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j'étois poursuivi par la colère de Neptune; soyez- | moi aujourd'hui favorable; faites que je sois bien reçu des Phéaciens; faites que j'excite leur compassion. Pallas l'exauça; mais elle ne lui apparut cependant pas. Elle redoutoit le dieu de la mer, toujours irrité contre Ulysse, toujours opposé à son retour dans ses états.

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LIVRE VII.

Ainsi prioit Ulysse : cependant Nausicaa arrive au palais de son père. Elle n'est pas plus tôt entrée dans la cour, que ses frères, beaux comme les immortels, s'empressent à l'entourer. Les uns détellent les mulets, les autres transportent ses habits. Elle monte dans son appartement; Euryméduse y allume du feu. Des vaisseaux partis d'Épire avoient enlevé cette vieille femme, et l'on en avoit fait présent à Alcinous, parce qu'il commandoit aux Phéaciens, et que le peuple l'écoutoit comme un oracle. Elle avoit élevé Nausicaa dans le palais de son père alors elle étoit occupée à lui faire du feu, et à lui préparer à souper. Ulysse ne tarde point à se mettre en route pour la ville: Minerve répandit autour de lui un épais nuage, de peur que quelque Phéacien ne lui dît des paroles de raillerie, ou ne lui fît des demandes indiscrètes. Cette déesse, ayant pris la forme d'une jeune fille qui tient une cruche à la main, s'approche de lui au moment où il entre dans la ville. Ulysse la questionne en cette manière : Ma fille, ne pourriez-vous pas me conduire chez Alcinous, qui commande dans cette ville? Je suis étranger, je viens d'un pays fort éloigné, et je ne connois aucun des habitants de ce pays. Je vous mènerai volontiers au palais d'Alcinoüs, lui répondit Minerve: nous logeons dans son voisinage. Mais gardez le silence; je vais marcher la première : si vous rencontrez quelqu'un, ne lui parlez point. Les Phéaciens reçoivent assez mal les étrangers, ils aiment peu ceux qui viennent des autres pays. Ils ont une grande confiance dans leurs vaisseaux, avec les quels ils fendent les flots de la mer; car Neptune leur a donné des navires aussi légers que les airs et que la pensée.

En finissant ces mots, Minerve s'avance la première. Ulysse suit la déesse. Les Phéaciens ne l'aperçoivent pas, quoiqu'il marche au milieu d'eux. C'est que la fille de Jupiter l'avoit enveloppé d'un nuage qui le déroboit aux yeux. Le roi d'Ithaque regardoit avec étonnement le port, les vaisseaux, les places, la longueur et la hauteur des murailles.

Quand ils furent arrivés tous deux à la demeure magnifique d'Alcinous, la déesse dit à Ulysse : Étranger, voilà le palais où vous m'avez commandé de vous mener. Vous y trouverez à table avec le roi les principaux des Phéaciens. Entrez sans crainte. Un homme confiant réussit plus sûrement dans tout ce qu'il entreprend. Vous vous adresserez d'abord à la reine elle se nomme Areté, et elle est de la même maison qu'Alcinous. Nausi- ́ thous étoit, comme vous le savez, fils de Neptune et de Péribée, la plus belle de toutes les femmes, et la plus jeune fille de cet Eurymédon qui régna sur les superbes Géants. Il fit périr tous ses sujets dans les guerres injustes et téméraires qu'il entreprit; il y périt lui-même. Neptune, devenu amoureux de sa fille, en eut Nausithoüs, qui fut roi des Phéaciens et père de Rhexenor et d'Alcinous. Apollon tua Rhexenor dans son palais. Il n'avoit qu'une fille qui s'appeloit Areté, et c'est elle qu'Alcinous a épousée. Il l'honore tellement, que nulle femme au monde n'est ainsi honorée de son mari. Ses amis, ses enfants, les peuples, ont un grand respect pour elle. On reçoit ses réponses, quand elle marche dans la ville, comme on recevroit celles d'une déesse. Elle a l'esprit excellent. Tous les différends qui s'élèvent entre ses sujets, elle les termine avec sagesse ; si vous pouvez vous la concilier et gagner son estime, espérez de voir tous vos souhaits accomplis.

Minerve, ayant ainsi parlé, disparut, quitta la Schérie ; et, prenant son vol vers les plaines de Marathon, elle se rendit à Athènes, et alla visiter la célèbre cité d'Érechthée.

