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nifeste il serait peut-être ingénieux, pour la faire disparaître, d'inventer des propriétés littéraires à courte échéance dont la durée s'accorderait avec celle des petites prescriptions; mais on n'est pas allé jusque-là. Les jurisconsultes étant d'ailleurs unanimes à reconnaître que la prescription n'est qu'une présomption légale, le raisonnement devient encore plus faux. Mieux valait reproduire les anciens arguments.

Ces arguments peuvent se réduire à six : 1o La propriété littéraire n'est pas une propriété, parce que l'idée de quelqu'un est toujours à tout le monde; 2° la propriété littéraire n'est pas une perpétuité, parce qu'elle n'existe qu'en se communiquant, et qu'en se communiquant elle s'aliène en partie (M. Villemain); 3o la perpétuité du droit, au lieu d'enrichir les familles des auteurs, n'aboutirait qu'à faire la fortune des libraires; 4° l'intérêt public ne permet pas qu'on livre aux ayants cause des auteurs le droit de supprimer à leur guise des ouvrages utiles à l'humanité; 5° les difficultés inhérentes à la transmission sont un obstacle à la perpétuité du droit; 6° la gloire suffit aux auteurs, et c'est les abaisser eux-mêmes que de les autoriser à faire métier et marchandise de leur art.

Quelques jurisconsultes font encore grand cas du premier argument on remarque, à la faculté de droit de Paris, que si l'auteur a pu composer son livre, son opéra, son poème, il le doit autant à la société qui l'élève, l'entoure et le seconde, qu'à son propre génie : dès lors, n'est-il pas juste qu'il rende à cette mère bienfaisante un peu de ce qu'il a reçu? Mais le laboureur, s'il a pu voir mûrir ses blés, le doit autant à la société qui l'élève, l'entoure et le seconde, qu'à son propre travail : quelle reconnaissance la société n'a-t-elle pas méritée pour l'invention et le perfectionnement des instruments aratoires, l'importation des engrais et le maintien du bon ordre dans l'Etat! Réhabilitez donc la propriété intellectuelle, ou condamnez l'autre. Mais il n'y a pas deux propriétés. Est-ce Sophocle ou son auditoire qu'il faut remercier de l' OEdipe-roi? le pensionnat de SaintCyr peut-il revendiquer la gloire d'Esther et d'Athalie? est-ce aux abonnés de l'Opéra qu'on doit Guillaume Tell et la Juive? La production morale existe à côté de la production matérielle. Mêmes principes, mêmes conséquences.

En effet, comment ceux qui refusent à l'auteur la propriété de son livre, laissent-ils au peintre celle de son tableau? Je sais que dans ce dernier cas, l'idée se matérialise en quelque sorte sur la toile le peintre peut dire : voici ma propriété; c'est un meuble visible et tangible, sur lequel j'ai seul disposé mes couleurs, et qui ne peut appartenir qu'à moi. C'est bien là comme on raisonne et cependant un droit est toujours une chose immatérielle, qu'il se fixe ou non sur

un objet sensible. Cette expression de notre code civil, « droits incorporels,» est vicieuse, parce qu'elle suppose l'existence de droits corporels mais elle atteste enfin que le droit, pour être lui-même, n'a pas besoin de revêtir une forme matérielle. Il demeure évident que, pour pénétrer la nature d'un droit, il faut remonter à sa source; ici, dans les deux hypothèses, la source du droit est le travail intellectuel: pourquoi la rémunération serait-elle complète dans un cas, incomplète dans l'autre?

Il est vrai que la propriété littéraire n'existe qu'en se communiquant, et qu'en se communiquant elle s'aliène en partie. Mais, dans l'ordre des phénomènes économiques, l'échange suit naturellement la production rien de plus élémentaire. Il n'en est pas autrement pour la propriété littéraire, et dès lors, il est malaisé de comprendre le sens et la portée de cette phrase: « La propriété littéraire n'existe qu'en se communiquant. » Cela veut dire sans doute que les ouvrages sont faits pour être vendus, ou s'il faut parler encore plus clairement, qu'ils ne peuvent rapporter aucun bénéfice avant d'être mis dans le commerce. C'est peut-être une découverte ingénieuse, mais sans danger pour la propriété intellectuelle.

