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interieur; et que ce grand et general adieu que vous avez dit aux folies et nyaiseries du monde, vous donnera quelque ressentiment de tristesse et descouragement: si cela vous arrive, ayez un peu de patience, je vous prie; car ce ne sera rien; ce n'est qu'un peu d'estonnement que la nouveauté vous apporte; passé cela, vous recevrez dix mille consolations. Il vous faschera peut-estre d'abord de quitter la gloire que les fols et mocqueurs vous donnoient en vos vanitez; mais, ô Dieu! voudriez-vous bien perdre l'eternelle que Dieu vous donnera en verité? Les vains amusemens et passetems esquels vous avez employé les années passées se representeront encore à vostre cœur, pour l'appaster et fayre retourner de leur costé; mais auriez-vous bien le courage de renoncer à ceste heureuse éternité pour de si trompeuses legeretez? Croyez-moy, si vous perseverez, vous ne tarderez pas de recevoir des douceurs cordiales si delicieuses et aggreables, que vous confesserez que le monde n'a que du fiel en comparayson de ce miel, et qu'un seul jour de devotion vaut mieux que mille années de la vie mondaine. Mais vous voyez que la montaigne de la perfection chrestienne est extresmement haute: Hé! mon Dieu, ce dites-vous, comment pourray-je monter? Courage, Philotée, quand les petits mouschons des abeilles commencent à prendre forme, on les appelle nymphes, et lors ils ne sçauroient encore voler sur les fleurs, ny sur les monts, ny sur les collines voysines pour amasser le miel, mais petit à petit, se nourrissant du miel que leurs meres ont preparé, ces petites nymphes prennent des aisles et se fortifient, en sorte que par apres elles volent à la queste par tout le paysage. Il est vray, nous sommes encore des petits mouschons en la devotion, nous ne sçaurions monter selon nostre dessein, qui n'est rien moindre que d'atteindre à la cime de la perfection chrestienne; mais si commençons-nous à prendre forme par nos desirs et resolutions, les aisles nous commencent à sortir: il faut doncques esperer qu'un jour nous serons abeilles spirituelles et que nous volerons; et tandis, vivons du miel de tant d'enseignemens que les anciens devots nous ont laissez, et prions Dieu qu'il nous donne des plumes comme de colombe, afin que non-seulement nous puissions voler au tems de la vie presente, mais aussi nous reposer en l'eternité de la future.

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CHAPITRE III.

De la nature des tentations, et de la difference qu'il y a entre sentir la tentation, et consentir à icelle.

MAGINEZ-VOUS, Philotée, une jeune princesse extresmement aymée de son espoux, et que quelque meschant, pour la desbaucher, et soüiller son lict nuptial, luy envoye quelque infame messager d'amour, pour traitter avec elle son mal-heureux dessein. Premierement, ce messager propose à ceste princesse l'intention de son maistre. Secondement, la princesse aggrée ou desaggrée la proposition et l'ambassade. En troisiesme lieu, ou elle consent, ou elle refuse. Ainsi Satan, le monde et la chair, voyant une ame espousée au Fils de Dieu, luy envoyent des tentations et suggestions par lesquelles, 1° le pe

ché luy est proposé; 2° et sur icelles elle se playst ou elle se deplayst; 3o enfin elle consent, ou elle refuse: qui sont en somme les trois degrez pour descendre à l'iniquité, la tentation, la delectation et le consentement. Et bien que ces trois actions ne se cognoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de pechez, si estce qu'elles se cognoissent palpablement aux grands et enormes pechez.

