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sa dureté et sa sordidité n'est plus qu'une sage modération et une bonne conduite domestique. Devant un grand, ses préjugés et ses erreurs trouvent toujours en nous des apologies toutes prêtes; on respecte ses passions comme son autorité, et ses préjugés deviennent toujours les nôtres. Enfin nous empruntons les erreurs de tous ceux avec qui nous vivons; nous nous transformons en d'autres eux-mêmes; notre grande étude est de connoître leurs foiblesses pour nous les approprier: nous n'avons point de langage à nous, nous parlons toujours le langage des autres; nos discours ne sont qu'une répétition de leurs préjugés, et cet indigne avilissement de la vérité, nous l'appelons la science du monde, la prudence qui sait prendre son parti, le grand art de réussir et de plaire.

AVENT.

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SUR LA MÉDISANCE.

TEL est le caractère du détracteur, de cacher sous

les dehors de l'estime et les douceurs de l'amitié le fiel et l'amertume de la médisance.

Or, quoique ce soit ici le seul vice que nulle circonstance ne sauroit jamais excuser, c'est celui qu'on est le plus ingénieux à se déguiser à soimême, et à qui le monde et la piété font aujourd'hui plus de grâce. Ce n'est pas que le caractère du médisant ne soit odieux devant les hommes comme il est abominable aux yeux de Dieu, selon

l'expression de l'Esprit saint; mais on ne comprend dans ce nombre que certains médisants d'une malignité plus noire et plus grossière, qui médisent sans art et sans ménagement, et qui, avec assez de malice pour censurer, n'ont pas assez de cet esprit qu'il faut pour plaire: or les médisants de ce caractère sont plus rares; et si l'on n'avoit à parler qu'à eux, il suffiroit d'exposer ici ce que la médisance a d'indigne de la raison et de la religion, et en inspirer de l'horreur à ceux qui s'en reconnoissent coupables.

Mais il est une autre sorte de médisants qui condamnent ce vice, et qui se le permettent; qui déchirent sans égard leurs frères, et qui s'applaudissent encore de leur modération et de leur réserve, qui portent le trait jusqu'au cœur; mais, parce qu'il est plus brillant et plus affilé, ne voient pas la plaie qu'il a faite. Or ce genre de médisants est répandu partout.

La langue du détracteur est un feu dévorant qui flétrit tout ce qu'il touche; qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le sacré ; qui ne laisse partout où il a passé que la ruine et la désolation; qui creuse jusque dans les entrailles de la terre, et va s'attacher aux choses les plus cachées; qui change en de viles cendres ce qui nous avoit paru il n'y a qu'un moment si précieux et si brillant; qui, dans le temps même qu'il paroît couvert et presque éteint, agit avec plus de violence et de danger que jamais; qui noircit ce qu'il ne

L

peut consumer; et qui sait plaire et briller quelquefois avant que de nuire. C'est un orgueil secret qui nous découvre la paille dans l'œil de notre frère, et nous cache la poutre qui est dans le nôtre une envie basse qui, blessée des talents ou de la prospérité d'autrui, en fait le sujet de sa censure, et s'étudie à obscurcir l'éclat de tout ce qui l'efface une haine déguisée, qui répand sur ses paroles l'amertume cachée dans le cœur: une duplicité indigne, qui loue en face et déchire en secret : une légèreté honteuse, qui ne sait pas se vaincre et se retenir sur un mot, et qui sacrifie souvent sa fortune et son repos à l'imprudence, d'une censure qui sait plaire : une barbarie de sang-froid, qui va percer votre frère absent : enfin la médisance est un mal inquiet, qui trouble la société; qui jette la dissension dans les cours et dans les villes; qui désunit les amitiés les plus étroites; qui est la source des haines et des vengeances; qui remplit tous les lieux où elle entre de désordre et de confusion; partout ennemie de la paix, de la douceur, de la politesse chrétienne : c'est une source pleine d'un venin mortel; tout ce qui en part est infecté, et infecte tout ce qui l'environne; ses louanges mêmes sont empoisonnées; ses applaudissements malins; son silence criminel; ses gestes, ses mouvements, ses regards, tout a son poison, et le répand à sa

manière.

On ne voudroit pas perdre un homme de réputation, et ruiner sa fortune, en le déshonorant

dans le monde; flétrir une femme sur le fonds de sa conduite, et en venir à des points essentiels; cela seroit trop noir et trop grossier; mais sur mille défauts qui conduisent nos jugements à les croire coupables de tout le reste; mais de jeter dans l'esprit de ceux qui nous écoutent mille soupçons qui laissent entrevoir ce qu'on n'oseroit dire; mais de faire des remarques satiriqués qui découvrent du mystère où personne n'en voyoit auparavant; mais de donner du ridicule, par des interprétations empoisonnées, à des manières qui jusque-là n'avoient pas réveillé l'attention; mais de laisser tout entendre sur certains points, en protestant qu'on n'y entend pas finesse soi-même, c'est de quoi le monde fait peu de scrupule; et quoique les motifs, les circonstances, les suites de ces discours soient très criminels, la gaité en excuse la malignité auprès de ceux qui nous écoutent, et nous en cache le crime à nous-mêmes.

Vous pouvez expier le crime de la haine par l'amour de votre ennemi; le crime de l'ambition, en renonçant aux honneurs et aux pompes du siècle; le crime de l'injustice, en restituant ce que vous avez ravi à vos frères; le crime même de l'impiété et du libertinage, par un respect religieux et public pour le culte de vos pères : mais le crime de la détraction, par quel remède, quella vertu peut-il se réparer? Vous n'avez révélé qu'à un seul les vices de votre frère : je le veux; mais çe confident infortuné en aura bientôt à son tour

plusieurs autres qui, de leur côté, ne regardant plus comme un secret ce qu'ils viennent d'apprendre, en instruiront les premiers venus: chacun, en les redisant, y ajoutera de nouvelles circonstances; chacun y mettra quelque trait envenimé de sa façon; à mesure qu'on les publiera, ils croîtront, ils grossiront: semblable, dit saint Jacques, à une étincelle de feu qui, portée en différents lieux par un vent impétueux, embrase les forêts et les campagnes : telle est la destinée de la détraction. Ce que vous avez dit en secret n'étoit rien d'abord, et périssoit étouffé et enseveli sous la cendre; mais ce feu ne couve que pour se rallumer avec plus de fureur; mais ce rien va emprunter de la réalité en passant par différentes bouches chacun y ajoutera ce que sa passion, son intérêt, le caractère de son esprit et de sa malignité lui représentera comme vraisemblable : la source sera presque imperceptible; mais grossie dans sa course par mille ruisseaux étrangers, le torrent qui s'en formera inondera la cour, la ville, la province; et ce qui n'étoit d'abord dans son origine qu'une plaisanterie secrète et imprudente, qu'une simple réflexion, qu'une conjecture maligne, deviendra une affaire sérieuse, un décri formel et public, le sujet de tous les entretiens, une flétrissure éternelle pour votre frère. Et alors réparez, si vous pouvez, cette injustice et ce scandale; rendez à votre frère l'honneur que vous lui avez ravi. CARÊME, III.

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