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ments maritimes et leur donne un développement sans égal jusqu'à ce jour. Nous ne blâmons point le patriotisme des Anglais : mais nous voulons nous montrer aussi patriotes qu'ils le sont eux-mêmes. Nous croyons qu'on a tort de sourire, comme on le fait quelquefois autour de nous, des manifestations même un peu étranges de ce sentiment patriotique. Quand tel membre bien connu de la Chambre des communes vient, à propos de chaque question, soit intérieure, soit extérieure, répéter qu'il y a un intérêt bien plus sérieux que celui dont on s'occupe, à savoir la défense des côtes de l'Angleterre; quand tel lord affirme, d'un air de conviction et d'affliction profonde, que la marine de la France est maintenant beaucoup plus forte que celle de son pays; il y a là sans doute, en apparence, quelque chose qui touche au comique; mais au fond de tout cela il y a aussi plus d'un sentiment sérieux. Le premier de tous est une crainte réelle de la France: les Anglais ne mettent pas le patriotisme à dédaigner les dangers, de manière à y succomber un jour, mais à les prévoir, pour les éviter. Le second sentiment est peut-être le désir d'endormir l'attention des Français qui seraient assez naïfs pour croire à cette supériorité de la marine française dont retentit chaque jour le Parlement britannique. Mais le but principal est de pousser la nation à de nouvelles dépenses et à de nouveaux efforts, pour développer encore une puissance maritime déjà formidable. Sur ce dernier point le succès est assuré le Parlement ne refusera jamais un sou au budget de la marine. Aux premiers jours de cette année, la Revue, dans une étude d'une haute compétence, a appelé l'attention sur les forces considérables que l'Angleterre accumule, depuis un demi-siècle, pour la défense de son territoire et la domination des mers. Dans une récente séance de la Chambre des communes, lord Clarence Paget, secrétaire de l'amirauté, a exposé l'état des re sources maritimes de l'Angleterre. Le budget de la marine atteint près de 320 millions. Le secrétaire de l'amirauté affirme qu'avant 1860, l'Angleterre aura en mer 50 vaisseaux de ligne, 37 frégates et 140 bâtiments moins importants, sans parler des vaisseaux marchands qui pourraient être armés. Le nombre des marins approche déjà, comme nous l'avions dit, de 50,000; mais il va être augmenté de 8,000; le chiffre des soldats de marine sera porté de 15,000 à 20,000; ce qui for mera un total de près de 75,000 hommes. Dans ce chiffre ne sont pas compris les gardes-côtes et les marins volontaires des côtes, dont nous avons autrefois entretenu nos lecteurs; nous n'avons pas non plus placé parmi les navires dont nous faisons le compte, les vaisseaux pontons destinés à la garde des côtes. On voit que les craintes plus ou moins sincères des honorables membres du Parlement, auxquels nous faisions tout à l'heure allusion, ne semblent pas près de se vérifier, et que l'Angleterre possède un ensemble de ressources maritimes tel que le monde n'en a point vu. ÉDOUARD BOINVILLIERS.

ALPHONSE DE CALONNE.

Paris.

Impritacrie de Dubuisson et Ce, rue Coq-Héron. 5.

CAÏN

PREMIÈRE PARTIE

I

Par une belle nuit du mois de mai 1801, la frégate la Thétis croisait aux Antilles, à une trentaine de lieues au large du cap Macouba. La température était lourde, et les voiles, à peine soulevées par un souffle de brise, battaient de temps à autre contre les mâts. Les hommes de quart dormaient. L'officier seul se promenait lentement sur la dunette. Deux jeunes lieutenants de vaisseau, enveloppés dans leurs manteaux et couchés dans les bastingages sous le vent, avaient passé la soirée à fumer et à causer. Depuis quelques instants, ils se taisaient; ils semblaient subir l'influence de la nature triste et grandiose qui les entourait et qui n'avait d'autre bruit que le petit clapotement des lames contre les flancs du navire.

« Ce qui ressort de cette longue conversation, mon cher Georges, dit enfin l'un d'eux, c'est que notre bonne amitié nous console, moi de l'amour absent, toi de la gloire trop lente à venir à ton gré. » Georges ne répondit qu'après quelques secondes, et comme s'il se fût arraché à une pénible rêverie:

« Oui, Raoul, dit-il enfin, nous nous aimons bien. Et il serra la main de son ami.