Quand la tentation de quelque peché que ce soit dureroit toute nostre vie, elle ne sçauroit nous rendre desaggreables à la divine Majesté, pourveu qu'elle ne nous playse pas, et que nous n'y consentions pas la rayson est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas, mais nous souffrons; et puisque nous n'y prenons point de playsir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe. Sainct Paul souffrit longuement les tentations de la chair; et tant s'en faut que pour cela il fust desaggreable à Dieu, qu'au contraire Dieu estoit glorifié par icelles. La bien-heureuse Angele de Foligny sentoit des tentations charnelles si cruelles, qu'elle fait pityé quand elle les raconte grandes furent aussi les tentations que souffrit sainct François et sainct Benoist, lorsque l'un se jetta dans les espines, et l'autre dans la neige pour les mitiger et neantmoins ils ne perdirent rien de la grace de Dieu pour tout cela, ains l'augmenterent de beaucoup.

Il faut doncques estre fort courageuse, Philotée, emmy les tentations, et ne se tenir jamais pour vaincue pendant qu'elles vous deplayront; en bien observant ceste difference qu'il y a entre sentir et consentir, qui est qu'on les peut sentir encore qu'elles nous deplaysent, mais on ne peut consentir sans qu'elles nous playsent, puisque le playsir pour l'ordinaire sert de degré pour venir au consentement. Que doncques les ennemys de nostre salut nous presentent tant qu'ils voudront d'amorces et d'appas, qu'ils demeurent tousjours à la porte de nostre cœur pour entrer, qu'ils nous fassent tant de propositions qu'ils voudront; mais tandis que nous aurons resolution de ne point nous playre en tout cela, il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le prince espoux de la princesse que j'ay representée ne luy peut sçavoir mauvais gré du message qui luy est envoyé, si elle n'y a prins aucune sorte de playsir. Il y a neantmoins ceste difference entre l'ame et ceste princesse pour ce subjet, que la princesse, ayant oüy la proposition deshonneste, peut, si bon luy semble, chasser le messager, et ne le plus ouyr; mais il n'est pas tousjours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit tousjours en son pouvoir de n'y point consentir c'est pourquoy, encore que la tentation dure et persevere longtems, elle ne peut nous nùyre, tandis qu'elle nous est desaggreable.

Mais quant à la delectation qui peut suivre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en nostre ame, l'une inferieure, et l'autre superieure, et que l'inferieure ne suit pas tousjours la superieure, ainsi fait son cas à part, il arrive maintesfois que la partie inferieure se playst en la tentation sans le consentement, ains contre le gré de la superieure : c'est la dispute et la guerre que l'apostre sainct Paul descrit, quand il dit que sa chair convoite contre son es

prit, qu'il y a une loy des membres, et une loy de l'esprit, et semblables choses.

Avez-vous jamais veu, Philotée, un grand brasier de feu couvert de cendres? quand on vient dix ou douze heures apres pour y chercher du feu, on n'en treuve qu'un peu au milieu du foyer, et encore on a peyne de le treuver. Il y estoit neantmoins, puisqu'on l'y treuve, et avec iceluy on peut rallumer tous les autres charbons desjà esteincts. C'en est de mesme de la charité, qui est nostre vie spirituelle, parmy les grandes et violentes tentations. Car la tentation jettant sa delectation en la partie inferieure, couvre, ce semble, toute l'ame de cendres et reduict l'amour de Dieu au petit pied; car il ne paroist plus en nulle part, sinon au milieu du cœur, au fin fond de l'esprit encore semble-t-il qu'il ne soit pas, et a-t-on peyne de le treuver. Il est neantmoins en verité, puisque, quoyque tout soit en trouble en nostre ame et en nostre corps, nous avons la resolution de ne point consentir au peché, ny à la tentation, et que la delectation, qui playst à nostre homme exterieur, deplayst à l'interieur; et quoyqu'elle soit tout autour de nostre volonté, si n'est-elle pas dans icelle: en quoy l'on void que telle delectation est involontaire, et estant telle ne peut estre peché.

CHAPITRE IV.

