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DE LA

SAINCTE CROIX DE NOSTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST.

A SON ALTESSE SERENISSIME LE DUC DE SAVOYE.

MONSEIGNEUR,

On n'eut pas plustost escrit le nom sacerdotal d'Aaron sur ceste ancienne et celebre baguette reservée dans l'Arche de l'alliance, que soudain elle bourgeonna (Num. 17), et se treuva parée de ses feuilles, fleurs et fruicts, quoyqu'elle fust auparavant toute morte et seiche. La croix aussi, estoit de soy toute couverte d'ignominie, et signe infortuné de malediction; mais dés lors que Pilate, estant indubitablement tousché d'En-Haut, comme a remarqué sainct Ambroise, eut mis en icelle l'inscription sacrée : Jesus Nazarenus Rex Judæorum (Joan. 19), elle fut renduë toute saincte et venerable, par ce tiltre asseuré de son ennoblissement. Lors les noires marques de son infamie furent du tout effacées par le sang sacré de l'Agneau, auquel ayant trempé la premiere, elle en est demeurée pour jamais claire et blanche, comme sont les estoles des bien-heureux, qui n'ont tiré leur blancheur que de ce mesme vermeil. L'enfer, qui n'a pas assez de charbon ny de fumée pour la noircir, produict neantmoins parfois quelques-uns de ses barboüillez, qui, voylez du beau manteau de l'Escriture, jettent devant les yeux des simples gens certains brouillards de divers discours, pour faire paroistre au travers d'iceux ceste saincte croix aussi noire et soüillée qu'elle fut oncques. L'un d'entr'eux estimant la mettre en la nuict d'un eternel mespris, mit naguere au jour un certain petit traitté sans aucun nom d'autheur, d'imprimeur, ny du lieu d'où il sortoit. Or, entre plusieurs de la compaignie de la saincte Croix d'Annessy, qui pouvoient et estoient obligez de respondre à cest escrit, j'en prins fort librement la charge, et fus (à mon advis) advoué de sa divine Bonté; car je n'eus pas si-tost commencé à dresser cest advertissement, que pour ne me laisser escrire de sa croix en clerc-d'armes, elle me mit sur les espaules la croix d'une aspre et longue maladie, au relever de laquelle je me treuvay distraict à tant d'occupations, et l'imprimerie tant incommode, que je n'ay peu le produire jusques à ceste heure, qu'enfin il sort, et ne peut sortir sinon à l'abry de la faveur de Vostre Altesse. C'est le premier ouvrage que j'estale, il est deu au seigneur du lieu les confreries de Savoye, pour lesquelles je l'ay dressé, le recevront de meilleur cœur, quand elles verront sur son front le glorieux nom de leur protecteur. Son dessein est de combattre pour l'honneur de la Croix blanche, qui est l'enseigne que Dieu a dés il y a longtems confiée à la Serenissime Mayson de Savoye, à laquelle, si la valeur chrestienne des devanciers n'eust acquis ce bonheur, il luy seroit maintenant tres-justement deu, pour le sainct zele que Vostre Altesse a tousjours eu à la foy et à la memoire de la Croix, mais particulierement quand elle a procuré si vivement et tres-doucement le restablissement de la religion catholique en ses bailliages de Thonon et Ternier,

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se baignant dans un sainct ayse d'y voir par tout replanter les saincts estendarts de salut. Dequoy si la memoire se perdoit, la posterité seroit privée d'une des plus riches pieces des actions de nostre aage. Je sçay, Monseigneur, quelles raysons j'aurois pour n'oser pas offrir à un si grand Prince un si petit ouvrage, comme est celuy-cy; mais je n'ignore pas aussi le privilege des premices, et me promets que le bon œil que Vostre Altesse a jetté sur quelques-unes de mes autres actions ne me sera pas moins favorable en celle-cy, à laquelle je ne suis porté d'autre desir que d'estre tenu pour homme, qui est, qui doit et veut estre à jamais,

MONSEIGNEUR,

Tres-humble et tres-obeyssant serviteur et subjet de Vostre Altesse,

FRANÇOIS DE SALES.

AVANT-PROPOS.

A MM. LES CONFRERES DES COMPAIGNIES DE PENITENS DE LA STE CROIX ÉS ESTATS DE SAVOYE DEÇA LES MONTS.

PREMIERE PARTIE.

