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parle point que comme de chose toute vulgaire et accoustumée ? Là où je ne me puis tenir de remarquer l'imposture du traitteur, lequel citant ce passage de sainct Athanase, luy fait dire en cesté sorte Les chrestiens monstroient qu'ils n'adoroient pas la croix quand ils des-assembloient ordinairement les deux principales ⚫ pieces d'icelle, recognoissant que ce n'estoit que bois; car au contraire sainct Athanase dit expressement que tous les fidelles adoroient la croix, mais non pas le bois. Certes, ces reformateurs en font accroire de belles!

Et de vray, au moins ce traitteur devoit considerer que si Constantin dressa son labare en forme de croix, pour la vision qu'il avoit euë d'une croix, à la façon de laquelle il fit dresser les autres (comme le traitteur mesme confesse que cela s'est peu faire), ce ne sera pas Constantin qui aura fait la croix le premier, en matiere subsistante; mais plutost Dieu qui luy en fit le premier patron, sur lequel les autres furent dressées.

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Que si au contraire ce ne fut point par advertissement de Dieu, ny pour aucune vision que Constantin fit dresser son labare, et plusieurs autres croix, mais plutost par rayson d'estat (qui est l'opinion laquelle aggrée plus au traitteur); à sçavoir, « Que d'au» tant (ce sont ses parolles) qu'il avoit fraischement esté eslevé à » la dignité imperiale, par la volonté des gens de guerre, qui l'a» voient preferé aux descendans de Diocletien, il advisa que le » moyen de se maintenir en ceste dignité, contre ses competiteurs » et debatteurs, seroit de se faire amy des chrestiens que Diocletien » avoit persecutez à oultrance. Et à ceste occasion il fit eriger des » croix, avant mesme qu'il fust chrestien. Je prendray le traitteur au mot en ceste sorte :

Constantin, pour se rendre amy des chrestiens, fit dresser plusieurs croix : donc les chrestiens de ce tems-là aymoient que l'on dressast des croix. Et qui les avoit gardez d'en dresser jusques à ceste heure-là, au moins dedans leurs maysons et oratoires? et comme pouvoit sçavoir Constantin que la maniere de flatter les chrestiens estoit de dresser des croix, s'il n'eust cogneu qu'ils en avoient dressé auparavant, et les honnoroient?

Pour vray, les reformateurs n'eussent pas esté amys de ces anciens fidelles, ny leur doctrine jugée chrestienne, puisqu'ils abattent leurs croix, et taschent de persuader que « C'est une corruption d'en >> avoir introduict l'usage, et que c'est encore plus mal fait de le >> retenir. Ce sont les parolles mesmes du traitteur.

Et s'il est vray, comme sans doubte il est, ce qu'il dit ailleurs, rapporté de sainct Gregoire Nazianzene, Que la verité n'est point » verité, si elle ne l'est du tout, et qu'une pierre precieuse perd » son prix à cause d'une seule tare, ou d'une seule paille; la doctrine chrestienne n'aura plus esté pure du tems de Constantin, selon l'opinion de cest homme, puisque les chrestiens desiroient et se playsoient que l'on portast des croix, qui est une corruption, levain et doctrine erronée à son dire.

Ce n'est pas peu, à mon advis, d'avoir gaigné ceste confession sur les ennemys des croix, que les chrestiens, il y a treize cens ans, aymoient et desiroient que l'on dressast des croix et ne sçay

comme on pourra appoincter ce traitteur avec Calvin et les autres novateurs; car luy dit, d'un costé, que du tems de Constantin il y avoit corruption en l'Eglise, et Calvin avec les autres tiennent que l'Eglise a esté pure jusques presque au tems de Gregoire le Grand. Car Calvin, parlant de sainct Irenée, Tertullien, Origene, et sainct Augustin, dit : « Que c'estoit une chose notoire et sans doubte, que ⚫ depuis l'aage des Apostres jusques à leur tems, il ne s'estoit fait » aucun changement de la doctrine, ny à Rome, ny aux autres villes. » Et le traitteur mesme (ne sçachant bonnement ce qu'il fait) parlant du tems de sainct Gregoire, et reprenant la simplícité des chrestiens d'alors, il dit, « Que leurs yeux commençoient fort » à se ternir, et à ne voir plus gueres clair au servir de Dieu.»

