Oldalképek
PDF
ePub

«Ma chère Thérèse, mon cher Palmer, écrit-il, vous êtes mes deux anges gardiens. Vous m'avez porté bonheur. Grâce à vous, enfin, je sens que j'étais né pour autre chose que la vie que j'ai menée. Je renais, je sens l'air du ciel descendre dans mes poumons avides d'une pure atmosphère. Mon être se transforme. Je vais aimer! Oui, je vais aimer, j'aime déjà !.... J'aime une belle et pure enfant qui n'en sait rien encore, etc..... Je suis ton œuvre, ton fils, ton travail et ta récompense, ton martyre et ta couronne. Bénissez-moi tous les deux, mes amis, et priez pour moi. Je vais aimer!»

Quelles étranges confidences! Dans quel monde sommes-nous ? Un amant écrit en style emphatico-mystique à son ancienne maîtresse, à son rival heureux, qu'il est entraîné par de nouvelles amours, et il leur demande à mains jointes des prières et des béné– dictions, qu'on lui expédie courrier par courrier! Mais ce n'est pas tout: Mile Jacques n'a-t-elle pas longuement confié à sa mère, à sa tendre mère, le récit détaillé, circonstancié, tantôt mélancolique et tantôt pathétique, des aventures de son cœur? Si Mme Sand ne voit pas de mal à ces expansions, à ces confusions, à ces promiscuités de sentiments, à ce communisme béat de l'amour, à cette adultération de la famille, je lui en fais mon bien sincère compliment: elle invente des personnages pleins d'originalité, de moralité, de nouveauté surtout, que les fouriéristes salueraient comme des cousins, et les zingari comme des frères. Après avoir coudoyé des êtres pareils, après avoir forcément vécu dans leur compagnie, un dandy se condamnerait à la continence, une honnête femme renoncerait à l'amour, un galant homme fuirait au désert et se ferait ermite.

Vers les dernières pages du roman, les situations de Palmer et de Laurent sont renversées. Palmer, avec sa jalousie concentrée, ne réussit pas mieux que Laurent avec ses faiblesses et ses rages. Mais, quoi qu'en dise Me Sand, ce n'est pas sa jalousie qui le perd. Sa grande faute consiste à vouloir épouser Thérèse quand le mari bigame la laisse, par sa mort, libre de tout lien. L'épouser, elle, Thérèse! l'épouser, c'est-à-dire la protéger et la gouverner! Me Jacques se révolte : « Mon enfant, s'écrie-t-elle alors avec des sanglots étouffés, je te jure, à toi qui es dans le ciel, qu'aucun homme n'avilira plus ta pauvre mère. » L'enfant, qui n'est pas dans le ciel, revient quelque temps après d'Amérique, ramené par le bon Palmer. Thérèse, poussée par sa mère, est alors retombée dans les bras de Laurent. Mais, à la vue du petit Manoël, dit Me Sand, elle ne pensa plus à ce que Laurent deviendrait sans elle. « Elle était mère, et la mère avait irrévocablement tué l'amante. » Telle est la conclusion de ce livre; je défie le plus courageux lecteur de le reprendre sans une impression de colère nerveuse et de profond dégoût. Après l'avoir refermé pour ne jamais

le rouvrir, un affreux soupçon me traverse l'âme. La sublime Thérèse ayant prétendu sans cesse demeurer la mère de ses amants, quel rôle pourra-t-elle jouer en face de son fils? De la première page à la dernière, ce livre est criminel: on y respire l'inceste.

D'un autre côté, s'il est vrai, comme je le crois, que Thérèse ait voulu déshonorer Laurent pour se glorifier elle-même, on peut affirmer qu'elle a dépassé le but sans l'atteindre. Malgré ses folies, malgré ses bassesses, le personnage de Fauvel est intéressant: il émeut et il attache, il vit en un mot, tandis que celui de Thérèse est faux, anti naturel, anti-humain. Cette prétendue femme supérieure n'est pas même une femme c'est une laide allégorie galvanisée par le talent, et si par hasard elle représente quelque chose, ce ne peut être que le plus horrible défaut des hermaphrodites : la fatuité féminine!

