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et ne voudroient pas avoir prins la moindre incommodité du monde pour le service du Sauveur sur lequel ils ont pleuré; en sorte que les bons mouvemens qu'ils ont eu ne sont que des certains champignons spirituels, qui non-seulement ne sont pas la vraye devotion, mais bien souvent sont des grandes ruses de l'ennemy, qui, amusant les ames à ces menuës consolations, les fait demeurer contentes et satisfaites en cela, à ce qu'elles ne cherchent plus la vraye et solide devotion, qui consiste en une volonté constante, resoluě, prompte et active, d'executer ce que l'on sçayt estre aggreable à

Dieu.

Un enfant pleurera tendrement s'il void donner un coup de lancette à sa mere qu'on saigne; mais si, à mesme tems, sa mere pour laquelle il pleuroit, luy demande une pomme, ou un cornet de dragées qu'il tient en sa main, il ne le voudra nullement lascher. Telles sont la pluspart de nos tendres devotions: voyant donner un coup de lance qui transperce le cœur de Jesus-Christ crucifié, nous pleurons tendrement. Helas! Philotée, c'est bien fait de pleurer sur ceste mort et passion douloureuse de nostre Pere et Redempteur; mais pourquoy doncques ne luy donnons-nous tout de bon la pomme que nous avons en nos mains, et qu'il nous demande si instamment à sçavoir, nostre cœur, unique pomme d'amour que ce cher Sauveur requiert de nous? Que ne luy resignons-nous tant de menuës affections, delectations, complaysances qu'il nous veut arracher des mains, et ne peut, parce que c'est nostre dragée, de laquelle nous sommes plus frians, que desireux de sa celeste grace. Ha! ce sont des amytiez de petits enfans que cela, tendres, mais foibles, mais fantasques, mais sans effect: la devotion doncques ne gist pas en ces tendretez et sensibles affections, qui quelques fois procedent de la nature, qui est ainsi molle et susceptible de l'impression qu'on luy veut donner; et quelquesfois viennent de l'ennemy, qui, pour nous amuser à cela, excite nostre imagination à l'apprehension propre pour tels effects.

2. Ces tendretez et affectueuses douceurs sont neantmoins quelquesfois tres-bonnes et utiles, car elles excitent l'appetit de l'âme, confortent l'esprit et adjoustent à la promptitude de la devotion une saincte gayeté et allegresse, qui rend nos actions belles et aggreables, mesme en l'interieur. C'est ce goust que l'on a és choses divines, pour lequel David s'escrioit: O Seigneur, que vos parolles sont douces à mon palais! elles sont plus douces que le miel à ma bouche. Et certes, là moindre petite consolation de devotion que nous recevons vaut mieux de toute façon que les plus excellentes recreations du monde. Les mammelles et le laict, c'est-à-dire, les faveurs du divin Espoux, sont meilleures à l'ame que le vin le plus precieux des playsirs de la terre qui en a gousté, tient tout le reste des autres consolations pour du fiel et de l'absynthe. Et comme ceux qui ont l'herbe scithique en la bouche, en reçoivent une si extresme douceur qu'ils ne sentent ny faim ny soif: ainsi ceux à qui Dieu a donné ceste manne celeste des suavitez et consolations interieures, ne peuvent desirer ny recevoir les consolations du monde, pour au moins y prendre goust, et y amuser leurs affections. Ce sont des petits avant-gousts des suaviteż immortelles que Dieu

donne aux ames qui le cherchent; ce sont des grains sucrez qu'il donne à ses petits enfans pour les amorcer; ce sont des eaux cordiales qu'il leur presente pour les comforter; ce sont aussi quelquesfois des arrhes des rescompenses esternelles. On dit qu'Alexandre le Grand cinglant en haute mer, descouvrit premierement l'Arabie Heureuse, par l'assentiment qu'il eut des suaves odeurs que le vent luy donnoit; et sur cela se donna du courage, et à tous ses compaignons ainsi nous recevons souvent des douceurs et suavitez en ceste mer de la vie mortelle, qui sans doubte nous font pressentir les delices de ceste patrie heureuse et celeste, à laquelle nous tendons et aspirons.

