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parce, disoit-elle, elle s'enfermoit dans son cabinet interieur, où elle se consoloit avec son celeste espoux. Aussi dés lors elle conseilloit à ses enfans spirituels, de se faire une chambre dans le cœur, et d'y demeurer.

Retirez doncques quelquesfois vostre esprit dedans vostre cœur, où, separée de tous les hommes, vous puissiez traitter cœur à cœur de vostre ame avec son Dieu, pour dire avec David : J'ay veillé et ay esté semblable au pelican de la solitude; j'ay esté fait comme le chat-huant ou le hibou dans les masures, et comme le passereau solitaire au toict. Lesquelles parolles, oultre leur sens litteral (qui tesmoigne que ce grand roy prenoit quelques heures pour se tenir solitaire en la contemplation des choses spirituelles) nous monstrent en leur sens mystique trois excellentes retraittes, et comme trois hermitages, dans lesquels nous pouvons exercer nostre solitude à l'imitation de nostre Sauveur, lequel, sur le mont de Calvaire, fut comme le pelican de la solitude, qui, de son sang, ravive ses poussins morts; en sa nativité, dans une establerie deserte, il fut comme le hibou dédans la masure, plaignant et pleurant nos fautes et pechez; et au jour de son ascension, il fut comme le passereau, se retirant et volant au ciel, qui est comme le toict du monde et en tous ces trois lieux nous pouvons faire nos retraittes emmy le tracas des affaires. Le bien-heureux Elzear, comte d'Arian, en Provence, ayant esté longuement absent de sa devote et chaste Delphine, elle luy envoya un homme expres pour sçavoir de sa santé, et il luy fit response Je me porte fort bien, ma chere femme; que si vous me voulez voir, cherchez-moy en la playe du costé de nostre doux Jesus, car c'est là où j'habite, et où vous me treuverez ailleurs, vous me chercherez pour neánt. C'estoit un chevalier chrestien celuy-là.

ON

CHAPITRE XIII.

Des aspirations, oraysons jaculatoires, et bonnes pensées.

se retire en Dieu, parce qu'on aspire à luy, et on y aspire pour s'y retirer, si que l'aspiration en Dieu et la retraite spirituelle s'entretiennent l'une et l'autre, et toutes deux proviennent et naissent des bonnes pensées.

Aspirez doncques bien souvent en Dieu, Philotée, par de courts, mais ardens eslancemens de vostre cœur; admirez sa beauté, invoquez son ayde, jettez-vous en esprit au pied de la croix, adorez sa bonté, interrogez-le souvent de vostre salut, donnez-luy mille fois le jour vostre ame, fischez vos yeux interieurs sur sa douceur, tendez-luy la main, comme un petit enfant à son pere, afin qu'il vous conduise; mettez-le sur vostre poictrine, comme un boucquet delicieux, plantez-le en vostre ame comme un estendart, et faites mille sortes de divers mouvemens de vostre cœur, pour vous donner de l'amour de Dieu, et vous exciter à une passionnée et tendre dilection de ce divin Espoux.

On fait ainsi les oraysons jaculatoires, que le grand sainct Augustin conseille si soigneusement à la dévote dame Proba: Philo

tée, nostre esprit s'addonnant à la hantise, privauté et familiarité de son Dieu, se parfumera tout de ses perfections; et si cest exercice n'est point mal-aysé, car il se peut entrelacer en toutes nos affaires et occupations, sans aucunement les incommoder: d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit en ces eslancemens interieurs, on ne fait que de petits et courts divertissemens, qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup à la poursuitte de ce que nous faysons. Le pelerin qui prend un peu de vin, pour resjouyr son cœur et rafraischir sa bouche, bien qu'il s'arreste un peu pour cela, ne rompt pourtant pas son voyage, ains prend de la force, pour le plus vistement et aysement parachever, ne s'arrestant que pour mieux aller.

