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eut communication des feuilles qu'on avoit distribuées, et ce fort aysement; car tout avoit esté fait aux portes de la ville de Geneve, c'est-à-dire une petite lieuë pres d'icelle. C'est cela qui l'eschauffa à faire ce beau traitté, voyant que non-seulement les parolles et les escrits, mais aussi ces grands exemples de pieté dissipoient les nuages et brouillards que ceux de son party avoient opposez à la blanche clarté de la Croix, pour en empescher la vraye vuë; et a pensé pouvoir encore troubler l'air, et offusquer les yeux des simples gens par son traitté. Mais au contraire, estant des plus anciens confreres de la saincte Croix, et m'estant treuvé en toutes ces actions de pieté, je me sens obligé d'en soustenir la justice en bon droict.

Cependant c'est une imposture, ce que dit le traitteur, sçavoir que l'honneur et reverence de la Croix (qu'il nomme faussement idolastrie) a esté abattue au lieu où ces Quarante heures furent célébrées et ces placards divulguez; car l'exercice catholique y a tousjours esté maintenu, à la barbe de l'heresie, avec un aussi grand miracle, comme est celuy par lequel Dieu contient le vaste et fluide element de l'eau dedans les bornes et limites qu'il luy a assignées, qui ne se peuvent oultre-passer; car ainsi a-t-il borné la maladie chancreuse de l'heresie en certain coing de ce diocese, en sorte qu'elle n'a per ronger sur une autre partie de ce corps. Dequoy tous tant que nous sommes des membres d'iceluy, devons rendre graces immortelles à la Bonté celeste, sans laquelle nous pouvons bien dire que ceste eau maligne nous eust abysmez,

J'ay encore à vous dire, pour la quatriesme chose, que ne sçachant qui est l'autheur du traitté auquel je fais response, et m'estant forcé de l'alleguer souvent, j'ay prins congé de me servir du nom de traitteur, lequel je n'emploie qu'à faute d'autre plus court; et cependant je n'ay voulu user d'aucunes injures, ny invectives mordantes, comme il a fait ma nature n'est point portée à ce biais; mais aussi n'ay-je pas voulu tant affecter la douceur et modestie, que je n'aye laissé lieu à la juste liberté et naïfveté de langage. Et si mon adversaire se fust nommé, peut-estre me fussé-je contraint à quelque peu plus de respect. Mais puisque je ne sçay, ny n'ay occasion de sçavoir que ce soit autre qu'un je ne sçay qui, je ne me sens pas obligé de le supporter aucunement en son insolence. Or je me nomme au contraire, non pour l'obliger à aucun respect (car peut-estre que le rang auquel je suis en ceste Eglise cathedrale le mettra en humeur de me traitter plus mal), mais afin que s'il est encore à Geneve, d'où son traitté est sorty, il scache où il treuvera son respondant, s'il a quelque chose à demesler avec luy touschant ce differend, l'asseurant qu'il ne me treuvera jamais que tresbien affectionné à son service, par tout où il ne sera pas mal affectionné au Crucifix et à la Croix.

Au reste, c'est à vous (Messieurs mes confreres) que j'addresse mon advertissement, non que je ne souhaicte qu'il soit leu de plusieurs autres; mais parce que vous vous estes desdiez par une particuliere devotion à l'honneur du tres-sainct Crucifix, et de sa Croix, vous estes aussi obligez de sçavoir plus particulierement rendre compte et rayson de cest honneur. Et puisque vous estes tous lyez en une saincte societé, et que les devotes actions des confreres d'Annessy ont baillé en partie subjet à l'escarmouche que je soutiens, les loix de nos allyances spirituelles requierent qu'un chascun de vous contribue à mon secours; et afin que les armes vous fussent plus à commodité, je vous en ay appresté, autant qu'il m'a esté possible, en ces quatre livres lesquelles, si elles ne sont ny dorées ny riches d'aucune

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belle graveure, je vous prieray de l'attribuer plutost à ma pauvreté, que non pas à chicheté. Et toutesfois je pense avoir fait ce que j'avois à faire, qui n'estoit autre chose que de respondre au traitteur, en ce qui touschoit la Croix. Je laisse tout le reste, comme hors de propos, et ne fais que cela.

