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finis, après que leur ligue sera désunie. Je n'ai | prendre les armes, puisque ces places n'auroient

rien à dire contre cette défiance. Mais n'avons nous pas autant à craindre de notre côté? Nous ne saurions leur donner quatre places d'otage en Flandre, à notre choix, sans ouvrir toute notre frontière jusqu'aux portes de Paris, qui en est très voisin. Ce seroit encore pis si les ennemis choisissoient les quatre places. Sur le moindre prétexte ou ombrage, ils soutiendroient que nous aurions aidé d'hommes ou d'argent le roi d'Espagne : en voilà assez pour garder nos quatre places, comme les Hollandois gardent Maestricht; alors ils seroient les maîtres d'entrer en France. Quand même cet inconvénient n'arriveroit pas, ils pourroient au moins dans le congrès demander que les quatre places de dépôt leur demeurassent pour toujours en propriété, puisqu'ils seront libres de demander alors tout ce qu'ils jugeront à propos de demander. Je comprends que le préliminaire subsiste toujours tout entier comme simple préliminaire, en sorte qu'il n'y a que l'article 57, sur la garantie de l'évacuation d'Espagne, que le roi n'accepte point: au lieu d'accepter cet article, le roi offre quatre places d'otage qui répondent de sa bonne foi. Pour moi, je crois que le roi n'en sauroit donner quatre, quelles qu'il les choisisse dans cette frontière, sans ouvrir la France aux alliés; et par conséquent que le gage de sa bonne foi est si suffisant, qu'ils n'ont rien à craindre. C'est nous qui aurons à craindre tout d'eux, car ils auront dans leurs mains les clefs du royaume. En ce cas ils pourront dire que la convention, qui n'est qu'un simple préliminaire, ne les exclut d'aucune prétention ultérieure, et ils pourront prétendre que les quatre places données en otage par le préliminaire devront leur demeurer finalement par le traité de paix; c'est à quoi on ne sauroit trop prendre garde. J'avois toujours desiré que ces places fussent déposées, non dans leurs mains, mais dans celles des Suisses, ou de quelque autre puissance neutre. On pourroit marquer dans le préliminaire toutes les places auxquelles les alliés borneroient leurs prétentions pour le congrès même : ainsi le préliminaire ne seroit préliminaire que de nom à l'égard de nos places; il nous assureroit pour toujours la propriété des quatre mêmes, qu'on ne déposeroit que pour un certain temps expressément borné il ne seroit véritablement préliminaire que pour les articles incidents de nos alliés, ou des alliés de nos ennemis. Enfin il faudroit qu'on donnât au roi une sûreté, afin que, si le congrès venoit à se rompre, les ennemis commençassent par nous rendre nos quatre places de dépôt avant que de

été mises en dépôt que pour le congrès. Comme je ne sais rien des propositions faites de part et d'autre, ni de ce qui fait la difficulté qui reste, je marche à tâtons, et je parle au hasard. Mais voici trois points principaux que je souhaiterois. Le premier est de ne rompre point, et de ne se rebuter d'aucune difficulté; mais de négocier avec une patience sans bornes, pour les vaincre toutes, puisque nous sommes dans une si périlleuse situation, si la paix vient à nous manquer. Le second est de ne perdre pourtant pas un moment pour la conclusion, si on peut y parvenir; car un retardement amène la campagne, et la campagne, dans le désordre où nous sommes, peut culbuter tout. Le troisième est de ne se laisser point amuser par de vaines espérances, et de tenter l'impossible pour se préparer à soutenir la campagne, à moins que vous n'ayez la paix sûre dans vos mains: un mécompte renverseroit tout. Je prie Dieu qu'on prenne de justes mesures. Au nom de Dieu, parlez au bon (duc de Beauvilliers), à M. de Torcy, à M. Voysin, etc. Ce que M. le chevalier de Luxembourg, M. de Bernières, et tous les autres, me disent de l'état des troupes et de la frontière, doit faire craindre tout ce qu'on peut s'imaginer de plus terrible.

