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ADVIS SUR LA TRISTESSE

ET L'INQUIETTUDE INTERIEURE.

ARTICLE I. La tristesse et l'inquiettude se produisent l'une et l'autre reciproquement.

A tristesse engendre l'inquiettude, et l'inquiettude engendre

Laussi la tristesse. C'est pourquoy il faut traitter de l'une et de

l'autre ensemble, et les remedes de l'une sont profittables pour

l'autre.

Et afin que vous entendiez comme la tristesse et l'inquiettude s'engendrent l'une l'autre, sçachez que la tristesse n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit exterieur, comme pauvreté, maladie, infamie, mespris; ou qu'il soit interienr, comme ignorance, seicheresse, mauvaise inclination, peché, imperfection, respugnance au bien.

Quand donc l'ame sent quelque mal en soy, elle se deplayst premierement de l'avoir, et voylà la tristesse. Secondement, elle voudroit et desire en estre quitte, cherchant les moyens de s'en deffayre; et jusques-là il n'y a pas de mal, et ces deux actes sont loüables. Mais troisiesmement, l'ame cherchant les moyens d'estre deslivrée du mal qu'elle sent, peut les chercher pour l'amour de Dieu, ou pour l'amour-propre si c'est pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, humilité et douceur, attendant le bien, non tant de soy-mesme et de sa propre diligence, comme de la misericorde de Dieu; mais si elle les cherche pour l'amour-propre, elle s'empressera á l'acquest des moyens de så deslivrance, comme si ce bon-heur despendoit d'elle plus que de Dieu. Je ne dy pas qu'elle pense cela, mais je dy qu'elle s'empresse comme si elle le pou oit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas du premier abord la deslivrance de son mal, elle entre en de grandes inquiettudes et impatiences. Voylà donc l'inquiettude arrivée, et peu apres arrive, quatriesmement, une extresme tristesse, parce que l'inquiettude n'ostant pas lé mal, ains au contraire l'empirant, l'on tombe en une angoisse demesurée, avec une deffaillance de force et troublement d'esprit si grand, qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte; et de là elle passe à un abysme de tristesse qui luy fait abandonner l'esperance et soing de mieux fayre.

Vous voyez donc que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre reciproquement l'inquiettude, et que reciproquement l'inquiettude engendre une autre tristesse, qui soy est très-dangereuse.

ARTICLE II.

-

De l'inquiettude en particulier. Je ne diray que peu de choses de ceste inquiettude, parce que ses remedes sont presque pareils à ceux que je donne pour la tristesse,

et aussi parce que je vous renvoye au quatorziesme, quinziesme et seiziesme chapitres du Combat spirituel. Je diray seulement ces deux ou trois mots.

L'inquiettude, mere de la mauvaise tristesse, est le plus grand mal qui puisse arriver à l'ame, excepté le peché; car il n'y a aucun deffaut qui empesche plus le progrez en la vertu et l'expulsion du vice que l'inquiettude. Et comme les seditions en une respublique la ruynent entièrement, et empeschent qu'on ne puisse combattre l'ennemy; ainsi nostre cœur, estant troublé en soy-mesme, perd la force d'acquerir les vertus, et de se servir des moyens qu'il devroit employer contre ses ennemys, lesquels ont, comme l'on dit, la commodité de pescher en l'eau trouble.

Secondement, l'inquiettude provient d'un ardent et desreglé desir d'estre deslivré du mal que l'on sent, ou en l'esprit ou au corps; et neantmoins tant s'en faut que ceste inquiettude serve à la deslivrance, qu'au contraire elle ne sert qu'à la retarder.

Qu'est-ce qui fait que les oyseaux et autres animaux demeurent prins dans les filets, sinon qu'y estant entrez, ils se debattent et remüent desreglement pour en vistement sortir, et ce faysant ils s'embarrassent et empeschent tant plus.

Ceux qui sont parmy les halliers et buissons, s'ils veulent courir et s'empresser à cheminer, ils se picquent et deschirent; mais s'ils vont tout bellement, destournant les espines de part et d'autre, ils passent plus vistement et sans picqueure.

Quand nous cherchons trop ardemment une chose, nous la passons souvent sans la voir, et jamais besongne que l'on fait à la haste ne fut bien faite.

C'est pourquoy, estant tombez dans les filets de quelques imperfections, nous n'en sortirons pas par l'inquiettude, au contraire, nons nous embarrasserons tousjours davantage. Il faut donc rasseoir nostre esprit et jugement, puis tout bellement y mettre ordre je ne veux pas dire negligemment, mais sans empressement, trouble, ny inquiettude; et pour parvenir à cela, il faut lire et relire les quatorziesme, quinziesme et seiziesme chapitres du Combat spirituel. Il faut surtout tenir la sentinelle de laquelle parle le Combat spirituel, laquelle nous advertira de tout ce qui voudra esmouvoir aucun trouble ou empressement en nostre cœur, sous quelque pretexte que ce soit. Ceste sentinelle, qui doit estre entrée en l'ame, peut estre signifiée en ce que le mont de Sion estoit enclos en Hierusalem, qui veut dire vision de paix; et Sion, selon plusieurs, veut dire sentinelle et eschanguette. Or, ceste sentinelle ne doit estre autre chose qu'un soing tres-particulier de la conservation du repos interieur, lequel nous devons specialement renouveller au commencement de tous nos exercices, au soir, au matin, à midy.

