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emparent, nos épaules seront à nu. Tennyson semble avoir compris ceci ; il s'est repenti de ses égarements; il est revenu à la raison comme l'enfant prodigue, et aujourd'hui, pour fêter son retour, l'Edinburgh Review, l'Athenæum et le Critic s'empressent de tuer le veau gras. Ils entonnent en son honneur un hymne d'allégresse, et célèbrent tous trois la naissance du nouveau poème. Les éloges nous semblent pour la plupart mérités. L'illustre lauréat qui, dans quelques-unes de ses productions, avait exprimé avec force le sentiment de l'action, comme il convenait au fils d'une société énergique et travailleuse, se complaît, à l'heure actuelle, dans une poésie entièrement désintéressée du présent, amoureuse de l'idéal et du fantastique, et, disons-le, c'est dans ce genre que Tennyson rencontre ses plus légitimes succès.

Le poète, cette fois, est allé fouiller dans les traditions nationales de la vieille Angleterre, et de cette pérégrination à travers les siècles, il est revenu le cœur rajeuni et plein d'enthousiasme, apportant avec lui la plus bizarre et la plus embrouillée des légendes, la légende d'Arthus et de la table Ronde. Le monde est vieux, dit La Fontaine, et pourtant

Il le faut amuser encor comme un enfant.

C'est là sans doute ce qu'a pensé Tennyson, et c'est pourquoi, afin de divertir ses compatriotes, il leur raconte les prouesses de leurs ancêtres, comment on aimait au moyen âge, aux temps glorieux de l'héroïsme et de la chevalerie, comment on tremblait devant la dame qu'on avait offensée, comment on se battait, comment on mourait, comment enfin on interprétait le sentiment de l'honneur et de la gloire. On comprend que cette épopée, remplie de nobles sentiments et d'aventures merveilleuses, ait été pour M. Tennyson un thème séduisant. Le poète, tout en conservant à ce roman son caractère primitif, l'a néanmoins développé à sa manière. Il s'inquiète peu de mettre de la régularité dans le plan et de la liaison entre les parties du poème. Ce qu'il cherche avant tout, c'est que le style soit toujours rapide, concis et simple; c'est que les images abondent, et que l'enthousiasme domine. Il parle surtout au cœur, et l'on sent que c'est à ce foyer que s'allume son imagination. Nous voudrions traduire quelques passages, mais comment pourrions-nous rendre des vers tels que ceux-ci, dont la douce harmonie constitue le mérite principal :

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Sweet is true love tho' given in vain, in vain;
And sweet id seath who puts an end to pain:
I know not which is sweeter, not, not I.

Love art thou sweet? Then bitter death must be :
Love, thou art bitter; sweet is death to me.

O love, if death be sweeter, let me die.

Sweet love that seems not made to fade away,
Sweet death, that seems to make us loveless clay,

I know not which is sweeter, no, not I.

I fain would follow love, if that could be;

I needs must follow death, who calls for me;

Call and I follow, I follow! let me die.

La poésie ressemble à la musique : pour la bien juger il faut l'entendre. Tennyson sent vivement, et son style réfléchit toutes les émotions de son cœur. Pour bien connaître le génie poétique du lauréat, il faut le suivre dans son enthousiasme. Pour bien apprécier son mérite, il faut écouter attentivement ses descriptions pittoresques et se pénétrer de son harmonie. Les Idylles du Roi obtiendront sans aucun doute la même célébrité que In Memoriam.

Love letters, Lettres d'amour! tel est le titre séduisant d'un petit volume frais et rose échappé, tout dernièrement, des presses de Londres. L'Athenæum et le Critic s'empressent de le signaler à l'attention de leurs lecteurs. Il ne s'agit pas ici d'un manuel épistolaire, mais d'un recueil de lettres authentiques et émanant de personnages haut placés et bien connus dans la littérature, la politique et l'histoire. Ce sont des lettres écrites avec des larmes et des sourires, d'une main souvent tremblante, d'un cœur toujours ému. On n'y sent aucune contrainte, aucune gêne, aucun embarras; elles sont dépourvues de toutes les formalités ordinaires aux autres genres de correspondance. La pensée s'y joue à l'aise, rieuse ou triste, légère ou profonde. En parcourant ces épîtres familières, nous avons vu tour à tour passer devant nous Henri VIII avec sa brutalité sensuelle, Lawrence Sterne avec son esprit vif et sentimental, Swift et son égoïsme incarné, Samuel Johnson et son abnégation touchante. Nous avons pris part aussi aux terribles angoisses de lady Hamilton, l'ange gardien de Nelson, nous avons compris la poignante jalousie de Vanessa et le dévouement sublime de Stella; nous avons enfin senti battre notre cœur au récit des douces confidences de miss Clarinda, de lady Henrietta Berkeley, de lady Murray, de lady Montagu; et, en voyant défiler devant nos yeux cette poétique galerie d'Anglaises vaporeuses et tendres, aimables et spirituelles, nous avons compris le désir exprimé par Byron lorsqu'il souhaitait que toutes les femmes n'eussent qu'une bouche pour les aimer toutes à la fois.

