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soüillé son corps, avoient neantmoins contaminé son cœur, de la chasteté duquel les ames genereuses sont extresmement jalouses. Ne hantez nullement les personnes impudiques, principalement și elles sont encore impudentes, comme elles sont presque tousjours. Car comme les boucs touschant de la langue les amandiers doux, les font devenir amers: ainsi ces ames puantes et cœurs infects ne parlent gueres à personne, ny de mesme sexe ny de divers sexes, qu'elles ne le fassent aucunement descheoir de la pudicité : elles ont le venin aux yeux et en l'haleyne comme les basilics.

Au contraire, hantez les gens chastes et vertueux, pensez et lisez souvent aux choses sacrées; car la parolle de Dieu est chaste, et rend ceux qui s'y playsent, chastes qui fait que David la compare à la topase, pierre precieuse, laquelle, par sa proprieté, amortit l'ardeur de la concupiscence.

Tenez-vous tousjours proche de Jesus-Christ crucifié, et spirituellement par la meditation, et reellement par la saincte communion. Car, tout ainsi que ceux qui couchent sur l'herbe nommée Agnus Castus, deviennent chastes et pudiques, de mesme, reposant vostre cœur sur Nostre Seigneur, qui est le vray Agneau chaste et immaculé, vous verrez que bien-tost vostre ame et vostre cœur se treuveront purifiez de toutes soüilleures et lubricitez.

BIEN

CHAPITRE XIV.

De la pauvreté d'esprit, observée entre les richesses

IEN-HEUREUX sont les pauvres d'esprit, car le royaume des cieux est à eux mal-heureux doncques sont les riches d'esprit, car la misere d'enfer est pour eux. Celuy est riche d'esprit, lequel a ses richesses dedans son esprit, ou son esprit dedans les richesses. Celuy est pauvre d'esprit, qui n'a nulles richesses dans son esprit, ny son esprit dedans les richesses. Les halcions font leurs nids. comme une paume, et ne laissent en iceux qu'une petite ouverture du costé d'en haut; ils les mettent sur le bord de la mer, et au demeurant les font si fermes et impenetrables, que les ondés les surprenant, jamais l'eau n'y peut entrer, ains tenant tousjours le dessus, ils demeurent emmy la mer, sur la mer, et maistres de la mer. Vostre cœur, chere Philotée, doit estre comme cela, ouvert seulement au ciel, et impenetrable aux richesses, et choses caducques : si vous en avez, tenez vostre cœur exempt de leurs affections; qu'il tienne tousjours le dessus, et qu'emmy les richesses il soit sans richesses, et maistre des richesses. Non, ne mettez pas cest esprit celeste dedans les biens terrestres, faites qu'il leur soit tousjours superieur, sur eux, non pas en eux.

Il y a difference entre avoir du poison et estre empoisonné. Les apothicaires ont presque tous des poisons pour s'en servir en diverses occurrences; mais ils ne sont pas pour cela empoisonnez, parce qu'ils n'ont pas le poison dedans le corps, mais dedans leurs boutiques ainsi pouvez-vous avoir des richesses sans estre empoisonnée par icelles, ce sera si vous les avez en vostre mayson, en vostre bourse, et non pas en vostre cœur. Estre riche en effect,

S. François. 3

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ou

et pauvre d'affection, c'est le grand bonheur du chrestien: car il a, par ce moyen, les commoditez des richesses pour ce monde, et le merite de la pauvreté pour l'autre.

Helas! Philotée, jamais nul ne confessera d'estre avare: chascun desadvouë ceste bassesse et vileté de cœur; on s'excuse sur la charge des enfans qui presse, sur la sagesse qui requiert qu'on s'establisse en moyens jamais on n'en a trop; il se treuve tousjours certaines necessitez d'en avoir davantage; et mesme les plus avares, non-seulement ne confessent pas de l'estre, mais ils ne pensent pas en leur conscience de l'estre: non, car l'avarice est une fiebvre prodigieuse, qui se rend d'autant plus insensible, qu'elle est plus violente et ardente. Moyse vid le feu sacré qui brusloit un buisson, et ne le consumoit nullement; mais au contraire, le feu prophane de l'avarice consomme et devore l'avaricienx, et ne brusle aucunement: au moins, emmy ses ardeurs et chaleurs plus excessives, il se vante de la plus douce fraischeur du monde, et tient que son alteration insatiable est une soif toute naturelle et souëfve.

