Oldalképek
PDF
ePub

LA

BATAILLE DE SOLFERINO

(CORRESPONDANce du théatre de la guerrE)

Pozzolengo, le 6 juillet 1859.

Je ne saurais vous communiquer mes impressions sur la grande bataille de Solferino, et en apprécier à leur juste valeur toutes les conséquences, sans sortir des bornes d'un simple récit des mouvements exécutés par les troupes qui ont pris part à cette lutte gigantesque. Je ne saurais le faire pour deux motifs très graves: premièrement, parce que les rapports officiels et les correspondances particulières ont déjà donné sur ces faits tous les renseignements de quelque importance; en second lieu, parce qu'on ne peut apprécier à leur juste valeur les conséquences de cette bataille, si on néglige de faire remarquer tous les avantages qu'elle vient de procurer aux armées alliées pour l'accomplissement de cette campagne, dont le dénoùment s'est précipité depuis le 24 juin.

Il nous faut d'abord examiner quel était l'état moral et numérique de l'armée autrichienne la veille de la rencontre, quelle était la force de ses positions, le but de ses mouvements, les combinaisons qu'ils avaient en vue, comment le plan des deux armées a été exécuté, constater enfin le résultat tactique et stratégique de cette bataille.

L'opinion publique, tant en Autriche que dans une partie de l'Europe, dans l'armée autrichienne surtout, ne considérait pas la défaite de Magenta comme un de ces désastres qui décident du sort de la guerre, soit parce qu'une partie des troupes n'y avait pas pris part, soit parce qu'on rendait exclusivement responsable de ce désastre le général en chef autrichien, comte Giulay. Cette défaite avait même été vue, par une certaine partie de l'état-major autrichien, avec un secret plaisir. Cet état-major se trouvait, au début des opérations, partagé en deux grands camps; celui qui tenait pour l'offensive, représenté par les jeunes généraux, par l'entourage de l'empereur et par l'empereur lui-même; et celui de la prudence, repré

senté par Hess, Wimpffen et par les têtes blanches du conseil aulique. La voix de l'empereur ayant donné la victoire au parti de l'agression, et le général Giulay ayant été investi du commandement de l'armée d'invasion, la défaite de Magenta venait comme une justification éclatante donnée par les événements aux conseils de modération du parti contraire.

Nous n'avons pas le dessein de revenir sur les événements du commencement du mois de juin. Nous devons seulement constater la surprise produite par la promptitude avec laquelle les troupes autrichi nnes abandonnèrent la Lombardie, après la bataille de Magenta, sans tirer parti et sans rien sauver des ressources défensives que l'on avait accumulées sur le Pô, aux confluents du Tessin et de l'Adda; et cela, au lendemain d'une bataille à l'issue de laquelle le général Giulay, quoique battu, paraissait encore prêt à disputer chaudement le terrain à l'armée française. Ce mystère apparent s'explique par le revirement qui s'était opéré dans les con seils de l'empereur d'Autriche. Mécontent de son lieutenant, il se rejetait du côté de ses adversaires, et le remplaçait par les maréchaux Hess, Schlick, Wimpffen. Ces heureux rivaux n'eurent alors rien de plus pressé que de justifier leur opinion en faisant voir l'impossibilité de se soutenir en Lombardie. On l'évacua par conséquent avec une précipitation, je dirai même avec une ostentation qui semblait plutôt faite pour consommer la disgrâce du général vaincu, que pour protéger les véritables intérêts de l'empire.