Qui l'eût cru? c'est dans l'intérêt des auteurs que quelques gens se sont prononcés contre la perpétuité du droit, je me trompe, c'est en haine des libraires. Uu jeune écrivain, dont la fin prématurée a naguère ému le monde des lettres, expose et réfute1 avec sa verve habituelle cet argument bizarre qui venait de se produire en 1858 au congrès de Bruxelles : « Le jour où le congrès aura déclaré que le sieur de La Fontaine est à tout jamais propriétaire de ses fables, contes, etc., le sieur de La Fontaine s'en ira de ce pas chez son éditeur Barbin, vendra, séance tenante, la perpétuité de son droit, la mangera du même appétit qu'il a mangé son fonds avec son revenu, et ce seront les petits Barbin, et non les petits La Fontaine qui profiteront du marché. Argument fort habile, qui a fait éclater dans tout son jour le désintéressement de messieurs les libraires, hostiles pour la plupart au droit de propriété; argument qui, de plus, a le mérite inestimable de supposer a priori que les hommes de lettres sont tous des bourreaux d'argent et des imbéciles qui, au lieu de laisser leur droit fructifier indéfiniment, scieront tout de suite l'arbre par le tronc pour dévorer la récolte. >>

Mais on craint que des collatéraux insensés ne s'avisent de supprimer un ouvrage utile au monde, et l'on prend ordinairement cet exemple: supposez qu'un héritier de Voltaire, entraîné par ses scrupules, se fût imaginé d'anéantir les ouvrages philosophiques de son

1

Rigault, Conversations littéraires et morales, p. 383.

2e s. TOME X.

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cousin quelle perte pour le monde! D'abord on pourrait répliquer qu'il n'y a pas de droit entre le droit. Qu'un propriétaire laisse en friche plusieurs hectares de terrains fertiles, c'est un malheur, mais ce n'est pas une raison pour dépouiller ce propriétaire. Pourtant ceux qui trouvent une faculté semblable exorbitante peuvent se rappeler qu'il n'existe pas de droit absolu. L'intérêt public a fait inventer les servitudes et les expropriations qui limitent le droit de propriété ; la propriété intellectuelle pourrait être grevée d'une servitude de publicité; l'Etat pourrait revendiquer les bons ouvrages qu'un propriétaire voudrait retirer de la circulation. Mais la vraie réponse est celle de M. de Lamartine, en 1841: « L'hypothèse d'un ouvrage nécessaire au monde, utile, moral, publié pendant des années et artificiellement éteint pour le monde, a paru à votre commission si chimérique, qu'elle n'a pas cru devoir la mentionner dans la loi. »

pro

Je ne m'arrête pas aux prétendues difficultés de transmission. Le produit d'un livre ne me semble pas plus impartageable que le duit d'un immeuble, et d'ailleurs on licite les biens impartageables. Peut-être ce mot de licitation déplaira-t-il à quelques personnes qui craignent de voir les œuvres de l'intelligence s'avilir en de semblables discussions. Liciter une tragédie comme on liciterait un champ! On a comparé le génie intellectuel à la fleur qui se fane au plus léger contact, au miroir que le moindre souffle suffit à ternir: singulière tactique que de ravaler le génie d'un auteur, parce qu'il songe à laisser un patrimoine aux enfants de ses enfants. Il a fallu secourir les héritiers de Corneille et de Mozart: la gloire du grand poète et celle du grand compositeur n'y ont rien gagné. «Est-ce ainsi que nous récompensons nos héros? s'écriait, en 1837, M. Talfourd, au parlement anglais. Avons-nous dit à nos Marlborough, à nos Nelson, à nos Wellington que la gloire était leur récompense, qu'ils s'étaient battus pour la postérité et que la postérité les payerait?.... Est-ce que nos Shakspeare, est-ce que nos Milton ont été moins que nos héros la gloire de leur pays et les bienfaiteurs de l'humanité? » Nous n'ajouterons rien à de semblables paroles. La propriété littéraire finira par conquérir sa place. Le retour de la paix amènera naturellement l'attention du gouvernement sur l'amélioration de nos lois civiles: nulle réforme ne saurait lui faire plus d'honneur.

