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cest effect observer estroitement l'advis du Sage, de ne point nous appuyer sur nostre propre prudence, ains sur celle de ceux que Dieu nous a donnez pour conducteurs.

Il y a certaines choses que plusieurs estiment vertus, et qui ne le sont aucunement, desquelles il faut que je vous die un mot: ce sont les extases, ou ravissemens, les insensibilitez, impassibilitez, unyons deïfiques, eslevations, transformations, et autres telles perfections, desquelles certains livres traittent, qui promettent d'eslever l'ame jusques à la contemplation purement intellectuelle, à l'application essentielle de l'esprit, et vie super-eminente. Voyezvous, Philotée, ces perfections ne sont pas vertus; ce sont plutost des rescompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encore plutost des eschantillons des felicitez de la vie future, qui, quelquesfois, sont presentez aux hommes, pour leur faire desirer les pieces toutes entieres, qui sont là haut en paradis. Mais pour tout cela il ne faut pas pretendre à telles graces, puisqu'elles ne sont nullement necessaires pour bien servir et aymer Dieu, qui doit estre nostre unique pretention: aussi bien souvent ne sont-ce pas des graces qui puissent estre acquises par le travail et industrie. puisque ce sont plutost des passions que des actions, lesquelles nous pouvons recevoir, mais non pas faire en nous. J'adjouste que nous n'avons pas entreprins de nous rendre sinon gens de bien, gens de devotion, hommes pieux, femmes pieuses : c'est pourquoy il nous faut bien employer à cela. Que s'il plaist à Dieu de nous eslever jusques à ces perfections angeliques, nous serons aussi des bons anges; mais, en attendant, exerçons-nous simplement, humblement, et devotément aux petites vertus, la conqueste desquelles Nostre Seigneur a exposé à nostre soing et travail, comme la patience, la debonnaireté, la mortification de cœur, l'humilité, l'obeyssance, la pauvreté, la chasteté, la tendreté envers le prochain, le support de ses imperfections, lá diligence et sainctè ferveur. Laissons volontiers les sur-eminences aux ames sur-eslevées; nous ne meritons pas un rang si haut au service de Dieu : trop heureux serons-nous de le servir en sa cuisine, en sa paneterie, d'estre des lacquais, des porte-faix, garçons de chambre; c'est á luy par-apres, si bon luy semble, de nous retirer en son cabinet et conseil privé. Ouy, Philotée, car ce Roy de gloire ne rescompense pas ses serviteurs selon la dignité des offices qu'ils exercent, mais selon l'amour et l'humilité avec laquelle ils les exercent. Saül, cherchant les asnes de son pere, treuva le royaume d'Israël; Rebecca abbreuvant les chameaux d'Abraham, devint espouse de son fils; Ruth glanant apres les moissonneurs de Booz, et se couchant à ses pieds, fut tirée à son costé, et renduě son espouse. Certes, les pretentions si hautes et eslevées des choses extraordinaires sont grandement subjettes aux illusions, tromperies et faussetez; et arrive quelques fois que ceux qui pensent estre des anges, ne sont pas seulement bons hommes, et qu'en leur faict il y a plus de grandeur és parolles et termes dont ils usent, qu'au sentiment et en l'œuvre. Il ne faut pourtant rien mespriser ny censeurer temerairement; mais, en benissant Dieu de la sur-eminence des autres, arrestons-nous humblement en nostre voie plus basse, mais plus

asseurée, moins excellente, mais plus sortable à nostre insuffisance et petitesse, en laquelle si nous conversons humblement et fidellement, Dieu nous eslevera à des grandeurs bien grandes.

CHAPITRE III.

De la patience.

Vous avez besoin de patience, afin que faysant la volonté de Dieu, vous en rapportiez la promesse, dit l'Apostre. Ouy, car comme avoit prononcé le Sauveur : En vostre patience, vous possederez vos ames. C'est le grand bonheur de l'homme, Philotée, que de posseder son ame; et à mesure que la patience est plus parfaicte, nous posscdons plus parfaictement nos ames: il nous faut donc perfectionner en ceste vertu. Ressouvenez-vous souvent que Nostre Seigneur nous a sauvez en souffrant et endurant, et que de mesme nous devons fayre nostre salut par les souffrances et afflictions, endurant les injures, contradictions et deplaysirs, avec le plus de douceur qu'il nous sera possible.