Quatriesmement, Nostre Seigneur ne voulut point que son temple fust edifié par David, roy tres-sainct, mais belliqueux, ni qu'en l'edification fust ouy aucun marteau, ny aucun fer; mais par Salomon, roy pacifique signe qu'il ne veut pas que nostre edification spirituelle se fasse, sinon en tres-grande paix et tranquillité, laquelle il

'Guerite placée sur les remparts des villes fortes.

faut tousjours demander à Dieu, comme enseigne le roy David : Demandez, dit-il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem (Psal. 121). Aussi Nostre Seigneur renvoyoit tousjours les penitens en paix Allez en paix (Matth. 5), disoit-il.

ARTICLE III. De la tristesse en particulier.

La tristesse peut estre bonne ou mauvaise, selon le dire de sainct Paul. La tristesse qui est selon Dieu, opere la penitence pour le salut; la tristesse du monde, la mort (11. Cor. 7).

Secondement, l'ennemy se sert de la tristesse pour exciter ses tentations à l'endroict des bons; car, comme il tasche de fayre resjoüyr les mauvais au mal, aussi tasche-t-il de fayre attrister les bons au bien. Et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faysant treuver aggreable, aussi ne peut-il destourner du bien qu'en le faysant treuver desaggreable.

Mais oultre cela, le malin se playst en la tristesse et melancholie, parce qu'il est luy-mesme triste et melancholique, et le sera eternellement donc il voudroit qu'un chascun fust comme luy.

Troisiesmement, la tristesse est presque ordinairement mauvaise; car, selon les Docteurs, l'arbre de la tristesse produict huict branches, sçavoir la misericorde, la penitence, l'angoisse, la paresse, l'indignation, la jalousie, l'envie et l'impatience; entre lesquelles, comme vous voyez, il n'y a que les deux premieres qui soient purement bonnes; ce qui a fait dire au Sage en l'Ecclesiaste, que la tristesse en tue beaucoup, et qu'il n'y a point de profict en elle (Eccl. 30); parce que, pour deux bons ruisseaux qui en proviendront, il y en a six tres-mauvais.

ARTICLE IV.

Signes de la bonne et de la mauvaise tristesse. La mauvaise tristesse trouble l'esprit, agite l'ame, et la met en inquiettude. Doncques le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant: Pourquoy es-tu triste, 6 mon ame (Psal. 42)! mais encore du troublement et inquiettude, adjoustant: Pourquoy me troubles-tu? Mais la bonne tristesse laisse une grande paix et tranquillité en l'esprit. C'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit à ses Apostres: Vous serez tristes (Joan. 16), il adjouste: Que vostre cœur ne soit point troublé, et n'ayez point de crainte (Joan 14); Voicy que ma tres-amere amertume est en paix (Is. 38). La mauvaise tristesse vient comme une gresle, avec un changement inopiné, et des terreurs et impetuositez tres-grandes; et tout à coup, sans que l'on puisse dire d'où elle vient car elle n'a point de fondement ny de rayson; ainsi apres qu'elle est arrivée, elle en cherche de tous costez pour se parer. Mais la bonne tristesse vient doucement en l'ame, comme une pluye douce qui attrempe les chaleurs des consolations, et avec quelques raysons precedentes.

La mauvaise tristesse perd le cœur, s'endort, s'assoupit et rend inutile, faysant abandonner le soing de l'œuvre, comme dit le Psalmiste, et comme Agar, qui laissa son fils sous l'arbre pour pleurer. La bonne tristesse donne force et courage, ne laisse point, ny n'abandonne un bon dessein, comme fut la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoyque si grande, qu'il n'en fut jamais de

telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soing de ses Apostres. Et Nostre-Dame, ayant perdu son Fils, fut bien triste, mais elle ne laissa pas de le chercher diligemment, comme fit la Magdelene, sans s'arrester à lamenter et pleurer inutilement.

La mauvaise tristesse obscurcit l'entendement, prive l'ame de conseil, de resolution et de jugement, comme elle fit ceux desquels parlant le Psalmiste, il dit qu'ils furent troublez et esbranle comme un homme qui est yvre, et toute leur sagesse fut devorée (Psal. 106); on cherche les remedes çà et là confusement, sans dessein, et comme à tastons. La bonne ouvre l'esprit, le rend clair et lumineux, et, comme dit le Psalmiste, donne l'entendement. La mauvaise empesche la priere, degouste de l'orayson, et donne la deffiance de la bonté de Dieu; la bonne au contraire est de Dieu, asseure la personne, accroist la confiance en Dieu, fait prier et invocquer sa misericorde La tribulation et l'angoisse m'ont troublé, mais vos commandemens ont esté ma meditation (Psal. 118).

