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Dieu, aucune image pieuse, aucun objet ou signe extérieur de religion; et cela au milieu des hommes les plus impies, les plus pervers, les plus gangrenés de toute sorte de vices qu'il y eut jamais. Dans un affaiblissement de raison causé par le défaut de tout exercice et par l'excès des souffrances, nous n'avons pu nous soutenir pendant plus d'un an, en proie aux peines qui nous accablaient, qu'en nous ressouvenant que c'est ici la patience des saints; qu'en jetant les yeux sur Jésus, l'auteur et le rémunérateur de la foi; qu'en recourant à sa grâce toute puissante; qu'en nous rappelant, de temps à autre, les grands motifs de religion qui déterminèrent notre premier sacrifice, en entrevoyant sa future récompense. Mais combien ce précieux don de la foi ne pouvait-il pas s'affaiblir dans nos cœurs, environnés, comme nous l'étions, de gens qui n'avaient ni foi ni loi. En voici une preuve entre mille on prit, dans la valise d'un vénérable Chartreux, un peu trop confiant, qui me précédait immédiatement, un magnifique Christ d'ivoire. A cette heureuse découverte, je laisse à penser quelle joie atroce, quelles sacrilèges railleries et quels abominables blasphemes!... Figurez-vous une meute de chiens dans la rage c'est l'expression de l'écriture sainte,

1 Circumdederunt me canes multi; concilium malignantium obsedit me (Ps. 21, 17.).

quand elle peint prophétiquement les impies qui mirent à mort celui dont ce Christ était l'image. Aussitôt un officier, digne émule de ces anciens déicides, prenant son sabre d'une main, et de l'autre appuyant le Christ sur un billot, d'un coup de son arme lui fait sauter la tête, croyant sans doute se débarrasser de la divinité, parce qu'il détruisait l'image de l'Homme-Dieu!... Aussitôt, ces forcenés se mirent à crier en levant le chapeau, comme à la vue d'une exécution sanglante Vive la Nation! Vive la République! Hélas! de quoi le chrétien apostat n'est-il pas capable 1!... >>

Ce tableau d'après nature laisse à comprendre l'active et despotique surveillance dont ces nobles victimes étaient l'objet. Les espions étaient partout, et ne manquaient pas de donner les plus noires interprétations aux paroles qu'ils entendaient, ou aux simples gestes qu'ils pouvaient apercevoir. Un des prêtres prisonniers sur les Deux-Associés, vaisseau dont le capitaine se nommait Luly 2, fut accusé par un de ces geôliers

Relation de ce qu'ont souffert pour la Religion les prêtres insermentés, déportés, en 1794, dans la rade de l'île d'Aix ; par M. de la Biche.

2 Cet homme, appelé le geôlier des Prêtres, est mort, il y a trois ou quatre ans, à Saint-Martin, île de Ré. La prière du prêtre qu'il fit fusiller lui a obtenu la grâce du repentir. La mort de Laly a été chrétienne Dieu est si bon !...

d'avoir fait entendre des paroles séditieuses. Comme si de pauvres ecclésiastiques, heureux de leurs souffrances et surveillés par des tigres, étaient capables d'ourdir une conspiration!... Mais il fallait du sang à ces léopards!...

<< Malheur à qui ne s'observait pas assez, ajoute encore celui qui fut témoin de ces scènes de tortures et de mort. Le moindre mot, le plus petit geste était relevé; le propos le plus innocent était dénaturé, empoisonné! Combien de nous n'ont pas été mis aux fers pour de pareils discours, proférés sans mauvaise intention et faussement exagérés ou malignement interprétés! Ce fut à un de ces rapports mensongers qu'un des nôtres dut la mort violente qu'on lui fit souffrir. Voici comment le fait se passa. C'était un dimanche matin; il faisait un temps obscur et affreux, de la pluie, un grand vent. L'air de nos officiers était sombre, leur regard farouche; tout contribuait à nous donner du noir et à porter la tristesse au fond de nos âmes. Nous savions qu'un de nos confrères était aux fers pour quelque propos imprudent; nous n'étions pas cependant inquiets: cela arrivait si fréquemment!... Un peu après dîner, on nous donne ordre de descendre, sans doute parce que nous encombrions le pont et gênions les passagers; à peine la moitié, à peu près, des prêtres déportés était-elle descendue dans le cachot, qu'on or

donne à ceux qui ne l'étaient pas encore de rester, sans dire ni aux uns ni aux autres la cause de ces divers ordres. J'étais descendu des premiers et j'attendais tranquillement, à ma place, le résultat du mouvement extraordinaire qui se faisait dans le vaisseau. Je logeais justement audessus de la partie du bâtiment qui était affectée à l'équipage. A travers les murmures que faisaient dans notre cachot environ deux cents hommes qui parlaient tous à la fois, débitant chacun leurs conjectures, j'entendais très-distinctement, audessus de ma tête, un bruit peu commun des armes à feu qu'on remuait, qu'on paraissait charger. Je ne sais quel secret pressentiment du sort qui attendait notre malheureux confrère me glaçait l'âme. Je voulus le communiquer à mes plus proches voisins; ils se moquèrent de moi. Leur sécurité me rassura un peu. Je me bornai à croire qu'on infligerait à l'abbé Rouilleau une punition moindre, à la vérité, que la mort, mais toutefois pire que les fers. Comme je réfléchissais là-dessus, cherchant à deviner quel pourrait être ce chatiment, nous entendons toutà-coup partir de l'autre extrémité du bâtiment, sur le pont, un bruit pareil à celui d'un coup de canon, ou de plusieurs coups de mousquets partis à la fois. Ceux de mes confrères qui étaient

1 M. l'abbé Rouilleau avait été chanoine de Limoges.

les plus confiants, commencèrent alors à craindre pour l'infortuné Rouilleau; et moi je ne doutai plus du tont qu'il n'eût péri!... En effet, un moment après, arrive mon plus proche voisin qui était resté sur le pont : « Prież Dieu pour l'infortuué Rouilleau, nous dit-il tout hors de lui-même, il n'est plus; on vient de le fusiller sous mes yeux!... A ces mots, je laisse à penser la consternation et le morne silence qui se répandirent en un moment parmi nous! Je ne crois pas avoir passé de ma vie un aussi terrible quartd'heure. Je bénirai, le reste de mes jours, la divine Providence de n'avoir pas permis que je fusse témoin de cette horrible exécution. J'en appris les principales circonstances par le rapport de ceux de mes confrères qui y avaient assisté. Un malheureux de l'équipage, je ne sais le quel, avait accusé l'abbé Rouilleau d'avoir dit : Cet équipage n'est pas si redoutable; si nous étions seulement deux cents hommes comme moi, nous pourrions bien en venir à bout. Le propos avaitil été réellement tenu?... Je l'ignore. Mais quand il l'eût été, il est bien évident qu'il ne méritait pas la mort. Il était imprudent sans doute, supposé qu'on ne l'eût pas exagéré; mais fait-on périr un homme pour un propos imprudent? Outre que les lois qu'on nous avait lues, lors de notre arrivée au vaisseau, ne statuaient la peine de mort, même pour le fait de révolte, qu'en

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