J'espère que quand le P. Le Tellier aura vu mes divers écrits, vous aurez la bonté de me les renvoyer. Il y a celui qui est destiné pour Rome. qui doit en prendre au plus tôt le chemin, si on le trouve utile. On peut le corriger, et le faire transcrire par une main bien sûre, si on le croit nécessaire. Pour les autres, on peut ou les faire imprimer, ou me les renvoyer.

Je commence à rentrer dans mon travail sur saint Augustin: je vais refaire l'ouvrage tout entier. Il faut de la santé, du loisir, et un grand secours de la lumière de Dieu. J'avoue qu'il me paroit queje ne dois pas retarder cet ouvrage ; je puis mourir : je l'exécuterois plus mal dans un âge plus avancé. Il faut le mettre en état, et puis il paroîtra quand Dieu en donnera les ouvertures.

Je ne saurois exprimer, mon bon duc, à quel point je suis dévoué à notre bonne duchesse; la voilà chargée d'un nouveau poids. Mandez-moi. si vous le pouvez, un mot sur les deux jeunes mariés; je ne puis m'empêcher d'être curieux et vif sur tout ce qui vous touche, vous et la bonne duchesse. Je souhaite que ces deux jeunes personnes se tournent bien.

Dieu soit lui seul, mon bon duc, en vous toutes choses, l'alpha et l'oméga.

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Que vous dirai-je, mon très cher monsieur, sinon qu'étant un parfaitement honnête homme à l'égard du monde, vous n'êtes pour Dieu qu'un vilain ingrat? Voudriez-vous combler de bienfaits et de marques de tendresse un ami qui seroit aussi tiède, aussi négligent et aussi volage que vous l'êtes pour Dieu? Malgré tant de sujets de vous gronder, je vous aime du fond du cœur; mais je veux que vous ne lassiez point la patience de Dieu, et que vous preniez sur vos goûts d'amusement et de vaine curiosité, plutôt que sur vos devoirs de religion. Eh! que sacrifierez-vous à Dieu, si vous n'avez pas même le courage de lui sacrifier ce qui est si superflu? C'est lui refuser la rognure de vos ongles et le bout de vos cheveux.

Pour votre avancement à la cour, je me borne à deux points: le premier est que vous ne ferez ni injustice, ni bassesse, ni tour faux, pour parveair, et que vous vous contenterez de demander avec modestie et noblesse les grades pour lesquels votre tour sera venu, suivant les règles : le second est que vous ne desirerez au fond de votre cœur et avancement permis, que d'une manière tranquille, modérée, et entièrement soumise à la Proidence. L'ambition ne porte pas son reproche vec elle, comme d'autres passions grossières et onteuses. Elle naît insensiblement, elle prend acine; elle pousse, elle étend ses branches sous e beaux prétextes; et on ne commence à la senir que quand elle a empoisonné le cœur. Défiezous-en: elle allume la jalousie; elle se tourne en varice dans les hommes les plus désintéressés; le gâte les plus beaux naturels; elle éteint l'esrit de grace. Voyez les vifs courtisans; craignez e leur ressembler. Veillez et priez, de peur que ous n'entriez en tentation. Ce qu'on appelle un ste courtisan, et un homme éveillé pour sa forine, est un homme bien odieux. Méritez sans esure, demandez modestement, desirez très eu. Mais n'allez pas, faute d'ambition, vous en

3.

foncer dans un cabinet, pour mettre des machines en la place du monde et de Dieu même.

Bonsoir, monsieur. Me pardonnez-vous d'en tant dire? Je vous aime trop pour en dire moins, dussiez-vous m'en faire la moue. Mille respects à madame la vidame. Je prie Dieu de bon cœur pour elle; mais ne le lui dites pas car elle fait peutêtre comme un quelqu'un qui me faisoit dire que je ne priasse pour lui que quand il me le demanderoit, de peur qu'on n'obtînt sa conversion avant qu'il voulût bien se convertir. Elle est bonne et noble il la faut gagner peu à peu, par confiance et par édification, sans la presser.

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Je reçus hier, mon bon duc, votre grande et bonne lettre. Dieu vous rende tout ce que vous faites pour lui!

