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A LA VIE DEVOTE.

AU LECTEUR.

MON cher lecteur, ceste seconde edition te represente ce livret reveu, corrigé et augmenté de plusieurs chapitres et choses notables. Je ne l'ay point vouleu enrichir d'aucunes citations, comme quelques-uns desiroient, parce que les doctes n'ont pas besoin de cela, et les autres ne s'en soucient pas. Quand j'use des parolles de l'Escriture saincte, ce n'est pas tousjours pour les expliquer, mais pour m'expliquer par icelles, comme plus venerables et aggreables aux bonnes ames. Je te dy le reste en la Preface. Nostre Seigneur soit avec toy.

ORAYSON DEDICATOIRE.

O DOUX Jesus! mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voicy prosterné devant vostre Majesté, voüant et consacrant cest escrit à vostre gloire. Animez les parolles qui y sont de vostre benediction, à ce que les ames pour lesquelles je l'ay fait en puissent recevoir les inspirations sacrées que je leur desire, et particulierement celle d'implorer sur moy vostre immense misericorde, afin que, monstrant aux autres le chemin de la devotion en ce monde, je ne sois pas respreuvé et confondu eternellement en l'autre, ains qu'avec eux je chante à jamais pour cantique de triomphe le de tout mon cœur je prononce en tesmoignage de fidellité parmy les hazards de ceste vie mortelle: Vive Jesus! Vive Jesus! Ouy, Seigneur Jesus, vivez et regnez en nos cœurs és siecles des siecles. Amen.

mot

que

Mon cher lecteur, je te prie de lire ceste Preface pour ta satisfaction et la mienne.

La boucquetiere Glycera sçavoit si proprement diversifier la disposition et le meslange des fleurs, qu'avec les mesmes fleurs, elle faysoit une grande varieté de boucquets, de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à l'envy ceste diversité d'ouvrages; car il ne sçeut changer sa peinture en tant de façons comme Glycera faysoit ses boucquets : ainsi le Sainct-Esprit dispose et arrange avec tant de varieté les enseignemens de devotion qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine estant tousjours une mesme, les discours neantmoins qui s'en font, sont bien differens, selon les diverses façons desquelles ils sont composez. Je ne puis certes, ny veux, ny dois escrire en ceste INTRODUCTION, que ce qui a desjà esté publié par nos predecesseurs sur ce subjet; ce sont les mesmes fleurs que je te presente, mon lecteur; mais le boucquet que j'en ay fait, sera differend des leurs, à rayson de la diversité de l'agencement dont il est façonné.

Ceux qui ont traitté de la devotion, ont presque tous regardé l'instruction des personnes fort retirées du commerce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de devotion qui conduict à ceste entiere retraitte. Mon intention est d'instruire ceux qui vivent és villes, és mesnages, à la cour, et qui, par leur condition, sont obligez de faire une vie commune, quant à l'exterieur, lesquels bien souvent, sous le pretexte d'une pretenduë impossibilité, ne veulent seulement pas penser à l'entreprinse de la vie devote, leur estant advis, que comme aucun animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommée Palma Christi, ainsi nul homme ne doit pretendre à la palme de pieté chrestienne, tandis qu'il vit emmy la presse des affaires temporelles. Et je leur monstre, que comme les meres-perles vivent emmy la mer, sans prendre aucune goutte d'eau marine, et que vers les isles Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les pyraustes volent dedans les flammes sans brusler leurs ailes : ainsi peut une ame vigoureuse et constante vivre au monde, sans recevoir aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce pieté au milieu des ondes ameres de ce siecle, et voler entre les flammes des convoitises terrestres, sans brusler les aisles des sacrez desirs de la vie devote. Il est vray que cela est mal-aysé, et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soing, avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusques à present, comme, tout foible que je suis, je m'essaye par cest escrit de contribuer quelques secours à ceux qui, d'un cœur genereux, feront ceste digne entreprinse.

Mais ce n'a toutesfois pas esté par mon eslection, ou inclination que ceste INTRODUCTION sort en public. Une ame vrayement pleyne d'honneur et de vertu, ayant, il y a quelque tems, receu de Dieu la grace de vouloir aspirer à la vie devote, desira ma particuliere assistance pour ce regard; et moy, qui luy avois plusieurs sortes de devoirs, et qui avois longtems remarqué en elle beaucoup de disposition pour ce dessein, je me rendis fort soigneux de la bien instruire; et l'ayant conduicte par tous les exercices convenables à son desir et sa condition, je luy en laissay des memoires par escrit, afin qu'elle y eut recours à son besoin. Elle depuis les communiqua a un grand docte, et devot religieux, lequel, estimant que plusieurs en

pourroient tirer du profict, m'exhorta fort de les faire publier ce qui luy fut aysé de me persuader, parce que son amitié avoit beaucoup de pouvoir sur ma volonté, et son jugement une grande authorité sur le mien.