Si vous desirez longuement, ardemment, et avec inquiettude les biens que vous n'avez pas, vous avez beau dire que vous ne les voulez pas avoir injustement: car pour cela vous ne laisserez pas d'estre vrayement avare. Celuy qui desire ardemment, longuement, et avec inquiettude de boire, quoyqu'il ne veüille pas boire que de l'eau, si tesmoigne-t-il d'avoir la febvre.

O Philotée, je ne sçay si c'est un desir juste de desirer d'avoir justement ce qu'un autre possede justement: car il semble que par ce desir nous nous voulons accommoder par l'incommodité d'aultruy. Celuy qui possede un bien justement, n'a-t-il pas plus de rayson de le garder justement, que nous de le vouloir avoir justement? Et pourquoy doncques estendons-nous nostre desir sur sa commodité pour l'en priver? Tout au plus si ce desir est juste; certes, il n'est pas pourtant charitable : car nous ne voudrions nullement qu'aucun desirast, quoyque justement, ce que nous voulons garder justement. Ce fut le peché d'Achab, qui vouloit avoir justement la vigne de Naboth qui la vouloit encore plus justement garder: il la desira ardemment, longuement et avec inquiettude, et partant il offensa Dieu.

Attendez, chere Philotée, de desirer le bien du prochain quand il commencera à desirer de s'en deffaire. Car lors son desir rendra le vostre non-seulement juste, mais charitable ouy, car je veux bien que vous ayez soing d'accroistre vos moyens et facultez, pourveu que ce soit non-seulement justement, mais doucement et charitablement.

Si vous affectionnez fort les biens que vous avez, si vous en estes fort embesongnée, mettant vostre cœur en iceux, y attachant vos pensées, et craignant d'une crainte vive et empressée de les perdre, croyez-moy, vous avez encore quelque sorte de fiebvre : car les febricitans boivent l'eau qu'on leur donne avec un certain empressement, avec une sorte d'attention et d'ayse, que ceux qui sont sains n'ont point accoustumé d'avoir. Il n'est pas possible de se playre beaucoup en une chose que l'on n'y mette beaucoup d'affection. S'il

vous arrive de perdre des biens, et vous sentez que vostre cœur s'en desole et afflige beaucoup, croyez, Philotée, que vous y avez beaucoup d'affection car rien ne tesmoigne tant d'affection à la chose perdue, que l'affliction de la perte.

Ne desirez donc point d'un desir entier et formé le bien que vous n'avez pas; ne mettez point fort avant vostre cœur en celuy que vous avez; ne vous desolez point des pertes qui yous arriveront, et vous aurez quelque subjet de croire, qu'estant riche en effect, vous ne l'estes point d'affection; mais que vous estes pauvre d'esprit, et par consequent bien-heureuse, car le royaume des cieux vous appartient.

CHAPITRE XV.

Comme il faut prattiquer la pauvreté reelle, demeurant
neantmoins reellement riche.

E peintre Parrhasius peignit le peuple athenien par une invention fort ingenieuse, le representant d'un naturel divers, et variable, cholere, injuste, inconstant, courtois, clement, misericordieux, hautain, glorieux, humble, bravache et fuyard, et cela tout ensemble; mais moy, chere Philotée, je voudrois mettre en vostre cœur la richesse et la pauvreté tout ensemble, un grand soing et un grand mespris des choses temporelles.