Si treuverez-vous encore icy quelques belles pieces de poesie, és versions des vers des anciens Peres que je cite, lesquelles sont parties de la main de monsieur nostre president de Genevois, Anthoine Favre, l'une des plus riches ames, et des mieux faites, que nostre aage ayt portées, et qui, par une rare condition, sçayt extresmement bien assortir l'exquise devotion dont il est animé, avec la singuliere vigilance qu'il a aux affaires publiques. Voulant donc employer ces vers anciens, ne sçachant où rencontrer un plus chrestien et sortable traducteur pour des autheurs si saincts et graves, comme sont ceux que je produicts, je le priay de les faire françois : ce qu'il fit volontiers, et pour le service qu'il a voüé à la Croix, et pour l'amitié fraternelle que la divine Bonté, comme maistresse de la nature, a mise si vive et parfaicte entre luy et moy, nonobstant diversité de nos nayssances et vocations, et l'inesgalité en tant de dons et graces, que je n'ay ny possede en luy. Combattons, Messieurs, tous ensemble sous la tres-saincte enseigne de la Croix, non-seulement crucifiant la vanité des raysons heretiques par l'opposition de la saincte et saine doctrine, mais crucifiant encore en nous le vieil Adam, avec toutes ses concupiscences: afin que rendus conformes à l'imaige du Fils de Dieu, lorsque cest estendart de la Croix sera planté sur les murailles de la Hierusalem celeste, en signe que toutes les richesses et magnificences d'icelles seront exposées au butinement de ceux qui auront combattu, nous puissions avoir part à ces riches despoüilles que le Crucifix promet pour rescompense à la violence de ses soldats, qui est le bien de l'heureuse immortalité.

LIVRE PREMIER.

DE L'HONNEUR ET VERTU DE LA VRAYE CROIX.

LA

CHAPITRE PREMIER.

Du nom et mot de Croix.

A Croix et son nom'estoit horrible et funeste, jusqu'à ce que le Fils de Dieu, voulant mettre en honneur les peynes et travaux, et le crucifiement, sanctifia premierement le nom de croix; si qu'en l'Evangile il se treuve presque par tout en une signification honnorable et religieuse : Qui ne prend sa croix, disoit-il, et ne vient apres moy, n'est pas digne de moy (Matth. 10). Donc le mot de Croix, selon l'usage des chrestiens, signifie parfois les peynes et travaux necessaires pour obtenir le salut, comme au lieu que je viens de citer: parfois aussi il signifie une certaine sorte de supplice, duquel on chastioit jadis les plus infasmes mal-faicteurs; et autrefois l'instrument, ou gibet, sur lequel ou par lequel on exerçoit ce tourment.

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Or, je parle icy de la croix en ceste derniere façon, et non pour toute sorte d'instrument de supplice, mais pour celuy-là particulier sur lequel Nostre Seigneur endeura. Entendez donc tousjours, quand je parleray de la croix, de sa vertu, et de son honneur, qué c'est de celle de Jesus-Christ de laquelle je traitte: donc j'admire le traitteur, qui presuppose que nous separions la croix de JesusChrist d'avec Jesus-Christ mesme, sans aucune despendance d'iceluy. Si que voulant monstrer que les passages des anciens Peres, citez és placards, ne sont pas bien entendus, il parle en ceste sorte: « Quelques passages des anciens y sont alleguez: mais hors et bien »loing du sens des autheurs; car quand les anciens ont parlé de » la croix, ils ne l'ont pas entendu de deux pieces traversantes » l'une sur l'autre; mais du mystere de nostre redemption, dont le sommaire et accomplissement est en la croix, mort et passion de » Jesus-Christ. Et cest equivoque, ou double signification de croix, » n'estant apperçue par les sophistes, fait qu'ils errent et font » errer. Voylà un juge bien temeraire de nostre suffisance, qui croit qu'une distinction si aysée et frequente nous soit incogneuë. Je laisse ce qu'en disent les doctes, Bellarmin (lib. II. de Imag. cap. 24, ad 3), et Justus Lipsius, (l. 1. de Cruce). Mais le seul Calepin en fait la rayson. Or, est-il certain que deux pieces de bois, de pierre, ou de quelqu'autre matiere, traversantes l'une à l'autre, font une croix mais elles ne font pas pour cela la croix de JesusChrist, de laquelle seule, et non d'aucune autre, les chrestiens font estat.