1° Je ne connois point assez M. l'abbé Alamanni pour compter absolument sur son cœur. Quand j'ai fait mon écrit, j'ai cru le faire selon Dieu; de façon que si, à toute extrémité, il revenoit en France, il ne montrât rien qu'un vrai zèle pour l'Église de France, et même pour l'état. Ce sont mes vrais sentiments, et il me semble que les deux côtés ne doivent point les improuver. Je comprends bien que les deux extrémités doivent naturellement être choquées du milieu; je comprends aussi qu'on peut, en France, être scandalisé d'un François qui va contre certains préjugés fort répandus dans la nation; je comprends même que je serai plus contredit que tout autre, quand je prendrai la liberté de vouloir mettre en doute ces préjugés; et que mes ennemis, qui sont puissants, subtils et en grand nombre, donneront un tour malin et outré à ce que j'aurai dit. Mais que conclure de là? Qu'il ne me convient que de me taire. J'y suis tout prêt, et je n'y aurai, si je ne me trompe, aucune peine. On m'a pressé d'écrire mes pensées ; je l'ai fait par rapport à de pressants besoins de l'Église. Jugez-en, mon bon duc, devant Dieu avec le P. Le Tellier. Je suis content ou qu'on brûle mon écrit, ou qu'on l'envoie pour essayer de faire le bien, au péril de ce qui en pourra arriver. Décidez tous deux, Dieu étant au milieu de vous, et mandez-moi votre décision.

2o Je suis ravi de ce que la bulle ne passera point par l'examen de l'assemblée. Cette conduite

servira non-seulement à mettre la bulle en sûreté |
mais en-
contre tout terme indirect et captieux,
core à faire sentir que le roi n'a voulu rien con-
fier au président'. Il faut de tels coups pour le
décréditer parmi les évêques et les docteurs.

5° J'avoue que j'ai quelque répugnance à donner encore au public un écrit contre M. de SaintPons, après la bulle. Il paroît abattu; il se tait. Il y a quelque alliance entre sa famille et la mienne, avec quelque amitié; c'est un prélat de quatrevingts ans. Ne trouveroit-on pas que je lui insulterois encore après sa chute, si j'écrivois encore contre lui? J'avoue que s'il ne se soumet pas, il est fâcheux de le voir retranché dans son silence respectueux contre la bulle, sans qu'on ose procéder canoniquement. En même temps, le parti écrit pour lui: décidez sur ce que je dois à l'Église.

4° Je sais ce qu'on a mandé au P. Le Tellier sur M. With: c'est un discours qui vient des amis du P. Quesnel. Il n'y a point d'apparence que M. With donne jamais un désaveu de sa Dénonciation; faute de quoi la Dénonciation subsiste, et mérite qu'on en tire tous les avantages qui alarment le P. Quesnel.

5o M. le maréchal d'Huxelles, qui ne fut céans qu'un demi quart-d'heure devant tout le monde, me dit qu'il ne voyoit point de mesures bien prises pour la paix; qu'il y craignoit un grand mécompte; que ses pouvoirs étoient bornés, et qu'il couroit risque de me revoir bientôt. M. l'abbé de Polignac me parla avec un peu plus d'espérance, mais beaucoup de crainte. Helvétius, qui m'est venu voir en passant, m'a dit, sous un grand secret que je vous conjure de garder inviolablement, que la difficulté de la paix paroît insurmontable; que les ennemis veulent la paix de très bonne foi, mais avec l'évacuation d'Espagne ; que les Hollandois, ayant fait le pas d'envoyer des passeports à nos plénipotentiaires, ont sans doute quelque expédient à proposer; que le roi est disposé à accepter tout plutôt que de continuer la guerre; et qu'ainsi il croit la paix, malgré la grande difficulté de trouver un bon tempérament. Pour les places d'otage, ce seroit un adoucissement si elles n'étoient qu'un dépôt dans les mains neutres des Suisses; mais, si on les confioit aux ennemis, il seroit trop dangereux que Cambrai fût l'une de ces places; car, outre qu'elle est très voisine de Paris, de plus c'est un fief ecclésiastique de l'Empire qui n'a jamais été cédé ni par l'Empire, ni

Le cardinal de Noailles.

par le pape, ni par l'église de Cambrai. Le roi n'a fait qu'entrer dans les droits des rois d'Espagne. qui n'en avoient aucun. Je vous avoue, mon bon duc, que je pense précisément comme vous en faveur de toute paix qui sera une paix réelle. C'est le dedans, c'est le centre qui en rend le besoin plus pressant qué la frontière même. Les lettres de Hollande font beaucoup plus douter de la paix depuis quelques jours qu'auparavant.

