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blaient ne pas trouver d'écho, et où ceux-là mêmes dont le mariage comblait les plus secrets désirs, n'osaient pas être heureux, tant ils sentaient autour d'eux d'amertumes secrètes et de poignantes angoisses.

Faustine, dans un coin de la chapelle, le front penché sur les dalles, comprimait son cœur, étouffait ses sanglots et buvait ses larmes, tout en offrant à Dieu des prières pour le bonheur de ceux qu'elle aimait. Stieglitz, exilé comme Marino, était parti pour l'Allemagne le matin même.

Miss Shelby, debout, appuyée contre la porte de la chapelle, l'œil fixe et terne, les traits plus durs et plus anguleux que jamais, tenant à la main une bible dans laquelle elle ne lisait pas, ressemblait à ces statues de pierre qui semblent défendre le seuil des églises. Enfin, la cérémonie s'acheva. — Il fallait partir. — Les adieux de la famille furent déchirants. Faustine se jeta au cou de sa sœur, et cacha dans la poitrine d'Alba son visage baigné de larmes.

« Pauvre âme chère, que deviendras-tu ? lui demanda sa sœur. - Je penserai à vous deux ! » répondit-elle.

La comtesse, au bras du chevalier d'Ayala, ne bénit point ses enfants, ce qui n'est pas dans les usages de Venise; mais elle sut trouver quelques mots bien sentis et un geste majestueux pour prendre noblement congé du jeune couple.

Béatrix et Juliette furent affectueuses envers leur beau-frère et tendres pour leur sœur.

« Je vous écrirai, ma chère Barbara, dit la mariée à sa gouvernante, dès que je saurai où nous sommes, et vous viendrez nous rejoindre.

– Oui, répondit l'Ecossaise en lui secouant la main, mais attendez encore un peu de temps! >>

Ils venaient à peine de sortir du palais, Faustine, qui les avait conduits jusqu'à la porte, essuyait ses larmes, et le chevalier frottait ses yeux, quand un valet de pied apporta un large pli scellé de rouge.

« C'est de M. de Morghen!» dit la comtesse en regardant les armes du cachet.

Elle le brisa et lut tout haut:

« Le colonel baron de Morghen a l'honneur de présenter ses devoirs à madame la comtesse Nerini et de se mettre à ses ordres. Il sera trop heureux, dans les circonstances particulières où se trouve Venise, de pouvoir lui être bon à quelque chose maintenant et toujours!

» Au quartier général, ce 24 juillet. »

Trop tard!» dit Beppo, en regardant la gondole, qui filait déjà sur le Grand-Canal avec les deux époux.

Quand Zecco, qui la conduisait, fut arrivé à la pointe de SaintGeorges-Majeur, Marino lui fit signe d'arrêter, et souleva la tendine de la felce, comme pour montrer une dernière fois Venise à sa compagne.

Le ciel étendait sur la ville son dôme d'azur sans tache, et le radieux soleil, qui ne connaît ni vainqueurs ni vaincus, inondait de ses rayons les îles des lagunes, les coupoles des églises et les rangées de statues qui se profilent sur les façades des palais.

« Et tu perds tout cela pour moi! fit-il en serrant Alba dans ses bras.

Dieu, répondit-elle, n'a-t-il pas dit à la première femme: «< Tu quitteras ton père et ta mère pour suivre ton mari? »

LXVII

Le voyageur qui traverse le Simplon, pour aller de France en Italie, parcourt, en descendant la pente orientale des Alpes, un des sites les plus terribles et les plus grandioses de l'Europe.

A quelques heures de l'hospice qui porte le même nom que la montagne, il pénètre par la galerie d'Algabi dans la sombre vallée de Gondo. Les montagnes se rapprochent toujours, si hautes et si voisines que c'est à peine si on aperçoit le ciel étroit et long, pareil à une bande de moire bleue taillée en corniche dans le granit; la route est suspendue au-dessus d'un abîme, au fond duquel mugit la Dévéria, torrent furieux, qui roule avec ses écumes des troncs d'arbres et des fragments de roches.

Peu à peu cependant, à mesure qu'on descend, la végétation devient plus riante; les beaux jardins s'étagent en terrasses, et, jetées d'un arbre à l'autre, les vignes laissent flotter sur votre tête des festons de pampres et de raisins. Quand on a, pour la dernière fois, franchi sur le pont hardi de Crévola la Dévéria écumante, on aperçoit sous ses pieds la belle et charmante vallée que baigne la Tossa.

