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de 1791, qui se proposait d'anoblir au bout d'un certain temps toutes les classes de la société, en leur conférant graduellement les plus hautes prérogatives. Cette idée, il la compare à la pensée de Dieu, qui procédé par la gradation au perfectionnement progressif de tous les êtres de l'univers. « Le peuple et la noblesse ne font qu'un; c'est le corps et l'âme d'un même esprit ; élevez les paysans en les anoblissant tous; mais ne dégradez pas la noblesse'. »-« Vous tous qui voulez abaisser les couches supérieures de notre société polonaise, contemplez donc l'œuvre du Créateur: un germe imparfait de la vie à peine définie monte douloureusement et par gradations successives jusqu'à la Divinité. D'abord, c'est une pierre insensible, inerte, puis de l'étreinte du granit s'échappe le parfum d'une fleur et la végétation d'une plante; l'animal paraît, il commence à rêver; à peine éclate-t-il en désirs, que l'homme se révèle, lève sa tête orgueilleuse vers les cieux et envoie ses soupirs jusqu'aux régions des anges. »

Telles sont les œuvres principales du comte Krasinski. Partout on y rencontre une passion qui vibre avec plus d'énergie chez lui que chez la plupart des autres poètes polonais, inspirés par la détresse de leur pays et les malheurs de leurs compatriotes : c'est l'orgueil national atteint, blessé, dans ses plus secrètes profondeurs. Il ne peut oublier ni la gloire antique, ni l'humiliation actuelle de la Pologne. Ce contraste douloureux pèse sur son âme d'un poids mortel. S'il existe un idéal du sentiment patriotique, Krasinski l'a réalisé ; partout et toujours il s'en est fait l'écho et comme le représentant. Dans la Comédie infernale, il veut que la chute de la Pologne soit le présage de la ruine du monde entier, et il peint de ses couleurs les plus sombres cet immense écroulement. Il s'incarne dans l'individualité passionnée et implacable d'Iridion. Dans son premier recueil de poésies, il se montre, sous un voile mystérieux, conservant la fierté âpre et dédaigneuse qui sied aux vaincus; dans ses dernières productions, son indomptable orgueil se plie à des accents plus tendres et s'illumine d'un rayon d'espoir; mais son âme patriotique n'a pas fléchi : c'est à la Pologne qu'il rapporte son espérance comme ses décourage

ments.

Ce caractère de patriotisme fier et inaltérable explique seul la facilité avec laquelle ses œuvres les plus abstraites ont été comprises par

'La noblesse en Pologne, n'étant pas fondée sur le droit de conquète, ne fut jamais un privilége on y arrivait facilement. Au XVIIe siècle seulement elle s'est renfermée dans une caste, malgré des réclamations nombreuses. Ce n'était qu'un abus de son pouvoir contre le principe de son organisation. Aussi le peuple en Pologne, et surtout dans les provinces russiennes, regarde l'anoblissement comme le dernier terme de son émancipation.

la masse des lecteurs et répandues dans le public, et pourquoi ses poésies les plus élevées sont répétées de bouche en bouche par les riches et les pauvres, par la jeunesse et par les vieillards. Il justifie l'immense popularité de l'auteur, qui sut faire oublier sa position aristocratique, dans un pays où, quoi qu'on en dise, l'élément démocratique est prédominant. Protégé par ses poésies, son nom circulait partout, secrètement il est vrai, car toutes ses publications ne parurent qu'à l'étranger, et sous le voile d'un modeste anonyme, qui lui servait de sauvegarde. Sa mort prématurée, qui a mis en deuil la poésie nationale, vient de déchirer ce voile désormais inutile; mais en même temps, le peuple déshérité, qui cherche dans l'art un refuge pour ses souvenirs et son patriotisme, a perdu l'un de ses plus puissants et de ses plus nobles interprètes. Aussi, pouvonsnous dire, en nous permettant ici un langage poétique, que, le jour où Paris vit conduire les restes du poète à sa dernière demeure, un seul sourire éclaira la tristesse et le deuil général : c'était celui de la gloire, impatiente de réclamer son nom aux portes du tombeau.

PAUL DE SAINT-VINCENT.

REVUE CRITIQUE

Mademoiselle Mariani, par M. Arsène HoUSSAYE. Paris, Michel Lévy. 1859.

