vraisemblable, que liée, comme elle l'étoit alors, avec le duc de Beauvilliers, le nouveau gouverneur

(1) Le marquis Antoine de Fénelon.

(2) VIII Entret. (t. V des Mémoires de madame de Maintenon, p. 174.)

66. Cette nomination

universellement applaudie.

avoit pris la précaution de la prévenir, pour s'assurer l'agrément du Roi. Il étoit à craindre que Louis XIV n'eût conservé les préventions qu'on avoit cherché à lui donner, et dont on s'étoit servi pour exclure Fénelon de l'évêché de Poitiers et de celui de la Rochelle.

A peine le choix du nouveau gouverneur et du nouveau précepteur fut-il devenu public, que toute la France retentit d'applaudissements. Cependant ce choix étoit tombé sur deux hommes, dont l'un, obligé par ses emplois d'habiter la cour, y vivoit dans une profonde retraite; et l'autre n'avoit encore d'autre titre, que celui de supérieur d'une communauté de femmes. Mais l'un n'avoit pu échapper à la renommée, malgré sa modestie; et l'autre avoit révélé, sans le vouloir, le secret de son âme et de son génie, dans deux ouvrages, où il ne s'étoit proposé que d'être utile à l'Eglise et à l'amitié.

Nous avons déjà parlé (1) de l'hommage que l'Académie d'Angers rendit à Fénelon, dès le moment où il fut nommé précepteur. Le même discours renfermoit un éloge du duc de Beauvilliers, dont il dut être d'autant plus touché, qu'il n'étoit que le simple récit de ses bienfaits. On y parloit, sans pompe et sans ostentation, des établissements utiles qu'il avoit formés dans tous les lieux où il possédoit

(1) Ci-dessus, p. 115.

des terres, dans les villes où il commandoit, dans les provinces qu'il gouvernoit. On ignoroit à la cour tous ces détails d'une bienfaisance utile et éclairée; et il fallut que la voix reconnoissante des provinces le plus éloignées vînt apprendre à Paris et à Versailles les secrets de cette âme si simple et si modeste.

Mais au milieu de ce concert d'applaudissements, de suffrages honorables, de témoignages flatteurs ; au milieu de cet empressement des courtisans, de cette satisfaction peut-être exagérée, qu'une fortune inattendue et une élévation prématurée dictent souvent à l'opinion publique; au milieu des éloges plus sincères que ce triomphe éclatant de la vertu mettoit dans la bouche de tous les amis de la religion et de la patrie; une voix plus grave et plus austère, une voix que son cœur étoit accoutumé depuis tant d'années à interroger avec docilité, se fit entendre à Fénelon, et vint le prémunir contre l'ivresse dangereuse de ses succès, pour le rappeler à de sérieuses réflexions sur les devoirs et les dangers de sa nouvelle condition. M. Tronson lui écrivit la lettre suivante (1): « Vous serez peut-être surpris, Monsieur, de ne m'avoir pas trouvé dans la « foule de ceux qui vous ont félicité de la grâce « que Sa Majesté vient de vous faire; mais je vous

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(1) Corresp. de Fénelon, t. II, p. 307.

67. Lettre de M. Tronson à Fénelon, sur ce sujet.

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prie très-humblement de ne pas condamner ce petit retardement ; j'ai cru que, dans une conjonc« ture où je m'intéressois si fort, je ne pouvois rien «< faire de mieux que de commencer par adorer les « desseins de Dieu sur vous, et lui demander pour << vous la continuation de ses miséricordes. J'ai tâché « de faire l'un et l'autre, le moins mal que j'ai pu. « Je puis vous assurer après cela, que j'ai eu une « vraie joie d'apprendre que vous aviez été choisi.

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« Le Roi a donné dans ce choix une nouvelle << marque de sa piété, et un témoignage sensible « de son grand discernement; et cela est assuré«ment fort consolant. L'éducation, dont Sa Ma«< jesté a cru vous devoir confier le soin, a de si grandes liaisons avec le bonheur de l'État et le « bien de l'Église, qu'il ne faut être que bon François et un peu chrétien, pour être ravi qu'elle <«< soit en si bonnes mains. Mais je vous avoue fort ingénument, que ma joie se trouve bien mêlée « de craintes, en considérant les périls auxquels « vous êtes exposé; car on ne peut nier que, dans « le cours ordinaire des choses, notre élévation << ne nous rende notre salut difficile. Elle vous ouvre « la porte aux dignités de la terre; mais vous devez «< craindre qu'elle ne vous la ferme aux solides «< grandeurs du ciel. Il est vrai que vous pouvez « faire de très-grands biens dans la situation où << vous êtes; mais vous pouvez aussi vous y ren

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« dre coupable de très-grands maux. Il n'y a rien de « médiocre dans un tel emploi ; le bon ou le mau<< vais succès y ont presque toujours des suites infianies. Vous voilà dans un pays où l'Évangile de « Jésus-Christ est peu connu, et où ceux mêmes qui « le connoissent ne se servent ordinairement de « cette connoissance, que pour s'en faire honneur auprès des hommes. Vous vivez maintenant parmi « des personnes dont le langage est tout païen, et « dont les exemples entraînent quasi toujours vers « les choses périlleuses. Vous vous verrez envi« ronné d'une infinité d'objets qui flattent les sens, << et qui ne sont propres qu'à réveiller les passions <«<les plus assoupies. Il faut une grande grâce et « une prodigieuse fidélité, pour résister à des impressions si vives et si violentes en même temps. « Les brouillards horribles qui règnent à la cour, sont capables d'obscurcir les vérités les plus claires et << les plus évidentes. Il ne faut pas y avoir été bien << longtemps, pour regarder comme outrées et exces«< sives des maximes qu'on avoit si souvent goûtées, « et qu'on avoit jugées si certaines lorsqu'on les << méditoit au pied du crucifix. Les obligations les << mieux établies deviennent insensiblement ou dou<< teuses ou impraticables; il se présentera mille oc« casions où vous croirez, même par prudence et par charité, devoir un peu ménager le monde. Et ce

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pendant quel étrange état est-ce pour un chrétien,

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