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drai plus ta voix. Il faut que je renonce à tout cela, car je serais pour toi un objet d'horreur. Mon Dieu! Mon Dieu ! continua-t-il en joignant les mains, c'est la première fois que ma pensée monte jusqu'à vous. Pardonnez-moi de me tuer; il le faut, pour que mon fils oublie ma mort après quelques jours de chagrin, au lieu de m'avoir sans cesse devant les yeux comme un cadavre animé ! »

Il se releva.

« Adieu, mon petit enfant, » dit-il encore.

Mais il ne pouvait s'éloigner. Il s'était penché sur son fils et ne cessait point de l'embrasser et de le regarder. Tout à coup, il lui vit faire un mouvement. Alors il s'enfuit précipitamment, de peur de le réveiller et d'être aperçu par lui.

Il était à peu près cinq heures du matin. Georges sortit de son hôtel, prit une voiture de place et se fit conduire à Vincennes. Là, il paya le cocher et le renvoya. Il avait eu soin de dérober aux regards de cet homme la partie droite de son visage en la couvrant de son mouchoir. Il chercha quelque temps un endroit favorable à son projet de suicide, et le trouva dans une petite clairière, au bord d'un fossé, sur la lisière du bois. Il faisait une belle matinée d'automne; d'agrestes senteurs s'exhalaient des arbres, et le soleil perçait un léger brouillard étendu sur la campagne. Georges s'était assis sur le bord du fossé; il écoutait les premiers bruits de ce nouveau jour, le chant des oiseaux sous le feuillage, les cris des hommes et l'aboiement des chiens dans les fermes qui s'éveillaient. Le malheureux regrettait la vie. Il songeait presque à ne se tuer que le lendemain. Il pourrait en effet, lorsque la nuit serait venue, embrasser son fils encore une fois.

En ce moment, un bûcheron, qui passait près de là, s'approcha de lui et lui demanda quelle heure il était.

Georges tira sa montre et se retourna pour lui répondre, mais le bûcheron l'eut à peine regardé qu'il jeta un cri de terreur et s'enfuit à toutes jambes.

«Oh, oh! fit Georges, le malheur se rappelle à moi, comme dans toutes les circonstances où je parvenais à l'oublier. Mon visage a fait peur à cet homme. »>

Il prit un de ses pistolets, l'arma et appuya le canon entre la racine du nez et le coin de l'œil droit.

« Comme cela, dit-il encore, on ne s'apercevra même pas que j'ai été paralysé. »

Il pressa la gâchette; le coup partit, et son corps roula au fond du fossé.

Le lendemain, tous les journaux annoncèrent sa mort. Ils attribuaient son suicide à un accès d'aliénation mentale. Il était impos

2e S. TOME X.

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sible de supposer qu'un amiral illustre, dans la haute position qu'occupait Georges, comblé des dons de la fortune et de la faveur, eût volontairement mis fin à ses jours. Ils furent unanimes dans leurs regrets et dans leurs éloges. Les journaux libéraux le pleurèrent comme un des héros de l'empire; les journaux monarchiques parlèrent de ses combats de l'Inde et profitèrent de l'occasion pour rappeler les paroles gracieuses que le roi lui avait adressées lors de sa présentation. Il mourait comme il avait vécu, glorieux et admiré de

tous.

Le docteur Martens, bien qu'il s'attendît à cette mort, resta plongé, après en avoir lu la nouvelle, dans une méditation profonde. Il garda toutefois à Georges le secret qu'il lui avait promis. Quelques années plus tard, dans une de ces brillantes leçons qu'il fit à la clinique de Paris, il traitait de la paralysie. Après avoir énuméré les causes morales qui peuvent la déterminer, telles que les longs et cruels chagrins et les terreurs subites, il raconta l'histoire de Georges comme celle d'un malade qui s'était autrefois confessé à lui.