Voyez-vous comme il rapporte le commencement de leur pretendue corruption de la doctrine chrestienne au tems de sainct Gregoire et neantmoins, quant à la croix, il l'a rapportée aux chrestiens qui vivoient du tems de Constantín le Grand, lesquels il fait (et c'est la verité) grands amateurs de l'erection des croix, que puis apres il appelle corruption. Enfin, à ce que je voy, ils confesseront tantost que c'est du tems des Apostres que nostre Eglise a commencé.

J'ay donc preuvé non-seulement que ce traitteur est ignorant d'avoir dit que Constantin estoit le premier qui avoit dressé des croix en matiere subsistante, mais encore que l'erection des croix a esté prattiquée par les plus anciens chrestiens; car nous n'avons gueres de plus anciens autheurs que Justin et Tertullien.

Encore diray-je que de la memoire de nos Peres, environ l'an mil cinq cent quarante-six l'on treuva pres de Meliapor, en une petite colline, sur laquelle on dit que les barbares tuerent sainct Thomas l'apostre, une croix tres-ancienne, incisée sur une pierre carrée arrousée de gouttes de sang, sur le sommet de laquelle il y avoit une colombe. Elle estoit enfermée dedans un cercueil de pierre, sur lequel il y avoit certaine ancienne escriture gravée, laquelle, au rapport des plus experts brachmanes, continuoit le martyre du sainct apostre; et entre autres qu'il mourut baysant ceste croix-là, ce que mesme les gouttes de sang tesmoignent.

Ceste croix ayant esté mise dans une chapelle que les Portugais edifierent en ce mesme lieu, toutes les années, environ la feste de sainct Thomas, ainsi que l'on commence à lire l'Evangile de la saincte messe, elle commence à suer le sang à grosses gouttes, et change de couleur, paslissant, puis noircissant, et apres se rendant bleue celeste, et tres-aggreable à voir, revient enfin à sa naturelle couleur, à mésme que l'on a achevé le sainct office. Que s'il est arrivé en quelques années que ce miracle ne se soit point fait, les habitans de ces contrées, enseignez par l'experience, se tiennent pour menacez de quelque grand inconvenient.

Cecy est une chose toute cogneuë, et qui se fait à la vue de tout le peuple, dont l'evesque de Cecine en envoya une ample et authentique attestation, avec le pourtraict de ceste croix-là, au commencement du sainct Concile de Trente: qui est une marque bien expresse que les Apostres mesmes ont eu en honneur la saincte croix. Et comme l'Apostre qui planta la foy parmy ces peuples y

porta quant et quant l'usage de la croix; ainsi Dieu, voulant en ce derniers tems y replanter encore la mesme foy, leur a voulu recommander l'honneur de la croix, par un signalé miracle, tel que nous avons recité.

Aussi les habitans de Socotore, isle de la mer Erythrée, qui ont esté et sont chrestiens dés le tems que sainct Thomas y prescha, entre les autres ceremonies catholiques, ils ont celle-cy, de porter ordinairement une croix pendue au col, et luy porter grand hor neur. Or, ce que je vay dire preuvera encore fort vivement ce que j'ay desjà dit cy-devant.

CHAPITRE III.

De l'antiquité des imaiges du Crucifix.

E traitteur, qui confesse le moins qu'il peut de ce qui establit la coustume ecclesiastique, apres avoir nyé qu'avant le tems de Constantin il y eust des croix parmy les chrestiens, en un autre endroict dit qu'au commencement et mesme du tems de Theodose: La croix n'estant sinon deux bois traversant l'un l'autre, et ny » avoit point de Crucifix, et moins encore de Vierge Marie, comme » depuis en quelques croix l'imaige du Crucifix est d'un costé, et » celle de sa Mere de l'autre. »

Je ne sçay qui peut esmouvoir cest homme à faire ceste observation; car, quel inconvenient que l'on ayt fait des croix simples, plutost que des imaiges du Crucifix, puisqu'aussi bien c'est chose toute certaine qu'on ne dresse pas des croix, sinon pour representer le Crucifix? mais avec cela ceste observation est du tout fausse, et digne d'un homme qui mesprise l'antiquité.