-Sais-tu, reprit Raoul, que l'on commence, dans la station, à comparer notre amitié à celle de Castor et de Pollux !

Malheureusement, dit Georges avec amertume, nous ne sommes

2e S. TOME X. — 31 JUILLET 1859.

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pas des demi-dieux; nous ne sommes que d'obscurs officiers de marine au service de la République.

Bast, fit en souriant son ami, nous serons amiraux tous les deux un jour, si Dieu nous prête vie! Mais l'on va plus loin, l'on prétend que nous nous ressemblons.

-Oh! dit Georges d'un air de doute.

Cela pourrait être. Nous avons le même âge, la même taille, la même tournure; nous sommes bruns tous les deux. Je sais bien que nos traits sont différents, mais l'on dit que, dans certaines circonstances, nous avons la même expression de physionomie. Après tout, ajouta-t-il plus bas, mais d'un accent convaincu, cela ne m'étonnerait pas trop.

Et pourquoi ? demanda Georges avec curiosité.

Oh! cela tient à des souvenirs d'enfance. Je t'ai dit que mon père avait autrefois quitté la France et était allé demeurer quelques années à Zurich. Là, il avait retrouvé un vieil ami dont il avait été séparé fort longtemps. Cet ami venait souvent passer la soirée à la maison. C'était un grand vieillard aux traits pleins de douceur, d'une exquise bonté et qui causait avec un charme infini. Je me rappelle qu'on me couchait de bonne heure dans la chambre voisine; mais, au lieu de m'endormir, je restais des heures entières à l'écouter. Eh bien, il disait que, dans beaucoup de cas, la ressemblance n'est que le résultat d'une affection profonde et partagée; qu'un amant et une maîtresse, un mari et une femme qui passent leur vie ensemble, deux amis qui ne se quittent pas pendant une longue suite d'années, finissent par prendre à leur insu, quelle que soit la différence de leur organisation, la physionomie l'un de l'autre. Et je crois qu'il avait raison, car cet homme, dont j'ai connu plus tard la réputation immense, était Lavater. »

A ce nom, qui eut un grand retentissement à la fin du dernier siècle, Georges se rapprocha de son ami.

« Vraiment, fit-il, Lavater disait cela!

-Et bien d'autres choses encore. Partant toujours de l'affection que deux êtres humains peuvent éprouver l'un pour l'autre, il assurait — et je te cite ici presque textuellement ses paroles-que l'imagination, tendue par une passion extrêmement vive, opère dans les lieux et les temps éloignés. Il prétendait, par exemple, qu'un malade, un mourant, soupirant après un ami absent qui ignore sa maladie ou son danger, peut, emporté par la vivacité de son désir, percer dans son imagination à travers les murs et les enceintes, et, apparaissant à cet ami dans l'état où il se trouve, lui donner des signes de sa présence, semblables à ceux de la réalité. Lavater attribuait cette apparition à la force irré

sistible de l'imagination qui, dans un pareil moment, est concentrée tout entière au foyer de sa passion

-Et crois-tu que cela soit possible?

-Je n'oserais dire que j'en sois persuadé; mais, précisément à ce sujet, il est arrivé à mon père une chose singulière. Tu sais comment est mort Lavater? Quand les Français sont entrés à Zurich, en 1799, un soldat ivre, qui l'a rencontré par les rues, lui a tiré un coup de fusil dans le bas-ventre. Lavater n'a succombé à cette blessure que quinze mois après, au milieu de l'année dernière. Pendant ces quinze mois, il a écrit plusieurs fois à mon père, qui était rentré en France. Eh bien! un jour que mon père lisait dans son cabinet de travail, il a tout à coup été pris d'un grand trouble et a vu d'une manière confuse la silhouette pâle et défaite de son ami se dessiner sur le mur. Il apprit quelque temps après que Lavater était mort juste au moment où cette étrange apparition s'était manifestée à lui.

Si de telles choses étaient possibles, elles seraient effrayantes, dit Georges.

