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inceste, pour l'avoir treuvé en ce malheur; car un seul acte ne donne pas le nom à la chose. Le soleil s'arresta une fois en faveur de la victoire de Josué, et s'obscurcit une autre fois en celle du Sauveur : nul ne dira pourtant qu'il soit immobile ou obscur. Noë s'enyvra une fois, et Loth une autre fois, et cestuy-cy de plus commit un grand inceste: ils ne furent pourtant yvroignes, ny l'un, ny l'autre; ny le dernier ne fut pas inceste; ny sainct Pierre sanguinaire, pour avoir une fois respandu du sang, ny blasphemateur, pour avoir une fois blasphemé. Pour prendre le nom d'un vice, ou d'une vertu, il faut avoir fait quelque progrez et habitude: c'est doncques une imposture de dire qu'un homme est cholere ou larron, pour l'avoir veu courroucer, ou desrober une fois. Encore qu'un homme ayt esté vicieux longuement, on court fortune de mentir, quand on le nomme vicieux. Simon le Lepreux appelloit Magdelene pecheresse, parce qu'elle l'avoit esté nagueres; il mentoit neantmoins, car elle ne l'estoit plus, mais une tréssaincte penitente: aussi Nostre Seigneur prend en protection sa

cause.

Ce fol pharisien tenoit le publicain pour grand pecheur, ou peutestre mesme pour injuste, adultere, ravisseur; mais il se trompoit grandement car tout à l'heure mesme il estoit justifié. Helas! puisque la bonté de Dieu est si grande, qu'un seul moment suffit pour impetrer et recevoir sa grace, quelle asseurance pouvons-nous avoir, qu'un homme qui estoit hier pecheur le soit aujourd'huy? Le jour precedent ne doit pas juger le jour present, ny le jour present ne doit pas juger le jour precedent: il n'y a que le dernier qui les juge tous.

Nous ne pouvons doncques jamais dire qu'un homme soit meschant sans danger de mentir : ce que nous pouvons dire en cas qu'il faille parler, c'est qu'il fit un tel acte mauvais, il a mal vescu en tel tems, il fait mal maintenant mais on ne peut tirer nulle consequence d'hier à cejourd'huy, ny de cejourd'huy au jour d'hier; et moins encore au jour de demain.

Encore qu'il faille estre extresmement delicat à ne point mesdire du prochain, se faut-il si garder d'une extresmité en laquelle quelques-uns tombent, qui, pour esviter la medisance, loüent et disent bien du vice. S'il se treuve une personne vrayement medisante, ne dites pas pour l'excuser qu'elle est libre et franche; une personne manifestement vaine, ne dites pas qu'elle est genereuse et propre ; et les privautez dangereuses, ne les appellez pas simplicitez, ou nayfvetez; ne fardez pas la desobeyssance du nom de zele, ny l'arrogance du nom de franchise, ny la lasciveté du nom d'amуtié. Non, chere Philotée, il ne faut pas, pensant fuyr le vice de la mesdisance, favoriser, flatter, ou nourrir les autres; ains faut dire rondement et franchement mal du mal, et blasmer les choses blasmables: ce que faysant nous glorifions Dieu, moyennant que ce soit avec les conditions suivantes.

Pour loüablement blasmer les vices d'autruy, il faut que l'utilité, ou de celuy duquel on parle, ou de ceux à qui l'on parle, le requiere. On recite devant des filles les privautez indiscrettes de tels et de telles, qui sont manifestement perilleuses; la dissolution d'un

tel ou d'une telle en parolles, ou en contenances, qui sont manifestement lubriques: si je ne blasme librement ce mal, et que je le veuille excuser, ces tendres ames qui escoutent prendront occasion de se relascher à quelque chose pareille; leur utilité doncques requiert que tout franchement je blasme ces choses-là sur-le-champ, sinon que je puisse reserver à fayre ce bon office, plus à propos et avec moins d'interest de ceux de qui on parle, en une autre occasion.

Oultre cela, encore faut-il qu'il m'appartienne de parler sur ce subject, comme quand je suis des premiers de la compaignie, et que si je ne parle, il semblera que j'appreuve le vice: que si je suis des moindres, je ne dois pas entreprendre de fayre la censeure; mais sur tout il faut que je sois exactement juste en mes parolles, pour ne dire pas un seul mot de trop. Par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme, et de ceste fille, parce qu'elle est trop indiscrette et perilleuse, ô Dieu! Philotée, il faut que je tienne la balance bien juste, pour ne point aggrandir la chose, pas mesme d'un seul brin. S'il n'y a qu'une foible apparence, je ne diray rien que cela; s'il n'y a qu'une simple imprudence, je ne diray rien davantage; s'il n'y a ny imprudence, ny vraye apparence du mal, ains seulement que quelque esprit malicieux en puisse tirer pretexte de mesdisance, ou je n'en diray rien du tout, ou je diray cela mesme. Ma langue, tandis que je parle du prochain, est en ma bouche comme un rasoir en là main du chirurgien qui veut trancher entre les nerfs et les tendons. Il faut que le coup que je donneray soit si juste, que je ne die ny plus ny moins que ce qui en est. Et enfin, il faut sur tout observer, en blasmant le vice, d'espargner le plus que vous pourrez la personne en laquelle il est.

