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puritains, les amis du peuple, qui mangent leurs rentes doucettement, ou qui se font 12,000 francs par an à la Bourse ou au Crédit-Mobilier, crieront que j'ai pactisé avec le 2 Décembre, que je suis rallié, etc.; et de trèshonnêtes gens, dont l'estime m'est chère, le croiront. Notez que non-seulement ce vendu est décidé à ne pas bénéficier d'un centime sur la mince subvention de l'Etat, mais qu'il y est déjà pour 900 francs de sa poche, ayant lâché, il y a trois mois, pour se préparer à ce voyage, une place de 300 francs par mois (1). Voilà ma seule épine, mais elle ne me sort pas, et je suis sûr d'avance de ce qui se dira. C'est triste. Ceux à qui je ne conteste pas leur goût pour la flânerie ou pour l'agiotage, ne peuvent-ils me laisser le mien pour des travaux utiles, plus utiles au progrès que les tartines humanitaires de ces messieurs? - Voici le but de mon voyage : lever la carte des pays compris entre le Danube, la Serbie, le Montenegro, Ochrida, Sophia, Philippopoli, Andrinople, Gabrova, Routschouk (Bulgarie occidentale, Albanie septentrionale, Serbie turque, haute Thrace); étudier la géographie comparée d'icelles, l'ethnographie, l'agriculture, la géologie (que j'étudie en ce moment). J'attends de très-grands résultats, le terrain est vierge ou à peu près. Vous verrez, au retour, mes cartons et mes collections. J'apprends à dessiner à force, car j'aurai à copier des vues, des types, des monuments. Voici mon itinéraire projeté : Vienne, Pesth, le Danube, Routchousk et Bucharest, Gabrova, Slivore, Andrinople, Sophia, Vrania, Kouircheumli et Prekop, Pristina et Djakova, Plava, Scutari, son lac, le pays des Myrdites, Ochrida est et le bassin du Vardar, puis j'aboutirai probablement à Salonique. Mais

(1) AHusion à un emploi qu'il avait occupé dans les bureaux où se préparait l'Expositión universelle.

il n'y a rien de bien déterminé, j'attends toujours le dernier mot. »

Le dernier mot déjoua ses espérances. Comme Perrette, il avait fait des châteaux en Espagne. M. Fortoul, à qui il avait adressé son plan, lui répondit le 17 mai 1856 :

« Monsieur, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire pour me soumettre un projet de mission dans la Turquie d'Europe. Je crois, comme vous, Monsieur, qu'une exploration nouvelle et bien dirigée serait d'un grand profit pour la science, et je suis certain, d'aprés tout le bien que M. Guigniaut m'a dit de vous, que je n'aurais qu'à m'applaudir de vous avoir confié cette mission. Malheureusement, le crédit affecté au service des voyages scientifiques est absorbé et ne me permet pas de contracter des engagements pour l'avenir. Je regrette donc vivement, Monsieur, de ne pouvoir, pour ce motif, utiliser votre savoir et le zèle qui vous anime pour le progrès de la science. »

Agréez, etc.

Le Ministre avait eu beau dorer la pilule, la déception de Lejean fut d'autant plus vive qu'il avait plus compté sur une issue favorable. Son mécontentement s'exhala presque immédiatement dans cette lettre adressée à Mm. Souvestre :

CHÈRE MADAME,

» Je ne vous ai parlé de mon voyage qu'au dernier moment, et cependant je me suis probablement trop pressé. J'ai reçu, jeudi soir, en vous quittant, une solution provisoire, négative pour cette année. Reste à savoir s'il me plaira de rester, l'an prochain, à la disposition de ceux qui, après m'avoir fait quitter, en novembre dernier, une position lucrative pour préparer mon voyage, viennent

me dire que la caisse des missions est à sec. Six mois pour me répondre cela! La saison est bien avancée pour préparer autre chose, mais je n'ai pas à choisir. Me voilà devenu Scipion l'Africain. Le pire qui puisse m'arriver, c'est de manquer encore le Nil et le désert, et de vous voir prosaïquement en Bretagne dans cinq mois; trouvez-moi donc à plaindre.

› Vous m'avez un peu raillé, chère Madame, de ce qui vous semblait chez moi une fantaisie de géographie. J'ai eu si peu de temps à vous en causer que je n'ai pu vous prouver que c'était une chose très - raisonnée (ce qui ne dit pas que ce soit plus raisonnable pour cela). En premier lieu, je vous dirai que j'ai été reçu dans le monde érudit avec une bienveillance qui s'adressait, non à ce que j'avais fait, mais à ce qu'on attendait de moi. A ce monde-là, j'ai une dette à payer. Par une grande exploration réussie, je m'acquitte en un an; par des travaux de cabinet, en dix. Qui est sûr d'avoir devant soi dix ans de loisir, de liberté, de santé, de vie même ?

