Oldalképek
PDF
ePub

vont plus être que des souvenirs; et puis, être jeté au large par l'ouragan et battre encore les mers pendant quinze jours, c'est la vie du marin, une épreuve dont il ignore le terme.

Le soir même de ce jour, où nous devions prendre le mouillage de Cork, nous étions à la cape, chargés par de pesantes rafales de pluie et de vent, dérivant dans le sud d'une lieue par heure. Les onze jours qui suivirent, ne furent qu'une succession de coups de vent, avec des apaisements subits qui duraient douze heures. A la fin, notre volonté était à bout: comme ces animaux que relance une meute toujours fraîche et qui épuisent toutes leurs ruses, nous étions près de tomber de lassitude et de douleur. Sans doute, c'est à la suite de circonstances semblables qu'on a pu trouver, en mer, des équipages découragés à ce point qu'ils avaient renoncé à défendre leur vie et à manœuvrer leurs voiles.

Quelquefois, à notre arrière, un caboteur s'enfuyait vent arrière comme un oiseau de mer effrayé. Où allait-il, dans cette route si sûre? Alors, nous pensions qu'à trente lieues de nous, de cette affreuse mer, étaient des villes populeuses; que la pluie et le vent étaient même une cause de jouissance pour l'artisan rentré chez lui et à l'abri. Les voitures roulaient dans la boue, des milliers d'hommes couraient à leurs plaisirs : le soir, les théâtres s'empliraient. Et nous, jouets misérables, tourmentés par la mer, nous chercherions en vain dans nos cabines, au milieu de l'odeur brûlante du guano, ballottés par le roulis et le tangage, nous chercherions en vain un peu de répit et de sommeil.

Au milieu de ces coups de vent continuels, notre charge s'était considérablement accrue mais le guano absorbait l'humidité, et nous aurions pu sombrer sans que la pompe accusât un pouce d'eau. Dans ces conditions, la Stella n'était plus qu'une masse lourde, inerte, molle, qui s'élevait mal à la lame et perdait continuellement la cape. Le 9 juin, qui était le onzième jour de cette navigation malheureuse, faillit être celui de notre perte. Une lame plus haute et plus forte que les autres, courut sur nous pendant que nous retombions péniblement dans le creux des vagues, et, franchissant le pavois, tomba à bord avec un bruit sourd, pesant, épouvantable. Le coffre fut rempli (c'est l'espace compris entre la dunette et le gaillard), et nous commençâmes à sombrer. La mer nous démolissait à coups précipités, comme par des volées d'artillerie, et chacun de ces assauts introduisait encore à bord une plus grande quantité d'eau. Dans cette situation critique, nous fùmes sauvés par ce qui semblait devoir nous perdre. Le poids de l'eau qui s'amassait sous le vent défonça un sabord, et la mer quitta le coffre. L'inclinaison diminua, le gouvernail reprit de la puissance, et le navire vint au vent, comme

un être doué d'intelligence et qui se fût mis en garde contre la lame. Ce fut notre dernière aventure. Dans la soirée, le vent diminua de violence, et la mer s'apaisa avec une rapidité merveilleuse. Nous savions que ces répits duraient seulement quelques heures : le vent était devenu favorable, et le port était sans doute à peu de distance. Mais, depuis onze jours, nous n'avions point pris d'observations dans le ciel, et, au milieu de routes enchevêtrées et grevées d'erreur, nous ignorions où nous pouvions être. Mais le souvenir de cette dernière attaque de la mer, de cette lame haute et courroucée, fouettait nos esprits nous voulions en finir. En même temps que le vent et la mer s'apaisaient, cet accablement qui pesait sur nous s'allégeait, et nos volontés étaient, de nouveau, claires et ardentes. Nous résolûmes de donner sur la terre, avec une hauteur méridienne de lune, si nous pouvions parvenir à la prendre.