« Dans le cas que je viens de vous citer, dit en finissant le savant professeur à ses auditeurs vivement émus, la paralysie de la face pourrait peut-être s'appeler la paralysie du remords. >>

HENRI RIVIÈRE.

LES CONFESSIONS

DE

DEUX ENFANTS DU SIÈCLE

Elle et Lui, par Mme G. SAND. Paris, Hachette. - Lui et Elle, par M. Paul de MUSSET. Paris, Charpentier.

Il y a deux ans à peine que s'éteignait sans bruit un pauvre grand poète, dont la jeunesse avait été comme une campagne d'Italie à travers le monde littéraire. Toute une génération l'avait adoré. Il s'en allait presque seul dans sa tombe au milieu d'une génération nouvelle qui ne l'avait pas même regardé mourir. L'avait-on oublié ? Pas plus qu'il ne s'était oublié lui-même. On n'aurait eu qu'à prononcer son nom pour éveiller de radieux souvenirs. Mais il s'était retiré de la lutte, mais il avait fui au désert, accablé et dégoûté, insouciant ou dédaigneux, malade surtout et inexorablement muet. Cette brusque disparition avait-elle été volontaire ou fatale? était-ce un châtiment mystérieux ? était-ce une libre expiation?

La légende du poète était déjà faite, quand il se condamma ou se résigna au silence. A travers les blanches clartés de l'imagination fantastique, nous le voyions déjà comme le héros et le martyr d'une vie de passion ardente, de cette vie de tempête dont Pascal a tracé le sillon par un éclair. C'était bien l'Enfant du siècle, une espèce de Prométhée parisien, capable de ravir le feu du ciel en serrant le cou du vautour qui lui fouillera les entrailles. Il allait, la tête levée, chantant et blasphémant, plein d'enivrement et d'amertume, défiant le

sort, défiant l'amour, caressant et battant la Muse, portant le charbon divin sur ses lèvres avec le sourire de l'impiété diabolique. Enthousiasme naïf, scepticisme raffiné, désirs à l'assaut, caprices en déroute, orgie redoublée de l'intelligence et des sens, de la curiosité et de la volonté; mille élans parmi les étoiles, et autant de chutes dans les abîmes; tout cela rayonnant d'héroïsme juvénile et de cette furia francese qui se moque du Styx et se croit invulnérable; c'est ainsi qu'aujourd'hui encore nous revoyons Alfred de Musset dans les premiers chants de ce court poème qui fut sa destinée. Mais le poème, hélas! a ses chants de désespoir. Celui qui s'était cru invulnérable tomba tout sanglant, et se sentit

Cloué sur terre

Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussière,
L'aile ouverte et les yeux fixés sur le soleil.

Alors on entendit des cris sublimes, les cris de l'aigle frappé à mort. Jamais la douleur invincible ne rebondit si puissamment du cœur à l'imagination; elle ébranla pour toujours les ressorts si fragiles de ce génie poétique. Il resta peut-être en ce monde le spectre physique d'Alfred de Musset. Son génie poétique n'existait plus. Comment avait-il été frappé? d'où venait cette plaie ouverte, cette blessure mortelle ? Ah! malgré tant de plaintes véhémentes, tant de reproches attendris, tant d'élans de vengeance, tant de douces invocations à la pitié, à l'oubli, à la bienfaisante nature qui sème parmi ses morts des germes de résurrection; au milieu de ses plus terribles expansions et de ses plus profonds abattements, toujours la victime poétique garda fièrement dans son cœur le mystère de son supplice. Pas une confidence, pas une indiscrétion, pas un aveu; non, pas même un portrait ou un nom de femme! Et pourtant la légende d'Alfred de Musset, cette émanation colorée de ses œuvres, ne vous le représente-t-elle pas, avec sa blessure au flanc, comme un autre Paolo dans un nouveau cercle du Dante, éternellement enlacé par une Francesca meurtrière?