6o Je suis charmé de tout ce que vous me mandez de votre petit joli mariage, qui est encore tout neuf. Dieu, bénissez ces enfants! Je ne vois rien de meilleur que de les observer sans gêne, de les occuper gaiement, de les instruire chacun de so: côté, de régler leur société aux heures publiques des repas et des conversations de la famille. Si la paix vient, vous pourrez faire voyager M. le dur de Luynes; mais il faudroit trouver un homme bien sensé, qui lui fit remarquer tout ce que le pays étrangers ont de bon et de mauvais, pour ev faire une juste comparaison avec nos mœurs d notre gouvernement. Il est honteux de voir combien les personnes de la plus haute condition de France ignorent les pays étrangers, où ils ont néanmoins voyagé; et à quel point ils ignorent, de plus, notre propre gouvernement et le véritabl état de notre nation. Pour la jeune duchesse, ja crois que madame la duchesse de Chevreuse doit la traiter fort doucement, ne se presser point de la reprendre sur ses défauts, parce qu'il faut d'abord les voir dans leur étendue, et lui laisser la liberté de les montrer : ensuite viendra peu à per la correction. Autrement on lui fermeroit le cœur. elle se cacheroit, et on ne verroit ses défauts qu'à demi. Il faut gagner sa confiance, lui faire sentir de l'amitié, lui faire plaisir dans les choses qui ne lui nuisent pas, la bien instruire sans la prêcher: et, après l'instruction, s'attacher aux bous exenples, jusqu'à ce qu'elle donne ouverture pour lɛi parler de la piété alors le faire sobrement, mis avec cordialité, et la laisser toujours dans le desc d'en entendre plus qu'on ne lui en aura dit. B faut de bonne heure l'accoutumer à compter, à examiner la dépense, à la régler, à voir les embar ras et les mécomptes des revenus. Il faut tâcher se lui trouver des compagnies de jeunes personnes sages et d'un esprit réglé, qui lui plaisent, qu l'amusent et qui l'accoutument à se divertir, sans aller chercher et sans regretter de plus grands plsirs. Il est extrêmement à desirer qu'il n'y ait jamais ni jalousie ni froideur secrète entre les der familles qui se forment dans la vôtre. M. le vidac est bon, vrai et noble; madame la vidame me p

roit de même. Les intérêts sont réglés; il ne peut | malheur. Les troupes meurent de faim; elles n'ont y avoir de délicatesse que par rapport aux traite- pas la force de marcher. Nos généraux ne me proments que vous ferez aux deux familles, et aux mettent rien de consolant. procédés journaliers qu'elles auront entre elles. C'est sur quoi vous devez veiller en bon père de famille, de concert avec madame la duchesse de Chevreuse; un rien blesse les cœurs, et cause des ombrages : l'union ne se rétablit pas facilement dès qu'elle est altérée.

Le maréchal de Villars est une tête vaine et légère, qui impose apparemment au roi, mais qui n'a aucun fonds. Le maréchal de Montesquiou, avec plus de raison, n'a que des talents très médiocres, et paroît fort usé. La discipline, l'ordre, le courage, l'affection, l'espérance, ne sont plus dans le corps militaire : tout est tombé, et ne se relèvera point dans cette guerre. Ma conclusion est qu'il faut acheter l'armistice à quelque prix que ce puisse être, supposé qu'on ne puisse pas finir les conditions du fond avant le commencement de la campagne. Je voudrois seulement que les places d'otage fussent en main neutre (chose très raisonnable): moyennant cela, j'en donnerois le moins que je pourrois; mais tout autant qu'il en faudroit pour guérir l'extrême défiance des ennemis. A l'égard de l'Espagne, il faut écouter les demandes des Hollandois, et entrer dans tous les expédients qui ne seront pas contraires à la justice et à la bonne foi vers les Espagnols. Il faut laisser négocier M. de Bergheik, pourvu que sa négociation ne mette point nos ennemis en défiance de nous, et ne retarde point l'armistice.

