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Nous avions raison, paraît-il, d'accuser la littérature dramatique (si l'on doit le nom de littérature à qui n'a rien de littéraire) de se faire l'humble vassale de la politique, la très dévouée servante de la diplomatie. Non-seulement messieurs les auteurs font des pièces de circonstance, mais ils consentent même à les modifier suivant les circonstances; ce qui prouve au moins une grande élasticité d'opinion, une fière absence de parti pris. C'est ainsi que la Voie sacrée ou les Etapes de la gloire, un instant interdite au public, pour cause de réconciliation, vient de lui être rendue, moyennant certains adoucissements préalables. Les auteurs ont offert eux-mêmes de soumettre leur patriotisme antérieur aux récentes exigences de la paix, et de n'y sacrifier nos amis les Autrichiens que dans la mesure autorisée par le ministère d'Etat, Les Français ne pourront s'empêcher de les vaincre à Palestro, à Magenta, à Marignan; mais ils y mettront tant de délicatesse, et les Autrichiens, de leur côté, déploieront tant de brayoure, que personne n'aura sujet de se plaindre. La pièce qui, ressemblait naguère à un bulletin du ministère Cavour, se rapprochera davantage d'un bulletin du cabinet Derby; tant messieurs les auteurs se piquent de neutralité! On nous objectera qu'il est bien difficile, même à un auteur dramatique, de ne point s'émouvoir au bruit des événements contemporains, de n'en point subir l'impression, de n'en point raconter l'histoire; que la guerre fait partie du domaine de l'art, que le patriotisme est la vertu des grandes âmes; qu'on aime son pays plus que son métier et qu'on est Français, même avant d'être homme de lettres. Français, oui; mais Autrichien? Sans compter que le moindre grain de littérature ferait bien mieux notre affaire.

Et tenez, voici venir à la Gaîté les Pirates de la savane. Les pirates ont été bien exploités, et nous connaissons à peu près tout ce qu'il est bon de connaître sur les savanes; mais qu'importe qu'une pièce soit neuve, si elle est intéressante; et qu'elle soit intéressante, si elle est lucrative? On peut encore objecter à MM. Anicet-Bourgeois et Ferdinand Dugué que si leurs personnages sont très aventureux, leur titre est un peu aventuré; qu'on ne voit pas beaucoup de pirates dans les savanes, attendu que les savanes occupent l'intérieur d'un pays, tandis que les pirates en infestent les côtes; que les savanes sont des déserts et que les pirates ne pillent pas dans le