3. Mais, ce me direz-vous, puisqu'il y a des consolations sensibles qui sont bonnes et viennent de Dieu, et que neantmoins il y en a des inutiles, dangereuses, voire pernicieuses, qui viennent ou de la nature, ou mesme de l'ennemy, comment pourray-je discerner les unes des autres, et cognoistre les mauvaises, ou inutiles, entre les bonnes? C'est une generale doctrine, tres-chere Philotée, pour les affections et passions de nos ames, que nous les devons cognoistre par leurs fruicts: nos cœurs sont des arbres, les affections et passions sont leurs branches, et leurs œuvres ou actions sont les fruicts. Le cœur est bon qui a de bonnes affections; et les affections et passions sont bonnes, qui produisent en nous de bons effects et sainctes actions. Si les douceurs, tendretez et consolations nous rendent plus humbles, patiens, traittables, charitables et compatissans à l'endroict du prochain, plus fervens à mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations, plus constans en nos exercices, plus manyables et souples à ceux à qui nous devons obeyr, plus simples en nostre vie, sans doubte, Philotée, qu'elles sont de Dieu; mais si ces douceurs n'ont de la douceur que pour nous, qu'elles nous rendent curieux, aigres, poinctilleux, impatiens, opiniastres, fiers, presomptueux, durs à l'endroict du prochain, et que pensant desjà estre de petits saincts, nous ne voulons plus estre subjets à la direction, ny à la correction, indubitablement ce sont des consolations fausses et pernicieuses. Un bon arbre ne produict que de bons fruicts.

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4. Quand nous aurons de ces douceurs et consolations, 1o il nous faut beaucoup humilier devant Dieu; gardons-nous bien de dire pour ces douceurs : O que je suis bon! Non, Philotée, ce sont des biens qui ne nous rendent pas meilleurs car, comme j'ay dit, la devotion ne consiste pas en cela; mais disons: O que Dieu est bon à ceux qui esperent en luy, et à l'ame qui le recherche! Qui a le sucre en bouche, ne peut pas dire que sa bouche soit douce, mais ouy bien que le sucre est doux ainsi, encore que ceste douceur spirituelle est fort bonne, et Dieu qui nous la donne est tresbon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon. 2o Cognoissons que nous sommes encore des petits enfans, qui avons besoin du laict, et que ces grains sucrez nous sont donnez parce que nous avons encore l'esprit tendre et delicat, qui a besoin d'amorces et d'appas pour estre attiré à l'amour de Dieu. 3° Mais apres cela, parlant generalement, et pour l'ordinaire, recevons humblement ces graces et faveurs, et les estimons extresmement grandes, non tant

parce qu'elles le sont en elles-mesmes, mais parce que c'est la main de Dieu qui nous les met au cœur, comme feroit une mere qui, pour amadoüer son enfant, luy mettroit elle-mesme les grains de dragée en bouche l'un apres l'autre car, si l'enfant avoit de l'esprit, il priseroit plus la douceur de la mignardise et caresse que sa mere luy fait, que la douceur de la dragée mesme. Et ainsi, c'est beaucoup, Philotée, d'avoir les douceurs; mais c'est la douceur des douceurs, de considerer que Dieu, de sa main amoureuse et maternelle, les nous met en la bouche, au cœur, en l'ame, en l'esprit. 4o Les ayant receuës ainsi humblement, employons-les soigneusement selon l'intention de celuy qui nous les donne. Pourquoy pensons-nous que Dieu nous donne ces douceurs? pour nous rendre doux envers un chascun, et amoureux envers luy. La mere donne la dragée à l'enfant afin qu'il la bayse, baysons doncques ce Sauveur qui nous donne tant de douceurs. Or, bayser le Sauveur, c'est luy obeyr, garder ses commandemens, fayre ses volontez, suivre ses desirs: bref, l'embrasser tendrement avec obeyssance et fidellité. Quand doncques nous aurons receu quelque consolation spirituelle, il faut ce jour-là se rendre plus diligens à bien fayre, et à nous humilier. 5° Il faut, oultre tout cela, renoncer de tems en tems à telles douceurs, tendretez et consolations, separant nostre cœur d'icelles, et protestant, qu'encore que nous les acceptions humblement et les aymions, parce que Dieu nous les envoye, et qu'elles nous provocquent à son amour, ce ne sont neantmoins pas elles que nous cherchons, mais Dieu et son sainct amour; non la consolation, mais le consolateur; non la douceur, mais le doux Sauveur; non la tendreté, mais celuy qui est la suavité du ciel et de la terre: et en ceste affection nous nous devons disposer à demeurer fermes au sainct amour de Dieu, quoyque de nostre vie nous ne deussions jamais avoir aucune consolation, et de vouloir dire esgalement sur le mont de Calvaire, comme sur celuy de Thabor: 0 Seigneur! il m'est bon d'estre avec vous, ou que vous soyez en croix, ou que vous soyez en gloire. 6° Finalement je vous adverty que s'il vous arrivoit quelque notable abondance de telles consolations, tendretez, larmes et douceurs, ou quelque chose d'extraordinaire en icelles, vous en conferiez fidellement avec vostre conducteur, afin d'apprendre comme il s'y faut moderer et comporter, car il est escrit As-tu treuvé le miel? manges-en ce qui suffit.