Deux beaux exemples sur ce subjet

I' TL vous importe tant de bien entendre cecy, que je ne feray nulle difficulté de m'estendre à l'expliquer. Le jeune homme duquel parle sainct Hierosme, qui, couché et attaché avec des escharpes de soye, bien delicatement, sur un lict mollet, estoit provoqué par toutes sortes de vilains attouschemens et attraicts d'une impudique femme qui estoit couchée avec luy, exprez pour esbranler sa constance, ne devoit-il pas sentir d'estranges accidens? ses sens ne devoient-ils pas estre saysis de la delectation, et son imagination extresmement occupée de ceste presence des objects voluptueux ? Sans doubte, et neantmoins, parmy tant de trouble, emmy un si terrible orage de tentations, et entre tant de voluptez qui sont tout autour de luy, il tesmoigne que son coeur n'est point vaincu, et que sa volonté n'y consent nullement, puisque, son esprit voyant tout rebelle contre luy, et n'ayant plus aucune des parties de son corps à son commandement, sinon la langue, il se la coupa avec les dents, et la cracha sur le visage de ceste vilaine ame, qui tourmentoit la sienne plus cruellement par la volupté que les bourreaux n'eussent jamais sceu fayre par les tourmens: aussi le tyran qui se deffioit de la vaincre par les douleurs, pensoit la surmonter par ces playsirs.

L'histoire du combat de saincte Catherine de Sienne en un pareil subjet est du tout admirable. En voicy le sommaire. Le malín esprit eut congé de Dieu d'assaillir la pudicité de ceste saincte vierge avec la plus grande rage qu'il pourroit, pourveu toutesfois qu'il ne la touschast point. Il fit donc toutes sortes d'impudiques suggestions à son cœur; et pour tant plus l'esmouvoir, venant avec ses compaignons en forme d'hommes et de femmes, il faysoit mille et mille

ortes de charnalitez et lubricitez à sa vuë, adjoustant des parolles et semonces tres-deshonnestes et bien que toutes ces choses fussent exterieures, si est-ce que par le moyen des sens elles peneroient bien avant dedans le coeur de la vierge, lequel, comme elle confessoit elle-mesme, en estoit tout pleyn, ne luy restant plus que a fine pure volonté superieure qui ne fust agitée de ceste tempeste de vilainie et delectation charnelle; ce qui dura fort longuement usques à tant qu'un jour Nostre Seigneur luy apparut, et elle luy dit: « Où estiez-vous, mon doux Seigneur, quand mon cœur estoit pleyn de tant de tenebres et d'ordures? » A quoy il respondit : J'estois dedans ton cœur, ma fille?»-« Et comment, respliquat-elle, habitiez-vous dedans mon cœur, dans lequel il y avoit tant de vilainies? habitez-vous doncques en des lieux si deshonnestes? » Et Nostre Seigneur luy dit : « Dy-moy, ces tiennes sales cogitations de ton cœur te donnoient-elles playsir ou tristesse, amertume ou delectation?» Et elle dit : « Extresme amertume et tristesse. » Et il luy respliqua Qui estoit celuy qui mettoit ceste grande amertume et tristesse dedans ton cœur, sinon moy, qui demeurois caché dedans le milieu de ton ame? Croy, ma fille, que si je n'eusse pas esté present, ces pensées qui estoient autour de ta volonté, et ne pouvoient l'expugner, l'eussent sans doubte surmontée, et seroient entrées dedans, et eussent esté receues avec playsir par ton liberal arbitre, et ainsi eussent donné la mort à ton ame; mais parce que j'estois dedans, je mettois ce deplaysir et ceste resistance en ton cœur, par laquelle il se refusoit tant qu'il pouvoit à la tentation, et ne pouvant pas tant qu'il vouloit, il en sentoit un plus grand deplaysir, et une plus grande hayne contre icelle, et contre soymesme; et ainsi ces peynes estoient un grand merite, et un grand gain pour toy, et un grand accroissement de ta vertu et de ta force. »

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Voyez-vous, Philotée, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entrée dedans le cœur, et avoit environné la volonté, laquelle seule, assistée de son Sauveur, resistoit par des amertumes, des deplaysirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au peché qui l'environnoit? O Dieu! quelle detresse à une ame qui ayme Dieu, de ne sçavoir seulement pas si il est en elle, ou non; et si l'amour divin, pour lequel elle combat, est du tout esteinct en elle, ou non! mais c'est la fine fleur de la perfection de l'amour celeste, que de fayre souffrir et combattre l'amant pour l'amour, sans sçavoir s'il a l'amour pour lequel et par lequel il combat.