ARTHUR DESJARDINS.

LE

CABINET DERBY

SA POLITIQUE

ET LES CAUSES DE SA CHUTE

Il y a dix-huit mois, à la suite de l'attentat du 14 janvier, en France, et du vote de l'amendement Milner Gibson, en Angleterre, lord Derby fut appelé à former un ministère conservateur. Nous pensions que ce ministère devait être accueilli favorablement. Il représentait la seule combinaison qui fût alors possible; et il pouvait, s'il profitait de l'occasion qui lui était offerte, s'assurer un long avenir. Comment le cabinet Derby est-il arrivé si vite à compromettre et à perdre la magnifique situation que lui avaient faite, en grande partie, les fautes de ses adversaires? C'est ce que nous nous proposons d'examiner brièvement. On ne s'étonnera pas si, étranger à l'Angleterre et aux opinions qui la divisent, nous nous tenons en dehors de la politique des partis, et si nous exposons parfois des idées qui peuvent paraître paradoxales, parce qu'elles n'ont été encore appliquées ni par les whigs ni par les tories.

La situation de l'Angleterre, selon nous, réclamait une politique à la fois conservatrice et progressive. Le cabinet Derby devait s'attacher à mieux rassurer les instincts d'ordre, et, en même temps, à mieux satisfaire les tendances libérales que ne l'avaient fait ses prédécesseurs. Au lieu de suivre franchement cette voie, lord Derby et

ses collègues ont eu recours à des atermoiements et à des expédients. Encore ces expédients ont-ils eu pour résultat, à l'extérieur, de les séparer de la France d'une manière encore plus grave que lord Palmerston ne s'en était séparé, sur tous les points où il y avait déjà un commencement de désaccord entre les deux gouvernements, à l'intérieur; de laisser sur leur mauvaise pente les deux affaires qu'ils avaient à porter sur un terrain nouveau, nous voulons parler de la réforme électorale et de la question religieuse, soit en ce qui concernait les dîmes et autres revenus de l'Eglise établie, soit en ce qui touchait à la situation des catholiques, des juifs et des dissidents. L'Angleterre avait besoin d'une politique nouvelle le cabinet Derby ne lui a donné qu'une politique accidentelle et temporaire. Peut-être ses successeurs ne feront-ils pas autre chose; mais nous n'avons point à anticiper sur les actes du nouveau ministère. Nous avons à étudier le passé, pour en tirer des conclusions applicables à l'avenir.

I

Une des premières difficultés que le cabinet Derby avait à résoudre était relative à l'admission des juifs dans la Chambre des communes. Cette question restait en suspens depuis longtemps; elle était devenue un embarras pour tous les ministères. Lord Derby a eu la satisfaction de la trancher, ou plutôt de la dénouer sans toucher à la vieille constitution anglaise. La modification des termes de la formule du serment n'a point été générale, mais individuelle, et il faut une décision nouvelle de la Chambre des communes pour chaque cas nouveau qui se présente. On doit convenir que c'était là un expédient, et non pas une solution. Rien de définitif, rien de radical n'a été fait, et l'on ne saurait espérer qu'une question si importante reste éternellement dans cet état de transition et d'indécision.

L'élaboration du bill de réforme présentait l'occasion de modifier la formule du serment constitutionnel, et de le ramener à des termes identiques pour tous les sujets de la couronne, à quelque religion qu'ils appartiennent. Le serment administré en France dans les cours de justice et pour l'admission aux fonctions publiques les plus élevées, peut être prêté par des juifs, par des chrétiens de toutes les communions, par des musulmans même, sans éveiller en eux aucun scrupule de conscience. C'est à cette seule condition que la liberté de conscience est une vérité. Si la constitution du Royaume-Uni n'admet point ce perfectionnement, il faut renoncer à considérer la liberté de

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