Quel qu'ait été le sort des combinaisons du général Gíulay, surtout si l'on tient compte des tracasseries et des entraves que ses adversaires ne cessaient de susciter autour de lui, il serait souverainement injuste de refuser au général Giulay des qualités militaires éminentes, une résolution, une fermeté de caractère, qui est une qualité bien rare et bien précieuse dans les états-majors autrichiens. A la bataille de Magenta, les mouvements de l'armée autrichienne furent si bien combinés, qu'elle réussit à surprendre l'armée française, et peut-être devrait-on rejeter une grande partie de la responsabilité de cette défaite sur quelques chefs de corps, qui, mus par cet esprit de coterie dont je parlais plus haut, ne sont arrivés que fort tard, ou ne sont point arrivés du tout sur le champ de bataille. Enfin, ce n'est plus aujourd'hui un mystère pour personne que, dans les deux combats de Palestro et de Magenta, quelques régiments italiens et hongrois n'ont pas fait précisément leur devoir, et que l'on doit compter pour sa part dans la défaite, le manque de solidité des lignes autrichiennes, effet naturel de la froideur de ces troupes.

On devait donc s'attendre à voir les généraux du parti dominant risquer à leur tour une bataille, et donner une double leçon à l'ennemi et à leurs collègues disgraciés, dès qu'ils se sentiraient sur leur terrain de prédilection. C'est pour mieux juger de cette seconde épreuve, que j'ai cru devoir rappeler quelques-uns des événements antérieurs.

Il s'agissait d'abord de réorganiser l'armée ébranlée, et, en second lieu, de choisir l'endroit où elle pourrait aborder l'ennemi avec les plus grandes chances de succès.

Dès leur arrivée sur la Chiese, les troupes autrichiennes furent réorga

nisées, renforcées, purgées des éléments dissolvants, italiens ou hongrois. Elles furent portées à un total de 10 corps d'armée formant 3 armées d'une force totale de 250,000 hommes. C'était tout ce que la monarchie autrichienne pouvait mettre en ligne de meilleur comme soldats, équipement, montures, artillerie; il faudra bien des années avant qu'elle puisse relever son armée au point où elle était la veille de la bataille de Solferino. Aussi, le jeune empereur est-il excusable s'il a caressé un instant l'espoir d'écraser son adversaire et de le chasser d'un seul coup de la Lombardiė.

Heureusement pour nous, les dispositions de l'état-major autrichien, quoique savantes, quoique hardies, n'étaient pas si habilement combinées qu'elles dussent produire le résultat qu'on en attendait. Je n'ignore pas que d'autres juges, certainement plus compétents que moi, ont porté sur les plans autrichiens un jugement plus favorable. Je respecte infiniment ces opinions; mais, si je me plais à reconnaître que, comme exécution purement tactique, le plan de la bataille de Solferino fait honneur aux généraux autrichiens, par contre, je ne crains pas d'avancer que, dans ses combinaisons stratégiques, leur plan ne valait pas celui de Giulay, et s'est trouvé incontestablement inférieur aux combinaisons par lesquelles Napoléon III l'a su déjouer. Je dis cela fort du témoignage de mes yeux, de la connaissance que j'ai acquise, en d'autres temps, du terrain situé entre la Chiese et l'Adige, confiant enfin dans les démonstrations stratégiques que je prendrai la liberté de soumettre au lecteur.

Avant tout, adressons une question à ceux qui trouvent matière à louanges dans les mouvements de l'armée autrichienne : quel était son but ? Je crois que, sur ce point, il sera facile de s'entendre. Les manœuvres des troupes autrichiennes, avant le 24, ont été facilement devinées par l'étatmajor de l'armée alliée. Le but des Autrichiens était de couper l'armée franco-sarde au passage de la Chiese, d'attendre pour cela que l'armée se fût avancée sur la rive gauche du fleuve, de pénétrer entre cette armée et la rivière, de jeter à l'eau les avant-gardes des corps français qui seraient déjà passées, et, tenant en échec le gros des forces françaises sur la rive opposée, d'anéantir l'armée piémontaise, d'écharper enfin les corps français en surprenant leurs têtes de colonnes, qui se seraient trouvées isolées sur la rive gauche de la Chiese.