Sainct Athanase, qui vivoit du tems de Constantin, escrit une histoire remarquable de la malice enragée d'aucuns Juifs de la ville de Berite, lesquels crucifierent une imaige tres-ancienne de JesusChrist, qu'ils avoient treuvée parmy eux en ceste sorte. Un chrestien s'estoit logé en une mayson de loüage, pres la synagogue des Juifs, et avoit attaché à la muraille vis-à-vis de son lict une imaige de Nostre Seigneur, laquelle contenoit en proportion la stature mesme d'iceluy; apres quelque tems il desloge de là, et prend mayson ailleurs, là où portant tous ses meubles, il oublya de prendre l'imaige, non sans une secrette disposition de la Providence divine.

Du depuis un Juif print logis là-dedans, et sans avoir prins garde à ceste imaige, ayant invité un autre Juif à manger, il en fut extresmement tancé, et quoy qu'il s'excusast de ne l'avoir pas veuë, il fut accusé et déferé comme mauvais juif, ayant une ímaige de Jesus de Nazareth dont les principaux des Juifs entrant dans la mayson où estoit l'imaige, l'arracherent et la mirent en terre; puis exercerent sur elle toutes les semblables actions qui furent exercées sur Jesus-Christ quand on le crucifia, jusques à luy bailler un coup de lance sur l'endroict du flanc. Chose admirable! à ce coup, le sang et l'eau commencerent à sortir et couler en tres-grande abondance; si que les Juifs en ayant porté une cruche pleyne en

leur synagogue, tous les malades qui en furent arrousez ou mouillez furent tout soudainement gueris.

Voylà le recit qu'en fait sainct Athanase, par lequel l'on peut cognoistre que ceste imaige-là estoit l'imaige du Crucifix, tant parce qu'il eust esté mal-aysé au Juif qui accusa celuy qui l'avoit en sa mayson de recognoistre si soudainement que c'estoit l'imaige de Jesus-Christ, si ce n'eust esté qu'il estoit peinct et crucifié: qu'aussi parce que les Juifs n'eussent sceu representer la crucifixion de Nostre Seigneur, tant par le menu comme ils firent, sinon sur l'imaige d'un Crucifix.

Or, ceste imaige, comme il apparut par la relation qu'en fit le chrestien, à qui elle estoit, en presence de l'evesque du lieu, avoit esté faite de la main propre de Nicodeme, qui la laissa à Gamaliel, Gamaliel à sainct Jacques, sainct Jacques à sainct Simeon, sainct Simeon à Zachée; et ainsi de main en main elle demeura en Hiesusalem, jusques au tems de la destruction de ladite ville, qu'elle fut transportée au royaume d'Agrippa, où se retirerent les chrestiens de Hierusalem, parce qu'Agrippa estoit sous la protection des Romains. Ce n'est donc pas ce que le traitteur disoit, que les images de la croix furent seulement faites du tems de Constantin, et qu'encore de ce tems-là et longtems apres, on n'y adjoustoit point de Crucifix; car je ne voy pas qu'il puisse rien opposer à ceste authorité pour garantir la negative de fausseté et temerité.

Dedans la liturgie de sainct Chrysostome, selon la version d'Erasme, le prestre est commandé, se retournant vers l'imaige de Jesus-Christ, de faire la reverence: ce que, non sans cause, les plus judicieux rapportent à l'imaige du Crucifix; car, quelle representation de Jesus-Christ peut-on mettre plus à propos dedans l'eglise, et mesme vers l'autel, que celle du Crucifix?

Qui verra de bon œil le carme' que Lactance a fait de la Passion de Nostre Seigneur, cognoistra qu'il a esté desseigné sur la rencontre que l'on fait de l'imaige du Crucifix, qui est ordinairement au milieu de l'eglise, en laquelle il fait parler Nostre Seigneur par un style poëtique, à ceux qui entrent dedans l'eglise.