Or, afin que le tout fust plus utile et aggreable, je l'ay reveu, et y ay mis quelque sorte d'entresuitte, adjoustant plusieurs advis et enseignemens propres à mon intention; mais tout cela, je l'ay fait sans nulle sorte presque de loysir. C'est pourquoy tu ne verras rien icy d'exact: ains seulement un amas d'advertissemens de bonne foy, que j'explique par des parolles claires et intelligibles au moins ay-je desiré de le faire. Et quant au reste des ornemens du langage, je n'y ay pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses à faire.

J'addresse mes parolles à Philotée, parce que, voulant reduire à l'utilité commune de plusieurs ames ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun à toutes celles qui veulent estre devotes : car Philotée veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu.

Regardant donc en tout cecy une ame qui, par le desir de la devotion, aspire à l'amour de Dieu, j'ay fait ceste INTRODUCTION de cinq parties: en la premiere desquelles je m'essaye par quelques remonstrances et exercices de convertir le simple desir de Philotée en une entiere resolution, qu'elle fait à la parfin, apres sa confession generale, par une solide protestation, suivie de la tres-saincte communion, en laquelle se donnant à son Sauveur, et le recevant, elle entre heureusement en son sainct amour. Cela fait, pour la conduire plus advant, je luy monstre deux grands moyens de s'unyr de plus en plus à sa divine Majesté l'usage des sacremens, par lesquels ce bon Dieu vient à nous, et la saincte orayson, par laquelle il nous tire à soy. Et en cecy j'employe la seconde partie. En la troisiesme je luy fay voir comme elle se doit exercer en plusieurs vertus plus propres à son advancement, ne m'amusant pas sinon à certains advis particuliers, qu'elle n'eust pas sceu aysement prendre ailleurs, ny d'elle-mesme. En la quatriesme, je luy fait descouvrir quelques embusches de ses ennemys, et luy monstre comme elle s'en doit demesler et passer oultre. Et finalement en la cinquiesme partie, je la fay un peu retirer à part soy, pour se rafraischir, prendre haleyne, et reparer ses forces, afin qu'elle puisse par apres plus heureusement gaigner pays, et s'advancer en la vie devote.

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Cest aage est fort bigearre, et je prevoy bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux et gens de devotion, de faire des conduittes si particulieres à la pieté, qu'elles requierent plus de loysir que n'en peut avoir un evesque chargé d'un diocese si pesant comme est le mien, que cela distraict trop l'entendement qui doit estre employé à choses importantes.

Mais moy, mon cher lecteur, je te dy avec le grand sainct Denys, qu'il appartient principalement aux evesques de perfectionner les ames d'autant que leur ordre est le supresme entre les hommes, comme celuy des seraphins entre les anges; si que leur loysir ne peut estre mieux destiné qu'à cela. Les anciens evesques et Peres de l'Eglise, estoient pour le moins autant affectionnez à leurs charges que nous, et ne laissoient pourtant pas d'avoir soing de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroient à leur assistance, comme il appert par leurs Epistres, imitant en cela les Apostres, qui emmy la moisson generale de l'univers, recueilloient neantmoins cer tains espys plus remarquables, avec une speciale et particuliere affection. Qui ne sçayt que Thimotée, Tite, Philemon, Onesime, saincte Thecle, Appia, estoient les chers enfans du grand sainct Paul, comme sainct Marc, et saincte Petronille, de sainct Pierre? Saincte Pétronille, dy-je, laquelle,

comme preuvent doctement Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de sainct Pierre. Et sainct Jean n'escrit-il pas une de ses Epistres canoniques à la devote dame Electa?

C'est une peyne, je le confesse, de conduire les ames en particulier, mais une peyne qui souslage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que d'estre fort embesognez et chargez. C'est un travail qui delasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinnamome, ceux qui le portent parmy l'Arabie Heureuse. On dit que la tigresse ayant retrouvé l'un de ses petits, que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littée, elle s'en charge, pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus legere à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tasniere, l'amour naturel l'allegeant par ce fardeau. Combien plus un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge une ame qu'il aura rencontrée au desir de la saincte perfection, la portant en son sein, comme une mere fait son petit enfant sans se ressentir de ce faix bien-aymé. Mais il faut sans doubte que ce soit un cœur paternel: et c'est pourquoy les apostres et hommes apostoliques appellent leurs disciples, non-seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.