Le mérite de ces lettres ne se fonde pas précisément sur la valeur et l'importance des faits qu'elles renferment, mais plutôt sur les appréciations et les jugements qu'elles nous aident à porter sur le caractère distinctif de chaque amant. Elles nous donnent la couleur de ses pensées, le tableau de ses sentiments, et nous le représentent non pas plus beau et plus parfait qu'il n'était en réalité, mais avec tous ses défauts et toutes ses faiblesses. Nous voudrions pouvoir citer quelques-uns de ces billets doux de nos voisins, mais en Angleterre comme partout ailleurs, les billets doux sont bien longs, et l'espace nous manque. Contentons-nous donc d'en recommander la lecture. Nous avons tous aimé, nous aimons ou nous aimerons un jour. Souvenirs du passé, bonheur présent, espérances à venir, tout nous convie à lire ce petit livre rempli de coquetteries féminines et de bouderies. amoureuses, de joies et de peines, de douces illusions et de déceptions

amères.

NORTH PEAT.

REVUE CRITIQUE

Institution au Droit français, par Claude FLEURY, publiée par M. Ed. LABOULAYE, membre de l'Institut, et par M. Rod. DARESTE, avocat au conseil d'Etat et à la Cour de cassation, 2 vol. Paris, A. Durand, libraire-éditeur. 1858.

Cette belle parole de Cicéron « consulares philosophi » qu'il appliquait aux philosophes d'une certaine école, pourrait aussi bien désigner toute une classe de jurisconsultes : je veux parler de ceux qui savent éclairer la pratique par l'histoire et la philosophie. Si M. Edouard Laboulaye n'avait pas déjà conquis sa place dans cette aristocratie, ce livre la lui donnerait aujourd'hui.

Claude Fleury, le sous-précepteur des enfants de France, l'illustre et vénérable écrivain religieux n'avait pas songé tout d'abord à l'état ecclésiastique. Avocat au parlement dès sa dix-huitième année, il était resté neuf ans au barreau: fortifié des conseils d'un vieux conseiller au parlement, il s'était plongé dans l'étude du droit romain: Cujas avait fait ses délices, et les insupportables subtilités de Dumoulin ne l'avaient pas rebuté. Dès l'année 1663, il avait commencé un abrégé du droit français, qu'il termina seulement au mois de mai 1668. Cet abrégé était perdu pour nous, quand M. Laboulaye le retrouva. Quelques lignes de Daragon, professeur en l'Université de Paris au XVIII• siècle, lui révélèrent le secret de cette découverte, qu'il avait longtemps ignoré. Comme le nom de l'auteur et la date du livre donnaient un grand intérêt à la publication, il n'hésita pas à faire imprimer l'Institution au droit français.

Claude Fleury est de l'école de M. Laboulaye; et je suis tout heureux d'avoir affaire à des docteurs qui, malgré leur profond amour de la jurisprudence, sacrifient en même temps à des muses moins sévères. C'est un culte profane que repoussent, il est vrai, certains jurisconsultes; mais ces muses dédaignées se vengent cruellement. Les ouvrages de ces gens exclusifs prennent un caractère rébarbatif et morose; il y manque ou l'ordre du discours ou la clarté du style ou l'agrément de la forme, en tout cas ce doux reflet des belles-lettres, qui charme les moins instruits et ne déplaît pas aux plus savants. Ouvrez l'Institution au droit français : il y règne je ne sais quelle saveur simple et saine; tout y est à sa place; l'auteur déve

loppe avec sobriété, résume sans sécheresse, et des gens qui n'ont jamais fait leur droit le liront sans ennui.

Ce n'est pas mon seul motif de prédilection. Il s'agit de notre vieux droit français, et j'aime à l'excès tout ce qui se rattache au droit national. J'ai toujours secrètement murmuré de l'injuste préférence que l'enseignement officiel accorde au droit romain. Nos jeunes avocats sortent de l'école tout prêts à aider Papinien et les jurisconsultes de ce temps-là dans leurs consultations. S'ils devaient vivre et plaider sous les empereurs romains, je n'y verrais pas d'inconvénient, bien que la subtilité d'Africain et l'obscurité de Tryphoninus fussent de nature à gâter les esprits les plus droits. Mais il ne s'agit que d'études historiques. Que dirait-on de l'enseignement secondaire, si le ministre de l'instruction publique ordonnait aux élèves des lycées d'étudier exclusivement l'histoire romaine ou l'histoire du moyen âge depuis la huitième jusqu'à la philosophie? S'il est bon d'étudier toutes les branches de l'histoire générale, il est bon d'étudier toutes les branches de l'histoire du droit. Des romanistes exagérés répondent que l'infinie diversité des coutumes empêche de réunir en un corps de doctrine les préceptes du vieux droit français ; la réplique est facile : il y a des travaux d'ensemble sur le droit national, et, dans un semblable enseignement, on pourrait prendre pour point de départ et comme Manuel l'ouvrage élémentaire de Claude Fleury.