Bref, ceux qui sont occupez de la mauvaise tristesse ont une infinité d'horreurs, d'erreurs et de craintes inutiles, de peynes et de peurs d'estre abandonnez de Dieu, d'estre en sa disgrace, de ne devoir plus se presenter à luy, pour luy demander pardon, que tout leur est contraire et à leur salut; et sont comme Caïn, qui pensoit que tous ceux qui le rencontreroient le voudroient tuer. Ils pensent que Dieu soit inequitable en leur endroict, et severe jusques à l'eternité, et le tout pour leur particulier seulement, estimant tous les autres assez heureux, au prix d'eux : ce qui provient d'une secrette superbe, qui leur persuade qu'ils devroient estre plus fervens et meilleurs que les autres, plus parfaicts que nul autre. Bref, s'ils y pensent bien, ils treuveront que ce qu'ils pensent de leur faute plus considerable, c'est parce qu'ils se pensent euxmesmes plus considerables.

Mais la bonne tristesse fait ce discours : Je suis miserable, vile, et abjecte creature; et partant, Dieu exercera en moy sa misericorde; car la vertu se parfaict dans l'infirmité, et ne s'estonne point d'estre pauvre et miserable.

Or, le fondement de ces differences qui sont entre la bonne et la mauvaise tristesse, c'est que le Sainct-Esprit est l'autheur de la bonne tristesse; et parce qu'il est l'unique consolateur, ses operations ne peuvent estre separées du vray bien de charité. Bref, parce qu'il est le vray bien, ses operations ne peuvent estre separées du vray bien, si que les fruicts d'iceluy, dit sainct Paul (Gal. 5), sont charité, joye, paix, patience, benignité, longanimité.

Au contraire, le malin esprit, autheur de la mauvaise tristesse (car je ne parle point de la tristesse naturelle, qui a plus besoin de medecins que de theologiens), c'est un vray desolateur, tenebreux et embarrasseur; et ses fruicts ne peuvent estre que hayne, tristesse, inquiettude, chagrin, malice, deffaillance. Or, toutes les marques de la mauvaise tristesse sont les mesmes pour la mauvaise timidité.

ARTICLE V.

Remedes contre la tristesse. I. La patience. Premierement, il la faut recevoir avec patience, comme une juste punition de nos vaines joyes et allegresses: car le malin, voyant que nous en ferons nostre profict, ne nous en pressera pas tant, bien qu'il ne faille pas avoir ceste patience pour en estre deslivré, mais pour le bon playsir de Dieu; et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne laissera pas de servir de remede. II. La resistance. - Secondement, il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse, et forcer ses suggestions; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-là se fasse tristement, il ne faut pas laisser de le fayre car l'ennemy, qui pretend de nous alentir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant qu'il ne gaigne rien, et qu'au contraire nos œuvres sont meilleures, estant faites avec resistance, il cesse de nous plus affliger.

III. Le chant des cantiques. Troisiesmement, il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituels; car le malin a souvent cessé son operation par ce moyen, pour quelque cause que ce soit: tesmoin l'esprit qui agitoit Saül, duquel la violence estoit attrempée par la psalmodie.

IV. Les œuvres exterieures, indifferentes. - Quatriesmement, il est bon de s'employer à l'œuvre exterieure, et la diversifier le plus que l'on peut, pour divertir la vehemente application de l'esprit de l'object triste, purifier et eschauffer les esprits, la tristesse estant une passion de complexion froide et humaine.

V. Les exercices de pieté exterieure. - Cinquiesmement, il est bon de fayre souvent des actions exterieures de ferveur, quoy que sans goust, comme d'embrasser le Crucifix, le serrer sur son cœur et sur sa poictrine, luy bayser les mains et les pieds, lever les yeux au ciel avec des propos d'esperance, comme: Mon bienaymé est à moy, et moy à luy. Mon bien-aimé m'est un boucquet de myrrhe, il demeurera entre mes mammelles (Cant. 1). Mes yeux se fondent sur vous, 6 mon Dieu, disant : Quand me consolerez-vous? Si Dieu est pour moy, qui sera contre moy? Jesus, soyez-moy Jesus. Vive mon Dieu, et mon ame vivra. Qui me separera de l'amour de mon Dieu, et semblables.

VI. La discipline. - Sixiesmement la discipline moderée y est quelquesfois bonne, parce que la volontaire affliction exterieure impetre la consolation interieure de l'ame; et s'appliquant au corps des douleurs exterieures, on sent moins l'effort des interieures dont le Psalmiste disoit : Mais quant à moy, quand ils me molestoient, je me revestois de hayre (Psal. 34). Et ailleurs, peut-estre tout à propos: Ta verge et ton baston m'ont console (Psal. 22).

VII. La priere. Septiesmement, la priere y est souveraine, suivant l'advis de sainct Jacques (ch. 5) Quelqu'un est-il triste, qu'il prie. Je ne veux pas dire qu'il faille fayre en ce tems-là dé plus longues meditations; mais je veux dire qu'il faut fayre de frequentes demandes et repetitions à Dieu : il faut tousjours s'addresser en ce tems-là à sa divine bonté par des invocations pleynes de

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