Au demeurant, mon cher lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir; et c'est encore ceste affection qui me donne courage à t'en instruire. Car, comme disoit un grand homme de lettres, la bonne façon d'apprendre, c'est d'estudier; la meilleure, c'est d'escouter, et la tres-bonne, c'est d'enseigner. Il advient souvent, dit sainct Augustin, escrivant à sa devote Florentine, « que >> l'office de distribuer, sert de merite pour recevoir, et l'office d'enseigner, » de fondement pour apprendre. >>

Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui luy estoit si chere, par la main de l'unique Apelles. Apelles, forcé de considerer longuement Compaspé, à mesure qu'il en exprimoit les traicts sur le tableau, en imprima l'amour en son cœur, et en devint tellement passionné, qu'Alexandre l'ayant recogneu, et en ayant pityé, la luy donna en mariage, se privant pour l'amour de luy de la plus chere am ye qu'il eust au monde. En quoy, dit Pline, il monstra la grandeur de son cœur, autant qu'il eust fait par une bien grande victoire. Or, il m'est advis, mon lecteur, mon amy, qu'estant evesque, Dieu veut que je peigne sur les cœurs des personnes, non-seulement les vertus communes, mais encore sa tres-chere et bien-aymée devotion, et moy, je l'entreprens volontiers, tant pour obeyr et faire mon devoir, que pour l'esperance que j'ay qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien à l'adventure en deviendra sainctement amoureux. Or, si jamais sa divine Majesté m'en void vivement espris, elle me la donnera en maryage eternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinée pour estre son espouse, recevant de sa part des pendans d'aureilles et des bracelets d'or; ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu, que conduisant ses cheres brebis aux eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse, mettant en mes aureilles les parolles dorées de son sainct amour, et en mes bras la force de les bien exercer, en quoy gist l'essence de la vraye devotion, que je supplie sa Majesté me vouloir octroyer, et à tous les enfans de son Eglise; Eglise à laquelle je veux à jamais sousmettre mes escrits, mes actions, mes parolles, mes volontez, et mes pensées.

Annessy, ce jour de saincte Magdelene, 1608.

PREMIERE PARTIE.

ADVIS ET EXERCICES REQUIS POUR CONDUIRE L'AME DÉS SON PREMIER DESIR DE LA VIE DEVOTE,

JUSQUES A SON ENTIERE RESOLUTION DE L'EMBRASSER.

CHAPITRE PREMIER.

Description de la vraye devotion.

TOUS aspirez à la devotion, tres-chere Philotée, parce qu'estant chrestienne, vous sçavez que c'est une vertu extresmement agreable à la divine Majesté. Mais d'autant que les petites fautes que 'on commet au commencement de quelque affaire, s'aggrandissent nfinyment au progrez, et sont presque irreparables à la fin, il faut ivant toutes choses que vous sçachiez que c'est, que la vertu de devotion car d'autant qu'il y en a une vraye, et qu'il y en a grande quantité de fausses et vaines, si vous ne cognoissez quelle est la vraye, vous pourriez vous tromper, et vous amuser à suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse.

Arelius peignoit toutes les faces des imaiges qu'il faysoit, à l'air et ressemblance des femmes qu'il aymoit: et chascun peinct la devotion selon sa passion et phantaysie. Celuy qui est adonné au jeusne, se tiendra pour bien devot, pourveu qu'il jeusne, quoyque son cœur soit pleyn de rancune; et n'osant point tremper sa langue dedans le vin, ny mesme dans l'eau par sobriété, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain, par la medisance et calomnie. Un autre s'estimera devot, parce qu'il dit une grande quantité d'oraysons tous les jours, quoyqu'après cela sa langue se fonde en toutes parolles fascheuses, arrogantes et injurieuses parmy ses domestiques et voisins. L'autre tire fort volontiers l'aumosne de sa bourse, pour la donner aux pauvres; mais il ne peut tirer la douceur de son cœur, pour pardonner à ses ennemys: l'autre pardonnera à ses ennemys; mais de tenir rayson à ses creanciers, jamais qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là sont vulgairement tenus pour devots, et ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchoient David en sa mayson; Michol, ayant mis une statue dedans un lict, et l'ayant couverte des habillemens de David, leur fit accroire que c'estoit David mesme qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes qui se couvrent de certaines actions exterieures appartenantes à la saincte devotion; et le monde croit que ce soyent gens vrayement devots et spirituels; mais en verité ce ne sont que des statues et phantosmes de devotion.

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