Ulysse entre alors dans le palais : il ne peut, en y entrant, se défendre des mouvements de surprise et de crainte qui l'agitoient. Toute la maison d'Alcinous jetoit un éclat semblable à celui que répand le soleil ou la lune. Les murs étoient d'airain; autour régnoit une corniche d'azur; une porte d'or fermoit le palais, elle tournoit sur des gonds d'argent, et étoit appuyée sur un seuil de cuivre. Le dessus étoit d'argent, et la corniche d'or. Aux deux côtés de la porte on voyoit deux chiens d'argent de la main de Vulcain : ils gardoient toujours le palais, n'étant sujets ni à la mort ni à la vieillesse. Le long des murailles il y avoit des siéges bien affermis, depuis la porte jusqu'aux coins : ils étoient garnis de tapis délicatement faits par les femmes d'Areté. Là étoient assis les plus considérables des Phéaciens. Ils faisoient un superbe festin, et célébroient une fête qui revenoit tous les ans. Sur de magnifiques piédestaux étoient des statues d'or, représentant de jeunes hommes debout,

O Areté, ô fille du divin Rhexenor, après avoir échappé aux maux les plus cruels, je viens implorer votre secours, celui de votre mari et de toute cette auguste assemblée. Que les dieux vous donnent une vie heureuse! Puissiez-vous laisser à vos enfants les richesses de vos palais et les honneurs que vous avez reçus de vos peuples! Je vous conjure de me faire revoir bientôt ma patrie, car il y a long-temps que je souffre, éloigné de tout ce que j'aime.

et tenant à la main des torches allumées pour | che d'Areté et d'Alcinous, embrasse les genoux de éclairer la table du festin. Il y avoit dans le palais la reine aussitôt l'air obscur qui l'entouroit se cinquante belles esclaves : les unes avec une grosse dissipe. Les Phéaciens, étonnés de le voir tout-àpierre brisoient le froment, les autres travailloient coup, demeurent dans le silence; ils le regardent à faire des toiles. Elles étoient assises à la suite avec surprise et Ulysse, tenant toujours les gel'une de l'autre, et l'on voyoit leurs mains se re- noux de la reine, lui parle en ces termes : muer en même temps, comme les branches des plus hauts peupliers quand ils sont agités par les vents. Les étoffes qu'elles travailloient étoient d'une finesse et d'un éclat qu'on ne pouvoit se lasser d'admirer. L'huile, tant elles étoient serrées, auroit coulé dessus sans les pénétrer. Car autant que les Phéaciens surpassent les autres hommes dans l'art de conduire un vaisseau léger sur la vaste mer, autant leurs femmes excellent-elles dans les ouvrages de tapisserie. Minerve les a remplies d'adresse et d'industrie pour ces travaux. De la cour on entre dans un grand jardin de plusieurs arpents: une haie vive l'entoure et le ferme de tous côtés. Il est planté de grands arbres chargés de fruits délicieux. On y voit des poiriers, des grenadiers, des orangers, des figuiers d'une rare espèce, des oliviers toujours verts: ils ne sont jamais sans fruits, ni en hiver, ni en été. Un doux zéphyr entretient leur fraîcheur : il fait croître les uns, et donne aux autres la dernière maturité. On voit des poires mûrir quand d'autres poires sont passées; les figues succèdent aux figues; et l'orange, la grenade, à la grenade et à l'orange. Dans les mêmes vignes il y en a une partie sèche qu'on couvre de terre, une autre qui fleurit et qu'on découvre pour être échauffée par le soleil, une autre dont on cueille les grappes, et une autre enfin dont on presse le raisin; on en voit qui commencent à fleurir, et à côté on en voit qui sont remplis de grains et d'un jus délicieux.

Le jardin est terminé par un potager très bien cultivé, très abondant en légumes de toutes les saisons de l'année. Il y a deux fontaines : l'une arrose tout le jardin en se partageant en plusieurs canaux ; l'autre va se décharger à la porte du palais, et communique les eaux à toute la ville. Tels étoient les présents que les dieux avoient faits à

Alcinous.