Or, ce projet était impraticable pour deux motifs principaux. Premièrement, parce que, ayant une marche considérable à faire pour arriver sur le lieu du combat, il était très difficile de surprendre les 5 corps de l'armée française juste au moment critique où ils auraient commencé l'opération du passage, et avant qu'ils fussent en forces suffisantes sur cette rive pour tenir tête à une attaque. L'événement a pleinement justifié ce premier point de notre critique. En second lieu, les plaines ondulées qui bordent la rive méridionale du lac de Garda, admirablement disposées pour y prendre une position défensive, perdent beaucoup de leurs avantages lorsqu'il s'agit d'attaquer et de se porter vivement le long de la Chiese, où les hauteurs de Solferino s'abaissent peu à peu et vont mourir dans la plaine. Ce second point a aussi trouvé dans les faits sa justification, car l'armée autrichienne, après avoir manqué l'occasion de couper l'armée alliée, s'est vue, par la

nature même du terrain, forcée de changer de rôle et de passer de l'état offensif à l'état défensif, depuis Solferino jusqu'à San-Martino, c'est-à-dire sur tout le front de son centre et de son aile droite.

Mais on aurait le droit d'adresser à l'état-major autrichien un reproche bien plus grave et dont il aura peine à se disculper devant l'histoire. Il ne pourra pallier la responsabilité de sa faute ni par la lenteur des troupes, ni par le retard de quelques corps au moment critique; elle lui appartient tout entière, nous allons le démontrer. Cette faute si grave, c'est d'avoir choisi, pour diriger une pareille attaque contre l'armée franco-sarde, la rivière où elle était, sinon impossible, du moins beaucoup plus difficile que sur aucun des autres cours d'eau du royaume lombard-vénitien.

Pour couper une armée au passage d'un fleuve, les règles sont assez généralement admises pour qu'on n'ait pas à les discuter. Ne pas l'inquiéter de front; descendre ou remonter à la hâte la rive du fleuve sur laquelle on se propose de la surprendre; contenir par l'artillerie les corps qui n'ont pas encore passé; écraser avec des forces imposantes la partie de l'armée qui l'a déjà franchi, telles sont ces règles. Il faut donc choisir un fleuve dont la berge où l'attaque doit avoir lieu, domine la berge opposée, afin de paralyser la partie de l'armée ennemie qui est restée de l'autre côté, et qui pourrait porter secours à l'avant-garde surprise; il faut que, sur le fleuve, soit en amont, soit en aval, on ait un point assuré pour s'y réunir en secret, s'y préparer à l'attaque, et se ménager une retraite en cas de revers. Or, la Chiese n'offre aucun de ces avantages: ses rives sont plates, ses eaux ont peu de volume, et elles sont presque partout guéables; enfin, pour se porter sur les lieux, il faut y venir diagonalement de Mantoue et de Peschiera, ce qui affaiblit naturellement l'attaque, au lieu d'y arriver perpendiculairement du haut ou du bas de la Chiese ; car, en amont, cette rivière est presque en contact du lac de Garda, où aucune armée ne pourrait se réunir, et, en aval, la Chiese allant se jeter dans l'Oglio, il faudrait, pour s'y porter, décrire un détour immense, et pouvoir attendre là, à l'insu de l'ennemi, le moment favorable pour l'attaquer.

Si l'empereur d'Autriche avait eu la patience d'attendre les Français au passage du Mincio, il aurait pu exécuter cette manœuvre dans des circonstances beaucoup plus favorables. L'armée alliée, forcée par des considérations stratégiques de passer le Mincio au-dessus de Goito, l'aurait franchi probablement à Valleggio, où la courbe saillante de ce fleuve et l'escarpement des berges aurait facilité une attaque de ce genre de la part des Autrichiens, tandis que les deux places de Peschiera et de Mantoue leur auraient offert deux postes admirables pour surprendre l'ennemi ou pour s'y réfugier en cas d'insuccès.