désert; mais c'est là une querelle de mots; car enfin, il y a des lacs partout, même dans les savanes, et les corsaires de MM. Anicet-Bourgeois et Ferdinand Dugué sont des corsaires d'eau douce apparemment. Ce qui est certain, c'est que la pièce est à la mode, et on n'accusera pas cette modelà d'être capricieuse; elle dure depuis Robinson. Il y a quelques années, on la croyait, Dieu merci, près de finir, lorsque tout à coup nous sommes retombés de plus belle dans les pistes et les chercheurs de pistes. On sait qu'il suffit aujourd'hui d'en avoir trouvé une, pour être exempté de suivre celle de l'esprit, qui n'est pas en Amérique. Pauvre Amérique! elle ne produisait que des oncles autrefois; maintenant elle fournit des pièces complètes et des romans tout entiers. Encore une fois, c'est Robinson qui en est cause, surtout le Robinson suisse; il a donné naissance au célèbre boa constrictor dont on a tant abusé depuis. Le même qui mangea son àne, a reparu dans les Pirates de la savane; il a reparu avec toutes les autres bêtes féroces qui sont le privilége des savanes; et il faut le dire, c'est sur lui que se concentre l'intérêt de la pièce. Je ne doute pas qu'il ne fasse époque, et que désormais on ne mette quelques serpents dans tous les drames du boulevard, comme naguère on y mettait des vaisseaux, et comme depuis on y a mis des canons : telles sont aujourd'hui nos réponses. Mais il faut avouer que le boa de la Gaîté remplit son rôle à merveille, et qu'on n'a rien à lui reprocher. C'est à peine si on pourrait lui opposer le singe de l'Ambigu. Dans toutes ces pièces à animaux, ce ne sont jamais les bêtes qui manquent d'esprit. Le jour où nos salles de spectacle seront agrandies, on y introduira les éléphants, et les éléphants feront fureur. Qui nous délivrera de l'Inde et de l'Amérique, de la jungle et de la savane, des tigres et des serpents? qui nous rendra la France et les Français, la montagne et la plaine, le chat et le chien, fût-ce le chien de Montargis? La littérature lui devra un beau cierge, et le peuple beaucoup de reconnaissance. Car enfin c'est une duperie de corrompre ainsi le goût des gens, et de crier ensuite qu'ils ont le goût corrompu. Qui donc a appris aux Parisiens à aimer les vaisseaux, les serpents et les canons? Qui les a initiés aux jouissances grossières des spectacles bruyants et des représentations tumultueuses? Qui, peu à peu, leur a supprimé l'analyse délicate des passions, la poésie, l'âme du théâtre? Vieux griefs! je le sais et n'y insiste pas, pour échapper au reproche très mal fondé de pédantisme, qu'on jette en pareil cas à ceux qui prennent le parti de la bonne et vraie littérature. Mais quand on a écrit une pièce brutale, une pièce mauvaise, parce qu'on n'a pas pu, ou qu'on n'a pas voulu en faire une autre, je voudrais du moins qu'on n'accusât pas le goût public pour couvrir cette insuffisance volontaire ou cette incapacité. Chez MM. Anicet-Bourgeois et Dugué, ce n'est pas impuissance; c'est parti pris, c'est besoin de fare presto; une pièce est si vite découpée dans une savane; elle s'y encadre si bien; il y a là un si beau motif de décors, sans compter que le serpent et consorts sont des personnages tout trouvés, dont le rôle muet est aussi simple que saisissant, aussi facile à écrire que difficile à jouer.

M. Anicet-Bourgeois a fait mieux; et précisément le Vaudeville nous offre de lui en ce moment une pièce qui a plus de valeur. On n'y rencontre

2e s. TOME X.

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point de savanes, quoique l'auteur y trahisse encore une certain amour du lointain, de l'inconnu, ou si l'on veut, de l'idéal. Elle a pour titre les Honnêtes Femmes, comme si le Vaudeville avait résolu de nous dédommager en une seule fois de toutes ses filles de marbre et de toutes ses dames aux camélias. Mais, à vrai dire, on aurait pu aussi bien l'intituler les Hommes honnêtes, car les héros ne s'y montrent pas inférieurs aux héroïnes, et le féminin, comme dit Lhomond, ne l'emporte pas sur le masculin. Ce qui me chagrine, c'est que l'intrigue roule encore sur un voyage en Amérique aimez-vous l'Amérique? On en a mis partout. M. Gaston de Givré, jeune malade condamné par les médecins, s'embarque pour ce pays aimé des auteurs dramatiques, afin d'y mourir loin de sa fiancée et de lui laisser ainsi les moyens de contracter sans remords une autre union. En effet, la jeune fille, après un peu de bruit, finit par se marier, mais le jeune homme ne meurt point. Il guérit au contraire et revient en France, où l'attend la plus terrible des déceptions Celle qu'il a aimée est la femme de son plus intime ami, et il se trouve ainsi séparé d'elle de toute la distance d'un sacrement, de toute l'autorité d'un devoir. Ils se revoient, ils s'aiment toujours; mais ils ne succomberont point. Ce n'est pas que l'auteur se soit fait faute de les induire en tentation; il a même choisi le mari pour complice des piéges qu'il leur tend et des chutes qu'il leur apprête. Cet époux débonnaire confie sa femme à Gaston plus souvent qu'il n'est absolument nécessaire; et en vérité il rapproche ces deux amants malheureux avec une bonne volonté qui serait bien coupable si elle ne concourait à rendre plus éclatant le triomphe de leur vertu. Je ne sais si la pièce aura un grand succès; toute consolante qu'elle est, on lui trouve généralement peu de vraisemblance; et il faut bien avouer que les choses ne se passent pas tout à fait ainsi dans le monde. Grande est l'humaine faiblesse, et le plus sûr est de ne point l'aventurer en des épreuves trop dangereuses. Toute passion, petite ou grande, s'alimente par la présence de son objet, et M. de Givré, à l'avenir, fera bien pour sa vertu, de rester en Amérique. Quoi qu'il en soit, rendons justice aux bonnes intentions de l'auteur: un dénoùment si exceptionnel est une révolte contre les envahissements du réalisme; il faut lui en savoir gré. Un transfuge du Théâtre-Français, M. Saint-Germain, débutait dans cette pièce; espérons qu'on lui choisira des rôles plus conformes à son talent, et qu'il n'aura pas à se repentir d'avoir déserté une scène ingrate, où on l'appréciait peut-être, mais où on ne l'employait pas suivant sa valeur.