7° Je reviens à la paix. M. de Bernières vient de recevoir une lettre de Hollande, qui porte que la conférence n'a rien avancé. On croit en ce payslà que nous ne voulons qu'amuser les ennemis, faire une paix qui nous tire de l'embarras présent, qui renvoie la guerre en Espagne, où elle épuisera nos ennemis, et qui nous laissera le temps de respirer, pour retomber sur eux dès que nous aurons repris nos forces. Vous me mandez, mon bon duc, qu'on ne livrera aucune place, même d'otage, qu'après qu'on aura réglé tout, avec exclusion de toute demande ultérieure. J'avoue que c'est ce que nous devons ardemment desirer, si nous pouvons y parvenir; mais la guerre étant aussi insoutenable que vous la croyez, j'aimerois mieux, pour guérir l'extrême défiance de nos ennemis, donner en otage, dans les mains des Suisses, Péronne, Saint-Quentin, Ham et Noyon, que de rompre la paix. Je conviens qu'il ne faut point acheter trop chèrement un armistice par des places d'otage données par avance, si vous pouvez régler le fond de la paix avant la campagne : mais comme le temps est très court, si vous ne pouvez pas finir le fond avant le temps où les ennemis peuvent commencer leurs entreprises, il est capital, en ce cas, de ménager l'armistice; autrement les événements de la campagne pourront bouleverser tous les projets de paix. De plus, les ennemis supérieurs peuvent vous battre, et entrer en France, après quoi le roi n'oseroit demeurer à Versailles; et s'il s'en alloit, tout le royaume seroit sans ressource. On peut dire, sans avoir peur, que nous devons prévoir que nous sommes à la veille de cette extrémité : c'est pour la prévenir qu'il faut, ce me semble, acheter l'armistice par le dépôt, dans les mains des Suisses, de toutes nos villes les plus avancées vers Paris, supposé qu'on allât jusqu'à les exiger de nous. Il ne faut point se flatter; vous n'avez aucune ressource d'aucun côté. Versailles est ce que vous savez mieux que moi. Tous les corps du royaume sont épuisés, aigris, et au désespoir le gouvernement est haï et méprisé. Toutes nos places sont dégarnies presque de tout, et tomberoient comme d'elles-mêmes en cas de

8° Je prie Dieu, mon bon duc, que tout, tant pour l'Église que pour l'état, aille mieux que je ne l'ose espérer. N'oubliez pas le P. P. (duc de Bourgogne), qu'il faut soutenir, redresser, élargir. Jamais jeune prince n'a eu, avant de régner, tant de fortes leçons. Il n'a qu'à remarquer ce qui se passe sous ses yeux, pour apprendre à fond ce qu'il doit faire et éviter un jour : mais il le fera fort mal alors, s'il ne commence dès à présent à le pratiquer, en se corrigeant, en prenant beaucoup sur lui, en s'accommodant aux hommes pour les connoître, pour les ménager, pour savoir les mettre en œuvre, et pour acquérir sur eux une autorité d'estime et de confiance.

Ménagez votre très délicate et très foible santé. Vous travaillez trop; vous ne vous faites point assez soulager. Comme vous vous étendez un peu trop sur chaque chose, par goût pour les unes, par exactitude pour les autres, par patience et ménagement pour persuader les hommes, il en arrive que vous êtes toujours pressé, accablé, et sans intervalle d'amusements pour reposer votre esprit et votre corps. Vous n'êtes plus jeune, et vous paroissez fort desséché. Votre goutte et votre dévoiement m'alarment. Enfin vous vous fiez trop a votre régime, et à vos principes spéculatifs de médecine. Tout cela ne peut vous faire durer, si