Sur les derniers plans de la montagne, dans un repli abrité de grands arbres, s'élève un petit châlet tout brodé de clématites et de jasmins. Devant la maison, un matin de mai, parmi les fleurs, de jolis enfants s'ébattaient en poussant de petits cris joyeux; une belle jeune femme, le sourire aux lèvres, les regarde et surveille leurs jeux.

Ses longs cheveux blonds, un peu en désordre, s'échappent du chapeau de paille à larges bords.

Près d'elle, une autre femme, plus âgée, quoique jeune encore, aux yeux bleu pâle et aux lèvres minces, penche la tête sur une tapisserie où l'on peut distinguer des chardons et des lis; sa figure est calme, mais on voit bien qu'elle a souffert. Quoiqu'elle ne soit pas belle, c'est un de ces visages qui font dire l'amour a passé par là!

Sur la dernière marche du petit perron, une bonne vieille, qui porte le costume populaire de Venise, étale son majestueux embonpoint: elle tient une lettre à la main.

« Va au-devant d'elle, mon ange, dit Alba à son fils; tu vois que cette bonne Anzora ne peut pas descendre. - Bien! porte à ton père maintenant,» dit-elle sans regarder la lettre.

Marino, dans toute la force de l'âge, dans tout l'éclat de la beauté virile, appuyé au tronc d'un olivier, regardait en souriant deux petites filles belles comme le jour, qui s'ébattaient au milieu des fleurs et des grandes herbes; mais ses yeux allaient plus loin, et de temps en temps s'arrêtaient sur sa femme avec une expression de bonheur et d'amour infinis.

C'est une lettre pour toi, chère, dit-il en s'approchant de sa femme.

-Alors, lis-la.

-Tiens! c'est Faustine qui t'invite à être marraine. Sa lettre est charmante; Stieglitz l'adore, et l'on voit bien qu'elle est heureuse.

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Elle méritait de l'être! dit la sentencieuse Barbara.

Croyez-vous, ma chère miss, que ce soit toujours une raison? demanda Marino.

Presque toujours, répondit Alba en baisant les cheveux bruns de son fils, qui se pressait contre elle; seulement, il faut quelquefois attendre ! >>

LXVIII

Miss Barbara attend toujours; Alba et Marino l'aiment comme une sœur, et leurs enfants lui donnent le doux nom de zia, qui veut dire tante.

Alba est heureuse, car elle sait que l'amour est la vie de la femme,

et elle aime. Marino, le vaincu de Malghera, se réfugie dans cet amour pour oublier; mais malgré lui il se souvient encore de sa patrie absente: il porte toujours le deuil de Venise. Je ne sais s'il a dit un éternel adieu à l'espérance, mais quand on parle des Autrichiens devant lui, il tressaille. Ses amis n'ont jamais pu l'amener en France; il n'a pas voulu franchir les Alpes : il se trouverait trop loin de Venise. Exilé, il reste en face de la frontière qui lui est interdite; mais si le lion de l'évangéliste secouait ses ailes de bronze, si jamais le cri de vive Saint-Marc! retentissait sous la voûte de l'antique basilique, si jamais le drapeau aux trois couleurs, comme un signe d'espérance et de salut, flottait sur ses lagunes, il franchirait l'Italie d'un bond, et Venise le reconnaîtrait bientôt en le revoyant à la tête de ceux qui veulent combattre et mourir pour elle.

:

LOUIS ENAULT.

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Si les marins, dans une vie de sacrifices, ne rencontraient d'autres compensations que l'attendrissement produit par la vue de la terre après les jours de mer, il faudrait dire encore qu'ils recueillent de leurs peines des jouissances inconnues aux autres hommes. Pour en donner une idée, il faudrait prendre dans quelques situations de la vie ce qu'elles ont de plus tendre et de plus doux.

Cette extase peut durer huit ou dix heures : je ne l'ai jamais sentie aussi pénétrante qu'à la vue de Bahia, en revenant de Iceberg-Sound. C'est qu'en outre des épreuves que nous avions essuyées, Bahia est la reine de l'Amérique, l'impératrice du Sud, et son amphithéâtre est plus beau que les collines si vantées de Rio-Janeiro. La ville ne pré

• Voir 2e série, t. VII, p. 737 (livr. du 28 février 1859); t. VIII, p. 118 (livr. du 15 mars t. X, p. 76 (livr. du 15 juillet).

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