Pas pour moi, répondit doucement Raoul. Il y a, au contraire, dans cette opinion de Lavater, quelque chose qui me console. A ma dernière heure, en effet, c'est à mon père d'abord, à toi ensuite que je penserais, et je pourrais ainsi vous laisser un dernier adieu. »

La conversation des deux jeunes officiers avait pris un tour à demi superstitieux, que favorisaient d'ailleurs la solitude de l'Océan et l'obscurité croissante de la nuit. Il se fit entre eux un instant de silence.

« De pareilles idées, dit enfin Georges, ne sont pas bonnes à avoir dans une carrière comme la nôtre, où l'on risque chaque jour sa vie. Et, à propos de cela, comme nous pouvons nous battre demain de grand matin, il est temps d'aller nous coucher. »

Georges avait prédit juste. Au point du jour, le timonier vint les réveiller en leur apprenant que l'on apercevait deux voiles à l'horizon et que le commandant allait faire faire le branle-bas de combat. Ils s'habillèrent à la hâte et montèrent sur le pont au moment où battait la générale. Le bord, traversé en tous sens par les hommes qui se rendaient à leurs postes, était en proie à cette confusion apparente d'où l'ordre le plus complet doit sortir bientôt. Au bout de quelques minutes, les canonniers étaient immobiles à leurs pièces; les hommes de la manœuvre se tenaient prêts à orienter les voiles; les gabiers, dans les hunes et au bout des vergues, se disposaient à lancer les grappins.

Le commandant et ses officiers étaient sur la dunette. A l'aide de longues-vues, ils observaient les bâtiments signalés, qui se rapprochaient sensiblement, et qu'il était facile, à leur carène et à leur voi

lure, de reconnaître pour anglais. L'un d'eux était une frégate de la même force que la Thétis. Elle courait à contre-bord, toutes voiles dessus et babord amures. Le second, un brick de seize, était à quelque distance sous le vent et s'efforçait, en tirant des bordées, de rejoindre le lieu probable de l'action.

Quel joli temps pour se battre! dit le commandant; une brise à filer six nœuds et une mer lisse comme un miroir ! » Il ajouta presque aussitôt : « Hissez les couleurs et appuyez-les d'un coup de canon. »

Le pavillon tricolore se déroula lentement dans les airs, tandis qu'une caronade des gaillards lançait son éclair de flamme, et que le roulement de son tonnerre grondait au loin sur les flots.

Les deux bâtiments ennemis déployèrent immédiatement le yacht royal d'Angleterre, et répondirent par deux coups de canon au défi de la Thétis. En même temps, les deux frégates carguèrent leurs perroquets et leurs basses voiles, et, prêtes au combat, continuèrent à courir l'une sur l'autre.

C'est un beau et solennel moment que celui où l'on va se battre. L'homme n'est grand peut-être que par le mépris qu'il a de la mort. Son courage, comme un acier rougi au feu, se trempe dans la perspective prochaine du danger. S'il croit servir une noble cause, une fois qu'il a dit adieu aux douces affections et aux bonheurs de cette terre, son âme agrandie fait resplendir ses traits d'une admirable et mâle poésie. Il a le charme de la vie qui peut l'abandonner; il est terrible comme la mort avec laquelle il va lutter.

-

« A vos postes, messieurs, » dit le commandant aux officiers. Il retint le second près de lui : « Quand nous serons à bonne distance, lui dit-il, nous enverrons notre bordée à la frégate anglaise, puis nous l'élongerons de bout en bout, et nous nous en rendrons maîtres avec la rapidité de la foudre, avant d'avoir le brick sur les bras. >>

Le lieutenant fit prévenir les chefs des deux abordages, qui étaient précisément Raoul et Georges, les deux plus anciens officiers de la frégate. Lorsque le moment fut venu, la Thétis lofa légèrement, afin de mieux découvrir son ennemie, et fit feu de toutes ses pièces de babord. La frégate anglaise lui répondit, et les deux bâtiments furent enveloppés de bruit et de fumée. Le lieutenant cherchait le commandant des yeux pour lui demander ses ordres, quand il le vit disparaître par-dessus le bord, emporté par un boulet. Le brave homme agitait encore son chapeau de la main gauche, comme s'il eût voulu menacer l'ennemi par son dernier geste.

« A l'abordage! » cria le lieutenant de toute sa voix.

La Thétis laissa porter, et froissant de ses flancs les flancs de la frégate anglaise, s'accrocha à elle avec ses grappins. Deux flots d'hommes

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