Ulysse ne se lassoit point de les admirer. Après avoir contemplé toutes ces beautés, il pénètre dans le palais, et trouve les Phéaciens armés de coupes, et faisant des libations à Mercure; c'étoit les dernières du festin, et ils les réservoient pour cette divinité, afin qu'elle leur procurât le repos de la nuit qu'ils se disposoient à goûter. Ulysse, toujours couvert du nuage dont Minerve l'avoit enveloppé, s'avance sans être aperçu. Il s'appro

Ayant ainsi parlé, il se retira contre le foyer, se tenant assis sur la cendre proche du feu : tout le monde se taisoit. Enfin le vieil Échénus, le plus sage des Phéaciens, et qui les surpassoit tous en savoir et en éloquence, prit la parole, et dit :

Alcinous, il n'est point convenable de laisser cet étranger couché sur la cendre. Les conviés attendent vos ordres. Relevez-le donc, et faites-le asseoir sur un de ces siéges d'argent. Commandez aux hérauts de verser du vin, afin que nous fassions des libations au dieu qui lance la foudre et qui accompagne les étrangers. Que la maîtresse de l'office lui serve une table couverte des mets les plus exquis.

Alcinous n'eut pas plus tôt entendu ces paroles, qu'il alla prendre Ulysse par la main : il le relève, il le place à ses côtés sur un siége magnifique qu'il lui fit céder par son fils Laodamas qui étoit assis près de lui, et qu'il aimoit plus que tous ses autres enfants. Une belle esclave verse de l'eau d'une aiguière d'or sur un bassin d'argent, et donne à laver à Ulysse. Elle dresse ensuite une table; et une autre femme, qui avoit un air vénérable, la couvre de ce qu'elle a de meilleur. Ulysse en profite avec reconnoissance. Alcinous prend alors la parole, et dit à un de ses hérauts: Pontonoüs, remplissez une urne de vin, et distribuez-le à tous les convives, afin que nous fassions des libations à Jupiter, le puissant protecteur des étrangers et des suppliants.

Il dit: Pontonous obéit. Les libations finies, et chacun des convives ayant bu autant qu'il vouloit, Alcinous leur parla encore ainsi : Écoutezmoi, chefs des Phéaciens. Puisque le repas est fini, vous pouvez vous retirer, il en est temps, et vous pouvez vous aller jeter dans les bras de Morphée. Demain nous assemblerons un plus grand nombre

de vieillards, nous traiterons notre nouvel hôte dans le palais, nous offrirons des sacrifices aux dieux, et puis nous songerons à son retour, afin que, délivré de peines et d'afflictions, il ait la consolation et la joie de voir, par notre secours, sa chère patrie, et qu'il y arrive, quelque éloignée qu'elle soit, sans éprouver rien de fâcheux dans le voyage. Lorsqu'il sera chez lui, il attendra paisiblement ce que la destinée et les Parques inexorables lui ont préparé dès le moment de sa naissance. Peut-être est-ce quelque dieu descendu du ciel qui paroît sous la figure de cet étranger. Les dieux se déguisent souvent; ils viennent au milieu de nous quand nous leur immolons des hécatombes; ils assistent alors à nos sacrifices, et mangent avec nous comme s'ils étoient mortels. Quelquefois on ne croit trouver qu'un voyageur, et les dieux se découvrent; mais c'est quand nous tâchons de leur ressembler par nos vertus, comme les Cyclopes se ressemblent tous par leur injustice et par leur impiété.

mettez-moi, lui dit-elle, de vous demander qui vous êtes, d'où vous venez, qui vous a donné ces habits. Ne m'avez-vous pas dit que la tempête vous a jeté sur nos rivages?