:

Le témoin inconnu, le public, pour peu qu'il soit averti, témoignera comme moi, j'en suis sûr, au tribunal de sa conscience. Loin d'être séduit par Thérèse, il ira de lui-même, par un élan sympathique, du côté de Laurent de Fauvel, indignement travesti. M. Paul de Musset n'aurait donc pas eu besoin d'opposer au roman d'Elle et Lui, le roman de Lui et Elle. En écrivant son histoire, Thérèse, comme ces démons forcés de s'accuser par la bouche des possédés, Thérèse, dis-je, a fatalement prononcé sa propre condamnation. Il est pourtant curicux d'entendre l'Olympe de M. Paul de Musset, la même personne que Thérèse, livrer le secret de celle-ci par les violentes exclamations d'une sensualité presque folle l'auteur de Lui et Elle cite des lettres authentiques d'Olympe, où je relève les étranges passages que voici :

:

« Quel est ce feu qui dévore mes entrailles? Il semble qu'un volcan gronde au dedans de moi et que je vais éclater comme un cratère..... Quelle fièvre avez-vous fait passer dans mes veines, esprit de la vengeance céleste ? Quel mal ai-je donc fait aux anges du ciel pour qu'ils descendent sur moi et m'infligent le châtiment d'un amour de lionne? Mon sang s'est-il changé en feu? Pourquoi ai-je connu, à l'approche de la mort, des embrassements plus fougueux que ceux des hommes?.... >>

L'amour de lionne contredit un peu, n'est-ce pas, l'amour de pélican? Il est évident que Thérèse n'est pas sincère : mais il est douteux qu'Olympe soit tout à fait vraie. En jetant dans le creuset ces deux moitiés d'un même personnage, un romancier comme Balzac eût inventé un caractère féminin d'une vérité saisissante et tragique. Nous aurions eu affaire alors, non pas à une créature théâtrale, non plus à une lionne farouche, mais à une femme à la fois sensuelle et prude, orgueilleuse et maternelle, hypocrite et passionnée, cherchant à se persuader et affirmant hautement qu'elle accomplit une sainte

mission lorsqu'elle satisfait avec une espèce de rage son double besoin d'aimer et d'avilir un être supérieur. Il n'y a guère que M. Mérimée aujourd'hui qui pût représenter en maître cette étrange figure de Thérèse-Olympe. Me Sand, j'en suis bien certain, n'y réussirait pas. Si elle avait eu encore la puissance de réaliser une grande conception romanesque, elle aurait peint sous le nom de Thérèse, non pas une marâtre amoureuse, mais une fille loyale et naïve, dévouée, aimant jusqu'au martyre, fière de servir de proie au génie, et bénissant à sa dernière heure son cher bourreau, son immortel meurtrier. Elle a préféré commenter par un roman latéral ce triste et insuffisant ouvrage, l'Histoire de ma vie. Elle a préféré se donner le plaisir d'une de ces confessions pharisiennes, où l'on accuse les péchés d'autrui en célébrant ses propres vertus. N'en finirons-nous pas bientôt avec toutes ces confessions publiques et générales qui ont abaissé le caractère et l'esprit de tant d'illustres contemporains? Mémoires personnels, confidences intimes, autobiographies, grands et petits prétextes de scandale populaire, nous sommes envahis depuis plus de vingt ans par une littérature de photographes suspects qui infecte tous les genres d'écrits, depuis les petits journaux jusqu'aux revues, depuis le pamphlet jusqu'à l'histoire, depuis le drame jusqu'au roman. Que deviennent, au milieu de ces excès, l'honneur, la dignité, l'indépendance, et même la pudeur de l'écrivain?

On s'est beaucoup lamenté de nos jours sur le sort de l'homme de lettres au XVII et au XVIIIe siècle. Ils manquaient, dit-on, de dignité, ces misérables auteurs pensionnés par le roi, par un de ses ministres, ou par un financier vaniteux; pour quelques écus, pour un morceau de pain, jeté en aumône, pour un habit au jour de l'an, ils acceptaient le rôle de familiers, de parasites, de meubles parlants, de domestiques lettrés. Nous sommes plus fiers aujourd'hui : car nous ne dépendons de personne, ni d'un souverain, ni d'un banquier, ni d'une Me de la Sablière, ni d'une Geoffrin. Plus de dédicaces au roi de Prusse, plus de flatteries à l'impératrice de Russie, à la reine de Suède ou à l'empereur Joseph II. Non, non, plus un coup de chapeau devant les puissances. Et pourtant, c'est bien de nos jours qu'on a vu un grand poète échanger sa lyre contre un orgue de mendiant. C'est bien de nos jours qu'on a vu des dramaturges faire jouer au théâtre l'histoire dialoguée de leurs infortunes de ménage. C'est bien de nos jours qu'on a vu des romanciers ouvrir à deux battants sur la rue la petite porte de leur alcôve. Le bonhomme Shylock s'est fait écrivain, et il a coupé sur sa poitrine et sur celle de ses amis une livre de chair qu'il vend à la criée, sur l'étal sanglant des libraires. Ah! si c'est là notre dignité, si c'est là notre indépendance actuelle, qu'on me ramène à M. de Montauron et au

baron d'Holbach, qu'on me ramène à l'ancienne domesticité, à l'ancienne servilité. Je veux être le familier du duc de Richelieu, je veux être la bête de Mme Geoffrin.