» Second motif, très-sérieux; il est temps que je fasse ma position. Par inclination je ne suis nullement fait pour une vie de fantaisiste. Le monde est très - sévère pour les gens qui mènent cette vie-là, et, en gros, il a raison. Je ne parle pas de devoirs sociaux (car il n'est nullement prouvé que l'homme qui se doit à ses parents et à ses amis, se doive à une société qui ne s'occupe guère de lui); mais là où d'autres voient un devoir, je vois pour l'homme une question de dignité; le résultat est le même. Une fois que j'aurai attaché mon nom à une œuvre bonne et utile, qui aurait le droit de regarder au temps que j'ai perdu! Puis, pour asseoir mon avenir, un succès est un titre, et si les voyages ne m'en fournissaient pas un, il faudrait y suppléer par une voie qui m'est antipathique, les bureaux et le reste.

» J'en ai causé samedi, très au long, avec Charton. Vous savez quelle confiance j'ai en lui, en son jugement, en sa chaleur d'âme et de sympathie. Il m'a fort surpris; il aime les voyageurs, mais si ses amis songent à voyager, il va presque jusqu'à les traiter de fous. Il m'a répété ce qu'il vous avait dit jeudi, que le premier venu pourrait avec un peu d'audace mener à bonne fin une chose de ce genre je le nie -, que j'étais destiné à me faire autrement une place dans la science; qu'il y avait dans la géographie française une haute place vide à remplir, etc., etc. Mais les moyens pratiques ont amené une dissidence trèsscabreuse, où nous n'avons pu nous entendre. J'ai été cependant soulagé de pouvoir lui parler à cœur ouvert, car j'étais oppressé de mon échec. Une dernière considération je mène depuis plusieurs années une existence facile où je m'habitue à défiler ma vie sans efforts et sans secousses. J'ai besoin de sortir de cette flânerie et de faire une station dans la vie réelle prendre l'existence au collet n'est jamais un mal, et je tiens assez à m'essayer moi-même.

» Vous allez, chère Madame, voir Morlaix, une petite ville où je ne suis guère en odeur de sainteté. Je connais mon bilan, et je vous en fais grâce. Ah! si j'avais voulu rester chef de bureau de la sous-préfecture, - un pouvoir - et donner quelques espérances de conversion catholique... Les quelques familles du lieu qui m'ont conservé, de plus en plus vives, leurs sympathies d'avant 1818, m'en sont d'autant plus chères, et des affections qui ont résisté à l'entraînement de la voix publique, sont de grandes et solides réalités. »

Mme Souvestre essaya de mettre du baume sur sa plaie, mais elle était encore trop saignante. Son mécompte l'avait profondément affecté. Témoin sa réponse du 31 mai 1856.

< CHÈRE MADAME,

> Votre lettre m'a été bien douce, et l'aurait été encore plus, si elle n'avait été attristée par les nouvelles que vous me donnez de la santé des vôtres. Je comprends d'autant mieux vos inquiétudes que j'en éprouve du même genre, pour mon père dont la santé est assez compromise par les travaux auxquels il ne se trouve pas d'âge à renoncer. J'aurai, sans doute, à mon prochain voyage chez moi, quelque chose à faire sur ce point. J'ai bon espoir, et j'espère aussi que l'état de santé dans lequel vous avez trouvé votre mère, tient beaucoup plus aux derniers jours de la mauvaise saison qu'à une vieillesse qui peut encore se prolonger quelques années, entourée et consolée par ces soins affectueux qui prolongent la vie en la rendant douce à porter. Nos craintes sont toujours en raison de nos affectious, et je prends plaisir à penser que votre sollicitude s'exagère la réalité.

› Vous me parlez longuement de mon voyage, et avec des paroles qui m'ont fait du bien. Je suis fort triste en ce moment, triste de l'échec le plus sensible que j'aie éprouvé depuis des années. Mon voyage en Orient est différé, me dit-on, de neuf mois environ; mais, après ce qui s'est passé, quel fonds faire sur des assurances verbales? Je m'y raccroche cependant, mais avec défiance, et en m'occupant des autres choses qui peuvent me servir. J'ai renoncé aux deux voyages d'Afrique, peu attiré par leurs conditions actuelles, qui sont inférieures.

J'entre parfaitement dans les excellentes choses que vous me dites, tout en vous demandant à m'expliquer sur certains points où j'ai trouvé prise à de petits malentendus. Vous ne comprenez pas mon impatience, à mon âge, chère Madame; je dépasse trente ans, et depuis dix ans

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