Oldalképek
PDF
ePub

ne pouvait leur donner, finissaient par se laisser tomber au hasard à l'endroit où ils se trouvaient, c'est-à-dire, sur quelqu'un de leurs confrères, à qui la douleur arrachait des cris déchirants, s'il lui restait encore assez de force pour les faire entendre.

« Aussi était-ce le plus souvent dans la nuit, et par conséquent livrés, sans aucun secours humain à la divine Providence, que mouraient, ceux de nos confrères qui ne pouvaient résister à tant de maux ; et c'était la presque totalité de ceux qui venaient à l'hôpital. Il n'était pas rare d'en trouver, à la pointe du jour, deux, trois qui avaient ainsi rendu le dernier soupir, je ne dis pas dans le silence, mais dans l'obscurité de la nuit et destitués de toute espèce de secours; j'entends des spirituels, aussi bien que des temporels; car qui les leur eût donné dans ce moment, puisque, même pendant le jour, ils en étaient souvent dépourvus? En effet, outre qu'il fallait, pour les leur administrer, n'être ni vu ni entendu des gens de la chaloupe, et que le premier effet de nos inconcevables maladies était de nous rendre extrêmement sourds et comme stupides, nos infirmiers étaient en petit nombre, vu celui des malades, et l'étrange pénurie des effets nécessaires à un hôpital, laquelle rendait le service infiniment plus difficile; d'où il résultait qu'ils étaient tellement occupés à ensevelir

les morts, à laver le linge des malades, à changer, nettoyer, panser ceux qui les appelaient sans cesse, qu'ils ne pouvaient suffire à tout, quelqu'actifs qu'ils fussent. Comment eussent-ils pu s'occuper de soins spirituels qui demandent du loisir et du recueillement? Les malades étaient donc réduits à entendre les confessions les uns des autres, à s'administrer entre eux le sacrement de l'extrêmeonction, à se faire la recommandation de l'âme, etc., etc. Tel avait aujourd'hui rendu ces offices de charité à quelqu'un de ses confrères, qui les recevait dans peu de quelqu'autre. On n'avait pas toujours beaucoup de présence d'esprit, encore moins d'énergie, pour soutenir, fortifier, encourager le pauvre agonisant dans ce moment décisif; mais on faisait en sorte qu'il ne manquât rien d'essentiel au sacrement; on rappelait, en deux mots, au mourant la sainteté de la cause pour laquelle il perdait la vie, et quelle juste confiance il devait avoir en la miséricorde de celui à qui il avait rendu témoignage; on lui faisait renouveler son sacrifice, et il expirait sans regret, plein de l'espérance et de la joie des saints.

<< A peine avaient-ils rendu le dernier soupir, que le patron de la chaloupe réclamait le sac qui contenait leurs effets, et aussitôt hissait un certain pavillon, à l'inspection duquel on connaissait sur notre vaisseau, qui était à peu de distance, qu'il était mort un prêtre à l'hôpital.

A l'instant, tout l'équipage, comme s'il eût appris le gain d'une bataille ou le supplice de quelque grand coupable, hurlait, en levant le chapeau, les mots favoris: Vive la République! Et les officiers députaient un certain nombre de nos confrères, bien escortés par la garde-nationale, pour aller inhumer le mort à l'ile d'Aix. »

Si nous vivions dans les siècles de la foi, aujourd'hui une basilique s'éleverait, majestueuse et riche, au milieu de cette île consacrée par la cendre des martyrs; les populations chrétiennes s'y presseraient pour y rendre gloire à Dieu! Les rois et les princes y viendraient également invoquer des âmes généreuses qui ont su tout sacrifier pour le trône et pour l'autel!... Mais la ferveur du moyen-âge n'est plus qu'historique; la foi divine remonte au ciel, et les rois s'en vont!...

<< Mais quoi de plus révoltant, continue notre vénérable narrateur, que la manière dont les matelots jetaient ce corps, si respectable aux yeux de la foi, dans la chaloupe qui devait le transporter à sa dernière demeure!... On eût dit (qu'on me pardonne cette comparaison révoltante), on eût dit une charogne infecte qu'ils cherchaient avec empressement à s'ôter de dessous les yeux. Aussi ne lui donnaient-ils pas d'autre nom, et nous disaient-ils sans détour, lorsque nous leur en faisions doucement quel

ques reproches, que quand le corps était mort, tout était mort. C'est-à-dire que ces prétendus chrétiens n'étaient pas même de bons païens, puisque les païens tant soit peu instruits admettaient l'immortalité de l'âme.

<< Parvenus à l'ile d'Aix, les prètres députés étaient obligés d'aller, quelque temps qu'il fit, à travers des sables mouvants, à la distance de plus d'un quart de lieue, portant le corps de leur confrère sur une civière, à moins qu'il ne se trouvât quelque paysan charitable qui leur prêtât une brouette pour le voiturer. Ils creusaient eux-mêmes une fosse très-profonde, et y déposaient, sans aucun signe extérieur de religion, ces tristes dépouilles des généreux confesseurs de la foi. Mais ce qui outrage l'humanité autant que la bienséance, c'est qu'il est arrivé trèssouvent que la sordide avarice, unie à l'impiété, de ceux qui étaient témoins de ces hâtives inhumations, ne leur a pas permis de laisser à ces corps vénérables, au moins cet unique et dernier vêtement que les plus pauvres mêmes emportent au tombeau!!!

« Ces corvées si pénibles, quoique consolantes en un sens, devinrent extrêmement fréquentes, précisément à l'époque des grandes chaleurs, où elles étaient infiniment plus fatigantes. Il arrivait quelquefois que nous enterrions de la sorte trois ou quatre prêtres à la fois. D'autres fois,

à peine étions-nous de retour de l'île, harassés, demi-morts de faim, qu'il fallait repartir pour rendre le même service à quelque autre de nos confrères, qui, dans l'intervalle, avait passé à une meilleure vie. On peut penser si de pareilles fatigues, jointes à tant d'autres souffrances, nous disposaient à aller rejoindre prochainement ceux que nous venions de mettre en terre. Aussi qui peut dire de combien de généreux confesseurs de la foi cette île d'Aix, si resserrée dans son enceinte, recèle les précieux ossements?... O terre trop fortunée, heureuse le des saints, au grand jour de la résurrection, il se lèvera de ton sein, pour la vie éternelle, un plus grand nombre de morts que du sein des plus vastes contrées!... C'est ainsi que l'appelait ce même Chartreux dont le Christ d'ivoire fut si indignement traité, comme je l'ai dit plus haut. Son nom de religion est dom Claude. Ce saint religieux, avec qui j'étais lié d'une amitié particulière, mourut au grand hôpital, durant le séjour que j'y fis. Après avoir passé saintement la plus grande partie de sa vie dans l'exercice de la contemplation et dans la pratique de toutes les vertus solitaires du cloître, il la termina plus saintement encore dans la confession de la foi et au milieu des œuvres pénibles du saint ministère. Sa mémoire m'est en singulière vénération, à double titre, et à cause de ses vertus personnelles, et parce que ce

« ElőzőTovább »