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Je crois, mon bon duc, qu'il faut, dans l'extrémité affreuse où l'on assure que les choses sont, acheter très chèrement deux choses: l'une est la dispense d'attaquer le roi catholique; l'autre est un armistice pour éviter les accidents d'une campagne, qui pourroient renverser l'état. Je ne voudrois ni faire la guerre au roi catholique, à aucune condition, à moins qu'il ne nous la fit, ni hasarder la France en hasardant une campagne. Je donnerois pour les sûretés du préliminaire toutes les places d'otage qu'on voudroit, pourvu qu'elles fussent en main neutre, comme celle des Suisses; et j'abandonnerois, pour le fond du traité de paix, des provinces entières, pour ne perdre pas le tout mais je voudrois qu'on vît le bout des demandes des ennemis. Pour Bayonne et Perpignan, vous auriez un horrible tort de les céder, si vous pouvez éviter une si grande perte; mais si vous ne pouvez vous sauver qu'en les sacrifiant, ce seroit un vain scrupule que d'hésiter. Vos places sont à vous, et non à vos voisins; elles ne doivent servir qu'à vous; et si vous pouvez sauver votre état en les donnant, vous y êtes obligé en conscience, quoique cette cession, par un contrecoup fortuit qui est contraire à votre intention, nuise à votre voisin. En repoussant le Turc de la Hongrie, je le rejette dans le Frioul, dont il fait la conquête. J'en suis fâché : mais j'ai dû défendre la Hongrie, et laisser aux maîtres du Frioul à le défendre comme ils l'entendront. Vous êtes d'autant moins chargé d'être le tuteur de l'Espagne, qu'elle n'agit plus, dit-on, de concert avec vous. M. de Bergheik fait assez entendre qu'il n'est plus lié avec nous. Vous savez ce que je vous en ai dit et écrit: il ne songe qu'à faire la paix du roi catholique aux dépens du royaume de France, comme vous voudriez faire la vôtre aux dépens de la monarchie d'Espagne. Tout au moins il traversera votre négociation, facile à brouiller, et il tentera tout pour vous réduire à des conditions encore plus dures que celles du traité des Pyrénées, comme de rendre l'Artois, Perpignan, les Trois

Évêchés. Il espère par-là tenter les ennemis de laisser au roi Philippe l'Espagne et la Flandre, bien entendu qu'il leur cédera les places et les ports dont ils auront besoin, tant en Espagne que dans les Indes, pour leur commerce. Après les discours qu'il m'a faits, et ceux qui me reviennent, je ne puis douter que ce ne soit là son projet. Rien n'est si propre à brouiller vos négociations. Dieu veuille que vous puissiez débrouiller ce chaos, et prévenir les malheurs de la campagne qui va commencer! Pour moi, je ne puis que prier.

Je vous ai mandé toutes choses par rapport an P. Le Tellier. J'attends ce que vous aurez la bonté de m'expliquer sur ces remarques. Il doit veiller, et se défier de l'assemblée. Je suis ravi de ce qu'elle n'examinera point la bulle mais je crains quelque coup de surprise.

Je suis en peine de votre santé; car j'ai vu une lettre où vous mandiez à M. le chevalier de Luxembourg que vous aviez encore eu une attaque de goutte. Bonsoir, mon bon duc donnez du repos à votre corps et à votre esprit; cela est pour le moins aussi nécessaire à l'intérieur qu'à la santé. Mille respects à notre bonne duchesse; mille autres à madame la vidame; mille tendresses à M. le vidame; et à vous, mon bon duc, union qui ne peut s'exprimer.

Aurez-vous la bonté de me faire savoir s'il est vrai que M. le duc de Beauvilliers et M. Voysin soient mal ensemble, comme on me l'assure?

M. de Précelles, par sa timidité et par ses condescendances, a gâté l'affaire de M. L'Herminier'. 11 craint de fâcher M. le cardinal de Noailles, qui fait semblant de se fier à lui, et qui s'en joue. Il croit qu'il faut grossir le bon parti en relâchant beaucoup. Les jansénistes se prévalent de ce qu'il leur relâche, et ne demeurent confondus dans le bon parti que pour l'attaquer plus dangereusement. Il n'y a que le P. Le Tellier qui puisse le redresser. Il est bon et très instruit, mais timide et opiniâtre.

Nicolas L'Herminier, docteur de Sorbonne, étoit alors in

culpé pour le Traité de la Grace de sa Somme de Théologie. qu'il avoit publiée en 1709. On adressa, la même année, aux évêques une Dénonciation de cet ouvrage, qu'on accusoit d'insinuer un jansénisme radouci, et par-là plus dangereux. Il fut en effet censuré par quelques prélats en 1711.

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