COMME Dieu tout-puissant est la premiere cause de toute perfection, auss! veut-il que toute la gloire luy en revienne. C'est le tribut qu'il demande pour tous ses bienfaicts. Les eaux qui, toutes, sortent de la mer, ne cessent de ruisseler et flotter, jusques à tant qu'elles s'aillent abysmer dans leur propre origine (Eccl. 1). L'honneur et la gloire ne logent pas parmy les creatures pour y sejourner et vivre, mais seulement par maniere de passage. Leur propre domicile, c'est la divinité, comme aussi c'est le lieu de leur naissance.

L'univers et chaque piece d'iceluy, pour petite qu'elle soit, a ce commun devoir d'honnorer son Createur: de quoy les saincts les somment et sollicitent si souvent, et si chaudement, par tant d'exhortations et cantiques, que leurs livres en sont pleyns; mais la façon de faire cest hommaige est differente. Les creatures intelligentes le font en leur propre personne : tout le reste le fait par l'entremise des intelligences, comme par leur procureur. Et de fait, puisque la creature raysonnable tire le reste de cest univers à son usage, la rayson veut qu elle l'acquitte de ce devoir qu'il a et qu'il ne peut rendre luy-mesme; à faute de quoy tout se mutinera contre les insensez (Sap. 5) au jour du jugement, parce qu'ils n'auront honnoré et glorifié sa divine Majesté.

C'est donc la seule creature intelligente qui est chargée de rendre à Dieu, et payer le devoir d'honneur qui luy est deu par toute creature. C'est ce que font eternellement les bien-heureux là-haut, jettant leurs couronnes aux pieds de celuy qui est assis au throsne, avec ceste recognoissance : O Seigneur nostre Dieu! vous estes digne de prendre la gloire, l'honneur et la vertu; car vous avez tout creé, et tout est, et a esté créé par vostre volonté!

(Apoc. 4). Autant en fait l'Eglise icy-bas, par les solemnelles conclusions de tous ses offices: Gloire soit au Pere, au Fils, et au Sainct-Esprit ; Benissons le Seigneur, rendons graces à Dieu, repetant presque tous les jours apres sainct Paul: Au Roy des siecles immortel, invisible, au seul Dieu soit honneur et gloire (1. Timot. 4).

Pour vray, ces veritez sont si evidentes et asseurées, qu'elles n'ont besoin que d'estre bien entenduës; car faudroit-il refuser de faire honneur aux peres et meres, aux roys et magistrats, pour dire que toute gloire et honneur appartient à un seul Dieu ? L'honneur de Dieu seroit deshonnoré par cest honneur, et ce respect offenseroit sa jalousie. Nous voicy en difficulté avec nos religionnaires. L'ennemy de la croix avec lequel j'entreprends de combattre dit ainsi son advis sur ce subjet (et les autres de son party ne disent pas mieux).

« Nous croyons de cœur, et confessons de bouche, que Dieu seul doit » estre servy et honnoré de fait, combien que nous nous puissions hon> norer les uns les autres civilement, suivant ce qui est commandé aux in>> ferieurs d'honnorer leurs superieurs; si est-ce que quand il est question >> d'honneur religieux, ou consciencieux, ce sont choses non accordantes, » de donner tout honneur à un seul Dieu et à son Fils, et en departir une » portion à aucun homme, ou à la croix materielle, ou à creature qui soit. »> Il partage donc l'honneur en civil, et en consciencieux, et veut que du dernier s'entende seulement, qu'à Dieu seul soit honneur et gloire. Mais je remarque au contraire que c'est trop retrancher de l'honneur deu à Dieu, d'en lever le civil et le politique; car, si la rayson advancée par les bienheureux est raysonnable, pour vray, non-seulement tout honneur religieux, mais aussi tout honneur politique doit estre rendu à Dieu seul. Ils rendent tout honneur à Dieu, parce, disent-ils, qu'il a tout creé, et que tout est par sa volonté (Apoc. 4). Or, je vous prie, Dieu est-il pas l'autheur et principe de l'ordre politique? Les roys regnent par luy, et par luy les princes maistrisent (Prov. 8). Il n'y a point de puissance, sinon de Dieu; le prince est serviteur de Dieu (Rom. 13). Et c'est à ceste occasion que les magistrats sont appellez dieux. Quelle exemption donc peut avoir l'ordre politique et civil, par laquelle tout son honneur ne doive estre rendu à Dieu, puisqu'il en prend son origine?