Les Peres donc parlent bien souvent du tourment et de la crucifixion de Nostre Seigneur; mais ils parlent bien souvent aussi de la vertu et de l'honneur de la Croix, sur laquelle ceste crucifixion a esté faite. Et ne sçay si le traitteur treuvera jamais, au Nouveau Testament, que le mot de Croix soit prins immediatement et principalement pour le supplice de la crucifixion, au moins quant aux passages qu'il cite à ceste intention: Que par le sang de la croix de Christ nostre paix a esté faite (Colos. 1). Il s'entend bien plus proprement du sang respandu sur le bois de la croix, que non pas, comme dit le traitteur, de toutes les souffrances de Nostre Seigneur, desquelles une grande partie ayant esté endeurée en l'ame, elles ne peuvent estre appellées sang de la croix.

La croix donc de Jesus-Christ, de laquelle je parle, peut estre considerée en trois sortes ou en elle-mesme, qui est celle que Nostre Seigneur porta sur ses espaules, et sur laquelle il fut attaché; ou en son imaige et representation permanente; ou en un signe et ceremonie faite par le simple mouvement de la main. Et de toutes les trois façons, la croix se rapporte à Jesus-Christ, duquel elle a plusieurs grandes vertus et dignitez, ainsi que nous monstrerons distinctement cy-apres.

CHAPITRE II.

Que la Croix a une grande vertu, et doit estre honnorée, preuve premiere, par ce que le traitteur confesse estre escrite d'icelle.

E traitteur, parlant du bois de la vraye croix, dit ainsi de ceste Lacroix : « croix Nous lisons que Jesus-Christ et Simon l'ont portée sur » le mont de Calvaire, où elle fut dressée; que Jesus-Christ y fut » cloüé, et l'escriteau attaché, I. N. R. I.; que Jesus y rendit l'es» prit, y eut le costé percé, et que son corps en fut descendu : »oultre ces poincts, nous n'en lisons rien, nous ne voyons pas de » tesmoignage en la parolle de Dieu escrite par les prophètes et » apostres, ny és exemples et prattiques d'iceux, qui nous puisse » ou doivé induire à attribuer quelque vertu à un tel bois. Or, » entre les vrays chrestiens, ce qui n'est point escrit en la parolle >> de Dieu est tenu pour chose nulle, et n'estant point: nous con»clüons donc que Dieu n'a pas voulu telle vertu estre adherente au >> bois de la croix de son Fils. » C'est icy le grand, ou plutost l'unique argument de ce traitteur contre la doctrine catholique de la vertu de la croix, et n'en a aussi presque qu'un semblable contre l'honneur d'icelle. Voyons donc combien il vaut.

Et premierement, qui ne void combien la consequence est peu judicieuse? Presupposons, je vous prie, que ce qui n'est point escrit soit tenu pour chose nulle, et qu'il n'y a rien en l'Escriture, de la vraye croix, que ce qu'en rapporte le traitteur : la conclusion neantmoins seroit miserable, de dire que Dieu n'a point voulu que le bois de la croix de son Fils eust quelque vertu. Tout au contraire, il faudroit plutost inferer: Doncques Dieu a voulu qu'en ce sainct bois il y eust quelque grande vertu. La theologie ne destruict pas l'usage de la rayson, elle le presuppose; elle ne le ruyne pas, quoyqu'elle le devance; et la vraye rayson porte ce discours, si l'Escriture tesmoigne que l'attouschement et possession des serviteurs a donné pouvoir et vertu aux choses les plus viles et abjectes par là elle tesmoigne assez que l'attouschement et possession du maistre a donné un plus grand pouvoir et vertu aux choses, pour viles qu'elles soyent d'elles-mesmes. Certes, l'un se tient à l'autre, et par la vertu de la chose moindre, est assez entenduë la vertu de la chose plus grande, au moins en l'eschole des bons entendeurs.