On parle toujours de modifier les règlements du Théâtre-Français et d'y élever les droits des auteurs. Peut-être ceux-ci, attirés par l'appât d'un gain plus considérable, y enverront-ils alors un plus grand nombre d'ouvrages; en attendant, notre première scène littéraire vit de ses anciennes rentes et engage même un peu son capital. Une des bonnes reprises de la quinzaine est, quoi qu'on en ait dit, le Collatéral de Picard. Voilà une excellente comédie, et gaie, et vive, pleine d'entrain, d'esprit et de bonne humeur ; une vraie comédie française, comme on n'en fait plus. Elle a cinq actes, on dirait qu'elle n'en a qu'un; elle court au but comme un soldat pressé qui ne compte pas les étapes; et je ne sache pas qu'on trouve plus

de verve comique dans la Petite Ville du même auteur. Est-ce à dire que l'étude des caractères y soit très approfondie, que les situations y aient beaucoup de force ou de naturel, que l'intrigue y soit assise sur des fondements inébranlables? Point du tout : l'observation des mœurs y est générale et superficielle; les situations semblent plus forcées que fortes; l'intrigue est commune et le dénoûment convenu; mais la gaieté y circule comme un fluide bienfaisant, et on la respire, sans trop regarder autour de soi, comme on respire l'air à pleins poumons dans une campagne florissante. Il y a dans cette pièce une diligence et un conducteur; eh bien, conducteur et diligence vous font rire sans que vous sachiez pourquoi ; il y a une servante d'auberge, elle vous amuse sans que vous sachiez comment. Cela tient moins sans doute à la fable même qu'à un certain fond de comique répandu sur toute la pièce, et qui en est comme l'accompagnement, ou si l'on veut, comme le refrain. Les bons auteurs n'oublient jamais cet élément général de gaieté, qui, pour produire son effet, a besoin d'être emprunté à quelque travers saillant, à quelque vice ordinaire de l'humanité. Ainsi, dans le Collatéral, c'est l'intérêt ou, si l'on veut, une sorte d'égoïsme provincial qui dirige tous les personnages et qui donne sa note, toujours la même et toujours perçante à travers le bruit de l'action. « Vous ètes orfèvre, monsieur Josse ? » Toute la comédie de Picard est un commentaire de ce mot fameux. Chacun y prêche pour son saint, et une des meilleures scènes est celle où un avocat, un comédien, un postillon, un amoureux se trouvant réunis pour prendre l'air du matin, l'un plaide, l'autre déclame, le troisième parle à ses chevaux, et le dernier raconte son amour, sans plus se soucier des voisins que s'ils n'existaient pas. Chacun va où son intérêt l'appelle; et pour tous, excepté pour le jeune-premier qui reste forcément un héros de comédie, cet intérêt, c'est l'argent qu'ils doivent gagner; ce sont les moyens qui pourront les enrichir. Le tuteur donne sa fille au collatéral parce qu'il hérite, et le collatéral épouse la demoiselle à condition qu'elle hérite; la succession est le nœud de l'intrigue comme elle est le point de mire des personnages. Et tous de s'écrier: «Ce n'est point l'intérêt qui nous fait agir, nous ne sommes point des hommes d'argent, l'amitié avant tout, et la vertu..... cependant..... » Il y a toujours un cependant à a fin de la phrase, parce qu'il y en a toujours un et même plusieurs au fond du cœur de l'homme. Et voilà la comédie. Ce fond de vérité générale donne un air de vraisemblance à l'intrigue la plus fabuleuse, et une apparence de vitalité aux situations les plus impossibles. Molière ne procède pas autrement. Pour avoir raison du collatéral, qui est homme d'esprit et marchand de bois; pour lui disputer la fameuse succession de son oncle, il faut lui inventer un cohéritier, prétendu fils du défunt; l'auteur l'invente aussitôt, et le public de rire; mais le rasé Bourguignon déjoue ce premier cousin; alors Picard invente une fille, une cohéritière; il en invente dix, s'il le faut, toutes plus apocryphes les unes que les autres (car rien au fond n'est moins naturel que ces enfants naturels créés pour les besoins de la comédic), et le public rira toujours, et il pardonnera tous ces cousins d'Amérique à la gaieté de l'invention. C'est par là, c'est par une fécondité de ressources vraiment