Plusieurs ont ramassé beaucoup d'aspirations vocales, qui, vrayement, sont fort utiles; mais par mon advis, vous ne vous astreindrez point en aucune sorte de parolles, ains prononcerez, ou de cœur ou de bouche, celles que l'amour vous suggerera sur-le-champ, car il vous en fournira tant que vous voudrez. Il est vray qu'il y a certains mots qui ont une force particuliere pour contenter le cœur en cest endroict, comme sont les eslancemens semez si dru dedans les psalmes de David, les invocations diverses du nom de Jesus, et les traicts d'amour qui sont imprimez au Cantique des cantiques : les chansons spirituelles servent encore à mesme íntention, pourveu qu'elles soyent chantées avec attention.

Enfin, comme ceux qui sont amoureux d'un amour humain et naturel ont presque tousjours leurs pensées tournées du costé de la chose aymée, leur cœur pleyn d'affection envers elle, leur bouche remplie de ses louanges, et qu'en son absence ils ne perdent point d'occasion de tesmoigner leurs passions par lettres, et ne treuvent point d'arbre sur l'escorce duquel ils n'escrivent le nom de ceux qu'ils ayment ainsi, ceux qui ayment Dieu ne peuvent cesser de penser à luy, respirer pour luy, aspirer à luy, et parler de luy, et voudroient, s'il estoit possible, graver sur la poictrine de toutes les personnes du monde le sainct et sacré nom de Jesus.

A quoy mesme toutes choses les invitent, et n'y a creature qui ne leur annonce la loüange de leur bien-aymé; et comme dit sainct Augustin, apres sainct Anthoine, tout ce qui est au monde leur parle d'un langage muet, mais fort intelligible, en faveur de leur amour, toutes choses les provoquent à de bonnes pensées, desquelles par apres naissent force saillies et aspirations en Dieu. En voicy quelques exemples. Sainct Gregoire, evesque de Naziance, ainsi que luy-mesme racontoit à son peuple, se proumenant sur le rivage de la mer, consideroit comme les ondes, s'advançant sur la greve, laissoient des coquilles et petits cornets, tiges d'herbes, petites huistres, et semblables brouilleries que la mer rejettoit, et par maniere de dire crachoit dessus le bord; puis revenant par des autres vagues, elle reprenoit et engloutissoit derechef une partie de cela, tandis que les rochers des environs demeuroient fermes et immobiles, quoyque les eaux vinssent rudement battre contre iceux. Or, sur cela il fit ceste belle pensée, que les foibles, comme coquilles, cornets et tiges d'herbes, se laissent emporter tantost à l'affliction, tantost à la consolation, à la mercy des ondes et vagues

de la fortune; mais que les grands courages demeurent fermes et immobiles à toutes sortes d'orages, et de ceste pensée, il fit naistre ces eslancemens de David: 0 Seigneur! sauvez-moy, car les eaux ont penestré jusques à mon ame: 6 Seigneur, deslivrez-moy du profond des eaux, je suis porté au profond de la mer, et la tempeste m'a submergé. Car alors il estoit en affliction, pour la malheureuse usurpation que Maximus avoit entreprins sur son evesché. Sainct Fulgence, evesque de Ruspe, se treuvant en une assemblée generale de la noblesse romaine, que Theodoric, roy des Goths, haranguoit, et voyant la splendeur de tant de seigneurs qui estoient en rang, chascun selon sa qualité : « O Dieu, dit-il, combien doit estre belle la Hierusalem celeste, puis qu'icy bas on void si pompeuse Rome la terrestre! Et si en ce monde tant de splendeur est concedée aux amateurs de la vanité, quelle gloire doit estre reservée en l'autre monde aux contemplateurs de la verité! » On dit que sainct Anselme, archevesque de Cantorbie (duquel la naissance a grandement honnoré nos montaignes), estoit admirable en ceste prattique de bonnes pensées : un levreau pressé de chiens accourut sur le cheval de ce sainct prelat, qui pour lors voyageoit, comme à un refuge que le peril eminent de la mort luy suggeroit, et les chiens clabaudant tout autour, n'osoient entreprendre de violer l'immunité à laquelle leur proye avoit eu recours; spectacle certes extraordinaire, qui faysoit rire tout le train, tandis que le grand Anselme pleurant et gemissant. « Ha! vous riez, disoit-il, mais la pauvre beste ne rit pas les ennemys de l'ame poursuivie et malmenée par divers destours en toutes sortes de pechez, l'attendent au destroit de la mort pour la ravir et devorer, et elle toute effrayée, cherche par tout secours et refuge; que si elle n'en treuve point, ses ennemys s'en mocquent, et s'en rient. » Ce qu'ayant dit, il s'en alla souspirant. Constantin le Grand escrivit honnorablement à sainct Anthoine; de quoy les religieux qui estoient autour de luy furent fort estonnez. Et il leur dit : « Comme admirez-vous qu'un roy escrive à un homme? admirez plutost de quoy Dieu eternel a escrit sa loy aux mortels, ains leur a parlé bouche à bouche en la personne de son Fils. » Sainct François, voyant une brebis toute seule emmy un troupeau de boucs. « Regardez, dit-il à son compaignon, comme ceste pauvre brebis est douce parmy ces chevres ; Nostre Seigneur alloit ainsi doux et humble entre les Pharisiens. Et voyant une autre fois un petit aignelet mangé par un pourceau : Hé! petit aignelet, dit-il tout en pleurant, que tu representes vivement la mort de mon Sauveur! »