Qui est cette Francesca? Nul n'a le droit de le deviner, puisque Paolo tient encore son doigt sur ses lèvres. L'énigme va bien à la légende si j'évoque le poète, il m'apparaîtra le front voilé.

:

Deux romans tout récents, Elle et Lui, Lui et Elle, sont venus déchirer le voile du poète. Il n'y a plus de légende maintenant autour de la vie d'Alfred de Musset cette vie douloureuse, elle est jetée comme un scandale au public. Francesca elle-même a, dit-on, arraché le suaire qui couvrait Paolo; elle a disséqué le corps et l'esprit sur une table d'amphithéâtre; elle a ouvert de sa main les lèvres refermées de l'incurable blessure, afin de se justifier d'un meurtre en

constatant un suicide. Elle et Lui, Laurent et Thérèse, sont remis en présence dans un livre écrit par Thérèse contre Laurent: Elle et Lui, c'est l'apologie de Thérèse par Thérèse, qui sacrifie à son orgueil la mémoire du poète qui eut le malheur de l'aimer. Toute apologie appelle un pamphlet. Le frère du poète a répliqué au roman d'Elle et Lui par un roman qui a pour titre : Lui et Elle. Ce dernier écrit, où Laurent s'appelle Edouard et Thérèse se nomme Olympe, a tout à fait l'accent de la vérité passionnée, cruelle, implacable, foudroyant une audacieuse et habile calomnie. Je résume simplement l'opinion générale des lecteurs qui ont vu d'un côté une vengeance calculée à loisir, une vengeance posthume, et de l'autre, une colère de la justice, suscitée par un noble sentiment, l'amour fraternel.

L'instinct du public s'est-il trompé, en jugeant ainsi le duel de George Sand et de Paul de Musset? Quelle est la vraie figure du poète ? où doit-on la retrouver? N'y a-t-il que mensonge dans Elle et Lui? n'y a-t-il que vérité dans Lui et Elle? La critique a pour devoir de discuter franchement les émotions du public et d'en tirer une conclusion pour son compte. Le scandale a sa moralité : dégageons-la sans faiblesse.

Pendant que je relisais Elle et Lui, une brochure de George Sand sur la Guerre m'a été envoyée par je ne sais quel éditeur. En feuilletant d'un doigt distrait ces pages de circonstance, écrites sur un petit tambour de marchand de joujoux, il m'a pris tout à coup un de ces délicieux éblouissements qui troublent à la fois les yeux et le cœur. Je venais de lire ces quatre lignes sur une petite plante arrachée autrefois « dans les sentiers du Piémont, et qui a bien voulu, dit George Sand, prendre racine et revivre chez moi..... Elle est en fleur aujourd'hui et elle est de la couleur sanguinolente des terrains qui l'ont produite (les sables rouges du littoral génois)........... C'est le sérapias cordigère. Sa corolle présente la forme d'un cœur, en effet ; un cœur sanglant comme celui de la pauvre Italie. Elle y croît sans culture..... chère petite fleur ! chère Italie!.... » Et moi je m'écriai : « Chère petite fleur ! pauvre Alfred de Musset! » Car il me semblait que pour Mme Sand le souvenir du poète aurait dû se lier au parfum de cette fleur cueillie à deux peut-être en Italie, dans ces sables rouges de Gênes que Thérèse et Laurent foulèrent ensemble..... Comment Mme Sand n'a-t-elle pas compris l'inviolabilité d'un souvenir deux fois sacré, puisque la mort même n'avait pu l'arracher du vivant tombeau où il avait été si longtemps enfoui? A moins d'avoir un cœur pharisien, une telle profanation semble tout à fait impossible. On ne peut en douter pourtant, cette profanation est bien réelle, quoiqu'on ait pris soin de la déguiser çà et là, partout où elle aurait paru trop choquante. Ce qu'on a caché à dessein confirme d'autant mieux ce

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