Il est vray que des pecheurs infasmes, publics et manifestes, on en peut parler librement, pourveu que ce soit avec esprit de charité et de compassion, et non point avec arrogance et presomption, ny pour se playre au mal d'aultruy car, pour ce dernier, c'est le faict d'un cœur vil et abject. J'excepte entre tous les ennemys desclarez de Dieu et de son Eglise; car ceux-là, il les faut descrier tant qu'on peut, comme sont les sectes des heretiques et schismatiques, et les chefs d'icelles: c'est charité de crier au loup, quand il est entre les brebis, voire où qu'il soit.

Chascun se donne liberté de juger et censeurer les princes, et de mesdire des nations tout entieres, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroict. Philotée, ne faites pas ceste faute; car, oultre l'offense de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles.

Quand vous oyez mal dire, rendez doubteuse l'accusation, si vous le pouvez fayre justement; si vous ne pouvez pas, excusez l'intention de l'accusé que si cela ne se peut, tesmoignez de la compassion sur luy, escartez ce propos-là, vous ressouvenant et faysant ressouvenir la compaignie, que ceux qui ne tombent pas en faute en doivent toute la grace à Dieu. Rappellez à soy le mesdisant par quelque douce maniere dites quelque autre bien de la personne offensée, si vous le sçavez.

CHAPITRE XXX.

Quelques autres advis touschant le parler.

UE nostre langage soit doux, franc, sincere, rond, nayf, et fiQdelle, Gardez-vous des duplicitez, artifices et feintises; bien qu'il ne soit pas bon de dire tousjours toutes sortes de veritez, si n'est-il jamais permis de contrevenir à la verité. Accoustumez-vous à ne jamais mentir à vostre escient, ny par excuse, ny autrement, vous ressouvenant que Dieu est le Dieu de verité; si vous en dites par mesgarde, et vous pouvez le corriger sur-le-champ par quelque explication ou reparation, corrigez-le une excuse veritable a bien plus de grace et de force pour excuser que le mensonge.

Bien que quelquesfois on puisse discrettement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parolle, si ne faut-il pas prattiquer cela, sinon en chose d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de là les artifices sont dangereux; car, comme dit la sacrée parolle, le Sainct-Esprit n'habite point en un esprit feint et double. Il n'y a nulle si bonne et si desirable finesse que la simplicité. Les prudences mondaines et artifices charnels appartiennent aux enfans de ce siecle; mais les enfans de Dieu cheminent sans destour, et ont le cœur sans replis. Qui chemine simplement, dit le Sage, il chemine confidemment. Le mensonge, la duplicité, la simulation tesmoignent tousjours un esprit foible et vil.

Sainct Augustin avoit dit, au quatriesme livre de ses Confessions, que son ame et celle de son amy n'estoient qu'une seule ame, et que ceste vie luy estoit en horreur apres le trespas de son amy, parce qu'il ne vouloit pas vivre à moitié; et qu'aussi, pour cela mesme, il craignoit à l'adventure de mourir, afin que son amy ne mourust du tout. Ces parolles luy semblerent par apres trop artificieuses et affectées, si que il les revoque au livre de ses Retractations, et les appelle une ineptie. Voyez-vous, chere Philotée, combien ceste saincte belle ame est douillette au sentiment de l'affeterie des parolles? Certes, c'est un grand ornement de la vie chrestienne que la fidellité, rondeur et sincerité du langage : J'ay dit: Je prendray garde à mes voies, pour ne point pecher en ma langue. Hé! Seigneur, mettez des gardes à ma bouche, et une porte qui ferme mes levres, disoit David.

C'est un advis du roy sainct Louys, de ne point desdire personne, sinon qu'il y eust peché ou grand dommaige à consentir : c'est afin d'esviter toutes contestes et disputes. Or, quand il importe de contredire à quelqu'un, et d'opposer son opinion à celle d'un autre, il faut user de grande douceur et dexterité, sans vouloir violenter l'esprit d'autruy; car aussi bien ne gaigne-t-on rien prenant les choses asprement.

Le parler peu, tant recommandé par les anciens sages, ne s'entend pas qu'il faille dire peu de parolles, mais de n'en dire pas beaucoup d'inutiles car, en matiere de parler, on ne regarde pas à la quantité, mais à la qualité; et me semble qu'il faut fuyr les deux extresmitez: car, de fayre trop l'entendu et le severe, refusant

S. François.-3

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de contribuer aux devis familiers qui se font és conversations, il semble qu'il y ayt, ou manquement de confiance, ou quelque sorte de desdain; de babiller aussi et cajoler tousjours, sans donner ny loysir, ny commodité aux autres de parler à souhaict, cela tient di l'esventé et du leger.

Sainct Louys ne treuvoit pas bon qu'estant en compaignie l'on parlast en secret et en conseil, particulierement à table, afin que l'on ne donnast soupçon que l'on parlast des autres en mal: Celuy, disoit-il, qui est à table en bonne compaignie, qui a à dire quelque chose joyeuse et playsante, la doit dire que tout le monde l'entende; si c'est chose d'importance, on la doit taire sans en parler.