Ce qui donne un autre intérêt à ce livre, c'est qu'il est écrit à certains égards dans une époque de transition. M. Laboulaye le fait très bien remarquer. La procédure civile et criminelle que Fleury nous présente, ce n'est pas celle de Louis XIV; Fleury a écrit à la veille des ordonnances de 1667 et de 1670; c'est l'ancien droit, la législation du XVI siècle qu'il nous explique dès lors son traité nous sert à comprendre ce que fit Louis XIV.

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On sait que le sous-précepteur des enfants de France avait à la fois l'esprit élevé, solide et précis. La preuve en est avant tout dans une suite de notes adressées à Louis duc de Bourgogne et depuis dauphin, que Daragon nous a conservées dans son ouvrage sur le droit public: écoutons quelques-uns de ces conseils : « Oter vénalité des charges judiciaires. Retrancher les degrés de juridiction et en général les appellations autant que se pourra. Supprimer les tribunaux de privilégiés. Réformer notre procédure criminelle, tirée de celle de l'Inquisition : elle tend plus à découvrir et à punir les coupables qu'à justifier les innocents. Punir les grands crimes en toutes personnes sans exception. Rendre la procédure civile plus sérieuse : retrancher écritures et rapports secrets. Audiences publiques. » D'Aguesseau n'allait pas si loin.

Ces hautes qualités de Claude Fleury, nous les retrouvons dans l'Institution au droit français; mais n'exagérons rien : nous y retrouvons aussi bien des défauts inhérents au siècle. Il suffit de parcourir l'ouvrage pour y reconnaître ce double caractère.

L'Institution au droit français débute par une assez belle définition du droit naturel, qui serait meilleure encore si elle n'était gâtée par une malheureuse réminiscence du droit romain. Néanmoins il est impossible de

glisser plus rapidement sur les notions philosophiques. L'Allemagne ne nous avait encore rien appris sur ce point, et l'on n'avait médité qu'imparfaitement la célèbre phrase de Cicéron: « Penitus ex intima philosophia hauriendam juris disciplinam.

L'esprit philosophique manquera donc à Fleury dès qu'il abordera la sphère du droit public. Aussi le voyons-nous poser avec une merveilleuse netteté la théorie du pouvoir absolu sans penser à se de mander s'il existe autre chose sur la terre : « Toute la puissance publique, c'est-à-dire toute l'autorité de commander aux Français et de disposer de leurs personnes et de leurs biens suivant l'utilité de l'Etat, réside en la personne du roi seul; et il en est propriétaire en telle sorte qu'elle ne peut lui être ôtée par qui que ce soit; et on ne doit pas le considérer comme un simple officier, mais comme un véritable seigneur. » On voit que Claude Fleury n'était pas un révolutionnaire.

Ce qu'on peut remarquer dans toute la partie qui touche au droit public, c'est un vif amour de l'unité territoriale, politique, administrative du royaume Fleury juge beaucoup plus librement les inconvénients du morcellement féodal que les défauts du pouvoir absolu. Quand il arrive aux justices seigneuriales, il s'écrie: «En bonne jurisprudence, il ne devrait y avoir que le roi qui eût justice, c'est-à-dire droit de juger ses sujets, ou par lui-même, ou par ses officiers; mais l'usage ne s'accommode pas à la règle. » Rien de plus conforme aux idées du grand siècle.

Il faut rendre après tout cette justice à Fleury qu'il n'était pas ordinaire en ce siècle de dire tout haut son avis sur les abus de la législation. Quelquefois il faut bien sonder la pensée de l'auteur pour la pénétrer. Nous savons, par exemple, quel était son opinion sur les tribunaux de privilégiés, puisqu'il invite formellement le duc de Bourgogne à les supprimer. Fleury paraît énumérer assez froidement les nombreuses « jurisdictions extraordinaires; mais le lecteur attentif trouvera sa pensée dans une phrase très simple qui termine le chapitre : « Voilà quelles sont les jurisdictions extraordinaires qui sont le plus en usage; car qui voudroit parler de toutes celles qui ont été jamais établies seroit obligé de faire un grand discours; et si, il en resteroit encore infiniment plus de possibles qu'on ne peut pas deviner, car il y en peut avoir autant qu'on peut imaginer de différentes affaires. >>

Dans les questions de droit public international, Fleury montre un esprit juste et pratique. Mais la science du droit public international n'était pas encore à son apogée : on peut s'en convaincre en voyant le bon Fleury déclarer que tous les préceptes du droit des gens disparaissent dans la guerre avec les infidèles. « Pour ce qui est des sauvages de l'Amérique, ajoute-t-il, et des autres nouveaux pays, ce n'est pas tant une guerre qu'une chasse, et on ne les considère presque que comme des bêtes qu'on est obligé de tuer pour n'en être point offensé, et dont on se sert quand on peut les approvisionner. » Est-ce sérieux? est-ce ironique? Il est malaisé de démêler la pensée de l'auteur, qu'on devrait pouvoir démêler en pareille circonstance. L'ironie de Montesquieu est plus claire : « Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes, parce que,

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