Oldalképek
PDF
ePub

XLV

Toute la journée du duel s'était passée pour Alba dans une sorte d'atonie et d'accablement dont elle ne put sortir. Sa pensée était près du blessé, mais elle ne pouvait suivre sa pensée. Elle n'avait d'autre consolation que de relire la lettre de Marino, qui l'enivrait des aveux brûlants de son amour.

Marino, en ce moment, devait être entre les mains des médecins ; Zenone, d'ailleurs, ne l'avait pas quitté. Le lendemain, elle fut tellement surveillée, qu'elle ne put songer à quitter le palais. La comtesse prit plus de souci d'elle en un jour qu'elle n'avait fait pendant tout le reste de sa vie. Mais cette surveillance, dont Alba se plaignait tout bas, fut un bonheur pour la jeune fille : elle lui donna le temps de se remettre et de se calmer. M. de Morghen, bien qu'il fût complétement étranger à la querelle, eut le bon goût de ne point paraître au palais : il pressentait des troubles intimes, qui devaient s'apaiser d'euxmêmes, au sein de la famille et loin de tout regard étranger. Alba lui sut gré de cette discrétion : elle s'avouait tout bas que sa présence l'eût gênée; mais personne ne lui donna de nouvelles de Marino, et elle n'osait en demander à personne. Le troisième jour, elle n'y tint plus. Pendant que tout le monde dormait encore, elle appela Zecco, toujours prêt à la servir et heureux de se voir, pour elle et avec elle, mêlé à une intrigue amoureuse, chose pour laquelle un Vénitien se sent toujours un goût prononcé.

<< Va chez le comte, dit Alba, et n'oublie pas qu'il faut que tu 'le voies: prends le sandolo '; tu peux faire la course en vingt minutes. Je serai dans la galerie. »

Au bout d'une heure, Zecco n'était pas encore revenu. Alba connuť ce jour-là toutes ces angoisses de l'attente, que ne supportent pas toujours les courages les mieux trempés.

Enfin, le sandolo tourna l'angle du palais, et une minute après Alba ouvrait elle-même à Zecco la porte de la galerie.

« Tu ne l'as pas vu? Il fallait le voir! dit-elle impétueusement en mettant la main sur l'épaule du gondolier, dont son regard interrogeait le visage.

- Impossible, contessina, dit le Zecchino; il a une garde-malade, voyez-vous, ce n'est pas une femme, c'est une lionne!

Embarcation extrêmement légère, qui ne porte bien qu'une personne, et dont les Vénitiens se servent pour les joûtes et les courses rapides.

Tu sais du moins comment il va?

Mieux maintenant; mais la nuit a été mauvaise, très mauvaise. C'est bien! dit Alba d'une voix que l'émotion semblait étrangler dans sa gorge. Descends, prends la gondole de service, et tienstoi à la porte du petit canal........ » Elle mit un doigt sur ses lèvres et disparut.

Elle courut à la chambre de miss Shelby.

<< Dieu ! qu'avez-vous ? dit celle-ci à la jeune fille en la voyant entrer. Vos yeux sont rouges, et vous êtes pâle comme un marbre. Est-ce que ?.... »

-

Et la gouvernante, qui n'osa pas achever, prit la main de son élève.

« Il a failli mourir cette nuit !

-

Dieu vous éprouve !

Que faire, ma chère Barbara ?

En vérité, je ne le sais pas.

Si.....

- Impossible! répliqua la gouvernante, qui comprit la pensée de la jeune fille.

Alors, laissons-le mourir ! dit Alba en tombant sur un fauteuil. Je ne dis pas cela, reprit miss Shelby, en arpentant la chambre à grands pas, - des pas d'Anglaise ! Alors?

[ocr errors]
[ocr errors]

- Vous n'y pouvez pas aller vous. Je me reproche déjà tout ce que nous avons fait ensemble, et ma faiblesse qui pourrait passer pour une trahison envers votre mère ! Dieu sait mes intentions, et il me jugera. - Mais je ne veux pas le tenter davantage.