Grande reine, répondit le prudent Ulysse, il me seroit difficile de vous raconter les malheurs sans nombre dont les dieux m'ont accablé; mais je vais répondre à ce que vous me demandez. Très loin d'ici, au milieu de la mer, il y a une grande île nommée Ogygie. Elle est habitée par Calypso, fille d'Atlas. C'est une puissante et redoutable déesse. Aucun dieu ni aucun homme n'a de commerce avec elle. La fortune ennemie me conduisit seul en ce lieu. Jupiter, du feu de son tonnerre, avoit brûlé mon vaisseau. Tous mes compagnons périrent à mes yeux. Dans ce péril, je saisis une planche du débris de mon naufrage: neuf jours entiers je fus, sans la quitter, le jouet des flots irrités; enfin le dixième, pendant l'obscurité de la nuit, les dieux me poussèrent sur les côtes d'0gygie. Calypso me reçut, me traita très favorablement, m'offrit même de me rendre immortel et de me garantir de la vieillesse. Mais ses offres ne me touchèrent point. Je passai sept ans entiers auprès d'elle, arrosant tous les jours de mes larmes les habits que m'avoit donnés cette nymphe. La huitième année, contre mon attente, elle me pressa de partir: Jupiter avoit changé ses dispositions, et Mercure étoit venu lui signifier les ordres du maître des dieux et des hommes. Elle me renvoya sur un vaisseau, me fit beaucoup de présents, me donna du vin, des viandes, des habits, et fit souffler un vent favorable. Je voguai heureusement pendant dix-sept jours: le dix-huitième, je découvrois déja les noirs sommets des montagnes de la Phéacie; mon cœur étoit transporté de joie. Hélas! je n'étois pas au terme de mes maux; Neptune m'en préparoit de nouveaux. Pour me fermer le chemin de ma patrie, il déchaîna les vents contre moi, il souleva les flots. Les vagues en courroux ne me permirent pas long-temps de demeurer sur mon frêle navire. Je l'invoquai en vain; Il dit, et tous les Phéaciens applaudirent, et se je remplissois inutilement l'air de mes cris; un promirent de seconder les desirs de cet étranger, tourbillon brisa mon vaisseau, je tombai, dans la qui venoit de parler avec tant de force et de samer, les vagues me poussèrent contre le rivage. gesse. Les libations étant donc faites, ils se reti- Mais, comme j'étois prêt à sortir de l'eau, un flot rèrent pour aller goûter les douceurs du sommeil. me rejeta avec violence contre d'énormes rochers. Ulysse demeura dans le palais; Areté et Alcinous Je m'en éloignai; et nageant encore, et à force ne le quitterent point. Pendant qu'on ôtoit les ta- de bras et d'adresse, j'arrivai à l'embouchure du bles, la reine le fixa plus attentivement; et ayant fleuve. Là je découvris une retraite sûre, comreconnu le manteau et les habits dont il étoit re- mode, et à l'abri des vents: je gagnai la terre, vêtu, et qu'elle avoit fait elle-même avec ses fem- où j'abordai presque sans vie. J'y repris mes esmes, elle lui adressa la parole: Étranger, per-prits; et lorsque la nuit fut venue, je m'éloignai

Ulysse reprit aussitôt Ayez d'autres sentiments, Alcinous : je ne suis en rien semblable aux dieux, ni par le corps, ni par l'esprit; vous ne voyez qu'un homme mortel persécuté par les plus grandes et les plus déplorables infortunes. Non, et vous en conviendriez si je vous racontois les maux que j'ai endurés par l'ordre des dieux; non, personne n'a plus souffert que celui qui réclame aujourd'hui votre bienfaisance. Mais laissons ces tristes détails: permettez que je satisfasse à la faim qui me dévore, quoique je sois noyé dans l'affliction. Il n'y a point de nécessité plus impérieuse que ce besoin. La tristesse, les pertes les plus désastreuses, les malheurs les plus opiniâtres, rien ne fait oublier de la satisfaire. Elle commande en ce moment, et je cède à son pouvoir. Mais vous, princes hospitaliers, demain, dès que l'aurore paroîtra, daignez me fournir les moyens de retourner dans ma patrie. Quelques maux que j'aie endurés, pourvu que je la voie encore, je consens à perdre la vie.

du fleuve, et me couchai dans les broussailles. J'amassai des feuilles pour me couvrir, et un dieu versa un doux sommeil sur mes paupières. Je dormis toute la nuit et la plus grande partie du jour. Je ne me réveillai que lorsque le soleil étoit luimême presque au moment de se coucher. J'aperçus alors les femmes de la princesse votre fille qui jouoient ensemble: elle paroissoit au milieu d'elles comme une déesse. Je la conjurai de me secourir, je la trouvai pleine d'humanité. Devois-je m'attendre à tant de générosité de la part d'une jeune personne que je voyois par hasard et pour la première fois? on est d'ordinaire très inconsidéré à cet âge. Elle me fit donner des viandes, du vin, des habits, des parfums, et me fit laver dans le fleuve. Voilà la vérité pure, et tout ce que l'affliction qui me suffoque me permet de vous apprendre.

Cher étranger, reprit Alcinous, je serois encore plus content de ma fille, si elle vous avoit conduit elle-même avec ses femmes. Ne le devoit-elle pas, puisque c'étoit la première personne que vous rencontriez, et dont vous imploriez le secours? Grand roi, répond Ulysse, ne la blâmez pas. Elle m'avoit prié de la suivre : c'est moi qui ne l'ai pas voulu, de peur qu'en me voyant avec elle, vous ne désapprouvassiez sa conduite. Des malheureux comme moi appréhendent tout.