D'où vient donc cette hâte à dire de son vivant au public ce qu'il ne devrait apprendre que de la bouche des morts? Est-ce impatience de la gloire? Est-ce défiance de la postérité? Je crois plutôt que c'est manque de foi en soi-même, dédain de l'avenir et de l'art, amour des biens présents et des jouissances immédiates, en un mot commerce et trafic, non-seulement de l'intelligence, mais de l'âme et du cœur. On s'excuse de ces tristes mœurs en accusant le public qui n'aime ni la littérature pure, ni l'art désintéressé. Sans doute le public manque de goût et quelquefois même de sens moral. On lui met dans les mains un daguerréotype: il court de lui-même au stéréoscope. Mais si la critique faisait son devoir, le lecteur ferait peut-être le sien. Repoussons du pied les vilenies littéraires, épurons les mœurs de l'esprit, chassons, en un mot, les marchands du temple. Le public applaudira et reviendra.

Un ingénieux sceptique, un académicien de la dernière heure, un homme très poli et très adroit, avec un grand fonds d'impudence, me contait gaiement l'autre jour, à propos de ces deux romans d'Elle et Lui et de Lui et Elle, qu'il avait beaucoup connu jadis Olympe-Thérèse et Laurent-Edouard. «Ils se rencontrèrent chez moi un certain soir, me disait-il, après une assez longue séparation. Je vois encore Olympe sur ce canapé, déguisée en homme, et des pieds à la tête revêtue de velours noir. Laurent, en habit de cheval, tenait à la main une cravache sifflante. A la suite d'une conversation très animée qui déplut à Laurent, la cravache tournoya et le velours blanchit. Cette correction dura certainement un bon petit quart d'heure. J'avoue que, pendant les premières dix minutes, je fus un peu étonné, un peu embarrassé. Mais quand le velours eut blanchi, j'étais, sans aucune restriction, du parti de la cravache. »

Quoique cette anecdote ne soit pas du tout une fable, elle a sa moralité, qui est celle-ci : lorsqu'une certaine littérature s'offre triomphante à la critique, celle-ci doit la châtier sans merci en face du public. Malgré ses incertitudes et sa grande politesse, le public finira toujours par être du parti de la cravache, comme cet ingénieux académicien.

HIPPOLYTE BABOU.

ALBA

SIXIÈME PARTIE'

LIX

Le lendemain, Venise fut témoin d'un spectacle étrange, et il se déroula sur la place Saint-Marc et à l'arsenal des scènes dont les péripéties surpassent en émotion toutes celles que les habiles faiseurs arrangent et combinent dans les drames les mieux charpentés. La réalité, parfois, est plus saisissante que la fiction.

Vers huit heures du matin, deux hommes sortirent d'une maison de modeste apparence. L'un d'eux était petit il avait l'air doux, le visage calme, les traits fatigués; il était sur cette pente de la vie où déjà la force physique commence à décliner, et où la fleur de la jeunesse a perdu son éclat, mais où l'âme est dans toute la plénitude de sa puissance morale. On pouvait lire une mâle assurance dans ses yeux; mais il n'y avait rien de particulièrement belliqueux dans ses allures et dans sa personne c'était un avocat. Mais l'histoire écrira son nom à côté du nom des héros. -L'autre, nous le connaissons depuis longtemps, c'était Marino. Le passant qui eût demandé à ces deux hommes Où allez-vous ? n'eût pas été médiocrement surpris de les entendre lui répondre : Nous allons prendre l'arsenal, nous emparer de Venise, renverser

:

'Voir 2e série, t. IX, p. 233 (livr. du 31 mai 1859); p. 425 (livr. du 15 juin); p. 609 (livr. du 30 juin 1859); t. X, p. 30 (livr. du 15 juillet); p. 254 (livr. du 31 juillet.)

« ElőzőTovább »