- Vous avez raison, et je ne demande plus rien ! dit Alba. Vous avez déjà trop fait pour moi! Ah! si du moins Zecco l'avait vu..... Mais qui sait si on ne l'a pas trompé, et si, à présent, Marino n'est pas mort ou mourant? Il paraît que l'on craignait une crise pour aujourd'hui. » - Alba pencha sa tête dans ses mains: à travers ses doigts, ses larmes coulaient silencieusement et inondaient son visage.

Miss Shelby demeura un moment immobile, les bras croisés sur sa poitrine, qui se soulevait par intervalles, l'œil fixé sur la pointe de son soulier, qui semblait incrusté dans le pavé de sa chambre. Sur son visage accentué, dont les lignes en ce moment semblaient plus dures et plus heurtées que jamais, on eût pu suivre la lutte des sentiments contraires qui se partageaient son âme..... peut-être en la déchirant!

Tout à coup, elle jeta un châle sur ses épaules, une mantille sur sa tête, et, passant devant Alba sans la regarder :

« J'y vais ! lui dit-elle d'une voix brève.

ges. TOME X.

Ah! vous êtes bonne, s'écria la jeune fille en la serrant dans ses bras avec une effusion de tendresse; chère, chère Shelby, mon amie, ma sœur !

A bientôt ! à bientôt ! » fit mis Barbara en se débarrassant de son étreinte avec un mouvement nerveux, presque brusque.

Alba l'accompagna jusqu'à moitié de l'escalier.

« La gondole est en bas, et Zecco vous attend..... Adieu..... vous emportez mon âme ! »

Miss Shelby descendit si rapidement, qu'elle ne prit pas le temps de lui répondre.

La porte des gens de service était entr'ouverte, la barque accostée. Zecco, la rame en main, un pied sur la dernière marche de l'escalier, et l'autre sur la gondole, attendait les ordres de sa maîtresse.

--

Quand miss Barbara parut, et qu'elle parut seule, il éprouva un léger mécompte, et la gouvernante comprit bien que ce n'était pas elle qu'il croyait conduire. Mais les gondoliers vénitiens sont les plus agréables serviteurs du monde. On peut soumettre leur discrétion aux plus rudes épreuves: elle en sortira toujours victorieuse. Ils voient trop de choses pour que rien puisse les surprendre, et s'ils ne se privent pas plus que d'autres du plaisir de faire de temps en temps une supposition malicieuse, on peut être du moins certain qu'ils ne la communiqueront à personne.

Miss Barbara était si bien enveloppée dans son châle, si bien abritée derrière sa mantille, dont elle avait doublé les plis, ramenés sur son visage, que pour la reconnaître il fallait la voir tous les jours. La pauvre fille était si émue, qu'elle entra dans la gondole sans même songer à donner ses ordres. Mais avec l'intelligence ordinaire des gens de sa classe, Zecco n'eut pas de peine à comprendre que c'était une affaire arrangée entre la gouvernante et la jeune comtesse, et, sans rien demander ni rien attendre, il se dirigea, par mille détours familiers, vers le palais des Lanzia.

XLVI

Miss Barbara se blottit au fond de la gondole. L'honnête gouvernante était dans un véritable trouble d'esprit.

« Ainsi, pensait-elle, je m'en vais chez un jeune homme !.... et chez lequel!.... Ah! c'était bien la peine d'avoir une réputation d'intacte vertu et d'inflexible sévérité, c'était bien la peine de lutter contre moi-même, d'éteindre les flammes et d'étouffer les battements de mon cœur, pour me lancer follement en pleine intrigue, pour y sui

vre, pour y conduire, peut-être ! - la plus loyale et la plus pure des jeunes âmes qui me sont confiées. Je me fais honte à moimême ! » Et miss Shelby pressa violemment son front dans ses deux mains! La gondole était à la porte d'eau du petit escalier de Lanzia. « C'est ici! dit Zecco.

A quel étage! demanda miss Shelby en s'appuyant contre la muraille.

[blocks in formation]

Barbara monta les premières marches assez rapidement, mais elle fut bientôt obligée d'aller moins vite, puis d'attendre:- le souffle lui manquait.