Sainct Jean Damascene, qui vivoit passé huict cens ans, parlant de l'image du Crucifix, il en tient compte comme d'une tradition ancienne et legitime. Parce, dit-il, que chascun ne cognoist » pas les lettres, ny ne s'addonne à la lecture, nos peres ont advisé » ensemble que ces choses, c'est-à-dire les mysteres de nostre foy, » nous fussent representez comme certains trophées és imaiges, » pour souslager et ayder nostre memoire; car bien souvent ne tenant par negligence la Passion de Jesus-Christ en nostre pen»sée, et voyant l'imaige de la crucifixion de Nostre Seigneur, nous » nous remettons en memoire la Passion du Sauveur, et nous pros» ternant, nous adorons' non la matiere, mais celuy qui est repre» senté pár l'imaige. »

C'est le dire de ce grand personnage, lequel un peu apres poursuit en ceste sorte: « Or cecy est une tradition non escrite, ne plus »> ne moins que celle de l'adoration vers le levant, à sçavoir, d'a

• Carmen, poëme.

» dorer la croix, et plusieurs autres choses semblables à celles qui » ont esté dites. L'imaige donc du Crucifix estoit desjà dés ce tems-là.receuë comme authorisée d'une forte ancienne coustume. D'où vient donc ceste opinion au traitteur de dire qu'anciennement l'on ne joignoit pas le Crucifix à la croix? Et, quel interest a-t-il en cela, sinon d'assouvir l'envie qu'il a de contredire à l'Eglise catholique? L'imaige du Crucifix est autant recevable que celle de la croix. Quand le grand Albuquerque faysoit fortifier Goa, ville principale des Indes Orientales, comme l'on abattoit certaines maysons, on rencontra dedans une muraille une imaige du Crucifix en bronze, par laquelle on eut tout à coup cognoissance que la religion chrestienne avoit jadis esté en ces lieux-là, quoy qu'il n'y en eust plus de memoire, et que ces chrestiens anciens avoient en usage l'imaige du Crucifix. Et ne fut pas une petite consolation à ce grand capitaine et à ses gens, de voir ceste marque de Christianisme en un lieu qui de tems immemorable avoit esté privé de l'Evangile.

Quant à la reprehension de ce qu'on met en quelques croix l'imaige du Crucifix d'un costé et celle de sa Mere de l'autre, j'ay eu peyne d'entendre ce qu'il vouloit dire enfin, c'est de deux choses l'une. Ou bien il reprend les croix esquelles nous mettons deçà et delà du Crucifix les imaiges de Nostre-Dame et de sainct Jean l'Evangeliste. Mais en cecy la censeure seroit tres-injuste; car comme il est loysible et convenable que nous ayons l'image du Crucifix, selon la coustume mesme des plus anciens chrestiens, il est loysible aussi d'avoir des imaiges de Nostre-Dame et des apostres dequoy sainct Luc sera nostre garant, qui, le premier, au recit de Nicephore Calixte, fit l'imaige du Sauveur, de sa Mere, de sainct Pierre et de sainct Paul. Que s'il est ainsi, où peut-on mieux mettre les imaiges de Nostre-Dame, et de sainct Jean, qu'apres de la remembrance du Crucifix? quand ce ne seroit que pour representer tant mieux l'histoire de la Passion, en laquelle l'on sçayt que Nostre Seigneur (Joan. 19) vid ces deux singulieres personnes pres de sa croix, et recommanda l'un à l'autre.

:

Ou bien il parle de quelques croix où peut-estre il aura veu au dos du crucifix quelque imaige de Nostre-Dame, et lors il aura grand tort de vouloir tirer en consequence contre nous la diversité des volontez des graveurs et peintres, ou de ceux qui font faire les croix; car à la verité ceste façon de crucifix n'est guere usitée en l'Eglise si ne veux-je pas dire pourtant qu'il y ayt aucun mal en cela. On mettoit bien anciennement des colombes sur la croix et autour d'icelle, pourquoy n'y peut-on bien mettre une image de la Vierge ou de quelqu'autre sainct? J'en ay veu là où au dos de la croix il y avoit des agneaux, pour representer Nostre Seigneur, qui a esté mis sur la croix comme un innocent agnelet, ainsi qu'il est dit en Isaye (Is. 53). D'autres, où il y avoit d'autres imaiges, nonseulement de la Vierge, ains encore de sainct Jean, sainct Pierre et autres. En ce cas la croix ne sert pas de croix de ce costé-là (elle en a servy du costé du Crucifix); elle sera comme de tableau. Aussi ne peint-on pas Nostre-Dame en crucifix, ny aucun autre sainct avec Nostre Seigneur.

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