extraordinaire, que se distingue Picard; il en a plus d'une dans son sac, comme on disait autrefois; et il les trouve toujours à propos pour nouer ou pour dénouer son intrigue. M. Scribe n'en a pas imaginé plus que lui, et, généralement, il n'en a point fait un si bon usage, excepté pourtant dans ses premières comédies-vaudevilles, où il se rapproche de la manière de Picard. Mais celui-ci a plus de naturel, plus d'observation vraie, plus de franche gaieté, et surtout plus de style, bien qu'il n'y prétende point. Il écrit comme on écrivait au bon temps; avec simplicité, mais avec correction, tandis que M. Scribe écrit à peine avec simplicité. M. Barré joue consciencieusement le rôle du collatéral, et il est impossible d'être plus gai que M. Monrose dans le personnage de l'avocat.

Le même soir, on reprenait Amphitryon avec « l'élite de la troupe, »> c'est-à-dire avec les mêmes acteurs que l'année dernière, si ce n'est que Alle Bonval remplaçait, dans le rôle de Cléanthis, Me Augustine Brohan, qui ne pouvait être mieux remplacée. Elle s'est contentée de tout exprimer sans rien sous-entendre, et de montrer de la rondeur où l'autre déployait de l'esprit, peut-être trop d'esprit. Elle a sauvé, par une espèce de bonhomie franche, les passages délicats que Mlle Brohan soulignait avec une sorte de retenue provocatrice. Moins raffinée, mais plus naturelle, peut-être a-t-elle mieux saisi le ton de Molière, qui n'était rien moins qu'un chercheur de scandale et un fauteur de libertinage. M. Samson, incomparable dans le rôle de Sosie, y a montré la même bienséance, n'outrant rien, n'escamotant rien. Cette justice rendue aux acteurs, je voudrais bien dire à mon tour quelques mots sur Amphitryon. L'impression que cette comédie produit sur les oreilles des dames, l'opportunité de la reprendre, la nécessité de la lire prêteraient à de longues réflexions morales et littéraires, où je ne veux point m'aventurer. Le sujet a d'ailleurs été traité ici même avec une compétence qui ne me permet point d'y revenir. Je me contenterai donc de quelques remarques faites en passant, livrées de même, presque sans ordre et au caprice du hasard; une sorte de contribution prélevée sur un chef-d'œuvre; un contingent d'admiration apporté à un grand écrivain.

Et d'abord, Amphitryon est la plus comique, sinon la meilleure pièce de Molière. L'idée en revient à Plaute; mais quel parti en a tiré la verve du poète français! Sa gaieté, libre des préoccupations de la morale, s'y est jouée tout à l'aise et permis des airs rabelaisiens; son style, dégagé des exigences de l'hexamètre, n'a jamais été plus coulant, plus court, plus vif, plus approprié, plus vainqueur de la multiplicité périlleuse de l'idée. Les fameuses scènes parallèles du Dépit amoureux, ces duels de paroles, où la riposte est aussi prompte, aussi étincelante que l'attaque, et qui ont donné naissance à tout un procédé de comédie, ne sont rien en comparaison des scènes entre Sosie et Amphitryon, entre Mercure et Sosie. Molière, qu'on loue quelquefois de n'avoir point eu d'esprit, en prodigue, et du meilleur, d'un bout à l'autre de cette pièce. Voltaire lui-même, Voltaire n'a rien de plus délicat, de plus fin que certaines répliques de Sosie, que la conversation entre la Nuit et Mercure. De même la satire, qu'il évita dans la plupart de ses pièces comme froide et contraire au ton de la comédie, la satire ainsi que la pra

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