I

CHAPITRE XXXI.

Des passe-tems et recreations, et premierement des loysibles

et loüables.

est force de relascher quelquesfois nostre esprit, et nostre corps encore à quelque sorte de recreation. Sainct Jean l'Evangeliste, comme dit Cassien, fut un jour treuvé par un chasseur, tenant une perdrix sur son poing, laquelle il caressoit par recreation le chasseur luy demanda pourquoy estant homme de telle qualité, il passoit le tems en chose si basse et si vile, et sainct Jean luy dit: Pourquoy ne portes-tu ton arc tousjours tendu? — De peur, respondit le chasseur, que demeurant tousjours courbé, il ne perde la force de s'estendre, quand il en sera mestier. - Ne t'estonne pas donc ques, respliqua l'Apostre, si je me demets quelque peu de la rigueur et attention de mon esprit, pour prendre un peu de recreation, afin de m'employer par apres plus vivement à la contemplation. C'est un vice sans doubte que d'estre si rigoureux, agreste et sauvage, qu'on ne veuille prendre pour soy, ny permettre aux autres, aucune sorte de recreation.

Prendre l'air, se proumener, s'entretenir de devis joyeux, et amyables, sonner du luth, ou autre instrument, chanter en musique, aller à la chasse, ce sont recreations si honnestes, que pour en bien user il n'est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le tems, le lieu, et la

mesure.

Les jeux esquels le gain sert de prix et rescompense à l'habilité et industrie du corps ou de l'esprit, comme les jeux de la paume, balon, palemaille, les courses à la bague, les eschets, les tables, ce sont recreations de soy-mesme bonnes et loysibles. Il se faut seulement garder de l'excez, soit au tems que l'on y employe, soit au prix que l'on y met; car, si l'on y employe trop de tems, ce n'est plus recreation, c'est occupation: on n'allege pas ny l'esprit, ny le corps; au contraire, on l'estourdit, on l'accable. Ayant joué cinq, six heures aux eschets, au sortir on est tout recreu et las d'esprit. Joüer longuement à la paume, ce n'est pas recreer le corps, mais l'accabler or, si le prix, c'est-à-dire ce qu'on joue, est trop grand, des affections des joueurs se desreglent; et oultre cela, c'est chose injuste de mettre de grands prix à des habilitez et industries de si

peu d'importance et si inutiles, comme sont les habilitez des jeux. Mais sur tout prenez garde, Philotée, de ne point attacher vostre affection à tout cela: car, pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur et son affection. Je ne dy pas qu'il ne faille prendre playsir à jouer pendant que l'on joue, car autrement on ne se recreeroit pas, mais je dy qu'il ne faut pas y mettre son affection, pour le désirer, pour s'y amuser et s'en empresser.

CHAPITRE XXXII.

Des jeux deffendus.

L Es jeux des dez, des cartes et semblables, esquels le gain despend principalement du hasard, ne sont pas seulement des recreations dangereuses, comme les danses, mais elles sont simplement et naturellement mauvaises et blasmables : c'est pourquoy elles sont deffendues par les loyx tant civiles qu'ecclesiastiques. Mais quel grand mal y a-t-il, me direz-vous? Le gain ne se fait pas en ces jeux selon la rayson, mais selon le sort, qui tombe bien souvent à celuy qui, par habilité et industrie, ne meritoit rien la rayson est doncques offensée en cela. Mais nous avons ainsi convenu, me direz-vous. Cela est bon pour monstrer que celuy qui gaigné ne fait pas tort aux autres; mais il ne s'ensuit pas que la convention ne soit deraysonnable, et le jeu aussi : car le gain, qui doit estre le prix de l'industrie, est rendu le prix du sort, qui ne merite nul prix, puisqu'il ne despend nullement de nous.

Oultre cela, ces jeux portent le nom de recreation, et sont faits pour cela, et neantmoins ils ne le sont nullement, mais de violentes occupations. Car n'est-ce pas comme occupation, de tenir l'esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpetuelles inquiettudes, apprehensions et empressemens? Y at-il attention plus triste, plus sombre et melancholique que celle des joueurs? c'est pourquoy il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser; autrement les voylà à despiter.

Enfin il n'y a point de joye au jeu qu'en gaignant, et ceste joye n'est-elle pas inique, puisqu'elle ne se peut avoir que par la perte et le desplaysir du compaignon? ceste resjouissance est certes infame. Pour ces trois raysons les jeux sont deffendus. Le grand roy sainct Louys, sçachant que le comte d'Anjou son frere, et messire Gautier de Nemours, joüoient, il se leva malade, qu'il estoit, et alla tout chancelant en leur chambre, et là print les tables, les dez, et une partie de l'argent, et les jetta par les fenestres dans la mer, se courrouçant fort à eux. La saincte et chaste damoiselle Sara, parlant à Dieu de son innocence: Vous scavez, dit-elle, 6 Seigneur, que jamais je n'ay conversé entre les joueurs.

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