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CHAPITRE V.

Encouragement à l'ame qui est és tentations.

A Philotée, ces grands assauts, et ces tentations si puissantes ne sont jamais permises de Dieu, que contre les ames lesquelles li veut eslever à son pur et excellent amour: mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres celà elles soyent asseurées d'y parvenir; car il est

arrivé maintesfois que ceux qui avoient esté constans en de si violentes attaques, ne correspondant pas par apres fidellement à la faveur divine, se sont treuyez vaincus en bien des petites tentations. Ce que je dy, afin que s'il vous arrive jamais d'estre affligée de si grande tentation, vous sçachiez que Dieu vous favorise d'une faveur extraordinaire, par laquelle il desclare qu'il vous veut aggrandir devant sa face; et que neantmoins vous soyez tousjours humble et craintive, ne vous asseurant pas de pouvoir vaincre les menues tentations apres avoir surmonté les grandes, sinon par une continuelle fidellité à l'endroict de sa Majesté.

Quelques tentations doncques qui vous arrivent, et quelque delectation qui s'ensuive, tandis que vostre volonté refusera son consentement, non-seulement à la tentation, mais encore à la delectation. ne vous troublez nullement; car Dieu n'en est point offensé. Quand un homme est pasmé, et qu'il ne rend plus aucun tesmoignage de vie, on luy met la main sur le cœur, et pour peu que l'on y sente de mouvement, on juge qu'il est en vie, et que, par le moyen de quelque eau precieuse, et de quelque epitheme, on peut luy fayre reprendre force et sentiment: ainsi arrive-t-il quelques fois que, par la violence des tentations, il semble que nostre ame est tombée en une defaillance totale de ses forces, et que, comme pasmée, elle n'a plus ny vie spirituelle ny mouvement; mais, si nous voulons cognoistre ce que c'en est, mettons la main sur le cœur. Considerons si le cœur et la volonté ont encore leur mouvement spirituel, c'està-dire, s'ils font leur devoir à refuser de consentir, et suivre la tentation et delectation; car, pendant que le mouvement du refus est dedans nostre cœur, nous sommes asseurez que la charité, vie de nostre ame, est en nous, et que Jesus-Christ nostre Sauveur se treuve dans nostre ame, quoyque caché et couvert, et que, moyennant l'exercice continuel de l'orayson, des sacremens, et de la confiance en Dieu, nos forces reviendront en nous, et nous vivrons d'une vie entiere et delectable.

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CHAPITRE VI.

Comme la tentation et delectation peuvent estre peché.

A princesse, de laquelle nous avons parlé, ne peut mais de la recherche deshonneste qui luy est faite, puisque, comme nous avons presupposé, elle luy arrive contre son gré: mais si, au contraire, elle avoit, par quelques attraicts, donné subjet à la recherche, ayant voulu donner de l'amour à celuy qui la muguette, indubitablement elle seroit coulpable de la recherche mesme et quoyqu'elle en fist la delicate, elle ne laisseroit pas d'en meriter du blasme et de la punition. Ainsi arrive-t-il quelquesfois que la seule tentation nous met en peché, parce que nous sommes cause d'icelle. Par exemple, je sçay que jouant j'entre volontiers en rage et blasphesme, et que le jeu me sert de tentation à cela, je peche toutesfois et quantes que je joüeray, et suis coulpable de toutes les tentations qui m'arriveront au jeu. De mesme, si je sçay que quelque conversation m'apporte de la tentation et de la cheute, et j'y vay volontairement, je

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