Nous avons toujours eu un faible pour le talent gracieux et coquet de M. Arsène Houssaye. Nous savons bien tout ce qui lui manque pour être ce que Boileau appelle un auteur sans défaut, mais ses défauts seront bientôt des qualités au temps de réalisme où nous vivons. Plus les gens qui trahissent Balzac sous prétexte de l'imiter s'efforcent de remplacer la poésie grave ou légère par la réalité triviale et nue, plus on se sent porté vers les idéalistes comme George Sand, plus on comprend les fantaisistes comme M. Arsène Houssaye. M. Houssaye est l'inverse, de ce qu'on appelle un réaliste. Des amis indiscrets ont essayé de faire de lui un historien, un philosophe et un moraliste. Nous lui croyons trop d'esprit pour avoir jamais partagé cette bévue. L'auteur de Philosophes et Comédiennes, du Roi Voltaire et du Quarante et unième fauteuil n'est ni un philosophe, ni un historien, ni un moraliste; il est un peu de tout cela à ses heures, mais avec toutes les réserves que comporte la nature particulière de son talent et de son esprit. La philosophie qu'on lui prête n'aurait pas été déplacée dans les petits soupers du Régent, et la morale des femmes comme elles sont y eût fait fureur. Soyons à la fois plus indulgent et plus sévère. Les aphorismes de M. Houssaye seraient autant d'impertinences s'il eût voulu marcher sur les brisées de La Bruyère; n'y cherchons pas autre chose que d'ingénieux paradoxes. M. Houssaye est aussi un observateur, mais ses observations visent moins à la psychologie qu'à l'humour. Le Voyage à ma fenêtre est en bon français la contre-partie du Voyage sentimental de Sterne. La fantaisie qui entraîne le romancier anglais dans les courses à bâtons rompus de Tristram Shandy se retrouve à chaque pas dans les œuvres de M. Houssaye. C'est le même vol inconstant et rapide avec les paradoxes en plus. A voyager ainsi, il perd souvent de vue le monde réel; mais bien d'autres ont divagué qui regardaient la nature de plus près. L'école à laquelle il appartient n'est peut-être pas la meilleure et n'est pas à coup sûr la plus austère de toutes; mais, telle qu'elle est, elle laisse à l'artiste son individualité, et n'est pas, comme le réalisme, la négation de tout art. Aussi le rang qu'occupe M. A. Houssaye dans la littérature contem

poraine a-t-il au moins le mérite de l'originalité. Peintre des fêtes galantes, il se soucie peu de l'exactitude des détails et de la réalité contemporaine. Tantôt élégant comme Watteau, tantôt maniéré comme l'architecture Pompadour, il reprend en littérature les traditions du XVIIIe siècle. Tous ses personnages ont fait une fois dans leur vie le voyage à Cythère et étudié la géographie sur la carte du Tendre. Il n'hésite pas à donner aux femmes du vrai monde le langage et les mœurs de la comédie italienne. Son ingénue s'appelle Colombine, son jeune premier cache à peine sous son frac la batte inoffensive d'Arlequin. Son style couleur de rose était le seul costume qui pût s'adapter à la taille de ses héros. Ils ont étudié à l'hôtel de Rambouillet la fleur du beau langage, et réciteraient sans se tromper tous les sonnets de la couronne de Julie. Le soleil de la rampe distribue ses reflets chatoyants sur les manteaux bariolés et les tuniques rayées bleu et rose. Les épaules scintillent, le satin éclate, les diamants font rage. Ne regardez pas de trop près tout ce monde-là a le pied fourchu. C'est Cendrillon au milieu des splendeurs du bal, Cendrillon dans son carrosse tout doré, en attendant le coup de minuit..