Ayez beaucoup plus de soing de rendre vos biens utiles et fructueux que les mondains n'en ont pas. Dites-moy, les jardiniers des grands princes ne sont-ils pas plus curieux et diligens à cultiver et embellir les jardins qu'ils ont en charge, que s'ils leur appartenoient en proprieté? Mais pourquoy cela? parce sans doubte qu'ils considerent ces jardins-là comme jardins des princes et des roys, auxquels ils desirent de se rendre aggreables par ces services-là. Ma Philotée, les possessions que nous avons ne sont pas nostres; Dieu nous les a données à cultiver, et veut que nous les rendions fructueuses et utiles, et partant nous luy faysons service aggreable d'en avoir soing.

Mais il faut doncques que ce soit un soing plus grand et solide que celuy que les mondains ont de leurs biens; car il ne s'embesongnent que pour l'amour d'eux-mesmes, et nous devons travailler pour l'amour de Dieu. Or, comme l'amour de soy-mesme est un amour violent, turbulent, empressé, aussi le soing qu'on a pour luy, est pleyn de trouble, de chagrin, d'inquiettude; et comme l'amour de Dieu est doux, paysible et tranquille, aussi le soing qui en procede, quoyque ce soit pour les biens du monde, est amyable, doux et gracieux. Ayons doncques ce soing gracieux de la conservation, voire de l'accroissement de nos biens temporels, lorsque quelque juste occasion s'en presentera, et en tant que nostre condition le requiert; car Dieu veut que nous fassions ainsi pour son

amour.

Mais prenez garde que l'amour-propre ne vous trompe; car quelquesfois il contrefait si bien l'amour de Dieu, qu'on diroit que c'est luy. Or, pour empescher qu'il ne vous deçoive, et que ce soing des

biens temporels ne se convertisse en avarice, oultre ce que j'ay dit au chapitre precedent, il nous faut prattiquer bien souvent la pauvreté reelle et effectuelle, emmy toutes les facultez et richesses que Dieu nous a données.

Quittez doncques tousjours quelque partie de vos moyens en les donnant aux pauvres de bon cœur; car donner ce qu'on a, c'est s'appauvrir d'autant, et plus vous donnerez, plus vous vous appauvrirez. Il est vray que Dieu vous le rendra, non-seulement en l'autre monde, mais en cestuy-cy, car il n'y a rien qui fasse tant prosperer temporellement que l'aumosne; mais, en attendant que Dieu vous le rende, vous serez tousjours appauvrie de cela. O le sainct et riche appauvrissement que celuy qui se fait par l'aumosne! Aymez les pauvres et la pauvreté; car par cest amour vous deviendrez vrayement pauvre, puis que (comme dit l'Escriture) nous sommes faits comme les choses que nous aymons. L'amour esgale les amans. Qui est infirme avec lequel je ne sois infirme? dit sainct Paul. Il pouvoit dire: Qui est pauvre avec lequel je ne sois pauvre? parce que l'amour le faysoit estre tel que ceux qu'il aymoit: si doncques vous aymez les pauvres, vous serez vrayement participante de leur pauvreté, et pauvre comme eux.

Or, si vous aymez les pauvres, mettez-vous souvent parmy eux; prenez playsir à les voir chez vous et à les visiter chez eux; conversez volontiers avec eux, soyez bien ayse qu'ils vous approchent aux eglises, aux ruës et ailleurs. Soyez pauvre de langue avec eux, leur parlant comme leur compaigne; mais soyez riche des mains, leur departant de vos biens, comme plus abondante.

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Voulez-vous faire encore davantage, ma Philotée? ne vous contentez pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre que les pauvres; et comment cela? Le serviteur est moindre que son maistre rendez-vous doncques servante des pauvres; allez les servir dans leurs licts quand ils sont malades, je dy de vos propres mains soyez leur cuisiniere, et à vos propres depens, soyez leur lingere et blanchisseuse. O ma Philotée, ce service est plus triomphant qu'une royauté. Je ne puis assez admirer l'ardeur avec laquelle cest advis fut prattiqué par sainct Louys, l'un des grands roys que le soleil ayt veus; mais je dy grand roy en toute sorte de grandeur. Il servoit fort souvent à la table des pauvres qu'il nourrissoit, et en faysoit venir presque tous les jours trois à la sienne, et souvent il mangeoit les restes de leur potage avec un amour nonpareil. Quand il visitoit les hospitaux des malades (ce qu'il faysoit fort souvent) il se mettoit ordinairement à servir ceux qui avoient les maux les plus horribles, comme ladre, chancreux et autres semblables, et leur faysoit tout son service à teste nuë, et les genoüilx à terre, respectant en leur personne le Sauveur du monde, et les cherissant d'un amour aussi tendre qu'une douce mere eust sceu faire son enfant. Saincte Elizabeth, fille du roy d'Hongrie, se mesloit ordinairement avec les pauvres, et pour se rescreer, s'habilloit quelquesfois en pauvre femme parmy ses dames, leur disant : Si j'estois pauvre, je m'habillerois ainsi. O mon Dieu, chere Philotée, que ce prince et ceste princesse estoient pauvres en leurs richesses, et qu'ils estoient riches en leur pauvreté!