CHAPITRE XIV.

Des seicheresses et sterilitez spirituelles.

yous yous ferez doncques ainsi que je vous viens de dire, tres-chere Philotée, quand vous avez des consolations. Mais ce beau tems si aggreable ne durera pas tousjours; ains il adviendra que quelquesfois vous serez tellement privée et destituée du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit une terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ayt ny sentier, ny chemin pour treuver Dieu, ny aucune eau de grace qui la puisse arrouser à cause des seicheresses, qui, ce semble, la reduiront totalement en

friche. Helas! que l'ame qui est en cest estat est digne de compassion, et sur tout quand ce mal est vehement, car alors, à l'imitation de David, elle se repaist de larmes jour et nuict, tandis que, par mille suggestions, Tennemy, pour la desesperer, se mocque d'elle, et luy dit: Ha! pauvrette, où est ton Dieu, par quel chemin le pourras-tu treuyer, qui te pourra jamais rendre la joye de sa saincte grace.

Que ferez-vous donc en ce tems-là, Philotée? prenez garde d'où le mal vous arrive. Nous sommes souvent nous-mesmes la cause de nos sterilitez et seicheresses.

1o Comme une mere refuse le sucre à son enfant qui est subjet aux vers: ainsi Dieu nous oste les consolations, quand nous y prenons quelque vaine complaysance, et que nous sommes subjets aux vers de l'oultrecuidance: il m'est bon, ô mon Dieu, que vous m'humiliez; ouy, car avant que je fusse humilié, je vous avois offensé.

2° Quand nous negligeons de recueillir les suavitez et delices de l'amour de Dieu, lorsqu'il en est tems, il les escarte de nous, en punition de nostre paresse. L'israëlite qui n'amassoit la manne de bon matin, ne le pouvoit plus fayre apres le soleil levé, car elle se treuvoit toute fondue.

3o Nous sommes quelquesfois couchez dans un lict des contentemens sensuels et consolations perissables, comme estoit l'Espouse sacrée és Cantiques : l'Espoux de nos ames bucque à la porte de nostre cœur, il nous inspire de nous remettre à nos exercices spirituels; mais nous marchandons avec luy, d'autant qu'il nous fasche de quitter ces vains amusemens, et de nous separer de ces faux contentemens; c'est pourquoy il passe oultre, et nous laisse croupir, puis, quand nous le voulons chercher, nous avons beaucoup de peyne à le treuver aussi l'avons-nous bien merité, puisque nous avons esté si infidelles et desloyaux à son amour, que d'en avoir refusé l'exercice pour suivre celuy des choses du monde : ah! vous avez doncques de la farine d'Egypte, vous n'aurez doncques point de la manne du ciel. Les abeilles hayssent toutes les odeurs artificielles; et les suavitez du Sainct-Esprit sont incompatibles avec les delices artificieuses du monde.

4o La duplicité et finesse d'esprit, exercée és confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les seicheresses et sterilitez: car, puisque vous mentez au SainctEsprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation: vous ne voulez pas estre simple et naïf comme un petit enfant, vous n'aurez donc pas la dragée des petits enfans.

