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peine celle des travaux qui l'ont méritée; et qu'une vie si rapide se passe à chercher avec tant de fatigue des biens qui doivent finir avec elle.

CARÊME, IV.

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AMBITION.

Un homme livré à l'ambition se laisse-t-il rebuter par les difficultés qu'il trouve sur son chemin? il se refond, il se métamorphose, il force son naturel, et l'assujettit à sa passion. Né fier et orgueilleux, on le voit, d'un air timide et soumis, cssuyer les caprices d'un ministre, mériter par mille bassesses la protection d'un subalterne en crédit, et se dégrader jusqu'à vouloir être redevable de sa fortune à la vanité d'un commis, ou à-l'avarice d'un esclave: vif et ardent pour le plaisir, il consume ennuyeusement dans des antichambres, et à la suite des grands, des moments qui lui promettoient ailleurs mille agréments; ennemi du travail et de l'embarras, il remplit des emplois pénibles; prend non-seulement sur ses aises, mais encore sur son sommeil et sur sa santé, de quoi y fournir: enfin d'une humeur serrée et épargnante, il devient libéral, prodigue même, tout est inondé de ses dons; et il n'est pas jusqu'à l'affabilité et aux égards d'un domestique qui ne soient le prix de ses largesses. MYSTÈRES.

L'ambition, ce désir insatiable de s'élever au

dessus et sur les ruines mêmes des autres, ce ver qui pique le cœur et ne le laisse jamais tranquille, cette passion qui est le grand ressort des intrigues et de toutes les agitations des cours, qui forme les révolutions des Etats, et qui donne tous les jours à l'univers de nouveaux spectacles; cette passion, qui ose tout, et à laquelle rien ne coûte, est un vice encore plus pernicieux aux empires que la paresse même.

Déjà il rend malheureux celui qui en est possédé; l'ambitieux ne jouit de rien; ni de sa gloire, il la trouve obscure; ni de ses places, il veut monter plus haut; ni de sa prospérité, il sèche et dépérit au milieu de son abondance; ni des hommages qu'on lui rend, ils sont empoisonnés par ceux qu'il est obligé de rendre lui-même; ni de sa faveur, elle devient amère dès qu'il faut la partager avec ses concurrents; ni de son repos, il est malheureux à mesure qu'il est obligé d'être plus tranquille c'est un Aman, l'objet souvent des désirs et de l'envie publique, et qu'un seul honneur refusé à son excessive autorité rend insupportable à lui-même.

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L'ambition le rend donc malheureux; mais, de plus, elle l'avilit et le dégrade. Que de bassesses pour parvenir ! il faut paroître, non pas tel qu'on est, mais tel qu'on nous souhaite. Bassesse d'aduJation, on encense et on adore l'idole qu'on méprise; bassesse de lâcheté, il faut savoir essuyer des dégoûts, dévorer des rebuts, et les recevoir presque comme des grâces; bassesse de dissimula

tion, point de sentiments à soi, et ne penser que
d'après les autres; bassesse et déréglement, deve-
nir les complices et peut-être les ministres des pas-
sions de ceux de qui nous dépendons, et entrer en
part
de leurs désordres pour participer plus sûre-
ment à leurs grâces; enfin bassesse même d'hy-
pocrisie, emprunter quelquefois les apparences de
la piété, jouer l'homme de hien pour parvenir; et
faire servir à l'ambition la religion même qui la `
condamne. Ce n'est point là une peinture imagi-

née;
ce sont les mœurs des cours, et l'histoire de
la plupart de ceux qui y vivent.

Qu'on nous dise, après cela, que c'est le vice des grandes âmes: c'est le caractère d'un cœur lâche et rampant; c'est le trait le plus marqué d'une âme vile. Le devoir tout seul peut nous mener à la gloire celle qu'on doit aux bassesses et aux intrigues de l'ambition porte toujours avec elle un caractère de honte qui nous déshonore; elle ne promet les royaumes du monde et toute leur gloire qu'à ceux qui se prosternent devant l'iniquité, et qui se dégradent honteusement eux-mêmes. On reproche toujours vos bassesses à votre élévation; vos places rappellent sans cesse les avilissements qui les ont méritées ; et les titres de vos honneurs et de vos dignités deviennent eux-mêmes les traits publics de votre ignominie. Mais, dans l'esprit de l'ambitieux, le succès couvre la honte des moyens : il veut parvenir, et tout ce qui le mène là est la seule gloire qu'il cherche; il regarde ces vertus romaines, qui ne veulent rien devoir qu'à la pro

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bité, à l'honneur et aux services, comme des vertus de roman et de théâtre, et croit que l'élévation des sentiments pouvoit faire autrefois les héros de la gloire, mais que c'est la bassesse et l'avilissement qui fait aujourd'hui ceux de la fortune.

Aussi l'injustice de cette passion en est un dernier trait encore plus odieux que ses inquié'tudes et sa honte. Oui, un ambitieux ne connoît de loi que celle qui le favorise; le crime qui l'élève est pour lui comme une vertu qui l'ennoblit. Ami infidèle, l'amitié n'est plus rien pour lui dès qu'elle intéresse sa fortune mauvais citoyen, la vérité ne lui paroît estimable qu'autant qu'elle lui est utile : le mérite qui entre en concurrence avec lui est un ennemi auquel il ne pardonne point l'intérêt public cède toujours à son intérêt propre ; il éloigne des sujets capables, et se substitue à leur place; il sacrifie à ses jalousies le salut de l'Etat ; et il verroit avec moins de regret les affaires publiques périr entre ses mains, que sauvées par les soins et par les lumières d'un autre.

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Telle est l'ambition dans la plupart des hommes; inquiète, honteuse, injuste. Mais, sire, si ce poison gagne et infecte le cœur du prince; si le souverain, oubliant qu'il est le protecteur de la tranquillité, publique, préfère sa propre gloire à l'amour et au salut de ses peuples; s'il aime mieux conquérir des provinces que régner sur les coeurs; s'il lui paroît plus glorieux d'être le destructeur de ses voisins que le père de son peuple; si le deuil et la désolation de ses sujets est le seul chant

de joie qui accompagne ses victoires; s'il fait servir à lui seul une puissance qui ne lui est donnée que pour rendre heureux ceux qu'il gouverne; en un mot, s'il n'est roi que pour le malheur des hommes, et que,' comme ce roi de Babylone, il ne veuille élever la statue impie, l'idole de sa grandeur, que sur les larmes et les débris des peuples et des nations; grand Dieu! quel fléau pour la terre quel présent faites-vous aux hommes dans votre colère, en leur donnant un tel maître!

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Sa gloire, sire, sera toujours souillée de sang : quelque insensé chantera peut-être ses victoires; mais les provinces, les villes, les campagnes en pleureront oǹ lui dressera des monuments superbes pour immortaliser ses conquêtes; mais les cendres encore fumantes de tant de villes autrefois florissantes, mais la désolation de tant de campagnes dépouillées de leur ancienne beauté; mais les ruines de tant de murs sous lesquelles des citoyens paisibles ont été ensevelis, mais tant de calamités qui subsisteront après lui, seront des monuments lugubres qui immortaliseront sa vanité et sa folie. Il aura passé comme un torrent 1 pour ravager la terre, et non comme un fleuve majestueux pour y porter la joie et l'abondance: son nom sera écrit dans les annales de la postérité parmi les conquérants, mais il ne le sera pas parmi les bons rois, et l'on ne rappellera l'histoire de son règne que pour rappeler le souvenir des maux qu'il a faits aux hommes. Ainsi son orgueil sera

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