Bien-heureux sont ceux qui sont ainsi pauvres, car à eux appartient le royaume des cieux J'ay eu faim, vous m'avez repeu; j'ay eu froid, vous m'avez revestu possedez le royaume qui vous a esté preparé dés la constitution du monde, dira le Roy des pauvres et des roys, en son grand jugement.

Il n'est celuy qui, en quelque occasion, n'ayt quelque manquement et deffaut de commoditez. Il arrive quelquesfois chez nous un hoste que nous voudrions et devrions bien traitter, il n'y a pas moyen pour l'heure; on a ses beaux habicts en un lieu, on en auroit besoin en un autre, où il seroit requis de paroistre; il arrive que tous les vins de la cave se poussent et tournent, il n'en reste plus que les mauvais et verds; on se treuve aux champs dans quelque bicoque, où tout manque, on n'a lict, ny chambre, ny table, ny service; enfin, il est facile d'avoir souvent besoin de quelque chose, pour riche qu'on soit; or cela, c'est estre pauvre en effect de ce qui nous manque. Philotée, soyez bien ayse de ces rencontres, acceptez-les de bon cœur, souffrez-les gayement.

Quand il vous arrivera des inconveniens, qui vous appauvriront, ou de beaucoup, ou de peu, comme font les tempestes, les feux, les inondations, les sterilitez, les larcins, les procez. O! c'est alors la vraye sayson de prattiquer la pauvreté, recevant avec douceur ces diminutions de facultez, et s'accommodant patiemment et constamment à cest appauvrissement. Esau se presenta à son pere avec ses mains toutes couvertes de poils, et Jacob en fit de mesme; mais parce que le poil qui estoit és mains de Jacob ne tenoit pas à sa peau, ains à ses gans, on luy pouvoit oster son poil sans l'offenser ny escorcher. Au contraire, parce que le poil des mains d'Esau tenoit à sa peau qu'il avoit toute veluë de son naturel, qui luy eust vouleu arracher son poil, luy eust bien donné de la douleur: il eust bien crié, il se fust bien eschauffé à la deffense. Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempeste, si le larron, si le chicaneur nous en arrache quelque partie, quelles plaintes, quels troubles, quelles impatiences en avons-nous? Mais quand nos biens ne tiennent qu'au soing que Dieu veut que nous en ayons, et non pas à nostre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdrons pourtant pas le sens ny la tranquillité. C'est la difference des bestes et des hommes quant à leurs robbes car les robbes des bestes tiennent à leur chair, et celles des hommes y sont seulement appliquées, en sorte qu'ils puissent les mettre et oster quand ils veulent.

CHAPITRE XVI.

Pour prattiquer la richesse d'esprit emmy la pauvreté reelle.

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AIS si vous estes reellement pauvre, tres-chere Philotée, MAIS Dieu! soyez-le encore d'esprit, faites de necessité vertu, et émployez ceste pierre precieuse de la pauvreté pour ce qu'elle vaut. Son esclat n'est pas descouvert en ce monde; mais si est-ce pourtant qu'il est extresmement beau et riche.

Ayez patience, vous estes en bonne compaignie: Nostre Seigneur, Nostre-Dame, les Apostres, tant de saincts et de sainctes ont esté

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