Ne bornez point vostre patience à telle ou telle sorte d'injures ou d'afflictions, mais estendez-la universellement à toutes celles que Dieu vous envoyera, et permettra vous arriver. Il y en a qui ne veulent souffrir, sinon les tribulations qui sont honnorables, comme par exemple, d'estre blessez à la guerre, d'estre prisonniers de guerre, d'estre mal-traittez pour la religion, de s'estre appauvris par quelque querelle en laquelle ils soyent demeurez maistres; et ceux-cy n'ayment pas la tribulation, mais l'honneur qu'elle apporte. Le vray patient et serviteur de Dieu supporte esgalement les tribulations conjoinctes à l'ignominie, et celles qui sont honnorables: d'estre mesprisé, reprins et accusé par les meschans, ce n'est que douceur à un homme de courage; mais d'estre reprins, accusé et mal-traitté par les gens de bien, par les amys, par les parens, c'est là où il y va du bon. J'estime plus la douceur avec laquelle le grand sainct Charles Borromée souffrit longuement les reprehensions publicques, qu'un grand predicateur d'un ordre extresmement reformé faysoit contre luy en chaire, que toutes les attaques qu'il receut des autres. Car tout ainsi que les picqueures des abeilles sont plus cuisantes que celles des mousches: ainsi, le mal que l'on reçoit des gens de bien, et les contradictions qu'ils font, sont bien plus insupportables que les autres, et cela neantmoins arrive fort souvent, que deux hommes de bien, ayant tous deux bonne intention sur la diversité de leurs opinions, se font de grandes persecutions et contradictions l'un à l'autre.

Soyez patiente, non-seulement pour le gros et principal des afflictions qui vous surviendront; mais encore pour les accessoires et accidens qui en dependront. Plusieurs voudroient bien avoir du mal, pourveu qu'ils n'en fussent point incommodez. Je ne me fasche point, dit l'un, d'estre devenu pauvre, si ce n'estoit que cela m'empeschera de servir mes amys, eslever mes enfans et vivre honnorablement, comme je desirerois. Et l'autre dira: Je ne m'en soucierois point, si ce n'estoit que le monde pensera que

cela me soit arrivé par ma faute. L'autre seroit tout ayse que l'on mesdist de luy, et le souffriroit fort patiemment, pourveu que personne ne creust le mesdisant. Il y en a d'autres, qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal, ce leur semble, mais non pas toute ils ne s'impatientent pas, disent-ils, d'estre malades, mais de ce qu'ils n'ont pas de l'argent pour se faire panser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunez. Or je dy, Philotée, qu'il faut avoir patience, non-seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu où il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommoditez qu'il veut, et ainsi des autres tribulations. Quand il vous arrivera du mal, op posez à iceluy les remedes qui seront possibles, et selon Dieu, car de faire autrement, ce seroit tenter sa divine Majesté; mais aussi, cela estant fait, attendez avec une entiere resignation l'effect que Dieu aggreera. S'il luy playst que les remedes vainquent le mal vous le remercierez avec humilité; mais s'il luy playst que le mal surmonte les remedes, benissez-le avec patience.

Je suy l'advis de sainct Gregoire : Quand vous serez accusée justement pour quelque faute que vous aurez commise, humiliez-vous bien fort, confessez que vous meritez plus que l'accusation qui est faite contre vous. Que si l'accusation est fausse, excusez-vous doucement, nyant d'estre coulpable, car vous devez ceste reverence à la verité, et à l'edification du prochain; mais aussi, si apres vostre veritable et legitime excuse, on continue à vous accuser, ne vous troublez nullement, et ne taschez point à faire recevoir vostre excuse car, apres avoir rendu vostre devoir à la verité, vous devez le rendre aussi à l'humilité. Et en ceste sorte vous n'offenserez, ny le soing que vous devez avoir de vostre renommée, ny l'affection que vous devez à la tranquillité, douceur de cœur et humilité.

ou

Plaignez-vous le moins que vous pourrez des torts qui vous seront faits car c'est chose certaine que, pour l'ordinaire, qui se plaint peche, d'autant que l'amour-propre nous fait tousjours ressentir les injures plus grandes qu'elles ne sont; mais sur tout ne faites point vos plaintes à des personnes aysées à s'indigner et mal penser. Que s'il est expedient de vous plaindre à quelqu'un, pour remedier à l'offense, ou pour accoyser vostre esprit, il faut que ce soit à des ames tranquilles, et qui ayment bien Dieu : car autrement, au lieu d'alleger vostre cœur, elles le provoqueroient à de plus grandes inquiettudes; au lieu d'oster l'espine qui vous picque, elles la fischeront plus avant en vostre pied."

Plusieurs estant malades, affligez et offensez de quelqu'un, s'empeschent bien de se plaindre, et monstrer de la delicatesse: car cela, à leur advis (et il est vray), tesmoigneroit evidemment une grande deffaillance de force, et de generosité; mais ils desirent extresmement, et, par plusieurs artifices, recherchent que chascun les plaigne, qu'on ayt grand'compassion d'eux, et qu'on les estime non-seulement affligez, mais patiens et courageux. Or, cela est vrayement une patience, mais une patience fausse, qui, en effect, n'est autre chose qu'une tres-delicate et tres-fine ambition et vanité Ils ont de la gloire, dit l'Apostre, mais non pas envers Dieu Le vray patient ne se plaint point de son mal, ny ne desire qu'on

le plaigne; il en parle naïfvement, veritablement et simplement sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'aggrandir que si on le plaint, il souffre patiemment que l'on le plaigne, sinon qu'on le plaigne de quelque mal qu'il n'a pas; car alors il desclare modestement qu'il n'a point ce mal-là, et demeure en ceste sorte paysible entre la verité et la patience, confessant son mal, et ne s'en plaignant point.

Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas), ressouvenez-vous de la parolle de Nostre Seigneur : La femme, tandis qu'elle enfante, a de grandes angoisses, mais voyant son enfant nay, elle les oublye, d'autant qu'un homme luy est nay au monde; car vous avez conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus-Christ : avant qu'il soit produit, et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail; mais ayez bon courage, car ces douleurs passées, la joye eternelle vous demeurera, d'avoir enfanté un tel homme au monde. Or il sera entierement enfanté pour vous, lorsque vous l'aurez entierement formé en vostre cœur, et en vos euvres, par imitation de sa vie.

Quand vous serez malade, offrez toutes vos douleurs, peynes et langueurs au service de Nostre Seigneur, et le suppliez de les joindre aux tourmens qu'il a receus pour vous. Obeyssez au medecin, prenez les medecines, viandes et autres remedes pour l'amour de Dieu, vous ressouvenant du fiel qu'il print pour l'amour de nous; desirez de guerir, pour luy rendre service, ne refusez point de languir pour luy obeyr, et disposez-vous à mourir, si ainsi il luy playst, pour le louer et jouyr de luy. Ressouvenez-vous que les abeilles, au tems qu'elles font le miel, vivent et mangent d'une munition fort amere, et qu'ainsi nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ny mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume, et vivons parmy les angoisses. Et comme le miel qui est fait des fleurs de thym, herbe petite et amere, est le meilleur de tous: ainsi, la vertu qui s'exerce en l'amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations, est la plus excellente de toutes.

Voyez souvent de vos yeux interieurs Jesus-Christ crucifié, nud, blasphesmé, calomnié, abandonné, et enfin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesses, et de travaux, et considerez que toutes vos souffrances, ny en qualité, ny en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrirez rien pour luy, au prix de ce qu'il a souffert pour vous.

Considerez les peynes que les martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus griefves sans aucune proportion que celles esquelles vous estes, et dites: Helas! mes travaux sont des consolations, et mes peynes, des roses, en comparayson de ceux qui, sans secours, sans assistance, sans allegement, vivent en une mort continuelle, accablez d'afflictions infinyment plus grandes.

CHAPITRE IV.

De l'humilité pour l'exterieur.

MPRUNTEZ, dit Helysée à une pauvre veufve, et prenez force E vaisseaux vuides, et versez huyle en iceux. Pour recevoir la grace de Dieu en nos cœurs, il les faut avoir yuides de nostre propre gloire. La cresserelle criant et regardant les oyseaux de proye, les espouvante par une proprieté et vertu secrette; c'est pourquoy les colombes l'ayment sur tous les autres oyseaux, et vivent en asseurance aupres d'icelle : ainsi l'humilité repousse Satan, et conserve en nous les graces et dons du Sainct-Esprit, et pour cela tous les Saincts, mais particulierement le Roy des Saincts, et sa Mere, ont tousjours honnoré et chery ceste digne vertu plus qu'aucune autre, entre toutes les morales.

Nous appellons vaine la gloire qu'on se donne, ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous; ou pour ce qui est en nous, et à nous, mais qui ne merite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos predecesseurs, ou en l'estime d'autruy. Il y en a qui se rendent fiers et morgans, pour estre sur un bon cheval, pour avoir un pennache en leur chapeau, pour estre habillez somptueusement; mais qui ne void ceste folie? car, s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oyseau et pour le tailleur; et quelle lascheté de courage est-ce, d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un goderon? Les autres se prisent et se regardent pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crespez, pour des mains doüillettes, pour sçavoir danser, jouer, chanter; mais ne sont-ils pas lasches de courage, de vouloir enrichir leur valeur, et donner du surcroist à leur resputation par des choses si frivoles et folastres? Les autres, pour un peu de science, veulent estre honnorez et respectez du monde, comme si chascun devoit aller à l'eschole chez eux, et les tenir pour maistres c'est pourquoy on les appelle pedans. Les autres se pavonnent sur la consideration de leur beauté, et croyent que tout le monde les muguette: tout cela est extresmement vain, sot, et impertinent, et la gloire qu'on prend de si foibles subjets s'appelle vaine, sotte et frivole.

On cognoist le vray bien comme le vray bausme. On fait l'essay du bausme en le distillant dedans l'eau, car s'il va au fond, et qu'il prenne le dessous, il est jugé pour estre du plus fin et precieux: ainsi, pour cognoistre si un homme est vrayement sage, sçavant, genereux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l'humilité, modestie et sousmission, car alors ce seront des vrays biens; mais s'ils surnagent et qu'ils veuillent paroistre, ce seront des biens d'autant moins veritables qu'ils seront plus apparens. Les perles qui sont conceües ou nourries au vent et au bruict des tonnerres, n'ont que l'escorce de perle, et sont vuides de substance, et ainsi les vertus et belles qualitez des hommes qui sont receuës et nourries en l'orgueil, en la ventance et en la vanité,

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