Ce grand personnage de nostre aage, François Borgia, pour lors encore duc de Candie, allant à la chasse, faysoit mille devotes conceptions. J'admirois, disoit-il, luy-mesme par apres, comme les faucons reviennent sur le poingt, se laissent couvrir les yeux, et attacher à la perche, et que les hommes se rendent si revesches à la voix de Dieu. Le grand sainct Basile dit, que la rose emmy les espines fait ceste remonstrance aux hommes : « Ce qui est de plus » aggreable en ce monde, ô mortels, est meslé de tristesse, rien n'y est pur, le regret y est tousjours collé à l'allegresse, la vi» duité au maryage, le soing à la fertilité, l'ignominie à la gloire, la

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» depense aux honneurs, le degoust aux delices, et la maladie à la » santé. C'est une belle fleur, dit ce sainct personnage, que la rose, » mais elle me donne une grande tristesse, m'advertissant de mon » peché pour lequel la terre a esté condamnée de porter les es»pines. Une ame devote regardant un ruisseau, et y voyant le ciel representé avec les estoiles en une nuict bien sereine : « O mon Dieu, dit-elle, ces mesmes estoiles seront dessous mes pieds, quand vous m'aurez logée dans vos saincts tabernacles; et comme les estoiles du ciel sont representées en la terre, ainsi les hommes de la terre sont representez au ciel en la vive fontaine de la charité divine. » L'autre voyant un fleuve flotter, s'escrioit ainsi : « Mon ame n'aura jamais de repos, qu'elle ne se soit abysmée dedans la mer de la divinité qui est son origine. » Et saincte Françoise, considerant un aggreable ruisseau, sur le rivage duquel elle s'estoit agenoüillée pour prier, fut ravie en extase, repetant plusieurs fois ces parolles tout bellement : « La grace de mon Dieu coule ainsi doucement et souëfvement comme ce petit ruisseau. » Un autre voyant les arbres fleurys, souspiroit : « Pourquoy suis-je seul defleury au jardin de l'Eglise?» Un autre, voyant des petits poussins ramassez sous leur mere: «< O Seigneur, dit-il, conservez-nous sous l'ombre de vos aisles. » L'autre voyant le tourne-soleil, dit : « Quand sera-ce, mon Dieu, que mon ame suivra les attraicts de vostre bonté? » Et voyant des pensées de jardin, belles à la vuë, mais sans odeur « Hé, dit-il, telles sont mes cogitations, belles à dire, mais sans effect ny production. »>

Voyla, ma Philotée, comme l'on tire les bonnes pensées et sainctes aspirations de ce qui se presente en la varieté de ceste vie mortelle. Mal-heureux sont ceux qui destournent les creatures de leur Createur pour les contourner au peché; bien-heureux sont ceux qui contournent les creatures à la gloire de leur Createur, et employent leur vanité à l'honneur de la verité. « Certes, dit sainct Gregoire Nazianzene, j'ay accoustumé de rapporter toutes choses à mon profict spirituel. » Lisez le devot epitaphe que sainct Hierosme a fait de sa saincte Paule: car c'est belle chose à voir comme il est tout parsemé des aspirations et conceptions sacrées qu'elle faysoit à toutes sortes de rencontres.