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cœur d'Ulysse, et, s'adressant à Jupiter, il s'écria: O dieu! si Alcinous accomplit ce qu'il promet, sa gloire sera immortelle, et moi je reverrai ma patrie.

Vers la fin de ce doux et paisible entretien, Areté coinmanda à ses femmes de dresser un lit sous le beau portique du palais, de le garnir de belles étoffes de pourpre, d'étendre dessus et dessous des peaux et des couvertures très fines. Elles sortent aussitôt, tenant à la main des flambeaux allumés; et quand tout fut arrangé, elles vinrent en avertir Ulysse. Il se retira, les suivit sous le superbe portique, où tout étoit préparé pour le recevoir.

Alcinous le quitte aussi, pour aller se reposer auprès d'Areté, dans l'appartement le plus reculé de son palais.

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Minerve prit alors la figure d'un des hérauts Étranger, dit Alcinous, je ne suis pas porté à d'Alcinous; elle alla par la ville, et, pour dispotant de défiance, et le parti de l'humanité me pa- ser le retour d'Ulysse, s'approchant des princiroît toujours le meilleur. Plût à Jupiter, à Mi-paux Phéaciens, elle leur disoit : Hâtez-vous, nerve et à Apollon, qu'étant tel que vous paroissez, venez au conseil, écoutez-y les prières de cet étranet ayant les mêmes sentiments que vous m'inspi-ger qui arriva hier au palais du roi : il a long-temps rez, vous voulussiez épouser ma fille et demeurer avec nous ! Je vous donnerois un beau palais et de grandes richesses, si vous vouliez fixer ici votre séjour. Cependant ni moi ni aucun de nos Phéaciens ne vous y retiendra malgré vous: le dieu de l'Olympe le désapprouveroit. Demain donc, sans différer, tout sera prêt pour votre retour. Dormez en attendant, dormez avec sûreté. Mes nautonniers profiteront du temps le plus favorable pour vous ramener dans votre patrie. Ils y réussiront, dussiez-vous aller au-delà de l'Eubée, qui est, comme nous le savons, fort éloignée de nous. Quelques uns de nos pilotes y ont déja pénétré, et conduit Rhadamanthe, lorsqu'il alla visiter Titye, le fils de la Terre. Ils le menèrent, et, malgré cette longue distance, en revinrent le même jour.

Vous connoîtrez vous-même de quelle bonté sont nos vaisseaux, et avec quelle adresse nos jeunes Phéaciens frappent la mer de leurs rames. Ainsi parla Alcinous. La joie se répandit dans le

erré sur les flots de la mer, et je trouve qu'il ressemble aux immortels. Par ces paroles, Minerve les excite, et leur inspire de la diligence et de l'intérêt. La place et les siéges sont bientôt remplis : tout le monde regarde avec étonnement le prudent fils de Laërte. Pallas lui avoit donné une grace toute divine: elle le faisoit paroître plus grand et plus fort, afin que par sa taille et par son air il attirât l'estime et l'attention des Phéaciens, et pour qu'il réussît dans les jeux militaires qu'on devoit lui proposer pour éprouver sa vigueur et son adresse.

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Lorsque tout le monde fut placé, Alcinous prit la parole, et dit : Écoutez-moi, chefs des Phéaciens je ne connois point cet étranger ; j'ignore d'où il est venu, et si c'est de l'orient ou de l'occident; il nous conjure de lui fournir les secours et les moyens de retourner dans sa patrie. Ne nous démentons point en cette occasion: jamais nous n'avons fait soupirer long-temps après leur retour aucun de ceux qui ont abordé dans notre

île. Qu'on mette donc en mer un de nos meilleurs | une coupe, et faisoit des libations aux dieux immorvaisseaux, et choisissons promptement parmi le tels. Mais lorsque les Phéaciens, charmés d'entenpeuple cinquante-deux jeunes gens des plus habi- dre ce chantre divin, le pressoient de recommenles à manier la rame; qu'ils préparent tout, et cer, Ulysse recommençoit aussi à répandre des qu'ils viennent ensuite dans mon palais pour y larmes, et s'efforçoit de les cacher. Aucun des manger, et se disposer à partir : je fournirai toutes conviés ne le remarqua, à l'exception d'Alcinous, les provisions nécessaires. qui avoit fait asseoir son hôte à côté de lui. Les soupirs qui lui échappoient l'avoient pénétré; et pour les faire cesser, s'adressant aux convives, il leur dit : Je crois, chers Phéaciens, que vous ne voulez plus manger, et que vous avez assez entendu de musique, qui est cependant l'accompagnement le plus agréable des festins. Sortons donc de table; montrons à cet étranger notre adresse dans les jeux et les exercices, afin que, de retour dans sa patrie, il puisse raconter à ses amis combien nous surpassons les autres nations dans les combats du ceste, à la lutte, à la course et à la danse.