[ocr errors]

« Je fais plus que je n'aurais dû............ et plus que je ne puis, » pensat-elle, en sentant ses jambes qui fléchissaient. Mais l'émotion, qui pouvait la surprendre, ne pouvait pas l'abattre; elle pliait sous le premier choc..... et se relevait toujours! C'était une nature vaillante que notre Barbara!

Arrivée à la dernière marche, miss Shelby vit une clef sur une porte: elle tourna la clef, poussa la porte et entra. Une petite antichambre - où il n'y avait personne, fut bientôt franchie, et la gouvernante, en pénétrant dans la seconde pièce, se trouva tout à coup en face du lit de Marino..

Le jeune homme était seul : il avait les yeux fermés.

Barbara, qui était entrée sur la pointe du pied, s'arrêta au milieu de la chambre, regardant silencieusement ce beau visage si pâle. Mais le blessé, avec cette finesse de perception que certaines maladies donnent à nos sens, devina, sans ouvrir les yeux, la présence d'une personne étrangère.

« Ce n'est pas toi, Anzora? dit-il d'une voix très faible. -Non, dit miss Shelby, ce n'est pas Anzora. »

Au son de cette voix bien connue, Marino se retourna du côté de la gouvernante.

« Vous, ici! lui dit-il avec un mouvement de joie son regard embrassa toute la chambre, comme s'il eût cherché quelqu'un derrière elle. Seule! ajouta-t-il avec un accent de reproche.

[ocr errors]

- Comme les hommes sont ingrats! même les meilleurs! pensa miss Shelby.

- Oui, seule ! » répondit-elle au bout d'un instant.

Marino referma ses yeux: miss Barbara s'approcha du lit, et prit sa main. Elle était brûlante.

« Vous souffrez? lui demanda-t-elle.

-Beaucoup, maintenant. »

Elle s'assit près de lui.

<«< Où est Alba? demanda le blessé avec une agitation crois

[merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

Au palais.

Elle n'est pas venue!.... elle n'a pas voulu venir? dites-moi

Eh bien, si, elle voulait venir; c'est moi qui l'en ai empêchée. »

Marino voulut lui retirer sa main.

<< Soyez raisonnable, continua-t-elle, avec un accent de douce autorité il me semble qu'elle a fait assez pour vous. » Marino la regarda, mais ne répondit rien.

« Sans parler de moi! continua la gourvernante.

- Oui! je sais que vous avez été bonnes comme deux anges! Jamais je ne pourrai m'acquitter envers vous!

Ah! si vous le voulez..... c'est moi qui vous devrai!

-Si je veux! mais parlez donc !

Eh bien? ne perdez pas Alba! dit miss Shelby en joignant ses deux mains, avec le geste de la prière.

- Grand Dieu! perdre Alba!» s'écria Marino.

Et malgré sa faiblesse, un impétueux élan le souleva de son lit. « Ah! Barbara, qu'osez-vous dire? Alba, pour qui je donnerais mille fois ma vie.

- Je vous crois, reprit l'Ecossaise, qui retrouvait toute sa fermeté; mais on peut perdre en aimant ! Défendez-la contre vous, et sauvez-la d'elle-même! je ne vous trompais pas tout à l'heure..... elle voulait venir chez vous.

Que Dieu la bénisse!

Et il a fallu tout mon empire sur elle pour l'en détourner.

Et vous le répétez encore ! » dit Marino, dont les joues se couvrirent d'une soudaine rougeur.

En ce moment, on entendit le coup sec d'un marteau qui retombait sur la porte d'entrée, et un bruit de pas dans l'antichambre.

<< Quelqu'un !» fit la gouvernante, en s'éloignant du lit par un mouvement instinctif.

Cependant, Anzora était sortie d'une petite pièce où elle travaillait tout près de l'escalier, et on l'entendit qui parlementait avec le nouvel arrivant.

Que voulez-vous? lui demandait-elle, qui êtes-vous?

Je voudrais avoir des nouvelles du comte Lanzia, et le voir s'il est possible.

Ciel! dit Barbara, cette voix ! je la reconnais. C'est Joseph Nerini. S'il me voit ici..... il est capable de tout deviner..... ou de tout

« ElőzőTovább »