Disons ainsi : Jesus-Christ a porté sur ses espaules la saincte croix, y a esté cloüé, y a rendu l'esprit, et respandu son sang : quelle vertu donc devons-nous estimer qu'elle ayt, puisqu'Helysée estima bien qu'au touscher de son baston un mort peust ressusciter (IV. Reg. 4), et qu'il fit avec le manteau de son maistre Hely la division miraculeuse des eaux (Ibid. 2); puisque Moyse fit tant de merveilles avec sa baguette (Exod. 4); puisque la verge assignée à Aaron fleurit tout aussi-tost, contre toutes les loyx de la sayson (Num. 17); puisque les mouchoirs de sainct Paul (Act. 19), et jusqu'à l'ombre mesme de sainct Pierre, faysoient tant de miracles (Act. 5)? Si Dieu, pour la gloire de son Fils, a tant baillé de force aux bastons, aux verges, aux manteaux, aux ombres des serviteurs, que

n'aura-t-il baillé au baston de son Fils, à son throsne, à sa chaire, à son autel?

Ainsi respond-on à la demande faite par le traitteur: « Si l'Esprit de Dieu fait mention de ce qui touschoit aux serviteurs, pour» quoy n'a-t-il parlé de ce qui a tousché le maistre? Car, oultre ce qu'il en a parlé par la Tradítion, je dy que parlant de l'un c'estoit assez parler de l'autre, par une consequence si aysée qu'il n'estoit besoin de l'exprimer. La vertu qui se treuve aux ruisseaux, pour estre sortis d'une telle source, se treuve beaucoup plus, et à plus forte rayson, en la source mesme. Dire autrement, c'est ruyner la rayson. Le serviteur n'est point plus que le Seigneur, ny le disciple que le maistre (Matth. 10). Donc ce que le traitteur confesse et recognoist estre escrit de la saincte croix suffiroit, quand nous n'aurions autre preuve, pour nous faire croire qu'elle à beaucoup de vertus, et qu'on luy doit un grand honneur.

CHAPITRE III.

Qu'il ne faudroit laisser d'honnorer la Croix et sa vertu, quoy qu'il n'y eust rien en escrit d'icelle. Preuve seconde.

VJOYLA donc la grande consequence du traiteur rompuë, et je dy secondement que la proposition generale qu'il advance: Qu'entre les bons chrestiens, ce qui n'est point escrit en la pa» rolle de Dieu, est tenu pour chose nulle, n'estant pas escrite elle-mesme, doit estre tenue pour nulle comme aussi elle est tres-fausse. Dites-moy, je vous prie, traitteur! baptizez-vous pas les enfans masles et femelles? et tenez-vous pas que les personnes baptizées par les heretiques, impies et idolastres, tels que vous nous appellez, n'ont besoin d'estre rebaptizées? Calvin, Beze, Viret, ne furent jamais baptizez par autre main que par celles des prestres, et vous me semblez, à vostre langage, non-seulement d'estre sorty d'entre nous, mais encore d'avoir esté ou prestre, ou moyne, tant vous faites profession en vostre traitté de sçavoir le Breyiaire. Vous avez donc esté baptizé, si vous estes tel, par ceux que vous appellez idolastres; comment vous tenez-vous donc pour bien baptize? car l'Escriture ne dit rien exprez, ny du baptesme passif des petits enfans en general, et beaucoup moins de femelles, ny du baptesme actif des heretiques.

L'observation du dimanche, au lieu du sabbath, la coustume d'avoir des parrains au baptesme, d'y imposer les noms, de celebrer ce sacrement, et celuy du maryage en l'eglise solemnellement, où treuvez-vous que cela soit escrit? Et vostre façon de ne faire lá cene qu'en certain tems de l'année, et le matin, de la bailler aux femmes plutost qu'aux petits enfans, ce sont façons qui ne sont ny peu ny prou ordonnées en l'Escriture. Au contraire, tous les jours on faysoit la cene parmy les disciples: elle fut instituée au soir, et entre des seuls hommes masles (Act. 2). Vous parlez donc mal, escrivant que vous rejettez toutes ceremonies avancées oultre, et sans parolle de Dieu, si vous ne confessez qu'il y a une parolle de Dieu hors de l'Escriture.

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