Tout, dans le ciel, paraissait encore irrité, et les nuages s'enfuyaient, en troupe, fouettés par le vent du sud. Mais, parfois, la lune, toute blanche, paraissait et remplissait l'espace de lumière. — Amoureux qui la maudissiez; poètes qui chantiez son jour d'argent et qui lui demandiez des rimes; oisifs qui alliez à vos plaisirs, en répétant la complainte de Pierrot; bourgeois qui vous moquiez d'elle, saviez-vous qu'au même instant, des marins battus par l'orage, cherchaient à lire dans le ciel leur route sur la mer et suppliaient les nuages de s'écarter un peu. Tous les trois, munis de nos instruments, nous étions sur la dunette, à dix heures et demie, vingt minutes avant le passage de la lune au méridien. On épiait les éclaircies; on maudissait un grand nuage qui semblait obliquer sa route exprès pour augmenter notre peine, et, toujours, on admirait la lune, dès qu'elle se montrait. Et chacun de nous, quoique ne l'ayant pas apprise, disait, de tout son cœur, la prière du Sarrasin Médor: «O sainte déesse! toi qui dans le ciel, sur la terre et jusque dans les enfers, étales toute ta beauté sous des formes différentes; ô toi! chasseresse sacrée ! qui dans les forêts poursuis les traces des bêtes sauvages et des monstres, fais-moi reconnaître, au milieu de tant de guerriers, mon roi qui, pendant sa vie, imita tes saints exemples..... La lune, à cette prière, paraît à travers le nuage, aussi belle, aussi brillante, que lorsqu'elle se jeta sans voiles dans les bras d'Endymion. » Elle parut ainsi, et les nuages semblèrent s'écarter pour que nous pussions l'observer à loisir. Quelques moments après, nous modifiions notre route, et la Stella se couvrait de toutes ses voiles. -On peut citer des manœuvres brillantes, des tours d'adresse, des passages en poupe; on trouvera difficilement, en marine, une opération plus hardie qu'un attérissage de nuit au moyen d'une hauteur de lune, après onze jours de cape sans une observation céleste.

2e S. TOME X.

41

Vers la fin de la nuit, les phares nous aidèrent à rectifier notre position, et, à cinq heures et demie du matin, nous reconnûmes l'entrée de Cork. Ce fut là que nous trouvâmes le pilote dans une petite barque qui rasait la terre. On nous avait parlé de l'audace des pilotes d'Irlande, de leurs courses aventureuses à trente et quarante lieues des côtes. Nous n'avions pas eu lieu d'admirer cette audace, et celui-ci était le premier que nous rencontrions. Il monta à bord en gesticulant et en criant, à la façon d'un Gascon qui eût parlé anglais. C'était un grand vieillard osseux, à demi ivre. Il n'avait dans sa barque qu'un enfant chétif et malingre, pauvre représentant de la famélique Irlande. Ce pilote nous montrait, avec de grands signes de terreur, l'apparence menaçante du temps, et les vagues qui blanchissaient déjà au large. Il nous disait que la tempête allait de nouveau battre la mer et l'air, et qu'il fallait se presser. Il n'avait pas besoin de nous le dire. Mais, cette fois, nous touchions le port, et, bientôt, nous embouquâmes un goulet étroit, aux rives verdoyantes.

Qu'elle est belle, la verte Erin; qu'il est doux son velours de blé naissant, pour les yeux qui viennent de contempler le vert glauque des deux Soles! Les vapeurs s'accrochent aux forêts de pins; tout est tendre et mouillé, là-bas. Maintenant, nous voici dans la rade, et les terres nous entourent. Au loin, la haute mer, au loin jusqu'au prochain voyage. De tous côtés, la vie éclate: les barques passent en s'inclinant sous les risées; les bateaux à vapeur salissent la brume de leur fumée noire, et nous reconnaissons, à chaque instant, les anciens compagnons du Callao. Une voix amie nous jette une parole de bienvenue. Le souvenir de la ville péruvienne, de la dernière entrela nouvelle rencontre, produisent dans nos esprits un mélange bizarre, et ces cinq mois d'intervalle nous apparaissent en plein jour, comme un cauchemar. A notre droite, à une assez grande distance, se groupent les maisons blanches et régulières de la petite ville de Cover, qui fait, en avant-garde, les opérations maritimes de la grande ville de Cork. Celle-ci, comme chacun sait, est située à plus de deux lieues de la rade.

vue,

Mes souvenirs ont ici trouvé leur terme. Pour moi, le mouillage de Queen's Town, c'était une vie nouvelle, ce qu'on appelle alors la liberté. Ne plus entendre le bruit monotone de l'eau sur le pont, ne plus entendre, à minuit moins le quart : « Levez-vous, lieutenant; le temps est mauvais et les rafales sont lourdes; » bientôt, enfin, ne plus voyager sur l'eau ; quelle jouissance! Il faudrait les fixer, ces moments, si le peu de plaisir qu'on rencontre n'était pareil à une vapeur légère. Mais si le capitaine de la Stella écrivait ici ses souve

* Queen's Town, depuis le dernier voyage de la reine.

nirs, quel arrière-goût de fiel et de vinaigre ne trouverait-il pas, en pensant à ce mouillage de Queen's Town. Dès le second jour, le représentant de la maison Espagnat, de Bordeaux, monta à bord. C'était un petit monsieur qui gasconnait, en traînant, de la manière particulière à Bordeaux. Il avait un balancement tout entier du corps, une mine désagréable, et s'appelait Papillon.