5o Vous vous estes bien saoulée des contentemens mondains, ce n'est pas merveille si les delices spirituelles vous sont à degoust: les colombes jà saoules, dit l'ancien Proverbe, treuvent ameres les cerises. Il a remply de biens, dit Nostre-Dame, les affamez; et les riches il les a laissez vuides. Ceux qui sont riches des playsirs mondains ne sont pas capables des spirituels.

6o Avez-vous bien conservé les fruicts des consolations receuës? vous en aurez donc des nouvelles car, à celuy qui a, on luy en donnera davantage; et à celuy qui n'a pas ce qu'on luy a donné,

mais qui l'a perdu par sa faute, on luy ostera mesme ce qu'il n'a pas, c'est-à-dire, on le privera des graces qui luy estoient preparées. Il est vray, la pluye vivifie les plantes qui ont de la verdeur; mais à celles qui ne l'ont point, elle leur oste encore la vie qu'elles n'ont point; car elles en pourrissent tout à fait. Pour plusieurs telles causes, nous perdons les consolations devotieuses, et tombons en seicheresse et sterilité d'esprit. Examinons donc nostre conscience, si nous remarquerons en nous quelques semblables deffauts. Mais notez, Philotée, qu'il ne faut pas fayre cest examen avec inquiettude et trop de curiosité; ains, apres avoir fidellement consideré nos deportemens, pour ce regard, si nous treuvons la cause du mal en nous, il en faut remercier Dieu, car le mal est à moitié guery quand on a descouvert sa cause. Si, au contraire, vous ne voyez rien en particulier qui vous semble avoir causé ceste seicheresse, ne vous amusez point à une plus curieuse recherche; mais, avec toute simplicité, sans plus examiner aucune particularité, faites ce que je vous diray.

1. Humiliez-vous grandement devant Dieu, en la cognoissance de vostre neant et misere. Helas! qu'est-ce que de moy, quand je suis à moy-mesme? non autre chose, ô Seigneur! sinon une terre seiche, laquelle, crevassée de toutes parts, tesmoigne la soif qu'elle a de la pluye du ciel, et cependant le vent la dissipe et reduict en poussiere.

2. Invoquez Dieu, et luy demandez son allegresse. Rendez-moy, o Seigneur, l'allegresse de vostre salut. Mon Pere, s'il est possible, transportez ce calice de moy. Oste-toy d'icy, ô bize infructueuse qui desseiche mon ame; et venez, ô gracieux vent des consolations, et soufflez dans mon jardin: et ces bonnes affections respandront l'odeur de suavité.

3. Allez à vostre confesseur, ouvrez-luy bien vostre cœur, faitesluy bien voir tous les replis de vostre ame, prenez les advis qu'il vous donnera avec grande simplicité et humilité. Car Dieu qui ayme infinyment l'obeyssance, rend souvent utiles les conseils que l'on prend d'aultruy, et surtout des conducteurs des ames, encore que d'ailleurs il n'y eust pas grande apparence: comme il rendit profittable à Naaman les eaux du Jourdain, desquelles Helysée, sans aucune apparence de rayson humaine, luy avoit ordonné l'usage.

4. Mais, apres tout cela, rien n'est si utile, rien si fructueux en telles seicheresses et sterilitez, que de ne point s'affectionner et attacher au desir d'en estre deslivré. Je ne dy pas qu'on ne doive fayre des simples souhaicts de la deslivrance; mais je dy qu'on ne s'y doit pas affectionner, ains se remettre à la pure mercy de la speciale providence de Dieu, afin que, tant qu'il luy playra, il se serve de nous, entre ces espines et parmy ces desirs. Disons donc à Dieu en ce tems-là: 0 Pere, s'il est possible, transportez de moy ce calice; mais adjoustons aussi de grand courage: Toutes fois, non ma volonté, mais la vostre soit faite et arrestons-nous à cela avec le plus de repos que nous pourrons. Car Dieu, nous voyant en cette saincte indifference, nous consolera de plusieurs graces et faveurs, comme quand il vid Abraham resolu de se priver de son enfant Isaac, il se contenta de le voir indifferent en ceste pure

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