Le monde que peint d'ordinaire M. A. Houssaye est un monde singulier, composé d'aventurières et de duchesses. Les duchesses mènent une vie d'aventurière, les aventurières ont des sentiments de duchesse. On y parle volontiers d'amour et de vertu, mais avec une certaine prétention et avec un certain embarras, comme on parlerait une langue morte. Cependant, au milieu de ces bigarrures et de ces paillettes, on trouve souvent un sentiment vrai. Je n'aurais pas fait si complaisamment la part du marivaudage dans les œuvres de M. Houssaye, si je n'avais eu en même temps à lui rendre cette justice qu'après avoir étonné par ses raffinements de style et les subtilités de son esprit, il sait encore trouver le moyen d'attendrir et de charmer. Sous ce rapport, Mademoiselle Mariani est une œuvre d'art bien supérieure à toutes les précédentes; on peut dire qu'elle marque une phase nouvelle dans le talent de M. Houssaye. C'est un progrès que je tiens à constater et un heureux présage pour l'histoire de Mlle de Lavallière, que le public attend depuis plusieurs mois. Le style de Mademoiselle Mariani est devenu naturel et simple, parce que les artifices de style eussent été superflus dans un roman qui se suffit à lui-même. Il s'agissait de rendre vraisemblable une histoire invraisemblable et vraie. M. Houssaye, qui avait sans doute de bonnes raisons pour être ému en la racontant, a su communiquer une émotion sincère à ses lecteurs. A Dieu ne plaise que j'en diminue l'intérêt en analysant froidement ce drame terrible, qui commence sur un air de valse et qui se termine par un coup de poignard. Qu'il suffise de dire que l'auteur s'est tiré avec un tact exquis des situations épineuses où l'entraînaient les nécessités de son récit. Le seul reproche que nous croyons devoir lui adresser, c'est d'avoir pour ainsi dire fait deux romans au lieu d'un. Quand le motif principal d'un tableau a par lui-même une valeur réelle, on ne peut qu'en diminuer l'intérêt en donnant aux accessoires l'importance d'un second tableau. L'histoire de Mlle Mariani serait peut-être plus saisissante et plus douloureuse si elle se bornait aux navrants épisodes de l'amour d'Horace et de Luciana. Les personnages contemporains dont

on rencontre le nom dans les premiers chapitres, et les scènes fantasmagoriques qui suivent le dénoûment, ont le tort de distraire l'attention au préjudice du roman. Les hors-d'œuvre ne doivent pas être trop brillants dans un ouvrage où la passion joue le premier rôle. Je crains qu'ici la bordure trop riche ne fasse concurrence à la toile. Je dois reconnaître cependant que ce défaut est à peine sensible dans Mademoiselle Mariani, grâce à l'extrême habileté des raccords et à l'intérêt soutenu qui tient le lecteur en suspens jusqu'aux dernières pages du volume. Le sujet ne portait que trop au pathétique exagéré et à la sensiblerie de commande. Ce double écueil a été sagement évité. Les sentiments justes et sincères, qui se font jour dans le cours de l'ouvrage, rendront à M. Houssaye certains suffrages que des subtilités trop paradoxales ont pu parfois lui aliéner. Félicitons-le d'avoir trouvé une voie digne d'un talent éprouvé. Le succès de Mademoiselle Mariani lui prouvera que des détails ingénieux ne sont pas le dernier mot de l'art, et qu'un romancier qui sait son métier doit avoir autant de cœur que d'esprit. CH. PERRIER.

Dictionnaire de l'Administration française, par M. Maurice BLOCK. Paris, ve BergerLevrault. Dictionnaire général d'Administration, publié sous la direction de M. A. Blanche. Paris, Paul Dupont.

L'administration française, telle qu'elle est sortie des grandes réformes qui ont signalé la fin du dernier siècle et le commencement de celui-ci, a été et sera longtemps encore l'objet des appréciations les plus diverses. Elle aura toujours pour détracteurs ceux qui se refusent obstinément à accepter la transformation profonde qui s'est opérée dans notre organisation politique; pour apologistes, ceux qui considèrent cette transformation comme un bienfait. Les uns et les autres sont au surplus conséquents avec eux-mêmes. Ceux qui regrettent les anciennes institutions de la France, ses divisions provinciales, ses inégalités sociales, la diversité de ses coutumes, de ses traditions et de ses lois ne sauraient, sans se donner un démenti, comprendre notre administration actuelle, avec l'uniformité de ses règles, la rigueur de ses prescriptions, ses tendances à l'unité et à la centralisation. Ceux au contraire qui ont foi aux idées modernes et qui en ont accueilli l'avénement comme une ère de rénovation ou tout au moins comme une nécessité des temps, sont les défenseurs nés d'une organisation administrative qui n'est au demeurant que la consécration de ces idées.

La centralisation, je le sais, compte des ennemis nombreux et acharnés qui la représentent comme la source des plus grands maux et comme l'instrument d'une irrémédiable oppression; mais si cette fille de la démocratie moderne a ses dangers, elle a aussi des avantages qu'on ne saurait nier sans injustice. Il est certain que si on ne la maintient pas dans de justes bornes, que si l'on étouffe sans ménagement l'initiative des administrations locales pour soumettre toutes les décisions au contrôle de l'autorité centrale, on arrive nécessairement à perdre un temps précieux et à faire traîner les moindres affaires en longueur, mais il faut bien accorder aussi

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