A ces fautes, impardonnables pour l'état-major autrichien qui étudie le terrain depuis quarante ans, il faut encore ajouter celle d'avoir combiné un plan d'attaque tellement étendu, qu'il aurait été vraiment merveilleux que tous les corps se fussent trouvés au rendez-vous à point nommé. Je reviendrai sur cette faute lorsque ces considérations générales seront épuisées.

Les positions de Cavriana, Solferino et San-Martino sont, sans contredit,

des positions formidables pour une armée qui y attend de pied ferme l'ennemi mais il ne faut pas confondre cette position avec celle de Montechiari qui se trouve un peu plus au nord-ouest, et qui appuie directement son front à la Chiese et sa droite au lac de Garda. Le quadrilatère formé par la rive méridionale du lac de Garda au nord, par le Mincio à l'est, par la Chiese à l'ouest, et par les marais de l'Oglio et du Pô au sud, offre tant de bonnes positions défensives, surtout du côté du lac de Garda, que dès les temps les plus reculés ce lieu était fameux dans l'histoire par les nombreuses batailles qui s'y sont livrées. Des bords du lac de Garda jusqu'à Cavriana et Volta, il offre l'aspect d'une plaine fortement accidentée. Aux environs de ces deux localités, un dernier mamelon, plus prononcé que les autres, le Monte-Olivette, s'élève en formant une espèce de courtine de l'est à l'ouest. Au midi de cette courtine, commence la plaine unie qui descend jusqu'au Pô. Mais, du côté de la Chiese, ces lignes de hauteurs s'éloignent insensiblement du fleuve à partir de Montechiari jusqu'à Volta, et décrivent comme un quart de cercle dont le centre serait à Peschiera, et dont les deux rayons extrêmes seraient la rive méridionale du lac de Garda entre Peschiera et Desenzano, et le Mincio entre Peschiera et les environs de Goïto. Le fameux camp de Montechiari, qui appuie sa droite au lac de Garda, est très rapproché de la Chiese, parce qu'en cet endroit les hauteurs viennent finir à peu de distance du fleuve; mais la position occupée par les Autrichiens le 24 juin, depuis San-Martino jusqu'à Cavriana, se trouvait, par suite de cette disposition des collines, assez éloignée du fleuve. En outre, l'armée autrichienne n'occupait pas, en cette occasion, l'extrême lisière des mamelons comine à Montechiari, mais elle appuyait sa droite à San-Martino sur un second rang de hauteurs, de là s'étendait par son centre à Solferino et Cavriana à la lisière des hauteurs, et avait sa droite dans la plaine vers Guidizzolo. Par conséquent, au lieu de suivre la circonférence des hauteurs, elle les coupait presque perpendiculairement, à peu près comme une sécante coupant un cercle par son centre. Faut-il croire que l'état-major autrichien avait adopté, de propos délibéré, cette disposition vicieuse qui laissait sa gauche en l'air, et cela dans le seul but de profiter des positions formidables de Solferino et de San-Martino; ou plutôt qu'il fut forcé de la prendre dans l'impossibilité où il se trouva de compléter le mouvement trop étendu de sa gauche, qui devait marcher sur la Chiese et la remonter? Voilà une question que je n'oserais pas trancher; mais quand je songe que le 2 et le 10 corps avaient été envoyés en aval de la Chiese par des détours tellement allongés, qu'il ne leur fut pas possible d'arriver dans la journée sur le champ de bataille, je suis porté à croire qu'il y eut vraiment confusion dans la gauche, produite par l'excessive complication du plan de bataille. Nous retombons par conséquent dans l'éternel défaut de l'état-major autrichien, qui ne trouve un plan beau qu'il ne soit très compliqué. C'est là, suivant moi, ce qui doit porter à quelque indulgence envers le maréchal Giulay; au milieu des fautes qu'on peut lui reprocher, il eut du moins le courage de s'émanciper de cette dangereuse routine.

A mon avis, l'état-major autrichien aurait pu combiner ses projets avec

« ElőzőTovább »