Pour vous, qui êtes les plus considérables des Phéaciens, venez m'aider à traiter honorablement ce nouvel hôte. Que personne ne s'en dispense, et qu'on appelle Démodocus, cet excellent musicien, qui a reçu du ciel une voix si mélodieuse, et qui charme tous ceux qui l'entendent. En finissant ces mots, le roi se lève, et marche le premier; les autres le suivent. Un héraut va prendre Démodocus. Les cinquante-deux hommes choisis se rendent aussitôt sur le rivage, lancent à l'eau un excellent vaisseau, dressent le mât, y attachent des voiles, rangent les rames, et les lient avec des nœuds de cuir. Quand tout fut prêt, ils se rendirent au palais d'Alcinous. Les portiques, les cours, les salles furent bientôt remplis. Le roi fit égorger douze moutons, huit cochons et deux bœufs. On les dépouilla, et le festin fut promptement préparé. Le héraut amène Démodocus: il étoit aveugle; mais les Muses, qui le chérissoient, lui avoient donné une voix délicieuse. Pontonous le place sur un siége d'argent, au milieu des conviés, et il l'appuie contre une colonne élevée, à laquelle il attache sa lyre au-dessus de sa tête, en lui montrant comment il la pourroit prendre au besoin. Il met devant lui une table, la couvre de viandes, et pose dessus une coupe remplie de vin, afin que Démodocus pût boire quand il voudroit. Les conviés profitent de la bonne chère; et quand ils furent rassasiés, les Muses inspirèrent à leur favori de chanter les aventures et la gloire des héros les plus célèbres. Il commença par un événement qui avoit mérité l'attention des dieux mêmes : c'est la querelle fameuse survenue entre Achille et Ulysse dans le festin d'un sacrifice sous le rempart de Troie. Agamemnon paroissoit ravi que les chefs des Grecs fussent divisés. Apollon le lui avoit prédit, lorsque, prévoyant les malheurs qui menaçoient la Grèce et les Troyens, il se rendit dans le superbe temple de Python, pour y consulter l'oracle.

Démodocus ravit de joie et d'admiration tous les assistants. Ulysse, attendri, prit son manteau, l'approcha de son visage, et se cacha pour que les Phéaciens ne le vissent pas répandre des larmes. Dès que Démodocus cessoit de chanter, Ulysse essuyoit ses yeux, se découvroit le visage, prenoit

Il se lève en même temps, il sort de son palais: les Phéaciens le suivent. Pontonoūs suspend à une colonne la lyre de Démodocus, le prend par la main, le conduit hors de la salle du festin, et le mène par le chemin que tenoient les Phéaciens pour aller voir et admirer les exercices qu'on venoit d'annoncer. Ils arrivèrent dans une place immense, une foule innombrable de peuple s'y étoit déja rassemblée. Plusieurs jeunes gens alertes et très bien faits se présentent pour disputer le prix.

C'étoient Acronée, Euryale, Elatrée, Nautès, Prumnès, Anchiale fils du constructeur Polynée, Cretmès, Pontès, Prorès, Thoon, Anabesinès, Amphiale semblable au dieu terrible de la guerre, et Naubolide, qui, après le prince Laodomas, surpassoit tous les Phéaciens en force et en beauté. Les trois fils d'Alcinous se présentèrent aussi, Laodamas, Halius et le divin Clytonée. Voilà ceux qui se levèrent pour la course. On leur désigna la carrière qu'il falloit parcourir. Ils partent tous en même temps, ils volent, et font lever en courant des nuages de poussière qui les dérobent presque aux yeux des spectateurs. Mais Clytonée, plus agile qu'eux, les devance, et les laisse tout aussi loin derrière lui que de fortes mules, traçant des sillons dans un champ, laissent derrière elles des bœufs pesants et tardifs.

Après la course, on vint au pénible exercice de la lutte. Euryale obtint la palme. Amphiale fit admirer à ses concurrents mêmes sa grace et sa légèreté à la danse; Élatrée remporta le prix du disque, et Laodamas celui du ceste.

Après ces premiers essais, Laodamas prit la parole, et leur dit : Mes amis, demandons à cet étranger s'il ne s'est point appliqué à quelques uns de

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