« C'était une affaire bien fàcheuse que cette campagne, et on espérait être plus heureux en confiant d'aussi gros intérêts au capitaine Olfus. Comment avait-il fait, le capitaine, pour aboutir à cette désastreuse relâche? Sans doute, bien d'autres fussent allés en droiture. La relâche avait fait tout le mal. »

Il s'en tenait là. Et alors, il demanda à voir la toile qui restait après la saute de vent du pamper. Elle était brûlée et pourrie tout à la fois. Mais lui la trouvait bonne. Et comme tous les Bordelais, surtout quand ils ont une part de propriété dans un navire, se piquent d'avoir des connaissances en marine, il dit qu'on aurait pu prendre des précautions, et il les indiqua. « On avait fait ensuite bien des dépenses inutiles dans les allées et venues du Callao à Lima; désormais tout serait mieux réglé, et on irait à l'économie. » Ainsi cet heureux marchand, de par le droit souverain de l'argent, faisait la leçon au marin qui venait de battre les mers, pendant deux ans, pour autrui. Wilhem Olfus l'écoutait, la gorge sèche, le plus souvent sans mot dire. Ces scènes se renouvelaient à chaque instant du jour; la tristesse avait fait élection à bord de la Stella, en même temps que le Bordelais, et je souffrais de voir la peine et l'amoindrissement de l'excellent homme dont j'avais partagé la vie si longtemps. Ces raisons me firent abréger mon séjour à Cover, et, peu de temps après notre arrivée, je pris congé des hôtes de la Stella. Son capitaine essaya de trouver un mot d'amitié et d'entrain. Mais maintenant tout n'allait plus, comme il disait dans le Pacifique : « All's well. » Bien au contraire. Malgré son effort, son visage resta triste. Le petit équipage se tenait près de la chaloupe. Ils savaient qu'un des leurs allait partir, et ils auraient bien dit quelques mots d'adieu, mais ils n'osaient. Ils ne sont pas gâtés, ces gens de mer; et un serrement de main, le moindre égard les touche? Quand le steamer de l'Irish Company, la Sabrina, passa au milieu des navires marchands, sur le gaillard d'avant de l'un d'eux, on pouvait distinguer un petit groupe, et des bonnets qui s'agitaient en l'air, en signe d'adieu. Je le leur rendais alors. Aujourd'hui, à huit ans de distance, en finissant leur histoire, je leur dis encore: Braves gens, adieu.

LEOPOLD CONSTANTIN.

LES IDÉES

SUR LA POLITIQUE SOCIALE

EN ALLEMAGNE

Die Volksnaturgeschichte, 3 vol. Tome II die Burgerliche Gesellschaft,
par M. W. H. RIEHL. Stutgard et Tubingen.

Il y a cinquante ans, la littérature en Allemagne était purement spéculative ou dogmatique. La pensée, circonscrite dans le domaine de l'imagination, et n'osant pas aborder les questions vitales de la politique, n'avait d'autre horizon que les rêves de la fantaisie ou les nuages de la métaphysique. De là peut-être cette indécision, cette obscurité, ces teintes vagues et crépusculaires que le génie allemand semble avoir conservées jusqu'à nos jours; de là ce mélange d'exaltation et de frivolité qui distingue ses principales productions, et dont ses plus grands écrivains n'ont pu s'affranchir. Ainsi Hoffmann, J.-P. Richter sortent ouvertement du monde réel et se plongent dans l'hallucination et le monde fantastique. D'autres, comme Tieck et Schlegel, cherchent l'inspiration dans le moyen âge et dans le monde légendaire. Partout le même dédain de l'esprit pour les luttes de la vie réelle et pour les questions pratiques; partout l'amour de l'imaginaire: tendances bien naturelles de l'esprit, quand il a conscience de sa faiblesse et qu'il aspire vainement à la liberté.

Les maîtres de la littérature allemande, Goethe et Schiller, sont-ils en dehors de cette loi commune? Oui, sans doute, jusqu'à un certain point le génie sait toujours maintenir son indépendance, et cepen

« ElőzőTovább »