Or, en cest exercice de la retraitte spirituelle et des oraysons jaculatoires, gist la grande œuvre de la devotion: il peut suppleer au deffaut de toutes les autres oraysons; mais le manquement d'iceluy ne peut presque point estre reparé par aucun autre moyen. Sans iceluy on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et ne sçauroit-on que mal faire la vie active; sans iceluy, le repos n'est qu'oysiveté, et le travail qu'embarrassement : c'est pourquoy je vous conjure de l'embrasser de tout vostre cœur, sans jamais vous en departir.

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CHAPITRE XIV.

De la tres-saincte messe, et comme il la faut ouyr.

ne vous ay encore point parlé du soleil des exercices spirituels, qui est le tres-sainct, sacré, et tres-souverain sacrifice et sacrement de la Messe, centre de la religion chrestienne, cœur de la

devotion, ame de la pieté, mystere ineffable, qui comprend l'abysme de la charité divine, et par lequel Dieu, s'appliquant reellement à nous, nous communíque magnifiquement ses graces el faveurs.

2o L'orayson faite en l'unyon de ce divin sacrifice a une force indicible, de sorte, Philotée, que par iceluy l'ame abonde en celestes faveurs, comme appuyée sur son bien-aymé, qui la rend si pleyne d'odeurs et suavitez spirituelles, qu'elle ressemble à une colomne de fumée de bois aromatique, de la myrrhe, de l'encens et de toutes les poudres du parfumeur, comme il est dit és Cantiques.

3o Faites doncques toutes sortes d'efforts pour assister tous les jours à la saincte messe, afin d'offrir avec le prestre le sacrifice de vostre Redempteur à Dieu son Pere, pour vous et pour toute l'Eglise tousjours les anges en grand nombre s'y treuvent presens, comme dit sainct Jean Chrysostome, pour honnorer ce sainct ministere; et nous y treuvant avec eux, et avec une mesme intention, nous ne pouvons que recevoir beaucoup d'influences propices par une telle societé; les chœurs de l'Eglise triomphante, et de l'Eglise militante se viennent attacher et joindre à Nostre Seigneur en ceste divine action, pour avec luy, en luy, et par luy, ravir le cœur de Dieu le Pere, et rendre sa misericorde toute nostre. Quel bonheur à une ame, de contribuer devotement ses affections pour un bien si precieux et desirable!

4o Si, par quelque force forcée, vous ne pouvez pas vous rendre presente à la celebration de ce souverain sacrifice d'une presence reelle, au moins faut-il que vous y portiez vostre cœur pour y assister d'une presence spirituelle. A quelque heure doncques du matin, allez en esprit, si vous ne pouvez autrement, en l'eglise; unissez vostre intention à celle de tous les chrestiens, et faites les mesmes actions interieures au lieu où vous estes, que vous feriez si vous estiez reellement presente à l'office de la saincte messe en quelque eglise.

5o Or pour ouyr, ou reellement, ou mentalement la saincte messe, comme il est convenable: 1° dés le commencement, jusques à ce le prestre se soit mis à l'autel, faites avec luy la preparation, laquelle consiste à se mettre en la presence de Dieu, recognoistre vostre indignité, et demander pardon de vos fautes; 2° depuis que le prestre est à l'autel jusques à l'Evangile, considerez la venue et la vie de Nostre Seigneur en ce monde, par une simple et generale consideration; 3° depuis l'Evangile jusques apres le Credo, considerez la predication de nostre Sauveur, protestez de vouloir vivre et mourir en la foy et obeyssance de sa saincte parolle et en l'unyon de la saincte Eglise catholique, 4° depuis le Credo jusques au Pater noster, appliquez vostre cœur aux mysteres de la mort et passion de nostre Redempteur, qui sont actuellement et essentiellement representez en ce sainct sacrifice, lequel, avec le prestre et avec le reste du peuple, vous offrirez à Dieu le Pere, pour son honneur et pour vostre salut; 5o depuis le Pater noster jusques à la communion, efforcez-vous de faire mille desirs de vostre cœur, souhaictant ardemment d'estre à jamais joincte et unie à nostre Sauveur par amour eternel; 6o depuis la communion jusques à la fin, remerciez sa di

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