J'admire ce traitteur, qui fait tant le theologien, et separe neantmoins l'honneur consciencieux d'avec le politique, comme si le politique n'estoit pas consciencieux. Cependant sainct Paul n'est pas de cest aḍvis: Soyez subjets, dit-il, par la necessité, non-seulement pour l'yre, mais aussi pour la conscience (Ibid.). Il y va donc de la conscience à honnorer les superieurs, et l'honneur qu'on leur porte est consciencieux.

Je dy oultre cela qu'on doit et peut porter un honneur autre que civil à quelques creatures. Voylà Josué qui adore l'ange és campagnes de Jericho; quel devoir civil avoit-il à ce faire ? Saül adore l'ame de Samuel qui s'apParut à luy; qu'y avoit-il en cela de politique? Abdias adore le prophete Hely; quelle obligation civile le portoit à cest acte, puisqu'Hely estoit personne particuliere et privée, Abdias personne publique, et des plus signalées de la cour? Il y a cent semblables exemples en l'Escriture. Nous devons honneur et respect aux superieurs ecclesiastiques, quels qu'ils soyent; et quel honneur peut-ce estre, sinon religieux et consciencieux, puisque la qualité pour laquelle on les honnore n'a autre cause ny subjet que la religion et conscience? Les offices et maistrises ecclesiastiques sont toutes autres

que les politiques, elles tendent à diverses fins et par divers moyens. Amasias, disoit Josaphat, presidera és choses qui appartiennent à Dieu. Zabadias, fils d'Ismaël, qui est duc en la mayson de Juda, sera sur les œuvres qui appartiennent à l'office du roy (11. Paral. 19). Ce sont donc deux choses.

Selon l'ordre politique, les roys et souverains ne devroient aucun honneur de sousmission à personne ; et neantmoins ils doivent honnorer les pasteurs et prelats de l'Eglise car comme les magistrats politiques president és choses civiles, aussi font les pasteurs és ecclesiastiques, et le mot de pasteur porte aussi bien son respect que celuy de roy, quoyque ce ne soit pas l'ordre politique.

Disons un mot de l'honneur deu aux saincts: quelle condition deffaut-il aux habitans de ceste heureuse Hierusalem, pour ne devoir estre honnorez par nous autres mortels? Pour vray, le moindre d'eux excelle de beaucoup le premier d'entre nous (comme Nostre Seigneur dit de sainct Jean); ils sont nos superieurs, couronnez de gloire, constituez sur tous les biens de leur seigneur, amys indubitables et plus proches courtisans d'iceluy, qui partant nous doivent estre tres-honnorables (Psal. 438), aussi bien qu'à David ils sont nos citoyens et patriotes, joincts avec nous par beaucoup plus de charité que nous ne sommes entre nous autres. Quelle rayson donc y peut-il avoir pour ne les honnorer pas ? Certes, quand nous n'aurions autre communion avec eux que la seule charité, puisqu'ils nous devancent en tant de perfections, ce seroit assez pour nous les rendre honnorables. On ne peut invoquer celuy avec lequel on n'a point d'accointance, ny de commerce, ou qui ne nous entend pas; mais on le peut bien aymer, par consequent honnorer, car l'un ne va pas sans l'autre : mais cest honneur deu aux bien-heureux ne peut estre que consciencieux et religieux. Il n'est donc pas vray qu'il ne faille donner aucun honneur que politique aux creatures. Voylà le dire de mon ennemy assez deffait. Je vay maintenant proposer la verité par ordre.

Il y a honneur souverain et subalterne; l'un et l'autre doit estre rendu à Dieu, mais en differente façon; car l'un luy doit estre porté, et l'autre rapporté.

10 L'hommage, ou l'honneur souverain absolu et premier, vise immediatement à Dieu, et luy doit estre porté à droict fil : il n'a point d'autre propre object que Dieu, ny Dieu ne peut estre purement et simplement object d'autre honneur que de celuy-là, pour la proportion que l'honneur et son object doivent avoir ensemble : le souverain honneur n'est que pour la souveraine excellence; qui l'addresseroit ailleurs seroit inepte et idolastre.

20 Autant inepte seroit celuy qui voudroit porter à Dieu un honneur subalterne; car il n'y a non plus de proportion entre cest honneur-là et Dieu, qu'entre la creature et l'honneur souverain : et comme l'honneur souverain ne peut avoir pour object qu'une excellence souveraine, aussi l'honneur subalterne ne peut avoir pour object que l'excellence subalterne. Dire donc qu'il faut honnorer Dieu d'autre honneur que du souverain, c'est dire que l'excellence divine est autre que souveraine, puisque l'honneur n'est autre chose que la protestation de l'excellence de celuy qu'on honnore, comme nous dirons sur la fin de ceste deffense. Donc, honnorer une creature d'un honneur souverain, c'est protester qu'elle a une souveraine excellence, qui est une bestise. Honnorer Dieu d'un honneur subalterne, c'est protester que son excellence est subalterne, qui est une autre bestise. Tant s'en faut donc que ce soit idolastric de donner aucun honneur religieux aux creatures; qu'au con

raire, il y a un honneur religieux qui ne se peut donner qu'aux creatures, et seroit blaspheme de le porter à Dieu. C'est l'honneur subalterne qu'on doit aux saincts et aux personnes ecclesiastiques, duquel j'ay parlé cy-devant. 30 Et neantmoins cest honneur subalterne, qui ne peut estre porté à ceste souveraine excellence, luy peut tousjours et doit estre rapporté, comme à sa source et son origine: il faut qu'il soit recogneu d'icelle, et de son fief, appartenance et despendance: ainsi n'est-il pas dit que les bien-heureux mettent leurs couronnes sur la teste de celuy qui est assis au throsne (Apoc. 4); car à la verité elles seroient trop petites, et de ridicule proportion pour ceste grande Majesté mais ils les jettent aux pieds d'iceluy, en recognoissance que c'est de luy et de sa volonté qu'ils les tiennent. Ils ne luy portent pas l'honneur qu'ils tiennent de luy; mais le luy rapportent, par le moyen d'un autre infiniment plus grand qu'ils luy portent, le recognoissant pour leur Principe et Createur.

Et comme on void tout l'honneur des magistrats inferieurs se rapporter et reduire à l'authorité souveraine du prince, ainsi tout l'honneur des hommes et des anges se reduict et rapporte à la gloire de ce supresme principe, d'où tout despend. Et en ceste sorte est-il vray qu'au seul Dieu immortel, invisible, soit honneur et gloire (1. Tim. 1). Laissant au reste à part ce qui se pourroit dire touschant ceste proposition apostolique Au seul Dieu soit honneur et gloire; à sçavoir, si l'Apostre veut dire qu'honneur et gloire ne doit estre baillée qu'à Dieu seul, ou s'il veut plutost dire qu'honneur et gloire ne doit pas estre baillée à aucun dieu, qui ayt d'autres dieux pour compaignons; mais à ce Roy immortel, invisible, qui seul est Dieu.

De tout ce discours s'ensuit qu'on peut bien honnorer religieusement quelques creatures, et neantmoins donner tout honneur et gloire à un seul Dieu, qui est un fondement général pour tout mon advertissement.

SECONDE PARTIE.

Or, je dy de plus, que non-seulement on peut donner honneur et gloire à Dieu seul, et tout ensemble à quelque creature, comme à la Croix; mais que pour bien rendre à Dieu l'honneur qui luy est deu, il est force d'honnorer religieusement quelques creatures, et particulierement la Croix, c'est-àdire, que pour bien honnorer Dieu, non-seulement l'on peut, mais l'on doit honnorer la Croix. Et c'est l'autre fondement de ma deffense, lequel se preuvera par beaucoup de raysons particulieres; mais en voicy la source e l'origine.

Si l'on doit quelque honneur à Dieu, c'est sans doubte le plus excellent. Mais le plus excellent honneur est celuy par lequel on honnore tant une chose, que pour son respect, on honnore encore toutes ses appartenances et despendances, selon les degrez qu'elles tiennent en ce rang. Partant, l'honneur deu à Dieu doit estre tel, que non-seulement il en soit honnoré premierement et principalement, mais aussi consequemment toutes les appartenances d'iceluy. Or, que le plus excellent honneur soit celuy qui s'estend à toutes les appartenances de la chose honnorée, je ne sçay qui le peut nyer, sinon celuy qui aura juré inimitié à la rayson et à la nature. L'honneur doit estre mesuré par son object, qui est la perfection et excellence; mais plus une excellence est parfaicte, ou une perfection excellente, plus elle se communique à tout ce qui luy appartient, ou despend d'elle plus donc un honneur est excellent, plus il s'estend et communique à toutes les appartenances de son object.

S. Francois.

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